*-Vous êtes prisonnier numéro 6, C’est aussi simple que cela. -Je doute que, même dans ce village, rien ne soit aussi simple que cela. Je ne suis pas numéro 6, je ne suis pas un prisonnier, je suis un homme libre. (extrait de LE PRISONNIER, Thomas Disch, 1969. Presses de la Renaissance 1979 pour la traduction française. Édition numérique, 295 pages.)
Après avoir démissionné avec fracas, un agent des services secrets britanniques est kidnappé et envoyé dans un joli petit hameau isolé et bien organisé qu’on appelle le Village. Les citoyens du Village ne sont identifiés que par un numéro. Le nouvel arrivant porte le numéro 6. Le village est dirigé par le numéro 2 Son objectif : arracher des renseignements au numéro 6 et comprendre pourquoi il a démissionné et quels sont les secrets d’état qu’il aurait pu vendre éventuellement à l’étranger. Tous les moyens sont bons : drogues, lavage de cerveau, contraintes psychologiques…bons moyens, mais peu efficaces… son esprit semble impénétrable.
Bonjour chez vous…
*-Où suis-je?
-Au Village.
-Qu’est-ce que vous voulez?
-Des renseignements.
…
-Vous n’en aurez pas.
-De gré ou de force, vous parlerez.
-Qui êtes-vous?
-Je suis le nouveau numéro 2.
-Qui est le numéro 1?
-Vous êtes le numéro 6…*
-Je ne suis pas un numéro
Je suis un homme libre.
(extrait : Télésérie LE PRISONNIER)
Le livre de Thomas Disch évoque une des séries les plus énigmatiques de l’histoire de la télévision : LE PRISONNIER, une série de 17 épisodes que j’ai vue et revue et qui m’en apprend encore. Je ne peux faire autrement que de lier les deux intimement aux fins de mon commentaire. Il y a tout de même des différences importantes.
Dans le livre, les villageois ne se saluent pas par un joyeux BONJOUR CHEZ VOUS. Cette expression est une trouvaille de Jacques Thébo, la voix française du numéro 6. Autre différence : dans le livre, le numéro 2 ne change pas et on ne le voit pratiquement pas. Le livre est beaucoup moins enlevé que la série, Disch concentrant davantage l’intrigue sur la pression psychologique exercée sur le numéro 6.
Pour le reste, tout y est : le rôdeur, la sphère gardienne du village, on ne sait pas qui est le numéro 1, le numéro 6 s’échappe une fois et se retrouve à Londres avant d’être repris et ne communiquera jamais les renseignements demandés, etc.
Les lecteurs et lectrices qui ont vu la télésérie feront obligatoirement des liens. Sinon ils découvriront simplement une dystopie un peu étouffante qui n’est pas sans faire réfléchir sur les fondements et les limites de la liberté. Et c’est ici que je veux m’attarder un peu sur le livre de Thomas Disch.
C’est un livre étrange à caractère fortement onirique. En fait, il m’a forcé à jongler avec le rêve et la réalité et dans cette histoire la frontière est fragile. Une phrase captée en cours de lecture illustre bien ma pensée : *Moi je n’ai jamais su avec certitude à quel moment on m’avait sorti de ce foutu aquarium. Les rêves étaient absolument aussi réels que vous l’aviez annoncé. Beaucoup plus réels que tout ça…-Qui peut dire que c’est réel? Cela ne porte aucune des écorniflures de la réalité. Je suis sûre que tant que vous demeurerez au village, vous serez dans le doute…*
Donc c’est parfois difficile de s’y retrouver. Si Disch force le lecteur à se concentrer, il force aussi son admiration car il l’installe dans un labyrinthe psychologique sans entrée ni sortie et dans lequel interviennent des personnages profonds et énigmatiques…gardiens ou geôliers, réels ou oniriques, sympathiques ou belliqueux? C’est un défi pour le lecteur qui pourrait lire le livre 10 fois et en tirer autant d’interprétations.
Ce livre est truffé de double-sens et d’énigmes et met continuellement à l’avant-plan le sens de la réalité du lecteur : *Allez donc donner un coup de pied dans un rocher pour permettre au rocher de prouver à votre pied qu’ils sont aussi réels l’un que l’autre.*
Comme la plupart des dystopies, la trame de cette histoire est complexe et étouffante et ce, même si la cage est dorée. Le numéro 6 est un sujet d’expérience et c’est au lecteur d’en tirer les conclusions car dans le livre, le jeu n’aboutit pas vraiment… une intéressante réflexion sur notre place dans la société et sur la définition de la liberté.
J’ai apprécié la lecture de ce livre mais je sais que je devrai y retourner tôt ou tard. Il est étrange, mais l’idée est originale. Quant à savoir s’il a exercé sur moi la même fascination que la télésérie…alors là, pas du tout mais je pressens toutefois qu’il ferait une excellente base pour le scénario d’un film…
Suggestion de lecture : AU-DELÀ DU RÉEL, livre sur la série culte de Didier Liardet
Thomas M. Disch (1940-2008) est un écrivain américain de science-fiction. Ses premières nouvelles sont publiées en 1960. Il atteint la notoriété avec deux romans à saveur politique : GÉNOCIDE en 1965 et CAMP DE CONCENTRATION EN 1970. En 1969, il publie LE PRISONNIER qui préfigure la série télévisée du même nom. En 1983, pour récompenser l’excellence en littérature de science-fiction, il crée le prix PHILIP K. DICK en hommage au célèbre auteur. Après la mort de son compagnon en 2005 et souffrant de dépression, Thomas Disch se suicide le 5 juillet 2008.
Patrick McGoohan (1928-2009) était un acteur américain. Il connaîtra la consécration de vedette internationale grâce à l’espion britannique JOHN DRAKE qu’il incarne dans la série DESTINATION DANGER au début des années 60. Puis, comme s’il s’agissait d’une suite logique, il conçoit, produit, scénarise et réalise la série LE PRISONNIER. Il a joué dans plus d’une vingtaine de films sans compter les épisodes de Colombo aux cotés de Peter Falk. Il a également prêté sa voix dans un épisode des SIMPSON où il incarnait son propre personnage de la série LE PRISONNIER.
BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JANVIER 2015