Le monde selon Garp

Commentaire sur le livre de
JOHN IRVING

*Les yeux de Garp avaient quelque chose d’anormal, chacun roulait dans son orbite indépendamment de l’autre; l’infirmier estima que, pour Garp, le monde extérieur devait sans doute surgir vaguement, puis disparaître, pour ensuite ressurgir de nouveau, à supposer que Garp vit quelque chose. *

Extrait : LE MONDE SELON GARP, John Irving. Pour la présente, édition de papier, Éditions du Seuil, 1980, 596 pages (poche). Format numérique, même éditeur, 2013, 772 pages. Thélème éditeur 2016, durée:  24 heures 53 minutes, narrateur, Bertrand Suarez-Pazos.


Romancier, Garp insère dans le récit tragico-burlesque de sa vie des extraits de son oeuvre, mêlant ainsi la réalité à la fiction au sein même de la fiction. Ce procédé, sans être vraiment original, révèle néanmoins que le monde est pour Garp un univers où c’est l’imagination qui règne. Roman qui mêle allègrement la farce et la tragédie, Le Monde selon Garp montre un univers où les références sont inversées sans tabous : la mère a une virilité d’homme, Robert devient Roberta, les hommes mordent les chiens…

Cependant, il reste quelque chose de sacré, un havre de paix rythmé par le ressac et vers lequel la métaphore liquide ramène toujours : la famille. Garp porte le nom de son père inconnu, sa fille comme sa mère se prénomme Jenny et la silhouette de la demeure familiale du New Hampshire ponctue tout le roman

La pureté et le chaos

Alors qu’en 1943, face à une contraception défaillante, le souci de bien des femmes reste d’avoir un homme sans avoir d’enfant, celui de l’excentrique Jenny est d’avoir un enfant… Et surtout pas d’homme. Elle jette alors son dévolu sur l’obscur et dépressif sergent technicien Garp, « opérationnellement » intact en dépit de son cerveau endommagé. De cette éphémère union naîtra S. T. Garp.

Garp deviendra écrivain au succès mitigé, philosophe de supermarché, conseiller matrimonial, entraîneur de lutte et papa au destin dramatique.

C’est un roman noir et violent sur fond de féminisme extrémiste et de machisme. Son personnage principal est à la fois héros et antihéros dangereux sous le prétexte qu’il est un homme. Sa crainte d’une humanité carnassière et sans âme est telle qu’il se livrera au seul exercice pour lequel il semble destiné : exprimer sa vision du monde, comme homme et comme auteur.

Garp s’exprime d’abord comme homme, dans un monde de femmes frustrées, engagées, de transsexuels et d’esprits tordus, dans l’ombre de sa mère, devenue l’infirmière la plus célèbre du monde, autrice à succès et engagée dans la protection des droits des femmes.

Garp s’exprime aussi comme auteur et il le fait par le biais d’une série de nouvelles mises en abyme dans l’histoire. Je suis peu attiré par cette technique littéraire qui consiste à insérer une histoire dans une histoire. Cela alourdit l’œuvre et n’ajoute pas grand-chose de plus ou de mieux même si la dernière nouvelle, LE MONDE SELON BENSENHAVER semble en dire très long sur la nature de Garp.

on se retrouve avec un récit comportant beaucoup de longueurs, de la redondance qui rendent le tout sensiblement indigeste. Il demeure clair toutefois que Garp voit le monde comme un univers d’horreur qu’il faut fuir ce qui met au jour le caractère cynique de T.S. Garp.

Un dernier point. Ce livre de John Irving a été publié en 1980. La condition des femmes a considérablement changé depuis ce temps même si elle demeure perfectible. Je pense que ce livre a un peu vieilli.

Le livre a tout de même marqué la littérature parce qu’il fait évoluer un auteur avec le cheminement de ses idées, son ressenti, ses relations avec le monde de l’édition et les mécanismes de la création. Cet aspect du livre d’Irving m’a vivement accroché.

Autre point fort, je me suis attaché à la plupart des personnages, en particulier Duncan, fils de Garp et Roberta Muldon, ancien joueur de football des Eagles de la Californie, devenue transsexuelle. Un colosse au cœur sensible.

Malgré son caractère noir et son humour caustique et cru, LE MONDE SELON GARP reste une œuvre phare de la littérature, une tragédie d’une grande intensité avec des trouvailles originales que je vous laisse découvrir comme les *ellen-jamesiennes*, exécrées par Garp.

J’ai trouvé bien meilleur L’ŒUVRE DE DIEU, LA PART DU DIABLE, mais je crois que LE MONDE SELON GARP mérite d’être lu.

Suggestion de lecture : L’ÉCUME DES JOURS, de Boris Vian



L’auteur John Irving

 

LE MONDE SELON GARP de John Irving a été adapté au cinéma en 1983 par George Roy Hill d’après le scénario de Steve Tesich et John Irving. Dans la distribution, on retrouve Robin Williams, Mary Beth Hurt, Glenn Close, John Lightgow, Hume Cronyn et Jessica Tandy. Pour la fiche technique et une bande annonce, cliquez ici.

 

 

Bonne lecture
Bonne écoute

Claude Lambert
le dimanche 15 juin 2025

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