LA BIBLE DU HIBOU, livre d’HENRI GOUGAUD

*Il vint à pas de loup surprendre les amants,
se tint un long moment courbé comme un
voleur contre la porte  close, pleura quand
Blanche soupira, puis il entra avec ses gardes,
il fit empoigner Nicolas et dans la tour ferrée
ordonna qu’on l’enferme.*
(Extrait : LE PRISONNIER DE LA TOUR du recueil
LA BIBLE DU HIBOU d’Henri Gougaud, Éditions du
Seuil, 1993, édition de papier,  340 pages)

LA BIBLE DU HIBOU est un recueil de fables, légendes et récits très courts qui ont été recueillis par Gougaud dans tous les coins de la France. Ces histoires ont traversé les siècles jusqu’à nous et demeurent pourtant sans âge, sans doute à cause de leur capacité à nous propulser aux limites de l’inconnu et de la connaissance, nous faisant explorer nos peurs ataviques : fantômes, êtres de légende, le diable. Ce livre rappelle la tradition orale aujourd’hui gâchée par la télévision et Internet. Écrit dans un style qui confine parfois à la poésie, Henri Gougaud, ce célèbre conteur s’est laissé aller à sa passion…

Légendes, peurs bleues, fables…
*Un bateau barbaresque aux voiles rouges
apparut dans la crique. Pierre voulut rejoindre
la rive. Il n’en eut pas le temps. Dix hommes
dans une chaloupe vinrent sur lui par le devant,
l’empoignèrent,  bâillonnèrent sa bouche,
ligotèrent ses pieds et le jetèrent enfin sur
leur vaisseau pirate qui aussitôt apparailla.*
(Extrait : MAGUELONNE, du recueil LA BIBLE DU HIBOU)

Dans l’univers du conte, il n’y a pas vraiment de juste milieu. Ou c’est vivant ou c’est mort. On aime ou on aime pas. Moi j’ai bien aimé la  bible du hibou parce que l’adaptation des contes se rapproche beaucoup de la tradition orale d’où ils sont issus. En effet, ces histoires venant des quatre coins du monde ont été racontées avant d’être écrites.

Pour saisir leurs auditeurs et les garder captifs, les conteurs devaient imprégner leurs histoires d’émotions, d’exaltation, de conviction. Ils s’exclamaient, déclamaient et maintenaient constamment leur signature vocale dans un registre élevé d’intonation, d’expression et d’émotion.

Vous vous imaginez alors le défi que ça représente de traduire toutes ces vertus en écriture. Ce n’est pas simple. Dans la préface du livre, Joseph Kessel exprime fort bien la nature de ce défi : *…mais de l’oral à l’écrit, si l’on gagne en pureté, en rigueur, en précision, on perd beaucoup me semble-t-il en liberté, en jubilation…*

L’écrivain est prisonnier des lois et des règles de la langue dans laquelle il écrit. Plusieurs subissent les contraintes d’un éditeur ou des correcteurs. *Le conteur, lui, est sans cesse entraîné par le désir de ses auditeurs. Il va aussi loin que l’on veut. Il abreuve, il nourrit, stimulé par la soif et la faim de ceux qui l’écoutent…*

Voilà ce que sont dans les faits les racines de la littérature : *…un terreau de paroles cultivé des millénaires durant…* Cette volonté de rendre les textes vivants fait toute la beauté de LA BIBLE DU HIBOU.

Tous les textes du recueil sont courts et respectent la même règle d’écriture vivante imposée par Henri Gougaud. Je me vois très bien en retenir plusieurs et en raconter à des amis autour d’un feu de camp. En me référant à l’esprit du texte et à sa qualité d’adaptation, la conviction et l’intonation feront le reste.

LA BIBLE DU HIBOU vient nous rappeler que le conte est une forme littéraire qui a toujours nourrit l’imaginaire. Dans quoi croyez-vous que la science-fiction et le cinéma fantastique ont puisé pour grandir?

LA BIBLE DU HIBOU est un ouvrage qui m’a permis d’apprécier toute la force d’attraction du conte avec des histoires de peur, de fantômes de docs et de ruelles obscures, de diables, d’ombres inquiétantes et j’en passe. Le recueil ne se limite pas à faire peur, il divertit et nourrit notre soif de savoir et de connaître. Un bon livre…plein de vie…

Suggestion de lecture : LA SÉRIE DE CONTES DE VALÉRIE BONENFANT

Henri Gougaud (1936- ) est un écrivain, poète et conteur français né à Carcassonne. Il a aussi été homme de radio et parolier pour des chansonniers comme Serge Reggiani, Juliette Greco et Jean Ferrat. Homme-orchestre, il réactualise un style littéraire en déclin : le conte. Il dirige d’ailleurs les Collections MÉMOIRES DES SOURCES ET CONTES DES SAGES aux Éditions du Seuil. Son œuvre comprend aussi de nombreux romans, récits et essais avec un goût prononcé pour l’humour noir.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
FÉVRIER 2016

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