CONTEMPLATIONS

Je suis tombé récemment sur un petit texte que j’aime beaucoup et qu’on m’avait partagé il y a plusieurs années. Il s’agit encore d’une contemplation morose de l’activité humaine sur Terre, mais cette fois du point de vue d’une personne au cœur de la ville, rêvant d’espaces verts et d’air pur. Ici la candeur est remplacée par une profonde lassitude.  En relisant ce texte, je n’ai pu m’empêcher de penser au nuage de smog enveloppant le nord de la chine (je vous recommande également d’aller visionner ce diaporama du figaro, les images sont incroyables).

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Phenixgoglu
Février 2013

CONTEMPLATIONS

Enfoncé sur mon séant, presque englouti par mon fauteuil, du haut de mon gigantesque monument de vitre par delà les nuages grisâtres du smog, je contemple la mer métallique; Elle ondule, mais jamais ne frémit submergeant de sa marrée maussade les rares tâches verdoyantes de l’horizon.

Dans ces vagues de béton figé fourmillent des sillons aux teintes austères; Tous prestes, tous anxieux, tous vides. Chacun suivant le courant de l’onde; Aucun ne s’adressant la parole, ne s’arrêtant, ne réfléchissant. Au loin, les usines infectent le ciel avec leurs gueules cuivrées qui vomissent encore et toujours leurs miasmes d’ébènes.

Ces serpents brumeux se tordent dans le firmament en crachant ça et là leur venin. Ainsi le brouillard méphitique enveloppe les flots urbains de son sombre manteau. Là, pêle-mêle ballottent des bêtes mécaniques régurgitant derrière leurs passages maints tourbillons nauséabonds. Devant cette funeste vision un désir s’empare de moi : Rejoindre ces oasis, ces points aux couleurs vives, où encore les troncs s’élèvent et dominent le ciel, où la terre n’est pas masse goudronneuse, où le chant de la faune substitut le grondement des automobiles.

Je rêve, englouti par le spleen, ivre d’angoisse, noyé dans le bassin de la citée. Comme les immeubles, moribonds, je me dévore. Mes yeux se retirent de ce bassin fumant et regardent les cieux de ma demeure qui s’effrite; Vivant à une multitude d’étages du sol, j’ai pourtant l’impression d’être dans un fossé. L’humain en ses temps érigerait-il sa propre tombe?

La pesanteur est devenue pour moi le poids de ma conscience : Elle m’écrase. Mes oreilles martelées par le hennissement de la ventilation, mes narines inondées de pollution, mes membres flasques, je ploie, je plis; Tout est lourd, tout est fardeau même jusqu’en mon sommeil; Je m’effondre en mes songes.

Dans ma tour aux milles carreaux translucides, je m’assoupis et attends passivement ma routine. Dans cette chimère, cette hallucination, ce mensonge, mes propos se révèleraient-ils candides, ingénus… véridiques.

(J.P Marcoux, 15 Mai 2005)

Envers et contre moi

J’avais déjà imaginé un univers nouveau, grandiose et sans douleur. Comme dans
mon passé, la douleur a toujours été autour de moi, à m’empoisonner, à m’étouffer.
Ma douleur est telle qu’elle envahit désespérément mon environnement de multiples
maladies souvent graves et intraitables, de guerres interminables et par corollaire de
vengeances naturelles catastrophiques.

En mon vaste univers j’ai grandi, catapulté par des forces inconnues. Je rêvais d’un
monde de paix et d’harmonie. Je rêvais en silence, me laissant bercer par ces milliards
d’étoiles rayonnantes. En mon cocon, j’aurais voulu mieux respirer, mais personne
ne voulait entendre ma souffrance. Toute seule au milieu du vide, je me meurs, dans
les sècheresses comme dans les inondations, dans les froids extrêmes comme dans les canicules.

Là où j’ai grandi, mes ancêtres ont grandi. Ils ont découvert et appris. Ils ont guerroyé
aussi, chassant de gigantesques créatures; sillonnant de nouvelles terres pleines de
richesses verdoyantes et denses.

J’ai fait d’eux des êtres libres, évoluant au gré de leurs périples souvent pénibles voire
mortels. Les explorateurs qu’ils étaient sont devenus des conquérants, rongés par le
pouvoir…ce fameux Pouvoir qui a fait d’eux des inconscients, des fous… et bientôt
des corrompus, manipulant d’autres pauvres êtres à leur tour, les méprisant pour leur
innocence.

Maintenant, les Hommes exploitent mes richesses, rongent à blanc mes forêts, mettent
en danger la vie de plusieurs espèces. Je me fonds sous ces gaz irrespirables, sous ces nappes de smog suffocantes. Le déséquilibre social flagelle mon corps.

L’homme, je l’ai abrité, il a suivi son destin, jusqu’à en devenir dépourvu de sensibilité
et d’esprit.

Un jour, dans mon agonie, je mourrai avec les hommes. Je mettrai fin à cette histoire que j’ai commencée… moi… la pauvre planète terre.

ShyningStar
Janvier 2013 

Chronos

Chronos

Les tulipes inondaient la plaine, et le soleil de midi n’avançait plus. La brise légère balayait l’herbe mais les quelques nuages ne bronchaient pas. L’odeur de la forêt me parvenait de l’horizon, emportant subtilement le bruissement des feuilles. Chaque élément grossier du décor se voyait atténué, et chaque délicatesse se rendait plus perceptible à mes sens. Tout ne restait que douceur.

Et puis l’alarme retentit. Je ne suis pas personnage ni comédien, et pourtant le décor ne s’effrite que pour laisser place à un autre. C’est le branle bas de combat dans mon cerveau. Est-ce que je m’endors, ou bien je me réveille? D’un clairon strident et intermittent, il sonne ma retraite de ces étendues paisibles. «Ta gueule Chronos!» que je hurle intérieurement. Je l’assomme d’un coup de snooze, sachant bien que le titan ne m’oublierait pas pour autant. Je suis en retard et il le sait. Ses yeux rouges indiquent 8:30AM.

Le clairon de mon cadran resonne mais je suis déjà dans la douche. Puis c’est le téléphone qui poursuit d’un son plus cinglant  C’est la job qui appel mais je peux pas répondre, je suis déjà devant le bus. Je regarde à peine le chauffeur et il me le rend bien. Où suis-je déjà? Ah oui… Il faut que je m’assois, je suis étourdis. Le bus c’est l’enfer, on doit l’attendre sinon il faut attendre le suivant, et pour sûr, le suivant se fera attendre.

L’allée empeste le stress et bien d’autres choses. Je rêve encore à mon auto quand je franchis le seuil de mon bureau. Quelques reproches puis quelques excuses, me voilà oubliant des dossiers, aveuglé par d’autres dossiers, aveuglé par leurs écritures rouges «URGENT!».
J’ai chaud malgré la climatisation, je dois être malade. Mes collègues s’affairent et ne voient pas mon teint de neige. Je vais vomir mais le téléphone me retient. Une engueulade rapide et la ligne qui coupe. Qu’est-ce que je disais déjà? Ah oui, je suis malade. Inutile de vomir, le mal qui me ronge restera en moi. Nouvelle sonnerie, je ne veux pas, je ne veux plus, je veux retourner chez moi. Nouvelle sonnerie, je mets mon désespoir dans le tiroir et répond. Mon auto est réparée, je dois aller la chercher dès ce midi.

Le garagiste est un brave type, mais il fini a 5h, un peu comme moi. Je fais couler le café, mais je n’ai pas le temps d’y goûter  C’est l’heure de dîner  c’est le moment d’aller chercher le char. Pas le temps de manger, je dois partir tout de suite. Quelle chance qu’un repas soit si facilement déplaçable.

Encore le bus et la nausée, puis le garage m’accueille. J’encaisse le coup de la facture et je suis de nouveau sur le bitume. Libre et vivant, sur les artères bouchées. Ça n’avance pas mais je suis maître de ma ferraille.
Enfin ça débouche et c’est parti. Est ce moi qui avance à 100 ou le monde tourne au ralentit? Oui, tout défile et tout se brouille, je suis encore en retard. Qu’est ce qui m’attend? L’asphalte défile et un petit garçon sort d’une voiture rouge. Je vais trop vite et je l’écrase, puis je m’arrête: la lumière est rouge. Tout est rouge donc, ou est-ce le sang dans mon pare-brise? Qu’est ce que j’ai fais, j’en suis plus certain, je croise le regard d’une mère tétanisée. C’est vert je redécolle.
Je tourne à droite puis à gauche mais que je suis gauche! Y fallait aller tout droit.

Je change de cap maladroitement et tourne sur ma droite, même si j’ai pas le droit…Je suis en retard.

Je suis encore étourdis quand je franchis le seuil de mon bureau, le boss est là et me congédie. Je me souviens soudain des appels oubliés et voilà le téléphone qui sonne. Je répond machinalement mais il n’y a que la tonalité. Quelle folie. Mes collègues s’affairent et ne voient pas mon teint de neige. Je reprend mon désespoir dans mon tiroir et je file, croisant celui qui me remplacera.
Je suis pas un personnage, ceci ne peut être une histoire. Tout s’inscrit trop vite, même pour une main divine. Je ne peux être réel, ceci ne peut être ma vie. Tout défile trop vite pour mon cerveau déconfit.

Je reprend mon auto laquelle, il me semble, n’avait pas de rouille sur le capot au garage. Sur la route une fois de plus, je crois devenir fou, je voudrais aller chez moi, mais je crois avoir oublié ce que cela veut dire. Je ferme les yeux pour me reprendre, ce qui me fit perdre le contrôle de mon char.

Quand j’ouvre les yeux, je vois une porte. Celle du paradis? Non… Celle du Répit Piano Bar. J’ouvre et j’entre. Odeur de tabac froid, ambiance chaleureuse, banquette et table carrée, comptoirs et tabouret. Billard et alcools en tout genre, discutions animées mais discrètes, jolies femmes et gentils hommes. Tout est à la fois élégant et simple. Là, un pianiste joue des mélodies douces, accompagné d’un percussionniste qui est hors de ma vue. Cette scène aussi banale qu’extraordinaire pétrifie mes sens, puis les détend, comme un baume chauffe une plaie avant de l’apaiser.

Je m’avance tranquillement et vais m’asseoir sur une banquette. Je ressens le confort. La musique s’écoule en mes oreilles comme venue d’un oasis, et mon ouïe se sustente comme jamais. Le piano et le tambour que je cherche en vain forment le plus parfait des couples. J’ai à peine remarqué l’homme en face de moi. Il a des yeux très pâles et un air bête, toujours ahuri, avec son sourire de bébé. Il me dit quelque chose et je comprend qu’il est schizophrène.

Je m’en moque car en ses yeux je remarque une image, un sentiment, quelque chose que seul un tableau de Dali saurait démontrer. Je vois dans les yeux du malade mental des horloges, des cadrans, tous mous et tous gluants, flottant au vent ou dégoulinant sur la chaussée. Le temps n’y est plus froid, insensible et immuable. Il n’est plus au-dessus de nous, ni absolu en ces terres…Non, le temps y est mon égal  Je comprends alors pourquoi je ne vois pas de percussionniste: les sons de tambours sont le battement de mon cœur.

Le schizophrène se mit a rire tandis que, d’un air incrédule, je ressens et entend mon cœur battre. Je ne suis pas un personnage, ni même une bande dessinée. Je le sens dans ma poitrine. Et si vivre n’était que ceci, prendre conscience des battements de son cœur et vivre au rythme de celui-ci plutôt qu’à celui de la trotteuse. Je suis ivre de révélation, ce qui rend mon nouveau compagnon hilare. Je n’entend ni ne vois la voiture rouge entrer en folle dans le stationnement.

Je plane toujours quand la porte ouvre en fracas. Je sursaute comme tout le monde et cherche la cause de ce raffut. Une dame là-bas crie d’une voix chargée de haine. «Où est-il! J’ai vu son char dans l’parking, Y’a du sang sur son capot! Du sang d’mon fils!» Elle me vit de loin, et moi je revis certains passage de la journée qui m’avait échappé. Étrangement je ne bronche pas, je reste stoïque. La femme s’avance à grands pas, sortant un revolver. Son visage n’est qu’une masse difforme et rouge.

Jamais je ne me suis sentis aussi seul. Je ne suis pas une création, aucun écrit ne me guide. Deux coups partent et je les attends. Je mourrai de la façon dont j’ai vaincu  dans la vitesse et l’attente. Je ne suis pas un personnage ni même comédien. Aucune main supérieure, aucun scénario ne me sauvera. Aussi sentis-je très bien les balles m’exploser la poitrine et crever le cœur que je sentais battre pour la première fois trois minutes plus tôt.  Je ne suis pas un personnage, ni même un pantin, je n’aurai été réel qu’un instant. Je ne suis plus rien.

Phenixgoglu
Novembre 2009