Tueurs de l’occulte

Commentaire sur le livre de 
CHRISTIAN PAGE

*Il suffit que des disques de musique heavy metal ou des lires sur l’occulte soient découverts au domicile de l’assassin pour que les médias brandissent de facto le spectre du meurtre <satanique>. Si en lieu et place l’assassin écoutait du gospel et lisait les évangiles, devrait-on qualifier ce meurtre de crime chrétien ? *

Extrait : TUEURS DE L’OCCULTE, de Christian Page, pour les supports numérique et papier : Guy Saint-Jean éditeur, 2019, 368 pages. Version audio : Vues et voix éditeur, 2021, durée d’écoute, 9 heures 13 minutes, narrateur : Christian Page.

Depuis la fin des années 1960, les crimes à caractère occulte connaissent une progression foudroyante. À tel point que des corps policiers ont mis sur pied des unités d’élites spécialisées; en effet, la vision intime du monde de ces meurtriers est souvent peuplée de démons, de vampires et de goules. Ici, nous ne parlons plus de meurtres ou de modus operandi, mais de rituels et de sacrifices. Mais qui sont ces «tueurs de l’occulte»? Par quelle «logique» tordue en viennent-ils à croire qu’ils sont les messagers de quelque divinité? Qu’ils doivent tuer au nom d’un gourou ou de Satan? C’est ce que l’auteur tente d’expliquer.

En sa qualité de journaliste spécialisé dans le domaine, Christian Page a bénéficié d’un accès privilégié aux archives judiciaires. Il a donc parcouru le monde afin de documenter les meurtres les plus insolites, est retourné sur les scènes de crime et a rencontré une foule de témoins, policiers, avocats, procureurs et juges. Il présente ici 13 histoires parmi les plus étranges et dérangeantes et les reconstitue avec minutie en suivant, pas à pas, l’évolution perturbante de ces «tueurs de l’occulte»: leur passé trouble, leurs croyances déformées et leurs crimes monstrueux. Ce livre se lit comme 13 nouvelles policières, sauf qu’ici tout est vrai. Même les noms n’ont pas été changés.

Dans les bas-fonds de la nature humaine

C’est un livre intéressant pour les amateurs d’histoires judiciaires juteuses, dérangeantes voire perturbantes. Christian Page est un journaliste spécialisé dans ce genre d’histoire. Il a documenté les meurtres les plus insolites, les plus étranges et après une imposante recherche, a reconstitué le modus operandi de chaque tueur. Vous avez compris qu’il s’agit ici d’histoires vraies.

Je dois dire que le terme <occulte> est un peu galvaudé. À ce sujet, l’extrait suivant n’est pas tout à fait en accord avec le titre : <Les experts désignent par crimes ou meurtres « occultes » des actions illicites motivées principalement par des croyances mystiques, ésotériques ou faisant appel à l’univers du surnaturel.> Extrait…introduction

Je veux préciser que dans ce livre, il n’y a aucune manifestation surnaturelle ou paranormale. L’auteur explique en détail l’œuvre de psychopathes à l’esprit tordu, affublé de toutes sortes de troubles de la paranoïa à la schizophrénie en passant par la bipolarité, la double personnalité, etc.

Le point commun de ces affaires est que les tueurs, qui possèdent un talent certain pour la mise en scène, sont inspirés par certains thèmes occultistes, surtout le satanisme et c’est sans compter l’influence de la musique heavy metal.

Je me doutais bien que de crime sordide en crime crapuleux, le livre allait devenir rapidement redondant. Ce qui fut le cas. Je me suis lassé assez vite. J’ai terminé l’ouvrage et j’ai bien fait car vers la fin, l’auteur détaille l’affaire de L’ordre du temple solaire qui avait fait la manchette et m’avait particulièrement intrigué dans les années 1990.

Sinon, beaucoup de sang et des bouts de cervelles et l’impression d’entendre un présentateur me lire des articles d’Allo Police. Un peu trop croustillant à mon goût. Je conçois toutefois qu’il y a une vaste clientèle pour ce genre de lecture.

Pour mieux apprécier la lecture, il faut exploiter l’angle de la psychologie des meurtriers. Celle-ci n’est pas développée de façon égale mais elle nous fait entrer dans le champ des motivations. C’est à peu près le seul élément qui a retenu mon attention.

C’est un livre qui en dit long sur les dérives de la nature humaine. À lire ou écouter si vous avez le cœur solide. J’en sors passablement mitigé.

Suggestion de lecture : SI JE SERAIS GRANDE, d’Angelina Delcroix


L’auteur Christian Page


DU MÊME AUTEUR

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 27 avril 2025

Le chien jaune

Commentaire sur le livre de
GEORGE SIMENON

Une enquête de Maigret

<Le regard de Maigret tomba sur un chien jaune, couché au pied de la caisse. Il leva les yeux, aperçut une jupe noire, un tablier blanc, un visage sans grâce et pourtant si attachant que pendant la conversation qui suivit, il ne cessa de l’observer. Chaque fois qu’il détournait la tête, d’ailleurs, c’était la fille de salle qui rivait sur lui son regard fiévreux. >

Extrait : LE CHIEN JAUNE, Georges Simenon, version papier : Le livre de poche éditeur, rééd. 2003, 190 pages. Version audio : Lizzie éditeur, 2019, durée d’écoute, 3 heures 47 minutes, narrateur : Bruno Solo

À Concarneau, des faits troublants mettent la ville en émoi. On tente d’assassiner M. Mostaguen, au sortir de sa partie de cartes quotidienne à l’Hôtel de l’Amiral. Le sort s’acharne sur ses partenaires, car, deux jours après l’arrivée de Maigret, Jean Servières, rédacteur au Phare de Brest, disparaît ; le siège avant de sa voiture est maculé de sang. M. Le Pommeret meurt chez lui, empoisonné. Le docteur Michoux pense être le suivant.

Le commissaire Maigret est désigné pour résoudre cette affaire qui accumule les cadavres.

Le cas à part de Simenon

Pour apprécier LE CHIEN JAUNE, il faut connaître un peu l’inspecteur Maigret. Le gros Maigret, Jules de son prénom. Un limier aux antipodes des Colombo, Cherlock Holmes et Hercule Poirot. Maigret est un personnage singulier, énorme, dense, consistant doté d’un incroyable flair et d’un instinct exceptionnel.

Son instinct prend souvent le pas sur la logique des faits. Il parle peu, agit seul et entre avec aisance dans l’environnement d’un crime avec son éternel petit carnet. Son art est de tenter de comprendre la psychologie du coupable en se mettant à sa place. C’est un intraverti. Ce n’est évident pour personne, mais il sait où il s’en va.

Pas étonnant que l’imposant Jules soit le héros de plus de 75 romans de George Simenon. Et tous ces attributs se retrouvent dans LE CHIEN JAUNE alors que les cadavres s’accumulent, qu’il y a de la peur dans l’air et de la strychnine dans les verres. Pour résoudre cette affaire, Maigret s’obstine à se mettre dans la peau d’un chien jaune omniprésent à proximité des scènes de meurtres.

Les circonstances sont très étranges. Aussi, fidèle à sa façon de faire, qui énerve parfois tout le monde, Maigret va s’intégrer aux habitués d’un café dans lequel il s’installe. Sa méthode appelle à la patience : Écouter, observer, ressentir et se concentrer pour comprendre la présence et les agissements d’un chien jaune, élément-clé de son enquête.

Par rapport aux romans policiers modernes, LE CHIEN JAUNE est plutôt dépaysant. C’est une qualité que j’apprécie. C’est un roman très bien écrit, superbement structuré car malgré sa brièveté, il dit tout, n’omet rien. Son seul défaut réside je crois dans l’absence d’indices. Quand il y a des indices, le lecteur travaille, quand il n’y en a pas, il mijote. Fidèle à son héros, l’auteur a caché son jeu jusqu’à a fin.

C’est un roman original. Pas de longueur, pas de superflu. Le principal témoin des scènes de meurtre: un chien. C’est du vrai Simenon. Plus le roman est court, plus il est peaufiné. LE CHIEN JAUNE EST un régal.


L’auteur Georges Simenon

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 26 avril 2025

Le chant d’Achille

Commentaire sur le livre de 
MADELINE MILLER

Il rouvrit les yeux.
— Trouve-moi un héros qui ait été heureux.
Je réfléchis. Héraclès était devenu fou avant de tuer sa famille ; Thésée avait perdu son épouse et son père ; les enfants de Jason et sa nouvelle femme avaient été assassinés par la précédente ; et si Bellérophon avait tué la Chimère, il était resté estropié après être tombé du dos de Pégase.
— Tu vois, tu ne peux pas.

Il s’était rassis, penché en avant.
— C’est vrai.
— Je sais. On ne te laisse jamais être à la fois célèbre et heureux, constata-t-il en arquant un sourcil.

<Extrait : LE CHANT D’ACHILLE, de Madeline Miller, Pocket 2015, édition de papier, 482 pages. Version audio : Lizzie éditeur, 2022, 1Go 014, Durée d’écoute : 11 heures 58 minutes, narrateur : Benjamin Jungers.

Ce ne sont encore que des enfants : Patrocle est aussi chétif et maladroit qu’Achille est solaire, puissant, promis par sa déesse de mère à la gloire des immortels. En grandissant côte à côte, l’amitié surgit entre ces deux êtres si dissemblables. Indéfectible. Quand, à l’appel du roi Agamemnon, les deux jeunes princes se joignent au siège de Troie, la sagesse de l’un et la colère de l’autre pourraient bien faire dévier le cours de la guerre… Au risque de faire mentir l’Olympe et ses oracles.

La Parole est à Patrocle

Les personnages :

Patrocle : Héros grec originaire de Locride, ami d’Achille, qu’il accompagna à Troie. Lorsque Achille se retira sous sa tente, il consentit à prêter ses armes à Patrocle, mais celui-ci fut tué par Hector

Achille : Achille est un héros légendaire de la guerre de Troie, fils de Pélée, roi de Phthie en Thessalie, et de Thétis, une Néréide

Pélée : Pélée est, dans la mythologie grecque, le fils d’Éaque, roi d’Égine, et de la nymphe Endéis. Il est roi de Phthie, en Thessalie, et le père d’Achille.

Intéressant ce livre. Original même si je tiens compte du fait que l’auteure a donné la parole à Patrocle, personnage un peu timoré évoluant dans l’ombre de L’Iliade. C’est vrai, j’ai toujours trouvé le personnage un peu effacé par rapport à son acte héroïque qui va sceller le destin de Troie en se substituant à Achille pour affronter les Troyens avant de finalement mourir aux mains d’Hector.

LE CHANT D’ACHILLE est une réécriture qui s’éloigne beaucoup de l’Iliade originale. Sa principale force est le narrateur. Patrocle est jeune et attachant mais il cadre un peu étrangement dans l’Iliade comme s’il n’avait pas été créé par Homère. Les historiens et mythologistes se contredisent un peu à ce sujet.

Ce qui est avéré toutefois, c’est l’intimité entre Achille et Patrocle. Les deux garçons étaient amants. Cette liaison homosexuelle n’est pas une surprise. Elle est évoquée par nombres de mythologistes dans une foule d’essais et d’exégèses. Mais Homère a plutôt tendance à occulter cette liaison dans l’Iliade.

Malheureusement, plus des trois quarts du récit reposent sur la liaison amoureuse entre Achille et Patrocle. On sait pourquoi les grecs se sont retrouvés à Troie et comment et pourquoi Patrocle est mort mais c’est tout. On oublie Paris, Hélène, le cheval de Troie et même, partiellement du moins, l’extrême violence à laquelle Homère nous a habitué.

Mais la grande faiblesse de l’histoire est l’insignifiance des personnages. Ils sont superficiels et d’une légèreté à laquelle la mythologie ne nous a pas du tout habitué. Peu approfondis, pas très travaillés, aboutis. C’est ce qui m’a le plus déçu je crois dans cette aventure, la banalité des personnages.

La grande force du livre repose sur le narrateur. J’ai eu beaucoup de satisfaction à saisir tout le ressenti de Patrocle qui est sans doute le personnage le plus authentique de la distribution. Toute la grâce de l’écriture de Miller et la délicatesse de sa plume passent par l’émotion que transmet Patrocle. J’ai été très sensible à cette force d’attraction du récit.

Je trouve seulement dommage que tout le récit repose presqu’essentiellement sur les désirs de deux jeunes hommes dans un cadre aussi singulier.

Malgré tout, on peut, je crois, tirer beaucoup de satisfaction de cette histoire si on la prend pour ce qu’elle est : une tragédie sentimentale en complète dérive par rapport à l’Iliade mais porteuse d’émotion et racontée par un personnage pas héroïque mais pourtant fier et très attachant : Patrocle.

Suggestion de lecture : LA MYTHOLOGIE, ses dieux, ses héros, ses légendes, d’Édith Hamilton

L’auteure Madeline Miller

À LIRE AUSSI

Bonne lecture
Bonne écoute

Claude Lambert
Le vendredi 25 avril 2025

LES PASSAGERS, John Marrs

<Claire inspira plusieurs fois profondément pour se calmer et contempla, mal à l’aise, sa propre voiture. Ben avait signé le contrat pour l’acheter à crédit trois semaines plus tôt, et elle avait encore du mal à s’habituer à ses multiples fonctionnalités nouvelles. La plus grande différence avec leur précédente voiture, c’est que celle-ci n’avait plus ni volant, ni pédales, ni possibilité de passer en contrôle manuel. Elle était totalement autonome, et ça effrayait Claire.>

Extrait : LES PASSAGERS, John Marrs, Hugo roman éditeur, 2020, édition de papier, 448 pages. Aussi en format numérique.

Les voitures sans conducteur ? Un réel progrès pour la sécurité de tous, nous dit-on. Mais quand un hacker prend le contrôle de huit d’entre elles, le progrès devient une menace. Mortelle. Les huit véhicules et leurs passagers sont programmés pour rouler vers une collision aussi spectaculaire que fatale.

Tous vont mourir. Tous, sauf celui ou celle que le public décidera de sauver via les réseaux sociaux. Chaque passager doit plaider sa cause pour influencer les votes. Mais le hacker connaît aussi leurs secrets Les plus sombres…

Qui sont les huit passagers ?

Libby : Une femme ordinaire qui devient la voix du public dans cette crise.
Jude : Un homme avec un passé sombre, cachant des secrets.
Sofia : Une immigrée qui lutte pour sa survie et celle de sa famille
Sam : Un vétéran de guerre avec des blessures physiques et émotionnelles.
Claire : Une femme enceinte, symbole d’espoir et de vulnérabilité
Shabana : Une politicienne controversée avec des ambitions personnelles.
Jack : Un influenceur des réseaux sociaux, obsédé par sa popularité
Victor : Un homme âgé, représentant une génération passée.

Huit piégés…
Qui survivra ?

Nous sommes dans un futur pas si lointain dans une Angleterre régie par les nouvelles technologies. Tout est intelligence, depuis le grille-pain en passant par la tondeuse jusqu’aux voitures qui ne requièrent plus de conducteurs.

Un jour, huit passagers deviennent otages dans leur propre voiture, un mystérieux hacker ayant pris le contrôle de tous les systèmes. Impossible de fuir. Le pirate annonce froidement que les huit voitures vont entrer en collision et que tout le monde devrait en mourir.

C’est un roman qui m’a époustouflé et même giflé d’une certaine façon. LES PASSAGERS est un thriller-chorale, une forme littéraire qui exige une parfaite maîtrise de la technique d’écriture. À ce titre, je considère John Marrs comme un artiste.

C’est une histoire aussi sordide que glaçante car elle évoque une société trompée, désinformée, exploitée et manipulée, ce qui est en fait, très proche de la Société d’aujourd’hui. Le livre dénonce aussi le pouvoir des hackers, le piratage informatique et la corruption politique qui sous-tend toute l’intrigue.

Le plus grand pouvoir de cette histoire à faire frémir est de pénétrer profondément dans les dérives technologiques et l’inimaginable puissance des réseaux sociaux. Car il faut bien le dire, le malheur des huit passagers terrorisés fera l’objet d’un spectacle. Je parle bien sûr de cette plaie de l’univers médiatique qu’on appelle la téléréalité.

Sur le parcours des voitures piégées, la foule est hystérique : *Quand les gens deviennent partie d’une foule, ils cessent d’être des individus, leurs inhibitions disparaissent, ils ne suivent plus leurs règles morales habituelles* (Extrait) L’auteur a tout prévu, y compris un profil psychologique de chaque passager et un jugement de nature à nous rappeler qu’il ne faut pas se fier aux apparences.

C’est un roman coup de poing, spectaculaire. Le rythme est haletant. La lecture est vite devenue addictive. Quoique très intrigant, L’épilogue est long et sensiblement embrouillé et je n’ai pas été très surpris de la finale.

Mai dans l’ensemble, ce livre fut pour moi un vrai coup de cœur qui n’est pas sans faire réfléchir sur la corruption politique et le dangereux pouvoir qu’exerce l’intelligence artificielle sur nos vies. En principe c’est un roman d’anticipation mais son actualité m’a pris de court.

C’est une histoire développée avec génie. Malgré sa ventilation, elle ne m’a laissé aucun répit. J’espère voir ce livre adapté au cinéma. Ce n’était pas le cas au moment d’écrire cet article.  Si l’éventuel réalisateur y met autant de talent que l’auteur, la production battrait des records.

Je pourrais en parler encore longtemps mais en conclusion, je dirai que c’est un livre à lire absolument et que John Marrs est un auteur à surveiller.

Suggestion de lecture : NOA, de Marc Levy


L’auteur John Marrs

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 13 avril 2025

 

LES NOMBRILS, tome 1

POUR QUI TU TE PRENDS

Commentaire sur la BD de
DELAF et DUBUC

Extrait : LES NOMBRILS, tome 1, POUR QUI TU TE PRENDS par Dubuc et Delaf, Dupuis éditeur, 2006, bande dessinée de 48 pages.

Si vous les aimez autant qu’elles s’aiment, vous allez les adorer ! Jenny et Vicky sont les pires chipies que la Terre ait portées. Elles se prennent pour le nombril du monde et pour peu, elles le seraient vraiment. Avec leurs vêtements sexy, leur maquillage provocateur et leur coiffure toujours impeccable, partout où elles vont, les regards sont hypnotisés, la musique s’arrête. On ne voit et on n’entend plus qu’elles.

Et heureusement ! Parce que Jenny et Vicky sont prêtes à tout pour être le centre d’attraction. Leur amie, la trop grande Karine, l’apprend à ses dépens lorsqu’un certain Dan s’intéresse à elle. Jenny et Vicky ne sont pas du genre à accepter la compétition ! Les lettres de Dan n’arriveront jamais à destination, ses invitations tomberont toutes mystérieusement à l’eau.

Pauvre Karine !

Dans un monde qui privilégie l’enveloppe plutôt que son contenu, elle ne peut qu’être le souffre-douleur des deux autres. Et si un jour Karine s’émancipait ? Qu’adviendrait-il de ce trio dépareillé ?

 

Une collection de clichés

Première observation, ce n’est vraiment pas une bande dessinée à proposer aux enfants. Elle s’adresse surtout aux ados, et encore… aux ados capables de comprendre l’énormité des clichés qu’on y trouve. Il y a de l’humour, acide par moment. Personnellement, je n’ai pas accroché à cette BD à cause du déploiement d’égocentrisme, de cruauté et de clichés que j’y ai trouvé.

La série suit deux adolescentes sans trop de cervelle. Ce sont des chipies qui utilisent leur copine Karine, dessinée comme une grande échalotte, comme tête de turc, ou souffre-douleur si vous préférez. Étrangement, Karine se remet des coups bas, un peu gelée par sa naïveté et sa candeur et nettement désavantagée par son physique sur lequel elle a tendance à se faire quelque illusion.

Chaque album est à raison d’un sketch par page et chaque page nous réserve son déploiement de méchanceté et de malveillance incrustée. C’est répétitif et redondant sur le plan comportemental. Rien ne change d’un sketch à l’autre sauf le thème abordé et c’est là que se trouve, à mon avis, le côté positif, la force de la série.

La série aborde des thèmes qui sont proches des ados comme l’amitié, l’estime de soi, la confiance, la famille, le coup de foudre, le rejet, la mode et les apparences et j’en passe. La bande n’est pas forcément moralisante comme telle, mais elle m’a surtout aiguillé sur ce qu’il ne fait pas faire. Ici, l’intelligence est démystifiée grâce à l’absurde.

L’humour a aussi sa place. Il est parfois caustique, noir, souvent subtil et on sait bien que c’est une qualité que recherchent les ados en littérature. Quant au graphisme, il ne m’a vraiment pas impressionné.

Je suis sûr que beaucoup d’ados apprécieront cette série. Elle est déjà d’ailleurs très connue si j’en juge par le volume impressionnant de ventes. Quant à moi, j’ai lu deux albums et j’ai arrêté là. Peu d’éléments sont venus me chercher et je n’ai pas pu m’attacher aux personnages bien que j’aie développé de l’empathie pour Karine malgré sa personnalité empâtée.

Il paraît que les derniers numéros sont meilleurs. Peut-être que j’y reviendrai un jour.

Suggestion de lecture : YUL ET SA CLIQUE, Une bd de Julien Mariole


Les auteurs de la série : Delaf, de son vrai nom Marc de la Fontaine, illustrateur et coloriste et Dubuc, de son nom complet Maryse Dubuc, scénariste de la série LES NOMBRILS.


Pour parcourir la série, cliquez ici

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 12 avril 2025

Minuit dans l’univers

Commentaire sur le livre de
LILY BROOKS-DALTON

*…cette nuit-là, les constellations n’étaient qu’une banale toile de fond pour la cascade de l’aurore boréale qui ruisselait dans l’air : coulées de lumière dansante, irisées de vert, de violet, de bleu. *

(Extrait : MINUIT DANS L’UNIVERS, Lily Brooks-Dalton, Les Presses de la Cité 2017, version papier, 275 pages. Version audio : Audible Studios éditeur, 2021, durée d’écoute : 7 heures 34 minutes. Narrateur : Éric Chantelauze.

Augustin, un brillant astronome, est en mission dans l’Arctique lorsque sa base est évacuée. Alors que les militaires rapatrient ses collègues, il refuse de quitter l’Observatoire. Quel que soit le danger, il veut finir ses jours ici, les yeux dans les étoiles. La rencontre avec une fillette de huit ans change ses plans : il doit reprendre contact avec le monde pour qu’elle soit sauvée. Mais toutes ses tentatives restent sans réponse…

Alors qu’une jeune astronaute, Sully, quitte Jupiter pour regagner la Terre avec son équipage, elle perd tout contact avec Houston. Augustin capte son appel. Au fil des échanges, ils vont se découvrir et se rapprocher, malgré l’immense vide qui les sépare. Ensemble, ils affrontent leurs peurs et leur solitude, réfléchissent sur leurs choix passés et affrontent le futur qui les attend.

 NUANCES D’INFINI

L’histoire suit en parallèle deux personnages principalement. Augustin, un astronome sur la fin de ses soixante-dix ans qui refuse de quitter sa base d’observation arctique malgré l’ordre d’évacuation. Il y a aussi Sully, une jeune astronaute qui tente de quitter l’orbite de Jupiter pour regagner la terre mais perd tout contact avec Houston.

S’ajoute un troisième personnage qui restera pour moi énigmatique du début à la fin du récit : Iris, qui a trouvé refuge dans l’observatoire, à la grande surprise d’Augustin.

De son observatoire, Augustin capte l’appel de détresse de Sully. Un dialogue s’installe et quelque chose de fort se développe entre les deux solitudes. Un lien qui pourrait peut-être les préparer à ce qui les attend.

C’est une belle histoire mais elle souffre de sous-développement. Il n’y a pas d’action comme telle, peu de suspense. Le rythme est lent mais un léger caractère fantastique vient toutefois enrichir le récit. Le quatrième de couverture laisse à penser qu’il s’agit d’un drame apocalyptique mais ce n’est pas le cas. Ici, l’apocalypse est très secondaire.

Pour faire simple, disons que MINUIT DANS L’UNIVERS est la rencontre de deux solitudes alors que la vie telle qu’on la connait pourrait toucher à sa fin, d’où le titre. Le dialogue plonge dans le passé et il en découle une nostalgie, de la tristesse. S’attacher aux personnages relève vraiment du ressenti de chaque lecteur-lectrice.

Le roman comme tel, méditatif et introspectif ne m’a pas vraiment emballé mais j’ai été fasciné par la beauté de l’écriture, de son pouvoir descriptif qui a aisément rejoint mon imagination. La façon dont Lily Brooks-Dalton décrit le vide arctique et le vide spatial et de les lier avec la solitude des personnages est majestueuse. L’expression d’une poésie qui ne m’a pas laissé indifférent.

La plume et l’imagination font la force du livre, les faiblesses étant dans le développement de l’histoire, Iris qui est un personnage énigmatique plus ou moins défini et la finale m’a laissé sur ma faim. Intéressant rapport de forces et de faiblesses. Je n’ai aucun regret.

Suggestion de lecture : SÉCESSION, de Julien Centaure

Extrait du film MINUIT DANS L’UNIVERS, sorti en 2020, réalisé par Georges Clooney, adaptation du livre de Lily Brooks-Dalton. En général, le film a reçu un accueil plutôt froid de la Presse et des critiques.


L’autrice Lily Brooks-Dalton

Bonne lecture

Bonne écoute
Claude Lambert
le vendredi 11 avril 2025



L’Arbre Monde, Richard Powers

*Elle prend sa main tremblante dans le noir. C’est si bon au toucher, c’est ce que doit ressentir une racine qui découvre, après des siècles, une autre racine avec qui s’enlacer sous terre. Il y a cent mille espèces d’amour, inventées séparément, toujours plus ingénieuses, et chacune d’entre elles engendre des choses nouvelles. *

(Extrait : L’ARBRE MONDE, Richard Powers, version audio : Lizzie Éditeur, 2018, durée d’écoute : 21 heures 42 minutes, narratrice : Leah Valdis-Bogart. Version papier : Cherchemidi éditeur, 2018, 550 pages.)

Aux frontières de la poésie

C’est un livre magnifique qui m’a touché profondément car il développe avec sensibilité et intelligence, un sujet qui me tient à cœur. Mais résumons d’abord l’histoire.

Après des années passées seule en forêt, une botaniste fait une découverte extraordinaire qui confirme finalement ce que les légendes proclament depuis l’aube des temps : les arbres communiquent entre eux et pas seulement, ils tentent de communiquer avec l’homme depuis les temps anciens. Malheureusement, leur fréquence est incompatible avec la compréhension de l’homme.

L’histoire évoque également le fourmillement d’une vie souterraine qui va jusqu’à supposer que les arbres du monde auraient bien pu prendre racine à partir d’un arbre-mère : l’arbre-monde.

Au fil de cette profonde intimité, nous suivons le destin entrelacé de neuf personnes, représentées par des noms d’arbres, qui convergent vers la Californie pour défendre un séquoia menacé de destruction. Les lecteurs peuvent suivre les défenseurs, un peu comme on lit les nouvelles convergentes d’un recueil.

Ça peut paraître saugrenu, mais je pourrais très bien qualifier cette œuvre de drame d’amour écologique, essai de philosophie environnementale, un roman manifeste. Moi j’appelle ça une alerte écologique, émise sans haine, sans jugement avec une plume poétique à la limite du langage musical. J’ai été ému par la beauté et la profondeur de l’écriture. J’ai été saisi par une émotion d’une rare intensité.

Ce livre met en perspective une véritable tragédie : la déforestation, la coupe à blanc, des pans entiers de forêt qui disparaissent au nom du développement et qui abîment dangereusement la planète.

Il y a plusieurs années de cela, j’enseignais à mes jeunes scouts que lorsqu’on est perdu en forêt et au bord de la panique, faire un câlin à un arbre nous procurait calme et énergie nouvelle. C’est en partie un pouvoir de communication de l’arbre.

 Voilà ce qu’est pour moi ce livre de Richard Powers : un câlin, doublé d’un sérieux avertissement, un plaidoyer d’une profonde sincérité doublé d’un appel au respect et à la reconnaissance. C’est un livre énorme et puissant mais aussi doux et enveloppant.

Le récit comporte quelques faiblesses toutefois. Il y a beaucoup de longueurs qui nuisent au fil conducteur, aussi, des explications scientifiques un peu lourdes. Certains passages frôlent l’extrémisme, sans y plonger vraiment toutefois. Le tout demande une certaine concentration car l’écriture bifurque souvent. La version audio offre une narration monotone qui frôle l’ennui.

Richard Powers consacre ici un genre littéraire appelé à proliférer : le roman écologique. Une chose est sûre, je ne verrai plus jamais les arbres comme avant. Extraordinaire moment de lecture.

Suggestion d’écoute : PAYSAGE SONORE DE LA NATURE CANADIENNE, collectif audio


L’AUTEUR RICHARD POWERS

 Du même auteur

Depuis la mort de sa femme, Theo Byrne, un astrobiologiste, élève seul Robin, leur enfant de neuf ans. Attachant et sensible, le jeune garçon se passionne pour les animaux qu’il peut dessiner des heures durant. Mais il est aussi sujet à des crises de rage qui laissent son père Depuis la mort de sa femme, Theo Byrne, un astrobiologiste, élève seul Robin, leur enfant de neuf ans.

Attachant et sensible, le jeune garçon se passionne pour les animaux qu’il peut dessiner des heures durant. Mais il est aussi sujet à des crises de rage qui laissent son père démuni. Pour l’apaiser, ce dernier l’emmène camper dans la nature ou visiter le cosmos.

Chaque soir, père et fils explorent ensemble une exoplanète et tentent de percer le mystère de la vie. Le retour à la réalité est souvent brutal. Quand Robin est exclu de l’école suite une nouvelle crise, son père est mis en demeure de le faire soigner. Refusant l’option de la médication, Théo se tourne vers un neurologue expérimentant une nouvelle thérapie. Par le biais de l’intelligence artificielle, Robin va s’entraîner à développer son empathie et contrôler ses émotions. 

BONNE LECTURE

BONNE ÉCOUTE
Claude Lambert
le dimanche 6 avril 2025

 

Félix Leclerc et nous

40 regards sur l’homme et son œuvre

Commentaire sur le livre de
MONIQUE GIROUX et PIERRE GINCE

*Félix a tout inventé de la chanson moderne québécoise de par son talent, sa guitare, des mots simples et forts à la fois, des images suggérées, des mélodies facilement mémorisables, des fables philosophiques sur de la musique, de la poésie.

Il nous a nommés, a vanté la nature, la nôtre. Il a, comme ses ancêtres de la Mauricie qui défrichaient la terre, défriché celle de notre culture populaire. Sans même le savoir ou encore moins le vouloir, il a damé des chemins, les rendant carrossables pour ceux et celles qui prendraient la guitare à sa suite. *

(Propos de Monique Giroux, extraits de l’introduction du livre FÉLIX LECLERC ET NOUS, 40 regards sur l’homme et son œuvre, par Monique Giroux et Pierre Gince, Les Éditions de l’Homme 2022, édition de papier, 292 pages.)

Auteur-compositeur-interprète, écrivain, animateur, scénariste, metteur en scène et acteur: Félix Leclerc avait toutes les cordes à son arc. Pionnier de la chanson québécoise moderne, il a créé un style musical reconnaissable entre tous. Ses souliers l’ont mené du Québec à la France, où il a côtoyé Brel, Brassens et Devos. Près de 40 ans après son décès, ce grand poète est toujours bien vivant dans le cœur de plusieurs générations, chez nous comme ailleurs. Bienvenue dans ce «Tour de l’île» unique, balisé par les témoignages intimes des plus grands artistes de la chanson francophone et des privilégiés qui l’ont côtoyé au quotidien, dans son havre de paix.

Un pur P’tit Bonheur

C’est un ouvrage en deux parties, la principale étant une collection de 40 témoignages sur Félix Leclerc. Chaque regard sur Félix est signé d’artistes ou d’autres personnes qui, tôt ou tard ont côtoyé ou interprété le poète de l’île et comprend une courte biographie de l’artiste.

Cette imposante série de témoignages est précédée d’un vaste tour d’horizon de la vie et de l’œuvre de Félix Leclerc qui rappelle un peu la forme d’un journal, sauf qu’ici, les faits saillants sont détaillés par année. Cette partie constitue un important rapport de recherches qui place de façon adéquate le lecteur et la lectrice dans le contexte.

Il y a évidemment une redondance inévitable dans ces textes. Tous les artistes admettent avoir été touchés tôt ou tard par Félix comme touchés par la grâce. J’essaie ici de dégager les points communs de tous ces textes qui décrivent Félix Leclerc :

Félix était un homme massif, imposant, *Quand Félix arrivait quelque part, il apparaissait. * (Extrait du témoignage de Natalie Leclerc) Sa voix était grave et forçait l’attention, bel homme, poète, dramaturge, homme de théâtre, auteur, compositeur, interprète, reconnu et adulé en France avant de l’être au Québec.

Il a ouvert la voie à un style d’interprétation qui s’est élevé au niveau de l’art, influençant fortement ceux devenus monstres sacrés de la chanson : Brassens, Duteil, Brel, Claude Gauthier et beaucoup d’autres.

Félix était réservé, un peu timide, casanier mais paradoxalement chaleureux et empathique.

Ça transparaissait jusque sur la scène quand il entrait avec sa guitare et posait un pied sur son éternelle chaise. Sa pensée sociale fut évolutive jusqu’en 1970 où elle prit un tournant avec la crise d’octobre.

*En octobre 1970, quand un des soldats lui demandent de s’identifier afin qu’il puisse rentrer à l’Île d’Orléans. Ça le blesse. C’est l’origine même de <L’ALOUETTE EN COLÈRE> qui marque un nouveau tome dans la carrière de Félix Leclerc. *  Extrait du témoignage de Marc Laurendeau.

C’est ainsi que, personnellement, L’ALOUETTE EN COLÈRE est devenue ma chanson préférée sur le plan identitaire après *Attends-moi Ti-gars* que je fredonnais à la fin d’une journée en sortant de ma petite école Saint-Maurice. D’autres chanson furent identifiées dans les témoignages comme préférées : LE TOUR DE L’ÎLE, L’HYMNE AU PRINTEMPS, BOZO, LE PTIT BONHEUR et j’en passe.

Évidemment, en 40 entrevues, il y a beaucoup de répétition et de redondances. Mais il y a aussi des apports personnels d’une grande richesse. C’est ainsi qu’avec le témoignage d’Yves Duteil j’ai connu et savouré les origines de <LA LANGUE DE CHEZ NOUS> Pas d’erreur, ce recueil est porteur d’émotion, de chaleur et d’amour, sans compter l’engagement social.

Je me souviens très bien maintenant de celui qui a ouvert la voie. Merci Monique et Pierre. Je comprends aussi beaucoup mieux pourquoi Brassens est l’auteur-compositeur-interprète qui m’a le plus atteint à vie avec Félix Leclerc. Brassens et Leclerc ont ceci en commun outre leur poésie : plus la scène est dépouillée plus elle est riche et enveloppante.

Suggestion de lecture : LE PETIT MOZART, la BD de William Augel


Félix Leclerc


Les auteurs Pierre Gince et Monique Giroux

 

 

Ma préférée…
celle que je fredonnais
sur les chemins
de la p’tite école

BONNE LECTURE
CLAUDE LAMBERT