LE PETIT PRINCE

Commentaire sur la version audio du livre
D’ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY

*-Aaahh…Petit Prince, j’ai compris peu à peu ainsi, ta petite vie mélancolique. Tu n’avais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. J’ai appris ce détail nouveau le quatrième jour au matin quand tu m’as dit : -J’aime bien les couchers de soleil ! Allons voir un coucher de soleil ! *

Extrait : LE PETIT PRINCE, édition anniversaire, livre audio par ADA, Vues et Voix éditeur, 2019. Durée d’écoute : 1 heure 58 minutes, narrateur principal : René Gagnon. Comédiens : Élizabeth Gautier-Pelletier, Catherine Renaud et Tristan Harey.

Suite à une panne de moteur, un aviateur doit poser son appareil en catastrophe dans le désert du Sahara. Cet aviateur, qui tente de réparer son avion est nul autre que Antoine de Saint-Exupéry qui se met lui-même en scène dans cette histoire. Tôt le matin, il est réveillé par une petite voix qui lui demande : « S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! »

 Indémodable

Magnifique adaptation sonore du conte universellement connu : LE PETIT PRINCE. Il a été publié en plus de 500 langues et dialectes à travers le monde. Je ne connais pas d’ouvrages autant traduits à part peut-être la bible. Il y a de bonnes raisons à cela. C’est un conte d’une douceur et d’une fraîcheur infinies.

L’histoire est très simple. Celui qui se raconte est nul autre que l’auteur lui-même, Antoine de Saint-Exupéry, un aviateur qui a dû poser son appareil en catastrophe dans le désert du Sahara.

Le lendemain de ce drame, Antoine est réveillé par une petite voix qui lui demande candidement *S’il-vous-plait…Dessine-moi un mouton*  (Extrait) Jour après jour, alors que l’aviateur tente de réparer son appareil, le Petit Prince lui raconte son histoire à partir du moment où il a décidé de quitter sa minuscule planète mère, l’astéroïde B612 pour explorer les étoiles et se faire des amis.

Je ne peux pas critiquer un chef d’œuvre pareil. On ne peut que se laisser pénétrer par sa chaleur et sa force d’attraction. Le petit Prince nous pousse en effet à retrouver l’enfant en nous, dont la pureté et l’innocence sont demeurés intactes.

Avec une simplicité et une tendresse désarmantes, LE PETIT PRINCE nous amène à redécouvrir le bambin toujours en couvaison dans notre cœur et qui détient une vérité à redécouvrir car elle est le sens de la vie.

Mon passage préféré est le dialogue avec le renard qui tient tant à être apprivoisé. Il met en lumière l’amitié, l’attachement, l’amour, la valeur de la vie.

LE PETIT PRINCE est avant tout une œuvre poétique et philosophique. Très accessible à tous, elle m’a atteint quand j’étais petit, elle m’atteint encore en tant qu’adulte.

Ce n’est pas une œuvre moralisatrice. Elle rassemble, avec l’extraordinaire sincérité du Petit Prince, tout un lot de valeur positives comme l’amitié, l’empathie et particulièrement l’ouverture d’esprit sans oublier le sens de l’émerveillement. LE PETIT PRINCE est aussi porteur d’une réflexion sur la solitude.

La version audio de cette œuvre est un véritable enchantement. La narration est superbe, les comédiens merveilleux. C’est une autre belle occasion d’introduire les enfants à la littérature, tout en douceur. Les parents passeront aussi un bon moment à faire la lecture du conte aux enfants, redécouvrant ainsi une des œuvres les plus marquantes de l’histoire littéraire.

Suggestion de lecture : LE PETIT PRINCE, LE ROMAN DU  FILM, novellisation, adaptation de Vanessa Rubbio-Barreau

Suggestion de lecture : LES CONTES DE NOËL, de Charles Dickens


L’auteur Antoine de Saint-Exupéry

Bonne écoute
Claude Lambert

Le samedi 1er février 2025

CROC FENDU, de Tanya Tagaq

Une adolescente grandit au Nunavut dans les années 1970. Elle connaît la joie, l’amitié, l’amour des parents, l’art du camouflage et de la survie. Elle connaît l’ennui et l’intimidation. Elle connaît les ravages de l’alcool, la violence sourde, le courage d’aimer les petites peurs. Elle connaît le pouvoir des esprits.

Elle scande en silence le pouvoir brut, amoral, de la glace et du ciel. Dans ce récit venu de loin, d’un espace intime et profond où les frontières s’effacent, Tanya Tagaq chronique les jours terribles d’un village écrasé sous le soleil de minuit, laissant dans la blancheur de la page l’empreinte sauvage d’une mythologie enchanteresse. La réalité se révèle aussi étrange que la fiction, à moins qu’il n’y ait jamais eu de différence entre les deux.

*La dépendance, ça peut être tout ce qui te fait du bien sur le coup, mais qui finit par te mettre dans un état encore pire, une flétrissure de la psyché qui se manifeste physiquement. Toutes nos faiblesses se réunissent pour devenir nos adversaires les plus redoutables. Elles apportent de l’eau au moulin de l’insécurité, de la haine de soi, et nous, pauvres martyrs, on s’apitoie sur notre sort. *

Extrait : CROC FENDU, Tanya Tagaq, version audio Alto/Audible, 2020, durée d’écoute : 4 heures 1 minutes, narratrice : Natasha Kanapé Fontaine)

Cri du cœur sur fond blanc

C’est une histoire prenante et même dérangeante. La narratrice, dont je n’aurai jamais connu le nom finalement, raconte sa vie et plus particulièrement ses premiers temps d’adolescence au Nunavut des années 70 dans son village envahi par la nuit six mois par année. Dans ce récit magnifiquement narré, il m’a semblé entendre une longue déclamation de *la fureur de vivre*, pour emprunter le titre de l’oeuvre cinématographique immortelle de Nicholas Ray qui devait consacrer James Dean comme symbole de la jeunesse en crise.

Car c’est bien d’une crise dont il s’agit ici. Pas seulement une crise d’adolescence, consécutive entre autres, au réveil hormonal, mais une crise existentielle…cri du cœur d’être une femme dans un monde régi par des hommes, d’être autochtone issue pas seulement d’un peuple mais de toute une race violée par les blancs envahisseurs. Le récit est difficile à suivre parce qu’il n’a pas vraiment de fil conducteur mais je me suis laissé submergé par les mots, les nuances d’une plume subtile, chaude et enveloppante.

La description de son accouchement et de ses bébés est particulièrement belle et c’est là que le récit bascule dans toute la force du drame. Déjà que le livre est dépaysant, il est devenu troublant, et sensiblement mystifiant. Son pouvoir descriptif, couplé à la beauté de la plume, le choix des mots et la magnifique prestation de Natasha Kanapé Fontaine m’ont rendu captif comme auditeur.

Mais le récit n’est pas sans faiblesses. Outre la fragilité du fil conducteur, l’histoire est insolite, teintée de philosophie et de mysticisme et son caractère intimiste ouvre la voie à plusieurs passages qui m’ont paru hallucinants et peu crédibles. La plupart des personnages sont peu ou pas identifiés en commençant par la narratrice, et son meilleur ami appelé tout simplement le beau gars. Ce sont davantage des entités que des personnages et je n’ai pu m’y attacher.

Mais je n’ai aucun doute sur la beauté du récit. Croc fendu est un long poème, donc matière à être interprété. Il est dramatique et porteur d’émotions d’autant que Madame Kanapé-Fontaine campe très bien son personnage.

Suggestion de lecture : CHEVAL INDIEN, de Richard Wagamese

Tanya Tagak est originaire de Iqaluktuuttiaq, au Nunavut. Tanya est d’abord et avant tout une chanteuse de gorge, une jeune femme très engagée auprès de son peuple. Sans délaisser la scène, elle nous propose un tout premier roman, et quel roman…  best-seller canadien et finaliste au prix Scotiabank Giller

Pour en savoir plus sur Tanya, je vous invite à lire un article passionnant signé Anne-Frédérique Hébert-Dolbec dans LE DEVOIR en octobre 2019.  Si vous voulez en savoir plus sur le chant diphonique, cliquez ici. Vous pourrez également faire de belles découvertes ici, sur la culture et les traditions du Nunavut.

Bonne écoute
Claude Lambert

le dimanche 26 janvier 2025

La prophétie d’Ulysse

Livre 1 : LE RÉVEIL DU MONSTRE
Livre 2 : LA COLÈRE DES DIEUX

*Ulysse Moreau, collégien comme les autres, a vu son destin basculer le soir où son père, archéologue spécialiste de la mythologie grecque, n’est pas rentré à la maison. C’était la terrible prophétie qui était en train de s’accomplir. *

(Extrait de LA COLÈRE DES DIEUX, le premier livre de la dilogie LA PROPHÉTIE D’ULYSSE de David Pouilloux, format numérique, 2X 208 pages. Fleurus éditeur 2020.

Pour les mordus de mythologie

J’ai toujours été fasciné par la mythologie. Qu’elle soit grecque, égyptienne, romaine ou scandinave, le sujet m’a fait passer beaucoup de moments forts, peu importe le support : cinéma, télévision, animation, livres de papier, éditions numériques, bandes dessinées, audio…dès qu’il est question des dieux, mon attention se fige surtout depuis la série sur PERCY JACKSON, alors qu’on nous sert une mythologie conforme à l’esprit d’Homère mais dépoussiérée, actualisée, servie au goût du jour pour un lectorat qui en demande toujours plus.

La petite série LA PROPHÉTIE D’ULYSSE est un roman jeunesse. Ça ne m’a pas arrêté loin de là et vous y trouverez votre compte aussi je vous le promets.

Nous suivons donc Ulysse Moreau, un ado collégien, ordinaire, à l’exception peut-être du prénom qui a un petit quelque chose de prophétique. J’avais peur que l’auteur tombe dans la facilité mais la suite m’a bien démontré le contraire. Suite à certains évènements à découvrir, il apprend qu’il est un demi-dieu. Il y a deux autres enfants comme lui : Kenza, demi-déesse égyptienne et le troisième est l’enfant maudit…le sable dans l’engrenage. Le but de la quête : identifier et retrouver les parents des demi-dieux, combattre le monstre le plus cruel, le plus laid et le plus redoutable enfanté par l’Olympe : TYPHON.

Mais avant, s’armer bien sûr et pour ce faire, voir le seul et unique Héphaïstos, l’équivalent de Q dans la série James Bond, rien de moins. Entre autres armes : la célèbre foudre de Zeus, réactualisée elle aussi par Percy Jackson, célèbre voleur de foudre : <Foudre de Zeus, frappe mon ennemi. Aussi fort soit-il, la lumière des cieux le brûlera ! > Extrait. Tout est en place pour une grande aventure.

Ces deux petits livres m’ont apporté beaucoup : du divertissement bien sûr, du rire, car l’humour a sa place et plein de nouvelles connaissances sur la mythologie comme des divinités dont je n’avais même pas connaissance comme Dédale, par exemple, le dieu des labyrinthes. Maintenant, je sais d’où vient le nom de la redoutable tempête qui prend naissance dans le pacifique et qu’on appelle TYPHON. L’auteur sait qu’il s’adresse à des jeunes et il a fait le nécessaire pour garder leur attention, les captiver.

L’écriture est calibrée et efficace. Kenza a un caractère bien trempé, Ulysse est plus réservé mais les deux sont attachants. L’auteur leur a insufflé bien sûr courage et volonté mais il les a gardé humains avec leur petites faiblesses et leur capacité d’empathie. Notez qu’il y a une belle variété de personnages mais on ne s’y perd pas. Le fil conducteur est solide. J’ai dévoré ces deux petits livres. Pourquoi 2 ? je me suis interrogé là-dessus mais bon. Il y a toujours des choix à faire. Bref, une magnifique lecture pour tous, addictive…sans aucun doute.

Suggestion de lecture : LA MYTHOLOGIE, SES DIEUX, SES HÉROS, SES LÉGENDES, d’Édith Hamilton

Pour en savoir plus sur l’auteur et son inspiration pour la PROPHÉTIE D’ULYSSE, cliquez ici.
Pour explorer sa bibliographie, cliquez ici
je vous invite également à consulter le dossier Wikipédia sur la mythologie grecque…très intéressant.

DU MÊME AUTEUR

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 1er novembre 2024

L’œil du monde, Robert Jordan

Livre premier de La roue du temps

*Tandis que les océans bouillonnaient, les vivants commencèrent à envier les morts. Tout fut dévasté et perdu, à part les souvenirs, et, parmi ceux-ci, celui du fléau qui provoqua l’Invasion des Ténèbres et la Dislocation du Monde. Et celui-ci les hommes l’appelèrent Dragon. *

(La roue du temps, livre premier, L’ŒIL DU MONDE, Robert Jordan, version audio, Audible studios éditeur, 2019. Temps d’écoute : 34 heures 8 minutes. Narrateur : Arnaud Le Ridant)

C’est la Nuit de l’Hiver dans la contrée de Deux Rivières et, en ce soir de fête, l’excitation des villageois est à son comble.  Arrivent alors trois étrangers comme le jeune Rand et ses amis d’enfance Mat et Perrin n’en avaient jamais vu : une dame noble et fascinante nommée Moiraine, son robuste compagnon et un trouvère. De quoi leur faire oublier ce cavalier sombre et sinistre aperçu dans les bois, dont la cape ne bougeait pas même en plein vent…

Mais, quand une horde de monstres sanguinaires déferle et met le village à feu et à sang, la mystérieuse Moiraine devine qu’ils recherchaient quelqu’un. Pour les trois amis l’heure est venue de partir car la Roue du Temps interdit aux jeunes gens de flâner trop longtemps sur les routes du destin…

Un ajout à la tradition littéraire du
FANTASY MÉDIÉVAL

C’est une très longue histoire. Trop longue je dois dire. Aussi, il ne faut pas perdre de vue le fil conducteur de l’histoire : la quête désespérée de trois garçons, amis d’enfance : Rand, un jeune berger, Perin, un colosse à l’esprit lent et Mat, un petit farceur, malin et séducteur, leurs alliés : Moiren, une *aes sedai*, c’est-à-dire une super-magicienne, accompagné d’un guerrier et d’un trouvère, qu’on appellerait aujourd’hui un troubadour.

C’est l’éternel combat entre le mal, représenté ici par le *ténébreux* et le bien, représenté par la lumière dont les combattant doivent affronter la flétrissure : un environnement putride créé par le ténébreux. Les combattants doivent accomplir la trame prévue par la roue du temps qui est ni plus ni moins que la destinée.

Beaucoup d’éléments rappellent le Seigneur des anneaux, les chroniques de Krondor et même Harry Potter. Mais entendons-nous L’ŒIL DU MONDE n’arrive pas à la cheville de l’œuvre de Tolkien en particulier, ce dernier étant plus subtil, plus abouti, plus mature.

L’ouvrage a des forces intéressantes et, en version audio,  j’ai plaisir à mettre en tête de liste l’incroyable performance du narrateur Arnauld Le Ridant qui ne cesse de m’étonner. L’écriture de Jordan est assez limpide. Je n’ai pas trouvé les personnages particulièrement travaillés mais j’ai trouvé le jeune Rand attachant et très humain malgré l’étoffe du héros qui lui est attachée. J’ai aussi beaucoup apprécié le personnage de Mat, qui vient alléger un contenu déjà assez lourd avec son attitude désinvolte et son beau sens de l’humour.

Enfin j’ai apprécié l’importance que l’auteur a donné aux femmes dans son histoire, partie prenante de la culture de leur peuple. Dans un contexte d’heroic fantasy, ça fait du bien je pense. Je le rappelle, le pavé est trop long inutilement, un peu redondant et ce n’est que le premier tome.

L’auteur innove très peu sur le thème de l’heroic fantasy. C’est réchauffé et prévisible même si j’ai trouvé la finale intéressante. Le rythme est modéré, peu de rebondissements. Au moins, les jeunes héros ne sont pas surfaits et le roman, sans être spectaculaire, est truffé de petites trouvailles intéressantes. Au final, ça mérite d’être écouté même s’il faut y mettre le temps.

Suggestion de lecture : HANDMAN, livre 1, DESTIN INDÉSIRÉ, de Quentin Lefèbvre


l’auteur Robert Jordan

LA SUITE



Pour consulter la petite histoire de la saga, cliquez ici.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le vendredi 20 septembre 2024

LE GRAND MEAULNES

Commentaire sur le livre de
ALAIN-FOURNIER

*Nous étions pourtant depuis dix ans dans ce pays, lorsque Meaulnes arriva. J’avais quinze ans. C’était un froid dimanche de novembre…C’était un grand garçon de dix-sept environ. Je ne vis d’abord de lui, dans la nuit tombante, que son chapeau de feutre paysan coiffé en arrière et sa blouse noire sanglée d’une ceinture comme en portent les écoliers. Je pus distinguer aussi qu’il souriait…*

(CITATION : LE GRAND MEAULNES, Alain Fournier, pour la présente, Gallimard éditeur 2009, édition de papier, 415 pages, format poche)

À la fin du XIXe siècle, par un froid dimanche de novembre, un garçon de quinze ans, François Seurel, qui habite auprès de ses parents instituteurs une longue maison rouge –l’école du village–, attend la venue d’Augustin que sa mère a décidé de mettre ici en pension pour qu’il suive le cours supérieur: l’arrivée du grand Meaulnes à Sainte-Agathe va bouleverser l’enfance finissante de François…

Lorsqu’en 1913 paraît le roman d’Alain-Fournier, bien des thèmes qu’il met en scène –saltimbanques, fêtes enfantines, domaines mystérieux– appartiennent à la littérature passée, et le lecteur songe à Nerval et à Sylvie. Mais en dépassant le réalisme du XIXe siècle pour s’établir, entre aventure et nostalgie, aux frontières du merveilleux, il ouvre à un monde d’une sensibilité toujours frémissante, et qui n’a pas vieilli.

Une lecture de toujours

C’est une histoire étrange, très singulière. Je crois que la beauté de l’écriture tranche sur l’histoire. Voici un personnage énigmatique à la psychologie complexe, Augustin Meaulnes qui arrive de nulle part et s’installe dans sa pension, son école et s’installe surtout dans la vie de ses pairs, en particulier François Seurel, le narrateur qui lui voue une admiration démesurée. Et pourtant, Meaulnes est un aventurier qui va et vient, à la recherche de son amour, à la poursuite de ses rêves. Meaulnes, c’est le domaine mystérieux, un endroit fantastique, onirique qu’il ne retrouvera jamais mais qui imprimera dans son âme un romantisme impénétrable.

Ce romantisme est en opposition avec son goût pour la liberté. Voilà son fardeau…il a toutes les qualités mais il est inatteignable : *Tant de folies dans une si noble tête. Peut-être le goût des aventures plus fort que tout…* (Extrait)

Je crois que pour comprendre LE GRAND MEAULNES, il faut comprendre Alain Fournier, un personnage aussi complexe que son héros qui traduit ses rêves…en rêves, un personnage sensible et empathique, mort prématurément dès son entrée dans l’effroyable guerre 14-18. Pour son ami Jacques Rivières, qui présente un émouvant portrait de Fournier, en annexe du Grand Meaulnes, la disparition de l’auteur laisse un triste vide parce que, et ça, c’est ce que je crois, la construction de son plan littéraire allait bon train. Son départ prématuré y a mis fin. C’est cette discontinuité qui me fait considérer l’oeuvre comme inachevée

Le personnage aurait maturé en même temps que son créateur et il serait revenu d’une façon ou d’une autre, rêveur, détaché, mystérieux, enveloppant toujours à la recherche de son amour et toujours soucieux de son pusillanime ami François.

Le lien autobiographique avec LE GRAND MEAULNES saute aux yeux : *Comment rattraper sur la route terrible où elle nous a fui, au-delà du spécieux tournant de la mort, cette âme qui ne fut jamais toute entière avec nous, qui nous a passé entre les mains comme une ombre rêveuse et téméraire. * (Jacques Rivière, ami d’Alain-Fournier, avec qui il échangea une abondante correspondance avant de devenir son beau-frère.)

L’ouvrage, d’abord destiné à la jeunesse n’a pas résisté aux assauts du temps. J’ai trouvé plutôt difficile de m’attacher à ses personnages surannés, au romantisme torturé d’Augustin, le roman poétique n’a plus tellement la faveur des jeunes adultes lecteurs/lectrices.

Personnellement, la quête d’aventure d’augustin m’a davantage ému que son idéalisme amoureux. C’est une écriture d’un autre temps, mais elle est tellement belle, envoûtante et profonde qu’elle m’a ému.


La plume de monsieur Fournier m’a aussi conforté dans l’idée que LE GRAND MEAULNES demeure un monument littéraire. Son langage et la force tranquille du texte m’ont davantage bouleversé que le cœur d’amadou d’Augustin et son histoire un peu tortueuse au caractère indéniablement onirique. C’était un beau moment de lecture.

Suggestion de lecture : L’ÉTRANGER, d’Albert Camus

LE GRAND MEAULNES AU CINÉMA

Photo extraite du film LE GRAND MEAULNES, réalisé en 2007 par Jean-Daniel Verhaeghe avec Nicolas Duvauchelle, Jean-Baptiste Maunier et Clémence Poésy. Le roman a également été adapté au grand écran en 1967 par Jean-Gabriel Albicocco.


L’auteur Alain Fournier (1886-1914)

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 8 septembre 2024



 

HISTOIRE DU CHIEN GRIBOUILLE, de Marc Thil

*Ce chien a l’air tout jeune. Il n’est peut-être pas étonnant qu’il soit perdu. Il aura eu du mal à retrouver sa maison. Ça expliquerait tout…Mais comment faire pour retrouver son maître? *
(extrait : HISTOIRE DU CHIEN GRIBOUILLE, auteur, éditeur et narrateur : Marc Thil. Durée d’écoute 55 minutes. Pour les 8-12 ans. Aussi disponible en papier et au numérique.)


Arthur, Fred et Lisa trouvent un chien abandonné devant leur maison. À qui appartient ce beau chien ? Impossible de le savoir. À partir d’un seul indice, le collier avec un nom : Gribouille, les enfants vont enquêter. Mais qui est le mystérieux propriétaire du chien ? Pourquoi ne veut-il pas révéler son identité ? Et la petite Julie qu’ils rencontrent, pourquoi a-t-elle tant besoin de leur aide ?

Un mystère résolu par des enfants
*…l’inconnu n’en dit pas plus et raccroche. –C’est notre
voleur assure Fred. Je l’ai reconnu à sa voix. Encore
une fois, il était pressé et peu sympathique. C’est bien
lui…
(Extrait)

Voici un brillant petit opus imaginé par un écrivain passionné, Marc Thil, véritable homme-orchestre qui a écrit l’histoire, en a fait la narration et a même fait l’accompagnement musical. Marc Thil adore écrire pour les enfants, ça m’a paru très évident dans cette mignonne petite histoire dont les héros sont des enfants.

Arthur, Fred et Lisa croisent un chien qui semble perdu. Ils décident d’amener le chien avec eux et d’entreprendre une recherche pour trouver son propriétaire. En principe, ça devait être facile en publiant une simple annonce mais les enfants ont eu une petite surprise. Pendant leur enquête, ils ont rencontré une petite fille appelée Julie, affligée par un handicap qui lui déforme le dos. Julie aurait un lien avec ce chien appelé Gribouille. Ce petit mystère sera résolu par des enfants décidés à se mettre en mode solution.

Pour des observateurs littéraires, le défi dans ce genre de lecture est d’essayer le plus possible de se mettre dans la peau des enfants à partir de 7 ans afin de comprendre leur logique d’enfant et leur perception des difficultés qu’ils peuvent vivre. Ce n’est pas toujours facile quand cette espèce de pureté est loin en arrière de nous.

Mais j’ai aimé ce que j’ai lu et entendu et j’ai apprécié la qualité d’approche des enfants par l’auteur ainsi que les petites matières à réflexion amenées tout en douceur: une vertu qui manque cruellement à notre Société, la tolérance, l’acceptation des différences, sans oublier les bienfaits de la zoothérapie et un des plus belles valeurs apportées par la vie : l’amitié :

<Tu viendras chez nous et nous continuerons de nous voir pendant les vacances et même après, à la rentrée puisque ta nouvelle école sera juste à côté de la nôtre. À ce moment Julie sourit et son visage s’éclaire. Elle dit simplement : -j’ai perdu Gribouille mais j’ai trouvé des amis > extrait Ce n’est pas moralisant. L’auteur ouvre une porte que les enfants n’ont qu’à franchir pour faire un pas de plus dans leur apprentissage.

La seule chose qui m’a agacé dans l’ensemble est la narration de la version audio. Je l’ai trouvé très déclamée. Je ne suis pas sûr toutefois que ce soit un obstacle significatif pour les enfants. L’audition de cette histoire me conforte dans l’idée que le livre audio est un moyen très intéressant d’introduire les enfants dans le monde de la lecture car à 7, 8, 9 ans et plus même, les jeunes sont encore liés à la communication orale.

La bibliothèque audio n’a de cesse de s’enrichir afin de desservir une nouvelle génération de lecteurs dans laquelle pourraient se trouver aussi de futurs auteurs. Je n’hésite donc pas à recommander HISTOIRE DU CHIEN GRIBOUILLE.

Suggestion de lecture : LA MYSTÉRIEUSE BIBLIOTHÉCAIRE, de Dominique Demers

Marc Thil adore écrire pour les enfants. L’idée lui est venue d’écrire en travaillant jour après jour auprès des enfants à titre de professeur. Il aime leur lire des histoires et leur en faire écrire. C’est comme ça que tout a commencé. Tous les livres de Marc Thil sont destinés aux enfants mais les plus grands pourraient apprécier, en particulier ceux qui étudient la langue française. La collection Marc Thil comprend 12 livres sur support papier et numérique et 5 livres audios.

Aussi disponible

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert

Le samedi 15 avril 2023

LA VIE QUAND-MÊME UN PEU COMPLIQUÉE…

…D’ALEX GRAVEL-CÔTÉ

Commentaire sur le livre de
CATHERINE GIRARD-AUDET

*Cher journal, sache tout d’abord que je trouve ça complètement
débile de t’écrire mais comme ma sœur est plantée à trois
centimètres de moi, je n’ai pas le choix de le faire. Madame s’est
en effet mis dans la tête de m’utiliser comme cobaye dans son
cours de psychologie au CEGEP. *
(Extrait : LA VIE QUAND MÊME UN PEU COMPLIQUÉE D’ALEX
GRAVEL-CÔTÉ, de Catherine Girard-Audet., édition Les Malins 2017,
440 pages. Version audio : Audible studios, 2017, narrateur : Jean-
Philippe Robin, durée d’écoute : 5 heures 31 minutes)

Ma sœur croit m’aider à « ouvrir mon autoroute émotive », à me défaire du « traumatisme causé par le divorce de nos parents alors que je n’étais qu’un enfant » et à tomber follement amoureux d’une fille. Ce qu’elle ne comprend pas, c’est que je n’ai pas envie d’être en couple. C’est trop compliqué. Mais, comme je suis un gars de parole, j’embarque dans son jeu (d’autant plus que c’est ma seule option pour qu’elle me laisse tranquille). Heureusement que j’ai le hockey, le tourbillon familial et l’apparition dans ma vie d’une mystérieuse Julianne et d’une charmante Léa Olivier pour agrémenter mon journal intime et le rendre un peu plus palpitant. 

Les réalités de l’adolescence masculine
*Elle a pris ma main et m’a attiré vers elle pour m’embrasser.
Elle, en se reculant doucement : <Est-ce que j’ai ton attention
maintenant? > Moi, en toussotant un peu : <heee, crum…je…
oui, hehe…excellente tactique.>*
(Extrait)

*Ma sœur est conne…ma sœur est conne…ma sœur est conne…* (introduction) Ainsi débute ce petit livre pétillant…par cette petite phrase toute mignonne répétée 12 fois avec conviction par le petit frère Alex Gravel-Côté. Voyons d’abord ces deux personnages qui sont au centre du centre…je dis ça parce que dans l’histoire, il y a beaucoup de monde…du jeune monde surtout…14 à 17 ans, chatouillé en permanence par les turbulences hormonales.

Alex a 14 ans. Il est beau comme un cœur, charmant, empathique et de nature généreuse. Il raconte au journal intime que sa sœur l’oblige à écrire, sa vie scolaire, sa vie familiale, sa vie sportive et surtout sa vie sentimentale qui elle, n’a pas tout à fait la note de passage. Pourquoi Alex n’a jamais de blonde? Et pourtant des blondes potentielles, il en gravite autour d’Alex.

Emmanuelle est la sœur aînée d’Alex. Elle se passionne pour la psychologie et a pris Alex comme cobaye pour ses tests et observations. Moyennant certaines concessions, Alex accepte d’écrire quotidiennement son ressenti dans un journal personnel pour un temps indéfini. Ce journal devient ainsi le fil conducteur du récit et promet de très intéressants revirements.

Ce livre se détache d’une série consacrée aux aventures de Léa-Olivier et à une flopée de jeunes à la recherche de reconnaissance et d’amour.  Alex se démarque par son intelligence, son empathie et surtout, son cœur d’Artichaut. Il est beau et drôle de voir ses pairs l’encourager, le pousser à enfin se *matcher* avec une belle fille… : *Arrête de niaiser pis fais un moove. Ce n’est pas dans tes habitudes de tourner autour de la puck …j’ai donc décidé d’être moins subtil en abordant Léa après l’école…* (Extrait)

Eh oui…dans le langage subtil du hockey, une belle fille qui se démarque a l’aspect d’une puck. L’auteure ne s’est d’ailleurs pas gênée pour mettre en évidence le langage des jeunes, un genre de codification truffée d’anglicismes et d’allusions : *men*, *dude*, *bro*, *babe*, *shit*, *cool*, *genre*, *cruiser*, *moove*, *come on*, *rocher*, *nunuches* et j’en passe.

Bien sûr ce langage ne constitue pas un bouquet de fleurs pour la langue française mais il constitue un mode de reconnaissance entre les jeunes. je partage avec ravissement le portrait que l’auteur fait des jeunes, en perpétuel questionnement sur leur attirance pour le sexe opposé. L’histoire n’est pas compliquée, on ne peut pas dire non plus qu’elle soit originale. L’auteur nous présente toute simplement des ados d’aujourd’hui avec leurs réalités qui se résument à quatre mots : Amitié, amour, famille, école.

Je crois que les jeunes vont aimer ce livre parce qu’ils vont se reconnaître, parce qu’Alex est terriblement attachant, c’est l’ami universel qu’on aimerait avoir à nos côtés. L’histoire évoque les cœurs d’amadou (1) et les cœurs d’artichaut.(2) Aussi simple soit-elle, il est impossible de ne pas être happé par l’histoire truffée de petites intrigues sentimentales ouvrant la voie à des dialogues savoureux et surtout un humour désopilant.

Par exemple, je vous laisse découvrir entre autres la théorie du triangle amoureux équilatéral, par rapport à la théorie du triangle amoureux isocèle. Ça m’a fait rire et ça m’a plu. Le langage des jeunes habituellement direct caractérise la plupart des dialogues. Ça arrache des sourires, c’est forcé : *Jeanne organise justement un party chez elle pour lui vendredi prochain. Ce serait trop nice que tu te pointes avec un gars du Cégep pour lui faire avaler sa morve. * (extrait)

Ce livre a été pour moi une magnifique évasion. L’écriture est limpide, fluide. Il n’y a pas de longueurs. On ne s’ennuie pas. J’ai été de plus, satisfait de la performance narrative de Jean-Philippe Robin. Je recommande donc LA VIE QUAND-MÊME UN PEU COMPLIQUÉE D’ALEX GRAVEL CÔTÉ…pétillant…rafraîchissant…divertissant.

Suggestion de lecture : LE LIVRE QU’IL NE FAUT SURTOUT, SURTOUT, SURTOUT PAS LIRE, de Sylvie Laroche

C’est à la plume passionnée de Catherine Girard-Audet, accro de magasinage, d’histoires de filles et de confidences, que l’écriture de L’ABC des filles a été confiée. À la barre de plusieurs traductions de romans ou d’albums à succès tels que, Lizzy McGuire, Dora l’exploratrice et même Bob l’éponge, Catherine Girard-Audet était la fille toute désignée pour entreprendre ce projet. Auteure de la série La vie compliquée de Léa Olivier, l’ABC des filles, Effet secondaire et Le journal de Coralie.

 

(1) Cœur qui s’enflamme et s’amourache rapidement
(2) Susceptible à l’amour. Qui donne son cœur facilement et à tout bout de champs.

 

Ne manquez pas de suivre Léa-Olivier

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
Le dimanche 29 janvier 2023

HANDMAN, livre 1, DESTIN INDÉSIRÉ

Commentaire sur la BD de
QUENTIN LEFEBVRE

(Extrait : HANDMAN, par Quentin Lefèbvre, tome 1
DESTIN INDÉSIRÉ, édition originale, 2014, édition
numérique, 2018, 55 pages. Éditeur : Quentin
Lefebvre)

Mickael est un lycéen qui mène une vie tranquille. Un jour, par accident, il tombe et plonge ses mains dans un cours d’eau pollué, ce qui lui brûle les empreintes digitales. Il découvre alors, stupéfait, la force contenue dans ses mains a été radicalement modifiée : il peut les passer dans le feu sans se brûler, s’accrocher et même briser les murs sans peine ! Au lycée, le lendemain, il grave la trace de ses mains au sol en tombant dans des escaliers. Des élèves l’ont vu tomber, mais il s’enfuit sans qu’on voit son visage. Le journal du lycée parle de cet événement et surnomme le garçon qui a gravé ses traces de main au sol « Handman ». Personne ne sait que Mickael est Handman.

Dérangé par ses pouvoirs, peu courageux, voulant surtout garder une vie tranquille, le rôle de super-héros ne lui va pas. Il ne veut pas sauver le monde, combattre des méchants ou porter un costume moulant… Mais comment rester soi-même lorsque l’on a une force unique au monde ?

Un super héros réinventé

Il est plutôt rare que je fasse irruption dans l’univers de la bande dessinée. Mais, tout récemment, en bouquinant sur Youboox, j’ai découvert une chouette petite série signée Quentin Lefèbvre, un jeune auteur bédéiste français. Tout m’a attiré dans Handman, le dessin, le texte, la qualité des personnages et les petites leçons de vie semées un peu partout dans la série.

Mais ce que j’ai trouvé surtout original c’est que Mickael est un superhéros pas du tout intéressé à combattre les méchants et sauver le monde.  Si le superhéros du genre Marvel a toujours été populaire, rarement aura-t-il été crédible. Or, toute l’histoire de Handman repose sur un paradoxe : Mickael le superhéros est un garçon plutôt pusillanime qui tient à sa petite vie privée, tranquille, peinarde. Mais a-t-il le choix ?

C’est ainsi que Quentin Lefèbvre a imaginé toute une chaîne d’évènements pour faire évoluer son personnage…est-ce pour tendre vers une acceptation de sa condition ? Je vous laisse le découvrir.

J’ai trouvé cette série sympathique et chaleureuse malgré un certain dépouillement graphique qui semble d’ailleurs être voulu. Axé sur la simplicité et certaines valeurs comme l’amitié, le récit suit le quotidien d’un lycéen doté d’un pouvoir extraordinaire suite à un contact de ses mains avec des substances nocives.

Le tome 1 montre un superhéros pour le moment inconnu, réfractaire à sa condition. Le tome 2 est un peu plus conventionnel. Les lecteurs plongeront rapidement dans ce récit qui se rapproche d’un fantasme classique qui caractérise les jeunes qui se font une définition très personnelle de la justice.

Qu’est-ce que je ferais si j’étais l’Araignée, Batman ou Handman? Beau travail de Quentin Lefèbvre qui signe ici un projet d’adolescence, la création d’un nouveau genre de héros. À lire absolument même si vous n’êtes pas amateur de BD.

Suggestion de lecture : LE PETIT MOZART, BD de William Augel

À lire aussi

Je m’appelle Quentin Lefebvre, je suis né près de Paris en 1990. Je suis auteur de bande dessinée/illustrateur. Ma première saga BD a été lancé avec le tome 1 de « Handman » en octobre 2014. Le tome 2 est arrivé en avril 2016, le tome 3 en 2017. Et d’autres suivront…

Je suis amoureux de la bande dessinée depuis mes 13 ans…J’invente et dessine mes propres histoires, c’est ce que j’aime faire dans la vie ! Je suis passionné par la BD ; j’en fais, j’en lis, j’en parle, j’en collectionne… Et j’adore aussi le cinéma, le dessin de presse, les jeux vidéo, la musique… (bedetheque)

Bonne lecture
Claude Lambert
janvier 2020

JÉRÔME ET SON FANTÔME, de Sylvie Brien

Version audio

*Oui ! Des fous, mon petit Arnaud. Des fous drôles,
mais aussi des fous méchants, des fous tristes, des
fous malheureux. Je les vois. Là ! comme piégés
dans le temps…attends que je te raconte encore…)
(Extrait : JÉRÔME ET SON FANTÔME, de Sylvie Brien,
Dominique et compagnie Éditeur, 2016, papier, 200
pages. Version audio : Dominique. Audible 2018, durée
d’écoute :2 heures 58 minutes. Narrateur : Pierre Corriveau)

À la mort de son père, au début des années 60, Jérôme, 12 ans, est hébergé avec sa famille chez ses grands-parents. Il découvre avec surprise que le village qu’ils habitent est peuplé de personnages tous plus étranges les uns que les autres. Cela n’empêchera toutefois pas le jeune garçon de se faire de nouveaux amis, dont un « jeune » fantôme qui lui fera vivre d’incroyables aventures… soit dit en passant, le tome 2 est prometteur…

Les idées folles de Jules
*Moi qui croyait qu’un fantôme, c’était transparent,
vaporeux et effrayant. J’avais eu toute une surprise.
À vrai dire, à le voir, j’aurais jamais pensé que
Jules puisse être un revenant en chair et en os.
<Pourquoi es-tu venu ici> demandais-je au
spectre…*
(Extrait)

Le vieux Jérôme raconte un épisode très important de sa vie à son petit fils Arnaud. Jérôme remonte le temps de plus de cinquante ans, jusqu’en 1962 alors qu’il a 12 ans. Après la mort de son père, Jérôme s’installe chez ses grands-parents et c’est alors qu’il est témoin d’évènements bizarres, disons plus intrigants que méchants : une bicyclette qui prend sa place toute seule par exemple ou des poubelles qui lévitent jusque dans la rue.

Jérôme est amené à comprendre qu’il s’agit là de l’œuvre d’un fantôme qui ne veut pas se montrer. Jérôme surmonte sa peur et finira par convaincre le spectre de se montrer et d’expliquer pourquoi il lui rend des services. Et finalement le fantôme finit par se montrer.

Surprise, il s’agit d’un jeune garçon de 12 ans, le même âge que Jérôme. Il s’appelle Jules. Il semble ne pas comprendre qu’il est mort. Jérôme lui explique la triste réalité et Jules demande à Jérôme de découvrir comment il est mort, pourquoi, et où est son corps.

C’est alors que Jérôme se lance dans une quête extraordinaire et certaines alliances l’aideront beaucoup dans sa démarche, Avec le curé par exemple, le ptit dur de l’école Gaston et même le fossoyeur qui en sait pas mal long et il y a bien sûr Jules dont l’aide sera précieuse. Jérôme mettra au jour une vérité aussi incroyable que l’aventure qu’il est en train de vivre.

La question est de savoir si Jules pourra enfin reposer en paix. Aux jeunes lecteurs d’en faire la découverte. J’ai beaucoup aimé cette petite histoire que Sylvie Brien a développé avec une belle retenue : pas d’artifice, pas de violence, un peu de frissons et de mystère. Elle laisse les jeunes lecteurs avec l’idée qu’il est possible que les fantômes existent, qu’on peut y croire ou non.

Il ne faut pas non plus avoir peur des fantômes. Un mystère n’est pas forcément aussi épais qu’il en a l’air. L’histoire réunit donc des éléments qui plaisent aux jeunes lecteurs de 10 à 14 ans : de l’intrigue, du mystère et de l’humour. L’histoire s’appuie aussi sur de belles valeurs : l’amitié, l’entraide, l’esprit d’équipe et la tolérance qui manque tant à la Société.

J’ai été captif de cette histoire pour deux raisons en particulier : d’abord la galerie de personnages. J’ai accueilli chaleureusement Jérôme dès le départ, un petit débrouillard astucieux et persévérant et puis Jules que j’ai accueilli presque comme un petit fils et pour lequel j’ai développé une empathie qui m’a gardé dans l’histoire jusqu’à la fin. Eh oui, je dirais que Jules m’a forcé à lire l’histoire d’une traite…Aucun regret.

Je ne ferai pas le tour de tous les personnages mais plusieurs m’ont fasciné, en particulier Gaston, le ptit dur que tout le monde craint. J’ai redécouvert que ce genre de personnage cache du bon qui finit par ressortir. La deuxième raison de mon engouement est ce retour aux années 60 dont l’atmosphère est magnifiquement recréée.

Mes petits bémols maintenant… les filles n’ont aucun rôle dans cette histoire à part peut-être celui de chipies, l’enseignante acariâtre et les cadorette par exemple. J’ai rapidement développé l’impression qu’il manquait quelque chose. Les parents aussi n’ont pratiquement aucun rôle.

Ça nous éloigne d’une réalité quand même importante si on tient compte du fait que l’histoire se déroule dans les années 60, une époque où les familles prévalent plus qu’aujourd’hui.

Enfin j’ai écouté la version audio et j’ai été un peu déçu par la narration de Pierre Corriveau qui a eu de la difficulté à trouver le ton juste. J’aurais préféré qu’il se laisse aller un peu plus en utilisant l’accent que laisse supposer l’écrit. Heureusement, Pierre a une voix magnifique et c’est pour moi une belle compensation.

C’est un récit idéal pour pousser les préados à la lecture à cause de l’émotion qui se dégage de l’histoire et d’un amalgame de fantastique et des réalités de l’adolescence. À la fin du récit, tout est en place pour une suite prometteuse. Moi j’ai aimé, ce qui laisse à penser qu’il n’y a pas d’âge pour lire un livre-jeunesse.

Suggestion de lecture : LE CHÂTEAU DES FANTÔMES de Sophie Marvaud

Juriste et notaire de formation, Sylvie Brien se consacre entièrement à l’écriture dans les années 2000. Publiée au Canada et en France par plusieurs éditeurs, elle est Membre de l’Union des Écrivaines et Écrivains du Québec et anime des rencontres littéraires pour le programme Culture à l’école. En 2005, son roman La Fenêtre maléfique est choisi pour l’événement Montréal capitale mondiale du livre (UNESCO). Elle remporte en 2018 le prix littéraire de l’AQPF avec son roman 16 ans et Patriote.

La suite 

Bonne écoute
Claude Lambert

LE PLONGEUR, le livre de Stéphane Larue

*-T’es qui toé ? On te connait pas la face. Il regarde
Bébert, avec un sourire débile. Il pue le cendrier. –
Tu t’es amené un petit bodyguard. Bébert lève la
main, la paume tournée vers le gars, un peu comme
Magnéto qui arrête une rafale de mitraillette. Je ne
L’ai jamais vu tendu et silencieux comme ça.*

(Extrait : LE PLONGEUR, Stéphane Larue, Le Quartanier
éditeur, 2016. Édition de papier, petit format, 567 pages)

Nous sommes à Montréal au début de l’hiver 2002. Le narrateur est étudiant en graphisme, il dessine depuis toujours et veut devenir bédéiste et illustrateur. Mais depuis des mois, il évite ses amis, ment, s’endette, aspiré dans un tourbillon qui menace d’engouffrer sa vie entière : c’est un joueur. Il joue aux loteries vidéo et tout son argent y passe. Il se retrouve à bout de ressources, isolé, sans appartement.

C’est à ce moment qu’il devient plongeur au restaurant La Trattoria, où il se liera d’amitié avec Bébert, un cuisinier expérimenté, jeune mais déjà usé par l’alcool et le speed. Pendant un mois et demi, ils enchaîneront ensemble les shifts de soir et les doubles, et Bébert tiendra auprès du plongeur le rôle de mentor malgré lui et de flamboyant Virgile de la nuit.

On découvre ainsi le train survolté d’un restaurant à l’approche des fêtes et sa galerie mouvante de personnages : propriétaire, chef, sous-chefs, cuisiniers, serveurs, barmaids et busboys. Tous sont dépeints au plus près des usages du métier, avec une rare justesse. C’est en leur compagnie que le plongeur tente de juguler son obsession pour les machines de vidéopoker, 

Prix des libraires du Québec 2017
> Prix Senghor 2017
> Prix des Rendez-vous du premier roman 2017
> Finaliste au Prix littéraire des collégiens 2018
> Finaliste aux Prix du Gouverneur général 2017

Les mécanismes de l’addiction
<Délaissant de plus en plus mes travaux de cégep, j’avais joué mes loyers d’août, puis de septembre, puis d’octobre, au long d’après-midi lents et engourdis, assis devant une machine de vidéo poker, dans des tavernes quasiment vides ou des bars de danseuses…

Je buvais de la bière qui goûtait le détergent et je brûlais billet de vingt après billet de vingt …à espérer qu’enfin, dans les neuf cases de l’écran, les cloches formeraient une croix et que la banque se viderait dans mes mains. Non seulement je ne gagnais presque rien, mais… j’avais perdu davantage que dans les mois qui avaient précédé. Je n’avais pas encore compris la formule. Plus tu joues, plus tu perds. (Extrait) 


C’est un roman aussi fort que noir, axé sur la tension psychologique ressentie par le joueur pathologique. Cette tension déteint rapidement sur le lecteur et la lectrice. C’est en tout cas ce que moi, j’ai ressenti, en plus d’un profond attachement pour Stéphane, le narrateur de cette histoire, un joueur compulsif dont tout l’argent passe dans les loteries vidéo.

Le seul fil qui relie Stéphane à la réalité du quotidien est son travail de plongeur dans un grand restaurant : La TRATORIA. Il s’y lie d’amitié avec les employés, en particulier Bébert, un excentrique amateur de bière et de pilules. Certaines de ces liaisons ne seront pas sans danger mais peu importe les raisons, les motifs ou la façon, le plongeur joue sa vie.

Le jeu en particulier bouffe tout et amène Stéphane à mentir, à s’isoler, à s’endetter et à malmener dangereusement son estime de soi. L’auteur utilise le cadre de vie de Stéphane et développe un grand thème : l’addiction. Le plongeur croyait sincèrement que la plonge allait lui occuper l’esprit et l’éloigner du jeu…mais le jeu grignote l’esprit…implacablement.

J’ai développé de l’empathie pour le plongeur, désolé de le voir bousiller sa vie à cause du jeu, et essoufflé pour lui dans les nombreux passages consacrés à son travail de plongeur. Je dis que le roman est noir en fait parce que l’auteur nous fait descendre lentement mais sûrement dans la conscience et l’esprit d’un joueur compulsif et c’est sombre à en faire peur :

*Mon jeton a été balayé par le croupier. J’avais l’impression d’être enveloppé dans un acouphène, coupé du reste du monde… Je n’aurais pas pu me lever de la table pour aider ma mère mourante à dix mètres de moi.

Toutes mes facultés ou presque étaient engourdies… J’ai misé en deçà de toute volonté, maintenu en place sur ma chaise par le frisson de milliards d’aiguilles le long de mon épine dorsale…* (Extrait)

Cet extrait révèle de façon précise non seulement l’état d’esprit du joueur pathologique mais toute la beauté de l’écriture de Stéphane Larue.

C’est un récit profondément humain, bien écrit, accrocheur. L’histoire n’est pas sans rappeler LE JOUEUR de Fiodor Dostoïevsky qui décrit brutalement le jeu comme corrupteur moral :

*Le jeu brûle tout. Il est la passion. Il est le rêve.
L’enfer et la démesure. Le révélateur des abîmes de l’âme et l’ignoble concentré de la comédie bourgeoise. Il est l’argent ! *
(Extrait : LE JOUEUR)

Il savait de quoi il parlait le grand Fiodor car il était lui-même joueur invétéré. Je me suis accroché au destin de Stéphane jusqu’à la toute fin, ce qui m’a permis de découvrir une belle leçon d’amitié et les effets de baume d’un sens aigu de la famille.

Le récit pointe du doigt les incontournables addictions sociales créées et entretenues par une société avide de profit. Il n’est pas encore admis par tout le monde que le jeu compulsif est une maladie. Enfin j’ai beaucoup apprécié les passages sur la plonge et je rends hommage aux personnels de cuisine. Il faut être solide.

Le seul petit reproche que je peux faire au livre concerne sa finale que j’ai trouvé sensiblement sous-développée. J’aurais aimé savoir par exemple quel a été le sort de Greg. Est-ce que le logeur du plongeur, Vincent, a fini par être remboursé et récompensé pour son incroyable patience. Et qu’est-il advenu de Marie-Lou?

J’ai trouvé un peu frustrant aussi les passages en anglais. Mais au final, LE PLONGEUR est un livre excellent, un récit qui rend captif le lecteur. Il faudra surveiller la carrière de l’auteur Stéphane Larue. Elle est prometteuse

Suggestion de lecture : ARMADA, d’Ernest Cline

.

Stéphane Larue est né à Longueuil en 1983. Il a publié Le plongeur en 2016, qui a remporté en 2017 le Prix des libraires du Québec et le prix Senghor, en plus d’avoir été finaliste aux Prix du Gouverneur général et au Prix littéraire des collégiens. Il détient une maîtrise en littérature comparée de l’Université de Montréal. Il travaille dans le milieu de la restauration depuis le début des années 2000. Il vit à Montréal.

Bonne lecture
Claude Lambert
janvier 2020