LE TEMPS DES SEIGNEURS

Commentaire sur le livre de
DAN BIGRAS

 * Mon père me bat, mais il m’aime. Il me montre souvent de l’affection pis de la tendresse. Il est une bombe à retardement. Il me fait peur…  Il m’enseigne la jungle. Fait que je suis en état de survie 24/7, mais j’ai de l’amour aussi… C’est pas mal mélangeant. *

Extrait : LE TEMPS DES SEIGNEURS, Dan Bigras. Édition de papier et format numérique: Québec Amérique éditeur, 2017, 336 pages, 3935 KB. Version audio : Audible studios éditeur, 2019, durée d’écoute : 10 heures 45 minutes, narrateur : Dan Bigras.

«Je cours, paniqué. J’ai encore été piégé par ma mère. À moins d’un miracle, mon père va me tuer à soir… J’ai beau courir, l’horizon s’éloigne et l’enfer approche à grandes claques, avec un verre de vin dans une main. Ma mère est en colère tout le temps. Contre le mauvais temps, contre les hommes en général, quoique «les hommes en général» ont l’air de ressembler beaucoup à son papa à elle et au mien… Elle est en colère contre beaucoup de choses, mais surtout contre moi. Je n’ai jamais vraiment su pourquoi.

C’est évidemment de ma faute, ça se peut pas autrement. Je suis très mauvais à l’école. Comme le trouble de déficit de l’attention (TDA) n’existe pas encore, ma mère croit que j’essaie de la rendre folle et honnêtement, quelquefois, c’est ce que je croirais à sa place.»

Avec LE TEMPS DES SEIGNEURS, Dan Bigras offre le récit cru, touchant et passionnant de ces vues sur le monde qui ont fait de lui le porte-parole des oubliés, des brisés. Dans la violence et la douleur, mais aussi dans l’amour, c’est avec tendresse qu’il retrace le fil de son long chemin vers la réconciliation.

La poésie de l’introspection
*Ça va être ma job de faire du sens de notre histoire,
de comprendre mes parents, mes Bigras, de ma
société pour trouver une paix…une vraie paix dans
le torrent de mes guerres…*
(Extrait)

J’avais l’impression d’être assis à une table avec Dan Bigras, devant une tasse de café fumant, sagesse oblige. J’écoutais le rocker québécois raconter son histoire sur un ton de connivence, chaleureux, intimiste. C’est ce que je retiens de cette écoute, que Dan Bigras se confiait à moi personnellement. LE TEMPS DES SEIGNEURS est l’autobiographie d’un homme au passé agité, malmené avec des hauts très élevés et des bas dramatiques.

Comment ne pas être attentif et concentré devant un tel dénuement. L’auteur se confie mais aussi se défoule dans un exercice qui a un petit caractère thérapeutique. Pour moi c’est important car cela donne le récit d’un homme authentique qui a un parcours de vie parfois tordu mais tellement riche d’enseignement.

Dan m’a fait oublier le temps qui passe avec, entre autres, beaucoup de passages porteurs d’émotions….des émotions qui m’ont brassé pas mal, en particulier la mort de son frère, ses relations familiales, sa rencontre avec Gerry Boulet qui fut d’abord une collaboration et par la suite une amitié cimentée, sa passion pour les arts martiaux, son déficit d’attention, ses nombreuses petites allusions aux seigneurs, c’est-à-dire les manipulateurs, exploiteurs, profiteurs, ambitieux et grands patrons cupides.

J’ai beaucoup aimé les passages où Dan Bigras évoque les moments de sa vie, nombreux, où il se sentait en étau entre le *gros Dan* et le *Petit Daniel* et les moments qui ont suivi la décision définitive de son abstinence, sans oublier son dévouement pour LE REFUGE.

Je n’ai que deux petits reproches et encore là, je ne peux pas vraiment reprocher à Dan d’avoir été lui-même mais j’aurais quand-même souhaité un petit peu moins de crudité dans son langage et un peu moins de sacres. Je ne suis pas puritain mais un peu moins de rudesse dans le langage n’aurait nui ni à l’oeuvre ni à l’identité de l’auteur. Je regrette aussi de ne pas en avoir su davantage dans la relation entre Dan Bigras et son fils. Il en parle peu et ne fait qu’effleurer la question.

Je n’ai lu aucun commentaire là-dessus mais ça m’a manqué. Donc j’ai beaucoup aimé ce récit, sa spontanéité, son authenticité, son ton de confidence et son humour aussi. En effet, Dan Bigras ne manque pas d’humour, un peu pince sans rire avec le genre qui, souvent, pointe du doigt. À l’écoute de ce récit, j’ai ressenti un mélange de joie et de tristesse et aussi de l’admiration et je me suis laissé enveloppé par les nombreux poèmes *semés à tout vent* dans le récit. Un très beau moment d’écoute, attractif et chaleureux.

Suggestion de lecture : LE MONDE DE BARNEY, de Mordecai Richler

Né le 23 décembre 1957 à Montréal, Dans Bigras est chanteur, auteur-compositeur, acteur, musicien et réalisateur. Son livre LE TEMPS DES SEIGNEURS est une nouvelle corde à son arc.

Quelques faits marquants : Il est fondateur de la maison de production Disques de l’Ange Animal, crée en 1994.  En 2008, l’année du 400e anniversaire de Québec, il est l’auteur et le lecteur de la dictée des Amériques. En 2017, il publie une autobiographie qui retrace sa vie. En 2018, lors de son spectacle Le show du refuge, il interprète avec succès la chanson Bring Me to Life du groupe américain Evanescence avec Étienne Cousineau.

 

Bonne écoute
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Claude Lambert
le vendredi 21 juin 2024

L’ALIÉNISTE

Commentaire sur le livre de
Joaquim Maria Machado de Assis

*Parler de la folie, quelle étrange entreprise…
Les cliniciens ont substitué au langage de la
folie leur langage sur la folie. *
 (L’ALIÉNISTE, Joaquim Maria Machado de Assis,
extrait de la préface de Pierre Brunel, Métailié éditeur,
1984, format numérique, 98 pages)

Simon Bacamarte, aliéniste diplômé, s’installe dans une paisible bourgade brésilienne et, au nom de la science, fonde un asile d’aliéné. Il classe d’abord et enferme tous les lunatiques, mais son emprise sur la cité déclenche un mécanisme diabolique qui va atteindre la totalité de la population. Avec ce savant en délire, Machado s’attaque avec humour aux dogmatismes scientifiques et politiques. L’aliéniste vit un carnet à la main ; il note les réactions de tous, y compris les siennes. Doit-on le craindre ou rire de lui, comme si l’étude de la folie ne pouvait être que folie

Pas de folie sans fou
*L’attitude de Simon Bacamarte leur parut lourde
de menaces, de calcul et probablement de sang.
L’inconvenance a passé les bornes jugèrent les
deux femmes. Et l’une comme l’autre prièrent
Dieu d’écarter l’épisode tragique qui risquait de
suivre. *
(Extrait)

Malgré toute la gravité du sujet traité, j’ai trouvé que l’auteur ne manquait pas d’humour. Le sujet est grave et parfaitement intemporel. En effet, il est question ici de folie. Voyons le synopsis : L’aliéniste, c’est Simon Bacamarte, un scientifique spécialisé dans l’étude et le traitement de la folie. Au XIX siècle, les contemporains de l’auteur appelait cela un aliéniste. Aujourd’hui, on appelle ça un psychiatre et le terme *Folie* a été banni, remplacé par maladies mentales ou psychiatriques.

Donc le bon docteur s’installe dans une petite ville brésilienne : Itaguaï pour fonder un asile d’aliénés qui portera le nom de *Maison verte*. Je reconnais là, la griffe de Machado de Assis. La personnalité et la force de Bacamarte sont telles que toute la ville lui donne sa bénédiction pour qu’il agisse à sa guise. Mais la définition que Bacamarte se fait de la folie est telle que je me suis demandé, comme lecteur, qui n’était pas fou dans cette histoire.

Un conseiller municipale dissident, personnage de cette histoire exprime parfaitement ma pensée : *Si tant de gens, dont nous estimons qu’ils ont du jugement, sont enfermés en tant que déments, qui nous assure que l’aliéné n’est pas l’aliéniste lui-même ? * (Extrait)

Qu’est-ce qui arrive à une ville quand, de sa population, quatre personnes sur cinq sont déclarées folles? Et quelles dimensions a-t-elle cette maison verte. Des fois, il s’agit d’une bonne carricature pour nous pousser à la réflexion même s’il est question de folie et particulièrement de la définition toute relative qu’on peut lui donner.

C’est un récit tout à fait captivant qui nous réserve des surprises, dont un fantastique revirement de situation qui nous laisse finalement avec autant de fous qu’avant. La plume est légère mais le sujet est grave et pourtant, le résultat final est d’une grande sensibilité et d’une gravité qui saute aux yeux…un problème qu’on tente de régler par l’absurde.

Il ne suffit pas de nous demander si celui qui est le plus fou ne serait pas celui qui voit la folie partout finalement. Machado di Assis va plus loin. Il soulève des questionnements de Société dérangeants. Par exemple, comment le charisme d’une personne peut sceller le destin d’une Société dont les membres sont abaissés au rang de moutons ? Ça s’est vu avec Hitler, Staline et combien d’autres ? C’est quoi exactement la folie ? Quelles sont les limites de l’éthique?

Les contemporains de l’auteur ne se posaient sans doute pas ces questions mais je sais que ce que j’ai lu, c’est un récit fort et d’une brûlante actualité et qui entre dans la vaste zone grise qui sépare la raison de la folie.

De nombreux passages cinglants et bien grossis nous gardent bien campés dans l’histoire : *Tout était folie. Amateurs d’énigmes, auteurs de charades ou d’anagrammes, gens médisants ou curieux de la vie des autres, noceurs et galants, contrôleurs et inspecteurs trop imbus d’eux-mêmes, plus personne n’échappait aux émissaires de l’aliéniste. * (Extrait).

Même si le récit a un peu l’allure d’un conte, il jette un regard sérieux et sévère sur la Société, ce qui n’est pas sans me rappeler les plaidoyers du grand Voltaire en particulier dans son TRAITÉ DE LA TOLÉRANCE. L’ALIÉNISTE est un livre qui atteint le cœur et la raison. À lire absolument.

Suggestion de lecture : RAVAGE, de René Barjavel

Joaquim Maria Machado de Assis est un écrivain brésilien (Rio de Janeiro, 21 juin 1839 – Rio de Janeiro, 29 septembre 1908), fondateur et « Président Perpétuel » de l’Académie brésilienne des lettres. Né d’un père mulâtre et ouvrier, et d’une mère portugaise, blanchisseuse. Pour aider sa mère veuve, Machado de Assis exerce divers métiers, dont, à treize ans, celui de typographe et, plus tard, celui de journaliste.

Autodidacte de génie, il apprend le français et l’anglais, et se dote d’une très grande culture littéraire. Il publie ses premiers poèmes dès l’âge de 16 ans. Il obtint en 1872 un poste de fonctionnaire au ministère de l’agriculture. Cette situation lui permit de publier des romans et des nouvelles qui firent rapidement de lui le grand homme des lettres brésiliennes. En 1897, il fonda l’Académie brésilienne des lettres et devint son président jusqu’à sa mort en 1908.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 1er juin 2024

LE MENHIR D’OR

De Albert Uderzo et René Goscinny

Les comédiens : Bernard Alane, Guillaume Briat, Julien Chatelet, Emmanuel Curtil, Jean-Claude Dondat, Caroline Klaus.

Assurancetourix a décidé de participer au célèbre concours de chant des bardes gaulois pour remporter le menhir d’or. Pour le protéger dans cette compétition suivie de près par les romains, Astérix et Obélix sont chargés de l’accompagner : ils ne doivent pas quitter Assurancetourix des yeux ; quitte à y perdre une oreille !

Les plus vieux se rappelleront qu’au départ, LE MENHIR D’OR est sorti en 1967 en livre-disque de vinyle. Cette aventure a été rééditée en album hors-collection en octobre 2020. Ce sera la dernière incursion d’Albert Uderzo dans l’univers d’Astérix.

Cette petite aventure est axée sur le personnage le plus farfelu du village d’Astérix : ASSURANCETOURIX . Les bédéphiles du monde entier savent qu’Assurancetourix chante mal. Ce sont les auditeurs et auditrices qui vont en avoir maintenant la preuve.

Bref et différent

Il faut donc prendre cet album pour ce qu’il est, c’est-à-dire une œuvre à part qui tranche à mon avis avec les standards habituels de la collection. C’est beaucoup plus court, plus spontané, moins subtil et aussi, toujours selon moi, moins recherché. En fait, c’est la subtilité et la finesse de l’humour qui m’ont manqué.

Cet épisode n’a pas vraiment créé d’images dans mon esprit mais plutôt une certaine nostalgie du graphisme de Goscinny. Notez, c’est une production de qualité avec les effets sonores, les comédiens qui ont semblé avoir un plaisir fou dans leur interprétation. C’est très criard évidemment.

À quoi peut-on s’attendre d’autre quand le principal personnage est un barde qui *éternue* ses chansons. J’ai trouvé original que les auteurs parodient la chanson de Charles Trenet publié en 1938 MÉNILMONTANT, devenue depuis, un grand classique de la chanson française. Inutile de dire que cette chanson d’or a été proprement massacrée par ASSURANCETOURIX, caricaturalement interprété par Emmanuel Curtil.

Il faut mentionner enfin que le livre qui accompagne cette production sonore est un livre illustré et non une bande dessinée. C’est très différent et il est plus difficile de ressentir cette espèce de magie qui se dégage des aventures d’Astérix. Donc en général, je n’ai pas vraiment accroché à cet épisode. Mais l’idée serait bonne je crois d’écouter cette aventure avec un enfant et de lui faire explorer en même temps le livre illustré car je ne perds jamais de vue que le livre audio peut être une excellente façon d’introduire les enfants à la lecture.

Extrait : LE MENHIR D’OR (version audio, Astérix, livre 6, éditions Albert René, 2020, durée d’écoute : 31 minutes)

Suggestion d’écoute des mêmes auteurs : ASTÉRIX LE GAULOIS/ASTÉRIX LA SERPE D’OR

Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 11 mai 2024

LE SQUELETTE DE RIMBAUD, de Jean-Michel Lecocq

*-Mon souci concerne l’illustration du roman de Franz Bartelt
que vous connaissez tous, je veux parler du fémur de Rimbaud.
Un exemplaire de ce roman doit être exposé dans une vitrine.
J’aimerais qu’à coté soit présenté le fémur de Rimbaud. *
(Extrait : LE SQUELETTE DE RIMBAUD, Jean-Michel Lecocq,
Lajouanie éditeur, 2019, format numérique, 232 pages)

Plus d’un siècle après sa mort, Arthur Rimbaud sème le chaos dans le département qui l’a vu naître, les Ardennes. Le maire de Charleville-Mézières, voulant fêter dignement le poète, décide de redonner un peu d’éclat au musée qui lui est consacré. En préparant la nouvelle exposition, l’édile et son conseil provoquent une découverte inouïe qui va révolutionner la galaxie rimbaldienne, mais pas seulement… Une cellule de crise est mise sur pied. On va y croiser, un officier de police peu porté sur la poésie et un juge d’instruction qui préfère Baudelaire à Rimbaud. Ce duo va croiser des personnages étranges, prêts à tout pour éviter que le terrible secret entourant la mort de Rimbaud soit éventé.

Les os d’Arthur
Les caricaturistes n’étaient pas en reste et l’un d’eux était allé
jusqu’à représenter une ronde avec les autorités en train de
danser et, au milieu, la tête de Rimbaud montée sur un squelette
 unijambiste en train de se déhancher, avec cette légende :
 la danse macabre.
(Extrait)

C’est un ouvrage original que j’ai trouvé bien écrit et qui m’a fait sourire car malgré son cadre sérieux, j’ai trouvé qu’il ne manque pas d’humour. Voyons le tableau. Le maire d’un département des Ardennes, pays natal du célèbre poète Arthur Rimbaud, décide de souligner dignement le centenaire de la mort du prestigieux poète en exposant dans son musée un fémur de Rimbaud. L’annonce fut suivie d’abord de la surprise générale, d’un éclat de rire, puis de la consternation et jusqu’à la levée de bouclier.

L’exhumation fut décidée…les Ardennes allaient perdre pour un temps leur belle tranquillité. *Ce fut donc au terme d’une démarche biaisée, inique, impopulaire et juridiquement bancale que, par une belle journée d’été, il fut procédé à l’ouverture de la tombe d’Arthur Rimbaud* (Extrait) Ho surprise générale, la tombe du génie renfermait un corps ayant ses deux jambes. Impossible. Rimbaud a été amputé vers la fin de sa vie.

Après enquête, on identifie une autre tombe où se trouvait sûrement le poète. Double surprise générale, pas de corps dans la tombe. C’est l’émoi. La population est au bord de la désobéissance civile. Pire…le coupable commet des meurtres pour protéger son identité. Un policier rémois, Vidal mènera une enquête qui va le pousser très loin. Fait à noter : il n’aime pas Rimbaud. On n’est pas sorti de l’auberge.

Et dire que cette aventure un peu burlesque part du caprice d’un politique municipal. J’ai aimé ce petit livre pour plusieurs raisons. Oui, c’est teinté d’humour mais le récit n’a jamais atteint l’absurde.

J’ai apprécié la retenue de l’auteur même si je l’ai senti hardi pour se moquer gentiment des rimbaldiens haut-perchés car faut-il le rappeler, Rimbaud, dont l’auteur jalonne un peu la vie dans son récit, n’a pas toujours été un enfant de chœur, et c’est sans parler de l’homosexualité supposée du poète et de ses aventures avec un autre célèbre poète : Paul Verlaine.

Je suis heureux aussi que l’auteur n’ait pas spécialisé son récit dans la poésie. C’est une tendance qui ne m’attire pas beaucoup. Mais le récit est intrigant. Ça reste un roman policier parcouru de pans de vie de Rimbaud ainsi que des extraits de ses poèmes insérés seulement au début de chaque chapitre. C’est de bon goût et j’ai lu les vers, extraits de poèmes célèbres avec beaucoup de plaisir.

C’est un suspense bien pensé qui m’a éclairé sur la vie d’Arthur Rimbaud sans jamais nuire à l’intrigue. Je n’ai ressenti aucune irritation, bien au contraire. Les personnages sont pétillants. Je confirme ce que je croyais avant d’entamer la lecture : un polar ayant comme toile de fond LE SQUELETTE DE RIMBAUD, ne doit sûrement pas manquer d’originalité.

Suggestion de lecture : LA VENGEANCE DE BAUDELAIRE, de Bob Van Laherhoven

Jean-Michel LECOCQ est un auteur français né à BOGNY-SUR-MEUSE, dans les Ardennes, le 19 avril 1950. Sa première apparition dans le monde de l’édition remonte à 1972, avec la publication, chez Millas-Martin, d’un recueil de poèmes. Il publie, en 2009, son premier roman, «Le secret des Toscans», un polar historique dans lequel il dévoile sa passion pour l’Histoire. Plusieurs livres suivront. En octobre 2016, il publie «Les bavardes», une enquête au cœur de la petite station balnéaire de Sainte-Maxime. Deux ans plus tard, Lecoq nous surprend avec LE SQUELETTE DE RIMBAUD.

Rimbaud est un poète incontournable, auteur de nombreux poèmes comme Sensation, Ma bohème, Le bateau ivre. Lorsque son chemin croise celui de Verlaine, la passion les emporte jusqu’au drame. Arthur Rimbaud est LE poète par excellence. Jean Nicolas Arthur Rimbaud est né le 20 octobre 1854 à Charleville-Mézières dans les Ardennes. Sa mère l’ élève seule, suivant des principes stricts.

Le jeune Arthur est un élève brillant, il remporte des prix de littérature dès son adolescence. Il saute la classe de cinquième. Grâce à sa plume talentueuse, il remporte divers prix dont le premier prix du Concours académique en 1869. Jeune homme révolté contre l’ordre des choses, il voit la poésie comme un moyen de les faire évoluer. 

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 24 mars 2024

LE PETIT LÉONARD DE VINCI, BD de William Augel

Extrait : LE PETIT LÉONARD DE VINCI, bande dessinée de William Augel, La Boîte à bulles éditeur, 2020. Format numérique.  82 pages.

Avant d’être un grand génie, Léonard de Vinci a été un petit génie ! Tout ce qui l’entoure est prétexte à réflexion, apprentissage et invention des oiseaux à la poterie, en passant par la récolte des olives ou la fabrication des spaghettis. Sa curiosité le pousse à avoir des idées à propos de tout, et à voir la beauté partout. Il ira même jusqu’à dire que «le plus petit des félins est une œuvre d’art». À la fois peintre, ingénieur, philosophe, architecte, musicien, le voilà désormais personnage de bande dessinée ! Sous la plume de William Augel, c’est drôle attendrissant, et même instructif ! Que demander de plus pour ravir à la fois parents et enfants ?

Une belle collection en marche

Pour avoir beaucoup lu sur le sujet, j’avais une bonne idée de la vie et du génie de Léonard De Vinci. Après avoir découvert la bande dessinée de William Augel, qui a pris soin de bien se documenter, je réalise maintenant à quel point Léonard De Vinci aimait la vie et était animé par le besoin de l’enjoliver, l’embellir, l’adoucir en créant, en inventant. Pour ce génie, la moindre activité était matière à apprentissage.

Cette bande dessinée m’a amusé, détendu, attendri même car de Vinci voyait de la beauté partout et tout pour lui était matière à inspiration. Ajoutez à cela le talent naturel de De Vinci, bien mis en évidence dans la BD, Augel a fait de lui l’homme-orchestre que l’on connait : architecte, peintre et ingénieur, entre autres et même poète car le génie magnifiait la beauté et l’exprimait…*Même le plus petit des félins est une œuvre d’art*.

Je suis certain que De Vinci avait le sens de l’humour. On ne peut pas être acariâtre avec une aussi bonne nature. Une chose est sûre, la BD d’Augel ne manque ni d’humour, ni de spontanéité.

La bande est montée de la même façon que LE PETIT MOZART signé par Augel, paru en 2017 à La Boîte à Bulles et dont j’ai déjà parlé sur ce site…même technique du comics trip et du gag indépendant. Même virtuosité, même désir d’introduire en douceur, avec humour et couleur les enfants à la lecture. Il y a même, à la fin de l’ouvrage, une petite section ludique qui devrait intéresser les petits.

L’ouvrage comporte, je crois, une petite faiblesse, la même que j’ai déjà rapportée dans mon article sur LE PETIT MOZART. L’auteur aurait dû à mon avis, publié un petit texte, destiné aux enfants toujours et expliquant QUI était Léonard De Vinci.  Ça vaut pour les parents aussi parce que beaucoup d’entre eux croient toujours à la transmission orale et aiment raconter des histoires. 

Ce n’est pas bien grave. La BD demeure géniale. Mais comme dans LE PETIT MOZART, je suggère aux parents de faire une petite recherche afin d’introduire l’enfant à la BD, accroître son intérêt. Encore une fois, Augel m’a comblé sachant surtout qu’il utilise la forme de bande dessinée la plus exigeante, celle qui conclue une histoire imagée dans une seule et même page. En cette matière, je crois qu’Augel est devenu un virtuose.

Je recommande chaleureusement ce petit bijou aux parents pour offrir à leurs enfants. Personnellement, je l’ai lu en format numérique, dans une présentation impeccable qui fait environ 80 pages. La question que je me pose maintenant, c’est *avec qui William Augel va-t-il nous surprendre* dans sa prochaine BD.

Suggestion de lecture : ASTÉRIX LE GAULOIS/ASTÉRIX LA SERPE D’OR de René Goscinny et Albert Uderzo

Du même auteur



  1. William Augel crée un petit frère à son livre jeunesse LE PETIT MOZART, créé en 2019. Pour lire mon commentaire, cliquez ici



William Augel est né au Mans, en 1973. Dessinateur et illustrateur indépendant, il signe plusieurs ouvrages pour la jeunesse et travaille régulièrement pour des magazines tels que, «La Salamandre». Il publie en 2011 aux éditions de l’Oeuf Atomes Crochus puis, en 2012, Monstrueuse Cathy dans la collection BN des éditions Jarjille, qui sera suivi d’un second album, en grand format cette fois, mettant en scène le même personnage. En 2016, toujours chez Jarjille, paraissent Zoostrip et Pinard mon nectar puis, l’année suivante, c’est à La Boîte à Bulles que William publie son nouvel album Le Petit Mozart et maintenant en 2020, Le PETIT LÉONARD DE VINCI » et ça continue


Léonard De Vinci

BONNE LECTURE
CLAUDE LAMBERT
le vendredi 22 mars 2024

GAFFES À GOGO, bande dessinée

Commentaire sur la BD de
ANDRÉ FRANQUIN
avec la complicité de Jidéhem

Cette édition de la collection Gaston Lagaffe intègre toutes les planches réalisées par André Franquin, certaines inédites. Chacune d’elle a été remasterisée d’après le trait original et délicieusement recoloriée au plus près des souhaits de l’auteur. Gaston Lagaffe demeure un des plus fameux personnages de la BD,
rêveur et inventif, aux trouvailles aussi inattendues que catastrophiques. Né du journal de Spirou, un bébé d’Yvan Delporte, Gaston Lagaffe est un antihéros évoluant aux côtés de personnages connus et appréciés des amateurs de BD dont Fantasio. (publié en album à partir de l’année 1960.)

Beatnik et gauche mais tellement sympa

(Extrait GAFFES À GOGO #2 par Franquin et Jidehem, BD, Dupuis éditeur, 1962, numérique)

J’ai accueilli avec satisfaction l’initiative des éditions Dupuis qui ont mis à jour, dans l’ordre chronologique, les aventures du plus singulier et célèbre *gars de bureau* imaginé en bande dessinée : Gaston Lagaffe. C’est ainsi que j’ai renoué avec un autre de mes copains d’enfance qui s’ajoute à Tintin, Astérix, Quick et Flupke et même Bob Morane. Gravitant autour de Gaston, j’ai été aussi heureux de retrouver Spirou et Fantasio.

Évidemment le personnage central demeure Gaston, irrésistible, paresseux débordant d’imagination et affichant en permanence l’air cool et naïf qui n’est pas sans rappeler l’image typique du beatnik américain. Toute l’imagination de Gaston est investie dans toutes sortes de trucs et d’essais pour éviter de travailler et pour gaffer. J’ai toujours trouvé étrange voir inexplicable qu’il ne se fasse pas mettre à la porte. Déjà comme premier lecteur, je me posais la question. On peut considérer que le personnage est irrésistible. En tout cas, à l’époque, il m’avait conquis.

Je suis tombé sur GAFFES À GOGO tout à fait par hasard en explorant internet, plus précisément une application de lecture en ligne, ce qui m’a permis de découvrir les éditions de la deuxième génération, avec entre autres des couleurs retravaillées et quelques inédits dont une bande dessinée de Gaston destinée à la publicité d’une limonade appréciée en Belgique, de la marque PIEDBOEUF.

Je n’ai pas vraiment apprécié qu’on prête à Gaston un caractère mercantile d’autant que ça ne s’adresse qu’au lectorat belge. Pour le reste, je me suis régalé et surtout, je me suis rappelé de bons souvenirs de mon enfance alors que déjà, j’effectuais mes petites visites régulières à la bibliothèque municipale.

Qu’est-ce qui m’a attiré et qui m’attire encore chez Gaston ? Avant d’être paresseux, il est surtout gaffeur et ses gaffes créent des situations impossibles qui amène le jeune lecteur à pouffer de rire. Je ne sais pas si Franquin allait ouvrir un bal avec ce personnage extraordinaire qu’est Gaston mais pensez à toutes ces comédies que nous offrent la littérature, même classique, le cinéma, le théâtre…quelle proportion de ces comédies sont basées sur le phénomène de la gaffe, pensez à Pierre Richard, avec le DISTRAIT entre autres, Jerry Lewis, Charlie Chaplin, le grand Molière, et j’en passe.

Les gaffes pour autant qu’elles ne sont pas trop dramatiques ont toujours provoqué le rire…la bonne humeur…la détente. Franquin y a jouté sa petite touche et a fait l’effort de rendre son personnage le plus universel possible dans une série accessible à tous les âges, donc même les adultes y trouvent leur compte. Si vous ne l’avez pas déjà fait, faites connaissance avec Gaston Lagaffe et laissez-vous aller. Si cela vous intéresse, un dossier complet sur le célèbre personnage a été publié par Wikipédia. Cliquez ici.

Suggestion de lecture : YUL ET SA CLIQUE, une BD de Julien Mariole





En haut, André Franquin (1924-1997) est un auteur belge francophone de bandes dessinées, connu surtout pour les séries Spirou, Fantasio, GASTON, Modeste et Pompon. Il est aussi créateur d’un animal imaginaire mais très sympa : Le Marsupulami.

En bas à gauche, Yvan Delporte (1928-2007) scénariste belge francophone de bandes dessinées et rédacteur en chef du journal Spirou de 1956 à 1968. Yvan Delporte fut le premier scénariste de Gaston Lagaffe.

En bas à droite, Jidéhem de son vrai nom Jean De Mesmaeker (1935-2017) bruxellois, scénariste, dessinateur et décoriste de bandes dessinées. Il assistera pendant un bon moment André Franquin pour les séries SPIROU ET FANTASIO et GASTON LAGAFFE.

BONNE LECTURE
Claude Lambert

le dimanche 11 février 2024

 

ENFANCES DE POUSSIÈRE, de Karim Berrouka

<Elle hurle, appelant Siegmund à l’aide et ceignant son ventre
rond de ses deux bras. Dehors, le visage de la fillette s’est
métamorphosé en une gueule effroyable, bavant une mousse
carminée qui gicle et dégouline en longs filets pâteux sur ses
longs crocs gâtés.>
Extrait de la nouvelle COMME UN ANGE
GARDIEN, du recueil ENFANCES DE POUSSIÈRE de Karim
Berrouka, ActuSF éditeur, 2013, pages en imprimé. Format
numérique pour la présente. 1279 kb, Contient six nouvelles…

LES TITRES

-L’enfant rouge

-…comme un ange gardien

-Le piano

-Conjonction

-Clothilde court dans la forêt

-Ils sont cinq

Lorsque Marine met au monde son petit garçon, celui-ci est rouge. Mais vraiment rouge ! Et cette particularité va faire son cauchemar. Nombreux sont ceux qui voudront le disséquer, en faire un messie, un produit marketing ou un antéchrist à détruire… «L’Enfant rouge» est la première nouvelle d’un recueil qui déborde d’idées toutes plus farfelues les unes que les autres. Karim Berrouka convoque des cauchemars, des fantômes, des monstres et pire que tout, des hommes, pour nous faire rire, parfois jaune.

 

Un recueil d’idées folles
<Vénus se lève aussi et, d’un ton sec, pointe un doigt
péremptoire dans sa direction…Père Soleil intervient
une nouvelle fois. -Asseyez-vous tous les deux. Ça
suffit. Pluton, écoute un peu ta sœur ! -J’en ai marre
d’écouter cette vieille peau. C’est toujours moi qui
prends. Je sais bien que c’est la préférée.>
Extrait

Il suffit parfois d’une idée folle ou excentrique pour provoquer un sérieux questionnement. C’est comme ça que j’interprète ce recueil de nouvelles, sachant que je suis un peu à contre-courant. Ces nouvelles évoquent en surface des cauchemars, des fantômes, des êtres difformes mais l’ensemble fait très philo. Le schéma de pensée de l’auteur est complexe et ça transpire dans l’écriture qui porte, par conséquent, à de multiples interprétations.

Ces nouvelles sont porteuses de messages, de réflexion. Par exemple, la première nouvelle donne le ton : L’ENFANT ROUGE. L’histoire touchante de Marine qui met au monde un enfant ayant un signe distinctif très singulier. Il vient au monde…rouge…complètement rouge. C’est un cauchemar pour Marine qui voit toutes sortes de profiteurs se pointer pour des raisons mercantiles ou religieuses, ou pire encore, prophètes et gourous convaincus du caractère satanique de l’enfant qu’il faut donc tuer pour conjurer la malédiction.

Bien que dramatique avec une finale penchant légèrement vers le surnaturel, cette nouvelle porte à réfléchir sur le respect des différences et une vertu dont la Société a toujours été en carence : la tolérance.

Ma nouvelle préférée, celle qui m’a gratifié d’un frisson bienveillant s’intitule CONJONCTION. C’est une conférence entre les planètes. Je parle des astres et non d’ambassadeurs. Cette conférence se tient un peu à la manière d’une réunion de famille présidée par Père Soleil et réunissant des frères et des sœurs qui palabrent, se chicanent, mais s’aiment bien.

*-Problèmes, répond sèchement Vénus. On sait. Tu as toujours des problèmes. -Et qu’est-ce que tu faisais ? L’interroge Mercure, d’un ton glacial. Ton excuse cette fois-ci ? -Je… Je… – Tu quoi ? Lance Vénus avec mépris. Laisse-moi deviner… Je… Je… -Vas-y, dis-lui, ça lui fera plaisir, l’interrompt Neptune. T’as pas de honte à avoir. * (Extrait)

Mais quelle est donc cette planète si hésitante et en apparence timorée ? C’est la Terre, le seul membre de la famille à porter le poids de la vie sur ses épaules. J’ai trouvé remarquable cette espèce de débat imaginé par l’auteur sur le destin de la terre…la Terre qui pleure. Est-ce vrai que, quand on perd un frère ou une sœur, c’est comme si on perdait une partie de nous-mêmes.

Les récits, dans l’ensemble, me portent à croire que le pire ennemi de l’homme est encore l’homme. C’est bien écrit mais comment décrire un univers délirant. Certains textes sont un peu difficiles à suivre tant leur structure est complexe. C’est le cas par exemple d’ILS SONT CINQ : Cinq prisonniers enfermés dans le néant…c’est le nom qu’on donne au pénitencier… la planète néant perdue au milieu de nulle part…ça vous dit quelque chose ?

Les textes de Berrouka parlent fort, ne craignent pas les idées tordues ou l’absurde. Mais ils exigent des lecteurs et lectrices de la concentration et une certaine ouverture d’esprit. La première nouvelle est d’un intérêt tel qu’il porte à continuer. Mais je dois le dire, j’ai eu par moment, du mal à m’accrocher. Il m’a fallu du temps pour me faire aux tournures de phrases. J’ai finalement convenu que l’ensemble était un assemblage d’éléments de réflexion. Ça m’a permis de passer à travers l’ouvrage, de l’apprécier et même de l’aimer.

Suggestion de lecture : NOUVELLES NOIRES, recueil de Renaud Benoit

Karim Berrouka, né le 26 mai 1964, a été chanteur et parolier du groupe punk Ludwig von 88 avant de se lancer dans l’aventure de l’écriture de science-fiction et de fantasy. Il a publié deux romans chez Organic et Griffes d’Encre, respectivement Cyclones et La Porte, avant de se résoudre à publier aux éditions ActuSF un recueil de nouvelles dont le titre fait un clin d’œil à Philip K. Dick : Les Ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables ? Avec son style délirant, Berrouka entraine son lecteur dans des atmosphères folles aussi bien que sombres, empruntant au passage à la fois à l’Oulipo et au surréalisme.

Bonne lecture

Claude Lambert

le dimanche 4 février 2024

IL A JAMAIS TUÉ PERSONNE MON PAPA

Commentaire sur le livre de
JEAN-LOUIS FOURNIER

*Un jour, il est rentré avec sa traction dans un
troupeau. Il a abîmé quelques moutons, mais
il a pas écrasé le berger, il s’est arrêté juste
avant. *
Extrait IL A JAMAIS TUÉ PERSONNE
MON PAPA, Jean-Louis Fournier, Stock éditeur,
1999, 152 pages, format numérique pour la présente.

Il était docteur, le papa de Jean-Louis Fournier. Un drôle de docteur qui s’habillait comme un clochard, faisait ses visites en pantoufles et bien souvent ne demandait pas d’argent.
Il n’était pas méchant, seulement un peu fou quand il avait trop bu ; il disait alors qu’il allait tuer sa femme. Un jour il est mort : il avait quarante-trois ans. Longtemps après, son fils se souvient. En instantanés, il trace le portrait de ce personnage étonnant, tragique et drôle à la fois. Il a appris, en devenant grand, l’indulgence. Et qu’il ne faut pas trop en vouloir à ceux qui, plus fragiles, choisissent de « mauvais » moyens pour supporter l’insupportable. Il en résulte un livre drôle et poignant.

Des pages de vie
*On a tout essayé pour que papa ne boive
plus : des prières, des neuvaines, des
messes…on a même essayé un curé…*
(Extrait)

C’est un petit livre fait d’histoires très brèves qui sont autant de pans de la vie du docteur Fournier…des histoires racontées par son fils, Jean-Louis, avec toute la candeur qui caractérise habituellement les petits garçons. Le bon docteur soigne des gens qui le paient mal ou pas du tout mais qui lui offrent toujours à boire :

*On essayait de le ranimer : la cousine lui mettait des glaçons sur la tête, maman lui faisait boire du café très fort, puis elle repartait au salon faire des sourires aux invités, leur dire que papa allait bientôt rentrer, et elle retournait à la cuisine s’occuper de lui. Finalement…Les invités ne s’étaient rendu compte de rien. Ils disaient à maman qu’il n’était pas étonnant de voir papa fatigué, avec le nombre de client qu’il avait ! * (Extrait)

Telle était la vie de la famille Fournier, une reconstruction quotidienne des apparences autour d’un homme pas méchant malgré ses allures parfois menaçantes, gauche, maladroit, parfois drôle mais pour des résultats finalement assez tristes. Mais de petite histoire en petite histoire, j’ai découvert qu’on ne pouvait pas vraiment en vouloir à cet homme singulier. J’ai été surtout ému par la bonne nature de ses enfants et le courage de la maman.

Cette succession de petits épisodes est une bonne idée. On peut se les imaginer comme des sketches, des instantanés de l’école de la vie avec des moments comportant parfois un certain humour mais générant aussi de la tristesse. Voilà…humour et tristesse qui se côtoient : *Je me souviens, un jour, ils ont été au cinéma…C’était docteur Jekyll et Mister Hyde…C’était l’histoire d’un docteur très gentil et très savant. Il travaillait dans la journée, mais le soir, il se transformait. Il devenait comme un monstre…Est-ce que maman, elle s’est rendu compte que c’était un peu l’histoire de papa ? * (Extrait)

Il faut sans doute bien connaître Jean-Louis Fournier pour comprendre le petit ton de dérision qui caractérise son recueil. Il a un sens de l’humour assez aiguisé, il ne craint pas la controverse. J’ai l’impression qu’il part du principe que le ridicule ne tue pas. Bien que ces textes autobiographiques font passer les lecteurs par une gamme d’émotions, j’ai senti, dans les propos de Jean-Louis Fournier davantage d’affection que d’amertume pour son père, un raté au grand cœur, gentil mais imprévisible. D’ailleurs il dit lui-même qu’il ne lui en veut pas et qu’il aurait aimé mieux le connaître.

J’ai donc passé un bon moment de lecture, qui a passé très vite évidemment. Autodérision, humour grinçant. Une histoire de résilience et d’acceptation. Je me suis longtemps demandé, après la lecture de ce livre, comment un homme aussi graffigné par la vie ait réussi à me faire rire des épreuves de la vie. Ça fait réfléchir.

*Maintenant j’ai grandi, je sais que c’est difficile de vivre, et qu’il ne faut pas trop en vouloir à certains, plus fragiles, d’utiliser des «mauvais» moyens pour rendre supportable leur insupportable. * (Extrait)

Suggestion de lecture : LE MONDE DE BARNEY, de Mordecai Richler

Auteur prolifique, Jean-Louis Fournier a toujours su mêler humour, culture et sincérité. Fournier est un homme-orchestre mais c’est surtout son humour à la fois pétillant et touchant qui gagne le cœur du public. Avec ses essais humoristiques, Jean-Louis Fournier rencontre un succès immédiat. Par exemple, dans ARITHMÉTIQUE APPLIQUÉE ET IMPERTINENTE, il apprend au lecteur et à la lectrice à calculer le poids du cerveau d’un imbécile. Je souligne enfin la publication de deux ouvrages sur l’enfance de l’auteur.

On sait que dans IL A JAMAIS TUÉ PERSONNE MON PAPA, il aborde l’alcoolisme de son père et OÙ ON VA PAPA qui lui vaut le prix FÉMINA 2008 pour une évocation émouvante du handicap de ses fils. Enfin, en 20013, il publie LA SERVANTE DU SEIGNEUR, sur la vocation religieuse de sa fille.

Quelques livres de l’auteur

Pour lire mon commentaire sur le C.V. DE DIEU, cliquez ici

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 21 janvier 2024

L’inspecteur Specteur et le doigt mort

Commentaire sur le livre de
GHISLAIN TASCHEREAU

*La nuit craquait comme un cafard sous le pied.
Il faisait soif. L’inspecteur Specteur avait des
fourmis dans les jambes. Ce n’étais pas aussi
prestigieux que deux rats dans l’estomac, mais
c’était déjà ça. *
(Extrait : L’INSPECTEUR
SPECTEUR ET LE DOIGT MORT, de Ghislain
Taschereau, Les Intouchables éditeur, 1998, papier,
215 pages)



C’est à Capit, capitale de la Friande qu’on a trouvé le doigt mort, coincé dans la trappe d’une boîte aux lettres. À qui appartient ce cure-nez ? Qui l’a placé là, au vu et au su de tous ? Dans quel but ? L’enquête ne sera pas de tout repos. Heureusement, notre héros a vendu son âme à Satan en échange d’un don particulier. Il est le meilleur inspecteur de police au monde: l’inspecteur Specteur. Mais son adversaire n’est pas un enfant de chœur.

 

Les couleurs du rire
*Ils avaient fait les trois-quarts du chemin quand Ré
mit le pied sur sa soutane et tomba pour la première
fois. Il piqua du nez -qu’il avait plein- et amortit la
chute de sa main brûlée. Une grosse pierre lui
amocha un membre du clergé. Le <ouille> qu’il
lança n’était qu’à un <c> près de ce qui le faisait
se cambrer. *
(Extrait)


C’est un livre drôle, noir, un peu vulgaire, extrêmement expressif, violent, avec une bonne dose d’intrigue et de suspense, le tout intelligemment développé faisant continuellement osciller le lecteur et la lectrice dans les limites du bien et du mal, de l’amour et de l’indifférence. Je vous donne une petite idée de l’histoire, ce que le quatrième de couverture ne fait pas.

Dans des circonstances un peu spéciales que je vous laisse découvrir, l’inspecteur, un tantinet manipulé, conclut un pacte avec le diable. Il échange son âme contre le statut de meilleur inspecteur au monde. Le contrat comprend toutefois deux petites clauses sous-évaluées par Specteur : il ne pourra avoir ni de femme, ni de petites amies. Pour le sexe, il devra s’en remettre aux prostituées et il ne se gênera pas d’ailleurs.

Puis, il devra vivre toute sa vie avec une tare, une maladie. Ici le choix se porte sur l’alcoolisme. Entre temps, une enquête complexe s’annonce pour le nouveau génie : un doigt mort est trouvé, coincé dans la trappe d’une boîte aux lettres. Qui l’a placé là ? Dans quel but? Même pour le meilleur limier au monde, ça s’annonce compliqué.

À plusieurs égards, ce livre est un bon divertissement mais il contient un humour très acide, un caractère irrévérencieux qui porte aux tournures de phrases ayant deux possibilités : ou elles sont à double-sens ou très directes…très très directes : *-…Àmène-toi immédatement au bureau. -Je m’amènerai au bureau quand je le voudrai, sale trou du cul ! Emmerdeur ! Pédéraste ! Dessert de prêtre ! Tampon de nonne ! Siège de vélo ! Sphincter de gorille ! morve de gnou ! Pus de lépreux ! * (Extrait)

Avouez que ça vous a arraché un petit sourire. Il y a aussi de petites subtilités auxquelles j’ai été sensible, des passages bien tournés : *-Il y a combien de temps que vous n’avez pas fait un séjour dans le corps d’un homme ou d’une femme ? Assez longtemps non ? …-La dernière fois, je crois que c’était dans le corps de Linda Blair. Tout ça s’était terminé dans un vulgaire film. C’était un peu décevant comme performance. Mais je m’étais tout de même un peu amusé…le lit…le crucifix, la mère, le prêtre…Que de souvenirs…* Extrait

Cette petite incartade m’avait ramené au souvenir d’un film qui m’avait beaucoup impressionné. Je vous laisse deviné lequel. C’est un livre assez original, plein de tournures de phrases humoristiques, d’allusions, de double-sens et de trouvailles comme ici l’inspecteur s’appelle specteur, son commandant s’appelle mandant. Son paternel s’appelle Ternel. Son ami le curé s’appelle Ré. Et j’en passe.

Quant à l’intrigue, et c’est là la faiblesse du livre, je l’ai trouvée noyée dans l’humour noir, les passages à caractère sexuel et autres passages farcis de sous-entendus.  La description des personnages prend aussi beaucoup de place. On se perd donc un peu dans l’enquête. Mais pour une lecture atypique, vous pouvez me croire, c’est très sorti des sentiers battus. Ce fut pour moi un bon divertissement.

Suggestion de lecture : LA GRIFFE DU CHAT, de Sophie Chabanel

Ghislain Taschereau est né à Saint-Pierre Baptiste, dans la région des Bois-Francs, en 1962. Après un baccalauréat ès théâtre à l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, Ghislain commence une carrière d’humoriste en 1989 à titre de scripteur à l’émission 100 LiMiTE. Il excelle comme auteur, comédien, narrateur et réalisateur.

À la télévision et à la radio, Ghislain a surtout œuvré avec le groupe humoristique Les Bleu Poudre. Il est également l’auteur de six romans : L’Inspecteur Specteur et le doigt mort (Les Intouchables, 1998), L’Inspecteur Specteur et la planète Nète (Les Intouchables, 1999), L’Inspecteur Specteur et le curé Ré (Les Intouchables, 2001), Diane la foudre (Les Intouchables, 2000), Tag (Goélette, 2014) et Étoiles tombantes, (Goélette, 2015).

 

Inspecteur Specteur
la suite

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 2 décembre 2023

LES INDES FOURBES, roman graphique

Commentaire sur la BD de
ALAIN AYROLES et JUANJO GUARDINO

(Dessin extrait de : LES INDES FOURBES, scénario d’Alain Ayroles, dessins de Juanjo Guardino, Éditions Delcourt 2019. Formats papiers et numérique. Numérique pour la présente, 160 pages.)

 *Seigneur, je suis de Ségovie. Je vous épargnerais le récit de mes premières années et de la vie que je menai en Castille. Sachez simplement qu’elles furent placées sous le sceau de l’indigence, de la fourbe et de la friponnerie. En dépit de mes constants efforts, malgré des trésors d’astuce et des joyaux d’imagination, je ne parvins jamais à m’élever au-dessus de ma misérable condition. * (Extrait)

Fripouille sympathique, don Pablos de Ségovie fait le récit de ses aventures picaresques dans cette Amérique qu’on appelait encore les Indes au siècle d’or. Tour à tour misérable et richissime, adoré et conspué, ses tribulations le mèneront des bas-fonds aux palais, des pics de la Cordillère aux méandres de l’Amazone, jusqu’à ce lieu mythique du Nouveau Monde : l’Eldorado !

 

2020 – Prix des libraires de bande dessinée,
2020 – Prix BD Gest’ du meilleur récit court Europe, 2019 – Prix Landerneau, 2020 – Prix Le Parisien de la Bande dessinée

Flamboyant mariage
de la plume et du pinceau

Parmi les nombreuses légendes qui ont enrichi la littérature au fil des siècles, celle de l’Eldorado figure en bonne place. Je parle bien sûr de cette contrée mythique d’Amérique du sud qui supposément, regorge d’or et qui a conduit beaucoup d’hommes à la mort ou à la folie. Ce mythe remonte au XVIe siècle. L’Eldorado constitue la toile de fond d’une œuvre géniale d’Alain Ayroles et Juanjo Guarnido qui fait une entrée triomphale dans l’univers du 9e art, l’enrichissant avec un talent qui force l’admiration.

L’histoire se déroule pendant le siècle d’or espagnol, c’est-à-dire la période où le rayonnement culturel de la monarchie catholique espagnole atteint son apogée. L’histoire est celle d’un sympathique bon à rien, Don Pablos de Ségovie, paresseux, ratoureux, profiteur et qui, au fil du récit alterne entre l’extrême pauvreté et l’extrême richesse. Ce coquin de Pablo naviguera avec une simple carte à destination des Indes. C’est ainsi qu’on appelait l’Amérique du sud au XVIe siècle.

Le but est simple quoique pas facile à atteindre : Devenir riche en appliquant les lois paternelles, la deuxième loi en particulier : *Tu ne travailleras point*. C’est ainsi que Pablo vivra toute une série d’aventures rocambolesque. Au départ, jeté à la mer pour avoir triché aux cartes, réchappé sur une petite île et recueilli par des hommes noirs, il vivra toute une série de quiproquos qui l’amènera jusqu’à la cour d’Espagne.

La première chose qui m’a sauté aux yeux dans cette bande dessinée est l’extraordinaire richesse du graphisme. J’y ai décelé un grand souci du détail dans les traits et les jeux de couleurs. De plus, qu’une bande dessinée puisse m’émerveiller autant sur le plan graphique que sur le plan littéraire est un phénomène relativement rare. Même si LES INDES FOURBES est un récit à flash-backs, le fil conducteur de l’histoire est solide.

L’histoire comporte en effet toute une série de retours dans le temps ou si vous voulez, des allers-retours temporels. Ce type de développement donne parfois des récits compliqués et mêlants qui peuvent pousser au décrochage. Ici, l’auteur, Alain Ayroles maîtrise le développement de son histoire avec une remarquable habileté et la fait fondre en douceur dans les superbes aquarelles de Juanjo Guarnido.

Donc, nous avons ici une belle et grande aventure, pour ne pas dire une véritable fresque historique, d’un filou sympathique et attachant qui fait avaler des couleuvres aux esprits faibles en faisant le moins d’efforts possibles dans le but de devenir riche…sans rien faire, un rêve encore très actuel. Donc, pour se résumer : la BD comprend de l’humour, des revirements, des rebondissements, un peu de violence aussi mais tout à fait inévitable si on saisit bien la folie de l’Eldorado.

L’effet visuel est d’une beauté presqu’hypnotique et la synergie entre le récit et les dessins est parfaite. J’ai vu cette BD sur support numérique dans une excellente édition. C’est mieux sur papier toutefois car l’éditeur a publié le livre en grand format. On peut sans doute mieux apprécier toutes les subtilités graphiques. Je vous recommande chaleureusement LES INDES FOURBES. Ce fut pour moi un enchantement.



(Extrait : LES INDES FOURBES, dessin de Juanjo Guardino)

Suggestion de lecture : ABSCONCITÉS, par le dessinateur Klub

Alain Ayroles (à gauche sur la photo) est un scénariste français de bandes dessinées né en 1968. Il est auteur de deux séries publiées en parallèle chez Delcourt : GARULFO et DE CAPE ET DE CROCS. Juanjo Guardino est dessinateur de bandes dessinées et dessinateur chez Disney à Montreuil. Il a participé entre autres à la conception de plusieurs FANZINE et publié des illustrations pour les versions espagnoles des *comic books Marvel*

(photo : Éditions Delcourt 2020)

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 11 novembre 2023