LE CHEMIN PARCOURU, le livre d’ISHMAEL BEAH

*Des enfants vagissaient, des hommes poussaient des cris qui perçaient la forêt et couvraient les hurlements aigus des femmes. Finalement, les coups de feu ont cessé et le monde s’est tu, comme s’il écoutait lui aussi.* (Extrait : LE CHEMIN PARCOURU, Ishmael Beah, t.f. Presses de la Cité, 2008, 320 pages.)

Dans ce récit, Ishmael Beah témoigne de sa vie en Sierra Leone. Un jour de 1993, Ishmael s’éloigne de son village avec des amis, il sera capturé par des rebelles et enrôlé de force pour combattre les forces gouvernementales. Drogué, influencé, manipulé, les rebelles vont transformer graduellement Ishmael en machine à tuer, froide et insensible, et ce,  alors qu’il n’avait que 12 ans. Cinq ans plus tard, son destin l’arrache à cet enfer de l’enfant-soldat. Il gagne miraculeusement les États-Unis en 1998  Par la suite, un autre défi très dur s’annonce pour Ishmael : se pardonner, se reconstruire… ce témoignage évoque une triste réalité qui entache l’histoire de l’humanité et qui sévit encore à ce jour : LES ENFANTS SOLDATS.

Le rude cheminement d’un enfant-soldat
*J’ai braqué mon arme sur un groupe de rebelles, mais
Alhaji m’a tapé sur l’épaule. Il m’a chuchoté qu’il voulait
pratiquer sa technique à la Rambo avant que nous nous
mettions à tirer…il a commencé à s’étaler de la boue sur
le visage…fixé son fusil sur le dos…il a rampé lentement
sous le soleil de midi baignant de  sa lumière ce village
que nous avions l’intention de plonger très bientôt dans
L’obscurité.*
(Extrait : LE CHEMIN PARCOURU)

LE CHEMIN PARCOURU est un récit autobiographique très intense dans lequel Ishmael Beah fait le bilan de son enfance et de sa préadolescence en Sierra Leone, un pays alors ravagé par la guerre civile et tout ce qui en découle de despotisme, de cruauté, de massacre et de sadisme.

Beah développe trois parties distinctes de cette vie infernale : l’époque où il a été recruté comme enfant soldat puis manipulé, drogué et transformé en machine à tuer, l’époque où il a été retiré sans explication de l’armée pour être rééduqué sous le contrôle de l’Unicef et l’épisode où il doit fuir son pays sous peine de redevenir une machine à tuer ou de mourir.

C’est un récit à la fois dur et fascinant qui met en perspective la bêtise humaine découlant d’un goût démesuré pour le contrôle et le pouvoir. Ce livre nous éclaire sur l’une des pires taches dans l’histoire de l’humanité : *dresser* des enfants à tuer, à semer la terreur et à inspirer l’horreur, à vider ces enfants de toute pitié ou compassion.

J’ai bien senti que Beah n’a pas voulu trop en mettre, évitant le sensationnalisme gratuit. Mais il n’a pas eu peur des mots non plus. Bref la plume fait preuve d’un bel équilibre et Beah a fait preuve de beaucoup de courage en racontant son parcours dans une spirale aussi démesurée d’horreur et de destruction. Je craignais de m’enliser dans la lecture d’un récit misérabiliste. Ce ne fût pas le cas.

Toutefois le livre n’a pas répondu à toutes mes attentes. Par exemple, j’aurais aimé comprendre les raisons pour lesquelles Beah a été retiré de l’armée. Pourquoi a-t-il été choisi? Selon quels critères. C’est important parce que cet évènement a changé toute sa vie. J’aurais aussi aimé en savoir davantage sur le voyage introspectif d’Ishmael Beah.

Ce que je sais des mécanismes de sa rééducation se résume à peu de choses : une infinie patience de ses rééducateurs (son infirmière en particulier) et la répétition d’expressions du genre *C’EST PAS DE TA FAUTE*.

Mais comment a-t-il fait pour se pardonner lui-même?  Et puis le récit se termine un peu abruptement sur sa nuit dans une ambassade. J’aurais aimé connaître au moins ses premiers jours d’homme libre aux États-Unis et sa lente transformation en homme pacifiste.

Malgré tout, ce récit est un témoignage à vif, poignant, riche de symboles et magnifiquement porteur d’espoir. Je ne regrette pas la lecture de ce livre. Il m’a ému et fait réfléchir. Je le recommande à tous…les jeunes en particulier car il nous fait réfléchir sur la véritable valeur de la vie, l’incroyable force de l’âme et l’importance d’envelopper d’amour et de protéger tout ce qu’il y a de plus beau et de plus positif qui couve dans le cœur des enfants…

Suggestion de lecture : AU SUD DE NULLE PART, recueil de Charles Bukovsky

Ishmael Beah est un pacifiste né en 1980 en Sierra Leone. Après avoir été recruté pratiquement de force par l’armée gouvernementale, à 13 ans, il devient enfant-soldat et le restera dans une incessante chasse aux rebelles pendant 5 ans. En 1998, il rejoint les États-Unis grâce à une famille qui l’adopte. Il entreprend de hautes études, donne des conférences et s’exprime plus d’une fois aux Nations-Unis et devant de nombreuses ONG. Ses plaidoyers souvent vibrants visent à mobiliser l’opinion publique sur le sort des enfants victimes des conflits armés. Son livre, est largement publié et même étudié dans des écoles.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
AVRIL 2016

 

AU SUD DE NULLE PART, recueil de CHARLES BUKOVSKY

*…-Joe, lâchez-moi! Vous allez trop vite,
Joe, lâchez-moi!
-Pourquoi es-tu venue ici, salope?*
(extrait de AU SUD DE NULLE PART,
Charles Bukowski, Éd. Grasset et Fasquelle,
1982, t.f. 206 pages, éd. Num.)

AU SUD DE NULLE PART est un recueil de 27 nouvelles généralement très courtes et fortement inspirées de la vie de l’auteur Charles Bukowski. À travers son personnage autobiographique Henri Chineski, l’auteur aborde ses sujets courants : les femmes, l’alcool, les courses de chevaux, une vie d’errance, sa rencontre avec des personnages excentriques, instables et misanthropes  et surtout, l’auteur évoque son désenchantement face au rêve américain.

AVANT-PROPOS :
Sacré Charles…

Le moment est venu pour moi de vous parler d’un autre de mes auteurs préférés. Il s’agit de Charles Bukowski. Il y a parfois des personnes auxquelles on s’attache sans qu’on comprenne exactement pourquoi. Bukowski m’a toujours fasciné, intrigué.

Charles Bukowski était un homme tourmenté, instable…c’était un marginal, misanthrope, bourru et indiscipliné qui a passé la majeure partie de sa vie imbibé d’alcool. Pourtant son esprit, sa pensée, sa vision de la vie étaient d’une exceptionnelle profondeur. Son errance constante l’a amené à juger sans prétention, autant que sans concession, la folie qu’il constate au quotidien.

J’ai choisi de vous parler de son livre AU SUD DE NULLE PART à connotation fortement autobiographique. Si vous décidez de lire ce livre, vous pourriez développer, comme moi, l’impression que Bukowski est un vieil ami qui reste pas loin, difficile d’approche, caustique et pourtant attachant et terriblement humain…

Les contes souterrains
*Ne hurle pas lui dit-il ou j’ te tue,
alors empêche-moi de te tuer.*
(ex. AU SUD DE NULLE PART, C. Bukowski)

AU SUD DE NULLE PART est un petit bouquet d’insolences littéraires que j’ai dévoré. Bien sûr il faut apprendre à connaître Bukowski car dans ce recueil de nouvelles, la misanthropie est poussée à ses extrémités. Et la manifestation la plus évidente de cette tendance est dans la nouvelle intitulée L’EXPÉDITIONNAIRE AU NEZ ROUGE. Voici quelques citations…

*Je n’aime tout bonnement pas les gens…*
*…je n’ai jamais rencontré un homme que j’ai aimé…*
*Randall était célèbre en tant qu’isolationniste, pochard, homme grossier et amer…*

Dans la même nouvelle…je cite : *Malgré tout, Randall avait de l’humour. Il savait rire de la souffrance et de lui-même. On ne pouvait s’empêcher de l’aimer.*

Voilà…c’est ça Bukowski. C’est sans concession. On l’aime ou on l’aime pas. AU SUD DE NULLE PART est un recueil de nouvelles fortement imprégnées de sexe et d’alcool et qui n’ont pas vraiment de conclusions. Il n’y a pas de rebondissements ou d’intrigues. C’est l’histoire de la dérive d’un être humain, une exploration des cotés obscurs de l’âme et l’évocation du rêve américain tourné en dérision.

L’écriture est simple mais très directe, parfois brutale. Les personnages sont sombres, misérables, désillusionnés, bourrés d’alcool et de douleurs décrits à la manière de Bukowski…crûs et amers.

Pourtant j’ai aimé ce livre car malgré le désespoir qui y est décrit ou qui le caractérise, il y a des moments drôles, attendrissants et la plume de Bukowski atteint souvent, spécialement dans les dernières nouvelles la profondeur d’une remarquable poésie qui entraîne malgré lui le lecteur, la lectrice.

Lire Bukowski c’est une expérience spéciale car s’il est acerbe, il a au moins la qualité d’être authentique et sincère.

Suggestion de lecture : LE CHEMIN PARCOURU, d’Ishmael Beah

Henry Charles Bukowski est romancier et poète américain, d’origine allemande né à Andernach et mort en Californie en 1994 à l’âge de 73 ans. Il n’a que deux ans quand ses parents décident d’aller vivre à Los Angeles, mais ils connaîtront la misère à cause de la crise économique.

Dès l’âge de 16 ans, le corps de Charles se couvre de pustules. Son mal prend des proportions telles qu’il se verra comme un monstre. Charles, enfant battu par son père jusqu’à l’âge de 17 ans quitte le foyer familial, vit d’un logement miteux à l’autre et sombre graduellement dans l’alcool, mais il écrit. Il va d’un petit boulot à l’autre pour vivre mais il est systématiquement renvoyé…

…mais entretemps il écrit…toujours au son de la musique classique diffusée à la radio et avec de l’alcool en abondance. En 1960, à 40 ans, Bukowski publie son premier livre : FLEUR, POING ET GÉMISSEMENT BESTIAL, un recueil de poèmes. Entre autres épisodes d’indiscipline, Bukowski s’enivre sur le plateau d’APOSTROPHE, l’émission littéraire de Bernard Pivot et doit être évacué du plateau.

Bukowski devient de plus en plus angoissé et alcoolique, mais il continue à écrire et plusieurs de ses livres connaîtront un succès tel que Bukowski atteindra la notoriété et ce, malgré le dédain qu’il éprouve pour le monde littéraire qu’il trouve terne et snob.

Parmi les titres consacrés on retrouve entre autres LES CONTES DE LA FOLIE ORDINAIRE (adapté au cinéma), JOURNAL D’UN VIEUX DÉGUEULASSE, AU SUD DE NULLE PART et LE POSTIER (Bukowski a été postier pendant une dizaine d’années)

À lire
Je vous suggère également un article signé Robert Lévesque et publié en 2008 par le site les libraires.ca. L’article ne s’est jamais démodé même s’il est disons…plutôt acide ou certains diront noir…

BONNE LECTURE
Claude Lambert
OCTOBRE 2014