LE SYNDROME «E», livre de FRANCK THILLIEZ

*-Je vais te cramer un peu, jouer avec mes couteaux,
puis j’irai te larguer dans le désert, vivant. Les
hyènes et les vautours te boufferont en quelques
heures. On ne retrouvera jamais ton corps. Il
cogna Sharko en pleine face avec le bidon. Un
craquement, une giclée de sang.*

(Extrait : LE SYNDROME [E], Franck Thilliez, Fleuve Noir,
2010, édition numérique, 420 pages)

Deux évènements dramatiques viennent compliquer la vie de deux policiers, Lucie Hennebelle et Frank Sharko. D’abord, une équipe technique de la voirie découvre par hasard cinq cadavres ensevelis sous deux mètres de terre à Notre-Dame-De-Gravenchon. Fait tout à fait horrible : leur crâne a été scié, ouvert, le cerveau et les yeux prélevés. Parallèlement, un passionné de films anciens devient inexplicablement aveugle après avoir visionné un film qu’il vient d’acquérir…deux affaires différentes mais qui sont pourtant liées. Un nouveau mal fait son apparition : LE SYNDROME [E]. 

Très haute teneur en adrénaline

*Ces lignes de brancards représentent l’attente pour la salle des électrochocs. Les patients les subirent trois fois par jour, durant des programmes de sept à huit semaines. Trois fois par jour, mademoiselle. Des milliers de volts dans l’organisme. Imaginez-vous seulement les dégâts que cela pouvait occasionner aux nerfs, au cœur et au cerveau?* (Extrait : LE SYNDROME [E])

J’ai beaucoup à dire sur ce livre qui joue dur. Pour ma part, c’est une première incursion dans l’univers de Franck Thilliez et d’entrée de jeu, je peux vous dire que ça m’a ébranlé tellement le récit est noir et teinté d’un implacable réalisme.

J’aurais peut-être dû commencer par un des premiers ouvrages de Thilliez comme LA CHAMBRE DES MORTS ou à la rigueur LA FORÊT DES OMBRES, mais quand j’ai découvert le titre SYNDROME E, j’étais trop intrigué pour passer outre.

Mais commençons par le commencement. LE SYNDROME E est le premier volet d’un diptyque qui décortique le phénomène de la violence. Le récit porte sur deux enquêtes policières séparées au départ, devenant graduellement convergentes pour finalement ne faire qu’une.

Au début d’une part, l’ex-ami de l’enquêteuse Lucie Hennebel, un passionné de cinéma et collectionneur de films rares est frappé de cécité après avoir visionné un film rare et non répertorié. Lucie enquête et commence par faire analyser la pellicule.

D’autre part, un enquêteur devenu schizophrène suite au décès soudain de sa femme et de sa fille, Franck Sharko enquête sur la découverte de cinq corps atrocement mutilés.

Au fur et à mesure que l’analyse de la pellicule progresse, les deux enquêtes fusionnent. En fait, tout démarre et tourne autour de ce mystérieux film d’un réalisateur non moins mystérieux, Jacques Lacombe :

*Mais la question qui la turlupinait le plus était de savoir quel lien invisible il pouvait y avoir entre le film anonyme et les cadavres déterrés en Haute Normandie. Cette bobine maléfique était peut-être l’arbre qui cachait la forêt.*(Extrait)

Je vous ai déjà parlé de l’énorme pouvoir du septième art, c’est-à-dire, de cette capacité qu’a le cinéma de façonner les esprits, de créer des tendances, d’influencer les modes de pensées et d’apprentissages. Imaginez tout ce qu’on peut sortir sur le potentiel cinématographique du cinéma. (Voir mon commentaire sur LA CONSPIRATION DES TÉNÈBRES)

Dans LE SYNDROME E, Thilliez va encore plus loin car par des procédés de surimpression, d’insertions subliminales, de découpages obscurs et autres diableries, la pellicule sert ici à cacher un incroyable secret qui dévoile un potentiel extraordinaire et apparemment exploitable du cerveau humain.

Cela va plus loin car cette mystérieuse pellicule camouffle un complot imaginé par des esprits tordus, des scientifiques malades, auteurs d’expériences sur des sujets vivants dont plusieurs comptaient parmi les Orphelins de Duplessis :

*Ce que Lucie Découvrait dépassait l’entendement. Une aliénation de masse, à grand renfort de bulletins médicaux faussés et d’occultes financements* (Extrait)

La dernière citation fait référence au financement par la CIA de certaines expériences sur des cerveaux d’êtres humains vivants. L’enquête amène à l’identification du syndrome E et je vous laisse découvrir par vous-même qu’est-ce que c’est que cette saloperie.

Évidemment, ce roman est une fiction mais quand on y pense, on sait peu de choses sur le cerveau et ça peut laisser un doute dans l’esprit du lecteur. Appelons ça un facteur de stress car l’auteur dévoile les horreurs du film au compte-gouttes et ça n’arrête jamais jusqu’à la dernière page qui là encore dévoile un punch tout à fait imprévisible.

Donc pour résumer, LE SYNDROME E est un thriller d’une fantastique efficacité, fait de corps mutilés, de tortures, de cadavres, de crasse, de fourberie et d’une science qui évoque des bêtes conduites à l’abattoir.

C’est un livre audacieux qui m’a sorti des sentiers battus et qui m’a écorché au passage. Rythme rapide malgré certaines longueurs, lecture aisée, fil conducteur solide.

Dans l’ensemble, le récit est gore et décapant et il est porteur je crois d’une petite réflexion sur la science et l’éthique car je ne suis pas certain que les savants fous et les scientifiques tarés n’appartiennent qu’à la légende et la littérature.

Si vous avez survécu au SYNDROME E, vous êtes mûrs pour la lecture de GATACA, le deuxième volet du dyptique.

Par définition du diptyque, il faut avoir lu LE SYNDROME E pour comprendre GATACA. Je vous le dis tout de suite, l’un est aussi effrayant que l’autre. Un an après l’identification du syndrome E et l’explosion de la vérité, et toujours en vertu d’une quête de la compréhension globale de la violence, l’auteur Franck Thilliez nous entraîne cette fois dans les arcanes obscurs du génome humain.

À nouveaux réunis et prêts à explorer un autre cercle de l’enfer, les policiers Lucie Hennebelle et Franck Sharko remontent cette fois aux origines de la violence, là où le génome humain détermine son avenir : rien de moins que l’extinction. 

Franck Thilliez est un écrivain et ingénieur français né en 1973. En plus d’avoir développé un goût irrésistible pour la lecture, Thilliez a une passion pour le cinéma et pour les Nouvelles technologies. C’est d’ailleurs dans ce dernier domaine qu’il exerce l’ingénierie. Sa carrière d’écrivain a été lancée en pompe dès 2003 avec TRAIN D’ENFER POUR ANGE ROUGE en 2003, nominé au prix SNCF du polar français.

Le succès des livres suivants lui a permis d’abandonner son travail d’informaticien et de s’adonner à l’écriture à temps plein. Ses passions se reflètent dans son écriture. Il aime enduire ses récits d’une atmosphère glauque et comme son imagination est débordante, sa plume produit des romans qui retiennent les lecteurs dans un filet qui évoque la toile d’araignée. 

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 25 février 2018

LE HUIT, livre de CATHERINE NEVILLE

*-Sire, ce jeu maure me fait peur. Je crois qu’il est possédé par une force démoniaque qui vous a poussé à engager ma vie. Charlemagne retomba lourdement sur son siège, passa une main égarée sur son front, mais ne parla pas.* (Extrait : LE HUIT, Katherine Neville, 1988, Ballantine, t.f. : Le Cherche Midi, 2002. Éditions de papier, 960 pages.)

Alors qu’elle s’apprête à se rendre au Maghreb, Catherine Velis apprend d’un mystérieux antiquaire qu’elle court un grand danger. Un fabuleux jeu d’échecs d’origine mauresque l’attendrait dans le désert du Sahara. En 782, ce jeu aurait, dit-on envoûté dangereusement Charlemagne avant d’exciter pendant de nombreux siècles des personnages historiques tels Richelieu, Robespierre, Catherine de Russie et Napoléon. Tous ont voulu mettre ce jeu au service de leurs funestes desseins car selon la légende, ce jeu ferait de son détenteur rien de moins que l’égal de Dieu. La jeune femme plonge dans une quête où l’avenir même de l’humanité se joue et elle n’est pas la seule à vouloir percer le secret du jeu maudit…

On ne connait pas vraiment l’origine du jeu d’échecs. Certains textes anciens laissent à penser que le jeu aurait été inventé par on ne sait qui vers 600 après Jésus-Christ en Inde. On s’est qu’il s’est actualisé lors de son introduction en Europe par les Arabes au Xe siècle. On dit que les règles actuelles se sont fixées vers la fin du XVe siècle.

Le jeu d’échecs est devenu le jeu de concentration tactique et stratégique le plus joué dans le monde. L’objectif du jeu d’échecs est de mettre le roi adverse en échec, c’est-à-dire de l’attaquer de manière à ce que l’adversaire n’ait pas de coup légal qui puisse empêcher la prise du roi au coup suivant. On dit alors que le joueur a maté le roi de l’adversaire, d’où l’expression ÉCHEC ET MAT.

Le spectre des échecs
*Empoignant à deux mains mon sac de marin, je le soulevai
au-dessus de ma tête dans un arc de cercle parfait, avant
de l’abattre de toutes mes forces et de tout son poids sur
son crâne. Ses yeux se révulsèrent et il s’effondra sur le
côté tandis que je pirouettais pour vérifier ce qui se
passait derrière moi.
(Extrait : LE HUIT)

LE HUIT est un livre intéressant mais qui souffre d’un pénible handicap : son incroyable lourdeur. Nous avons ici une brique de 1000 pages dont l’intrigue est noyée dans des descriptions interminables, de nombreux détails peu signifiants et des artifices qui n’apportent rien. Autre détail important : il n’est pas vraiment indispensable de jouer aux échecs pour plonger dans cette histoire, mais comprendre le jeu et le pratiquer aide beaucoup à la compréhension de l’intrigue.

Toutefois, il y a des éléments intéressants dans l’ouvrage. Le fait par exemple que deux récits alternent à deux époques différentes…deux récits en semi-convergence. Pour moi c’est une trouvaille qui a sa place dans l’œuvre.

Dans le récit historique, j’ai beaucoup apprécié faire la rencontre de grands personnages qui ont marqué l’histoire; Jean-Sébastien Bach, Isaac Newton, Voltaire, Danton, Robespierre, la grande Catherine de Russie et plusieurs autres. C’est dans le passage où l’évêque d’Autun rencontre le célèbre François-Marie Arouet dit Voltaire (1694-1778) que j’ai trouvé finalement un fil conducteur sur lequel m’accroché.

La quête de ce roman est celle du jeu Montglane, un jeu d’échec possédé jadis par le puissant Charlemagne et dont les pièces ont été disséminées de par la monde, et ce dans les 2 récits en alternance. Or ce jeu donne à son détenteur un pouvoir infini, à ne pas mettre entre n’importe quelles mains. Voilà le fil conducteur, un thème qui n’a rien de neuf : la recherche effrénée du pouvoir et les incroyables bassesses qu’elle peut engendrer.

L’intrigue comme telle est intéressante, mais elle aurait pu être passionnante n’eut été des chaînes qu’elle traîne. La lourdeur du récit par exemple : 300 pages de moins n’auraient pas nui au récit, au contraire, ça l’aurait mis en valeur. Je pense aussi à des hasards trop *tape-à-l’œil* pour être crédibles. (Imaginez qu’une nuit vous rêvez que vous gagnez à la loterie et le matin en vous réveillant, vous constatez que vous avez effectivement gagné).

Je pense aussi à l’omniprésence du chiffre 8. Logique me direz-vous si on tient compte du titre. Mais il faut savoir ici que les explications relatives au chiffre 8 sont un mélange de sciences alchimiques, physiques, mystiques et astronomiques et que l’auteur n’a pas vraiment fait d’efforts pour présenter le tout de façon simple et claire…vulgarisée quoi…

Je me suis tout de même accroché à certains passages pour avancer dans le récit et pour le finir…*Ce qui peut être un bienfait pour l’humanité peut aussi devenir une horrible malédiction, l’histoire l’a prouvé.* (Extrait)

Dans une lecture aussi longue et complexe parsemée de passages ennuyants, je me suis senti un peu perdu malheureusement. Peut-être avez-vous trouvé dans mon commentaire des éléments intéressants. Je vais être honnête avec vous…ce commentaire n’engage que moi parce que je ne joue pas aux échecs…j’aurais peut-être vu certaines choses autrement…

Katherine Neville est  une romancière américaine né le 4 avril 1945 à Saint-Louis. Elle fut d’abord mannequin, puis consultante internationale en informatique. Puis, grâce à une expertise développée dans le domaine énergétique, Katherine Neville participera à la recherche sur l’énergie nucléaire et développera des méthodes pour identifier et contrôler les matériaux toxiques et dangereux.

Par la suite, dès 1980, elle sera vice-présidente de la Bank of America, et ce pendant 10 ans. Sa vaste expérience développée dans divers métiers lui ont fourni la matière de son premier roman : LE HUIT qui a connu sa suite 20 ans plus tard avec LE FEU SACRÉ.

PETIT À-CÔTÉ…

Une des plus impressionnantes scènes de la saga HARY POTTER est la scène du jeu d’échec décrite dans le premier opus de la série, livre et film: HARRY POTTER À L’ÉCOLE DES SORCIERS. Voir la reconstitution.

BONNE LECTURE
Claude Lambert

Le dimanche 18 février 2018

L’HOMME QUI N’AVAIT PAS DE NOMBRIL

Commentaire sur le livre de
Michel Leboeuf

*Non, non, lecteurs de premières pages en librairie,
ne me quittez pas! Ne refermez pas le bouquin si
vite. Lisez la dernière page tant qu’à faire. Vous
allez voir, la fin est pas mal du tout. Vous arriverez
peut-être même à vous réconcilier avec moi, le
personnage principal.*
(Extrait : L’HOMME QUI N’AVAIT PAS DE NOMBRIL,
Michel Leboeuf, Éditions Michel Quintin, num. 480 pages)

C’est le récit de Philippe Morel, 53 ans, un professionnel des relations publiques. Morel a une particularité extrêmement rare : il n’a pas de nombril. Évidemment ce signe particulièrement distinctif a marqué sa vie. Cette vie tourmentée, Morel nous la raconte : une vie de moqueries et de mépris de la part de son entourage. Il passe en revue toutes les étapes de son destin, y compris les épisodes où il fait l’objet de D’expériences scientifiques. Mais le récit déborde de la science. C’est l’histoire d’un homme qui n’a pas été uni à sa mère par un cordon ombilical et qui ne connaîtra rien de moins qu’une véritable descente aux enfers.

LE DRAME DE L’HOMME-OPOSSUM
*Dans mon berceau, me voilà saisi d’une sorte
de pressentiment…la voix douce me camoufle
la vérité, elle l’enrobe de rose bonbon…
J’ai peur, j’ai la certitude que ce qui vient ne
sera ni rose ni bonbon. Après ça, on
s’étonnera du fait que je veuille vivre tout
seul, en parfaite autarcie, le plus loin
possible des hommes.
(Extrait : L’HOMME QUI N’AVAIT PAS DE NOMBRIL)

Ce livre raconte l’histoire très particulière de Philippe Morel, né sans nombril, comme un opossum. Pour apprécier ce livre, il y faut bien comprendre la situation très singulière de Morel. Il est né sans nombril comme si dès le départ, la nature l’avait débranché de sa mère.

Comme cette nouvelle va faire le tour du monde, le phénomène étant assez rare, on peut penser qu’étant trop différent des autres, Morel devienne comme débranché de la société avec des rapports humains réduits au minimum.

Quant à savoir ce qui se passe dans sa tête, je vous laisse lire le livre pour le savoir, mais je peux vous mettre sur le sentier en vous dévoilant que Philippe Morel adore tuer des mouches en les brulant avec une loupe. Ça vous donne une petite idée…je dis bien petite.

Si vous arrivez à bien saisir la psychologie du personnage, sa tare plutôt embarrassante, et ses motivations, il vous faudra accepter maintenant la deuxième condition. 2) s’armer de patience. Le roman est très intéressant et tranche un peu par son originalité mais il traîne en longueur.

C’est très long avant de pouvoir s’accrocher à l’histoire ou aux personnages qui ne sont pas particulièrement attachants. C’est long d’autant que le récit est narré à la première personne par Morel qui n’a pas toujours des choses intéressantes à raconter. Pour toutes ces raisons, je préfère utiliser le terme DRAME qui convient mieux que THRILLER.

Là où le roman devient intéressant, à partir du moment où il prend son rythme, après au moins une bonne centaine de pages, c’est quand on commence à comprendre les motivations de Morel. Ça m’a poussé à me demander qu’est-ce que je ferais à sa place et c’est là que le roman devient un peu dérangeant. Morel devient un peu bizarre, violent et la finale, sans être spectaculaire, est intéressante, voire surprenante jusqu’à un certain point.

Même si ce livre est parfois long à en être pénible, je pense surtout à la première moitié, l’histoire a quelque chose de particulier, elle a un caractère étrange. La plume de Michel Leboeuf est tout aussi étrange nous entraînant dans les méandres d’un esprit confus.

L’homme dont on a discuté du cas dans les plus grandes facultés de médecine et qui servira de cobaye pour des expériences bizarres sera dorénavant appelé l’homme-opossum et tentera le plus possible de retourner à l’anonymat. Ce ne sera pas simple et c’est là qu’est le point fort du roman : la relation devenant graduellement et irrémédiablement tordue entre Philippe Morel et son environnement.

Malgré ses faiblesses, l’histoire est intéressante et appelle une suite de deux autres tomes : Le tome 2 : L’HOMME QUI N’AVAIT PAS DE NOMBRIL Alter Ego et le tome 3 : L’HOMME QUI N’AVAIT PAS DE NOMBRIL Alma Mater.

Michel Leboeuf est un écrivain, scientifique, naturaliste et communicateur québécois né à Trois-Rivières en 1962. Après avoir œuvré pendant plusieurs années en écologie forestière, il consacre maintenant tout son temps dans le secteur des médias et de l’édition.

Il est rédacteur en chef du magazine NATURE SAUVAGE et auteur de 14 livres documentaires sur la flore et la faune, d’essais et d’œuvres de fiction. Il a été deux fois lauréat du prix HUBERT-REEVES qui récompense l’excellence littéraire dans le domaine de la vulgarisation scientifique en français au Canada.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 11 février 2018

MOI, SIMON 16 ANS HOMOSAPIENS de BECKY ALBERTALLI

*Au fait, petite parenthèse : tu ne trouves
pas que tout le monde devrait en passer
par le coming out? Pourquoi
l’hétérosexualité serait-elle la norme?
Chacun devrait déclarer son orientation
quelle qu’elle soit, et ça devrait être
aussi gênant pour tout le monde, hétéros,
gays, bisexuels ou autres. Je dis ça, je dis
rien.*
(Extrait : MOI, SIMON 16 ANS HOMO SAPIENS,
Becky Albertalli, t.f. Hachette Livre, 2015, 206
pages, édition numérique)

Simon Spier, 16 ans est gay, mais personne ne le sait. Il n’a pas fait son *coming out*. Simon se sent particulièrement bien quand il clavarde avec un irrésistible jeune homme de son lycée dont le pseudonyme est BLUE. Un jour, Simon commet une erreur impardonnable : il oublie de fermer sa session de clavardage sur un ordinateur du lycée. Un camarade de classe, Martin prend connaissance de la séance et fait une capture d’écran dont il se sert pour s’adonner à un petit chantage : soit Simon organise un rancart entre sa meilleure amie et Martin, soit Martin met le secret de Simon au grand jour…pas simple.

Au-delà des sentiments
*Mais n’hésite pas à tirer sur la bride au
besoin, Okay? Avec moi, surtout, dit-il
en se frottant le menton. Je sais que je
ne t’ai pas rendu le coming out facile.
Nous sommes très fiers de toi. Tu en as
dans le ventre, fiston.*
(Extrait : Moi, Simon 16 ans Homo sapiens)

Vous l’avez compris, le thème de ce livre pour la jeunesse est l’homosexualité. Au début de son récit, Simon a 16 ans. Il en aura 17 avant la fin. À travers son quotidien, la famille, l’école, ses activités, ses amis, ses parents, Simon raconte tout ce qu’il ressent à travers les différentes phases de manifestation de son homosexualité.

Ça commence par l’auto reconnaissance de son orientation sexuelle, son acceptation, un développement substantiel et très fort de tout ce qui est lié au *coming out* puis l’amour naissant…tout cela est bien sûr compliqué par la crainte des réactions parentales, la crainte du jugement de ses pairs, la peur de perdre de précieuses amitiés…

Ce n’est pas facile de sortir les squelettes du placard. Pour se brancher à la dure réalité de l’homosexualité chez les jeunes en fin d’adolescence, l’auteure a dû *victimiser* Simon avec des insultes profondément blessantes de son entourage, dures mais typiques d’un comportement homophobe que notre société moderne est loin d’avoir tout à fait abandonné.

Pourtant, j’ai trouvé dans l’ensemble que Becky Albertalli a développé son sujet d’une façon progressiste et très positive, trop peut-être selon certaines critiques. Moi j’ai trouvé que l’auteure a fait preuve d’un bel équilibre, probablement à cause de la nature des personnages qu’elle a créés.

La forme littéraire est aussi très intéressante. En fait le récit de Simon alterne avec des échanges de courriels entre lui et le mystérieux Blue, qu’on ne connaîtra que vers la fin de l’histoire.

Mais c’est dans ces courriels justement qu’on peut apprécier la psychologie des personnages et surtout la profondeur des sentiments de Simon qui devient graduellement amoureux : *Au début, les mails de Blue constituaient une sorte d’agrément séparé de ma vie réelle. Alors que maintenant, j’ai l’impression que ma vie se trouve peut-être dans ces missives.* (Extrait)

Ne vous attendez pas à des passages torrides dans ce livre. Je suis toutefois d’accord avec le fait qu’il s’en dégage une certaine sensualité que je qualifierais de saine et rafraîchissante. C’est avant tout une histoire sympathique qui met en scène des jeunes attachants avec leurs hauts et leurs bas, leurs qualités et leurs défauts.

De plus, il y a quelque chose de très beau en Simon, comme une chaleur, un lyrisme qui donne au récit de la couleur, de la force et une tonalité profondément humaine.

Je note aussi au passage que le récit nourrit une certaine réflexion sur la force et la valeur de l’amitié car c’est sur elle que s’appuie tout le courage de Simon et toutes les petites et les grandes victoires qui contribuent à donner aux jeunes la place qui leur revient dans la société.

MOI, SIMON 16 ANS HOMOSAPIENS est un roman sans prétention. Le livre est très ventilé, avec des chapitres courts, sans longueur, agréables à lire. La plume pousse tellement le lecteur à être proche du personnage principal que j’avais l’impression de partager avec Simon ses doutes, ses craintes, ses déceptions, ses joies et même ses fantasmes.

Je vous invite donc à faire la connaissance d’un grand amateur d’Oréos qui ne cherche qu’à bâtir son bonheur. Je ne m’étendrai pas sur les Oréos, je dirai simplement que l’humour a sa place dans ce livre qui a été pour moi un coup de cœur.

À LIRE: un intéressant petit dossier sur le coming out.

Becky Albertalli est née à Atlanta aux États-Unis. Elle écrit depuis toujours. Ses premiers romans, griffonnés dès la maternelle parlaient surtout des animaux de compagnie. Elle a écrit et dirigé une tragédie à l’âge de 12 ans. Docteur en psychologie clinique, elle se consacre totalement à l’écriture. MOI, SIMON 16 ANS HOMO SAPIENS est son premier roman.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 4 février 2018