LE LAMBEAU, le livre de Philippe Lançon

Version audio

*Je ne retrouvais plus mon cahier. Il était pourtant
dans mon sac au moment de l’attentat et il m’avait
suivi à l’hôpital où je m’en étais servi dans les
premiers jours pour écrire, ne pouvant parler.*
(Extrait : LE LAMBEAU, Philippe Lançon, Gallimard
éditeur, 2018, durée d’écoute : 16 heures 3 minutes.
Narrateur : Denys Podalydès)

Lambeau, subst. masc.  
1. Morceau d’étoffe, de papier, de matière souple, déchiré ou arraché, détaché du tout ou y attenant en partie.  
2. Par analogie : morceau de chair ou de peau arrachée volontairement ou accidentellement. Lambeau sanglant ; lambeaux de chair et de sang. «Juan, désespéré, le mordit à la joue, déchira un lambeau de chair qui découvrait sa mâchoire» (Borel, Champavert, 1833, p. 55). 
3. Chirurgie : segment de parties molles conservées lors de l’amputation d’un membre pour recouvrir les parties osseuses et obtenir une cicatrice souple. 

Le sens et la portée
*…je vous ai vu. Seul. À l’écart sur une table ou une commode,
je ne sais plus trop. Vous étiez choqué cela va sans dire. Vous
ne pouviez pas parler évidemment. Mais vos yeux disaient tout.
Vous imploriez de l’aide. Votre regard a croisé le mien et j’ai
détourné les yeux. Lâchement. Je me disais que je ne me remettrais
jamais de cette image de vous, en souffrance dans mes bras ou
dans mes mains. *
(Extrait)

Avant-propos :

Le 7 janvier 2015 à Paris, des terroristes islamistes, les frères Chérif et Saïd Kouachi pénètrent dans le bâtiment abritant le journal satirique CHARLIE HEBDO qui préparait la sortie de sa 1177e édition. Onze personnes seront froidement assassinées dont 8 membres de la rédaction. Premier attentat de trois en France pour le seul mois de janvier 2015. Celui de Charlie Hebdo sera le plus meurtrier.

Au cours de cet attentat, le chroniqueur Philippe Lançon sera gravement blessé au visage…une blessure qui nécessitera une intervention chirurgicale de quatre heures et par la suite, plus de vingt passages au bloc opératoire. Trois ans après cet incroyable gâchis, Philippe Lançon raconte les évènements.

Pour mieux comprendre le contexte des propos de Lançon, voyons d’abord ce qu’est CHARLIE HEBDO. Charlie Hebdo est un journal hebdomadaire satirique français fondé en 1970 par François Cavanna et le professeur Choron. Il fait une large place aux illustrations, notamment aux caricatures politiques, et il publie aussi des reportages à l’étranger sur toutes sortes de sujets explosifs dont la religion, les sectes, l’islamisme.

Dès 2006, Charlie Hebdo s’attire les foudres des pays musulmans en publiant les caricatures de Mahomet du Jylland posten. Au cours de l’attentat du 7 janvier 2015 à Paris, les frères Kouachi (dont Lançon ne cite jamais les noms dans son livre) pénètrent dans les locaux de CHARLIE HEBDO. Onze personnes sont tuées. Parmi les quelques survivants, le chroniqueur Philippe Lançon sera gravement blessé au visage…le menton et la mâchoire inférieure emportés par une balle.

Malgré tout, jamais le sentiment d’appartenance de Philippe Lançon à Charlie Hebdo ne s’est démenti : *Ce petit journal qui ne faisait de mal à personne…ce petit journal avait une grande histoire et son humour avait bienheureusement fait du mal à un nombre incalculable d’imbéciles, de bigots, de bourgeois, de notables, de gens qui prenaient le ridicule au sérieux* (Extrait : LE LAMBEAU)

Personnellement, j’ai toujours eu la certitude que plus on se rapproche de la vérité, plus on dérange. Toujours est-il que CHARLIE HEBDO était et demeure une institution. Les tueurs vengeurs croyant faire un exemple ont créé des héros, le nombre d’abonnés passant de 10 000 à 220 000…bien curieuse stratégie religieuse…

*Depuis quelques années, il était presque moribond, depuis la veille, il n’existait plus mais, il existait déjà autrement. Les tueurs lui avaient donné sur le champ un statut symbolique et international dont nous, ses fabricants, aurions préféré nous passer. * (Extrait)

Le récit s’ouvre sur le théâtre de Shakespeare et l’auteur parle de son faible pour Michel Houellebeck, célèbre écrivain qui a entre autres écrit SOUMISSION qui laisse à entendre que plus les hommes imagineront un Dieu qui est absolu, plus tyrannique sera sa loi. Il fut accusé d’Islamophobie. L’évocation de Houellebeck vient enrichir le contexte dans le récit de Philippe Lançon.

Toutefois, la majeure partie du récit raconte la chaîne d’évènement qui suivra l’attentat: La reconstitution du visage, de longues chirurgies, les greffes, les accessoires et le support médical, les épisodes d’espoir qui alternent avec les épisodes de découragement… une longue réhabilitation qui pousse à se demander si survivre confine au malheur, mais ce serait, je crois, mal connaître la bravoure de Philippe Lançon.

J’ai été subjugué par la forte intensité du récit, la pureté de l’écriture et la sincérité qui s’en dégage. Pas d’artifice, de passages spectaculaires. Je n’ai pas senti non plus de haine, de violence, de désir de vengeance. LE LAMBEAU est un livre de paix écrit par un homme de paix…l’histoire d’une reconstruction racontée en toute simplicité quitte à faire appel à l’occasion à la crudité.

J’ai apprécié l’écoute aussi, malgré la voix un peu blanche et sensiblement dépourvue d’émotion du narrateur. Mais peut-être est-ce voulu ainsi, Denys Podalydès ayant bien saisi l’esprit de l’auteur qui s’est bien gardé d’imprégner le récit de misérabilisme et de sensationnalisme.

Je me suis senti un grand respect pour Lançon. J’ai souffert pour lui, ressenti de l’empathie. Je m’en suis fait un petit frère. C’est un livre qui ébranle, qui brasse les émotions et qui surprend, entre autres par ses étroits liens avec la culture: le théâtre, la littérature et même le septième art.

Outre les références à Houellebeck, on sent l’influence de Beaudelaire, de Shakespeare avec LA NUIT DES ROIS, d’Arthur C Clarke et même de Stanley Kubrick qui a adapté à l’écran L’ODYSSÉE DE L’ESPACE 2001. Cet aspect du récit n’était certainement pas pour me déplaire. Le livre m’a aussi rappelé le dévouement et l’abnégation du personnel hospitalier qui regroupe avant tout des êtres humains, sujets à l’erreur.

Je pourrais en parler longtemps. Je dirai enfin que LE LAMBEAU est un livre magistral, profondément humain, un accroche-cœur que je n’oublierai jamais. Une de mes meilleures *lecture audio* à vie.

Suggestion de lecture : LE LIVREUR, de Marie-Sophie Kesteman

Philippe Lançon est un journaliste et romancier français né en 1963 à Vanves. il est journaliste au quotidien Libération, chroniqueur et critique littéraire, avec une passion particulière pour la littérature latino-américaine. Il a longtemps tenu la chronique Après coup consacrée à la télévision, et a participé au lancement des pages Portrait. 

Il est également chroniqueur pour l’hebdomadaire Charlie Hebdo et à partir de fin 2014 devient un membre de la tribune « théâtre » du Masque et la Plume sur France Inter.
Le 7 janvier 2015, sa vie bascule…

Bonne écoute
Claude Lambert
janvier 2020

 

LETTRES DE MON MOULIN d’ALPHONSE DAUDET, recueil

C’est la troisième messe qui commence. Il n’y a plus que quelques pas à faire pour arriver à la salle à manger ; mais, hélas ! À mesure que le réveillon approche, l’infortuné Balaguère se sent pris d’une folie d’impatience et de gourmandise. Sa vision s’accentue, les carpes dorées, les dindes rôties sont là, là… Il les touche… il les… Oh ! Dieu !… Les plats fument, les vins embaument… (Extrait : LES TROIS MESSES BASSES, publié d’abord dans LES CONTES DU LUNDI en 1875, puis inclus dans LES LETTRES DE MON MOULIN en 1878, conte de Noël sous le thème de la gourmandise, réédition, 1986, Hachette)

LES LETTRES DE MON MOULIN s’ouvrent sur les images d’une province française pittoresque au charme légendaire. Sans égard à la chronologie ou à quel qu’ordre que ce soit, Alphonse Daudet développe dans ses lettres des thèmes sans âge, mais chers à sa Provence : la valeur de la liberté, les joies et les peines de l’amour, la dignité, la paix, la famille…

Quant aux formes littéraires qu’on retrouve dans les lettres, je dirais qu’elles sont disparates : lettres, récits, légendes,  nouvelles et bien sûr le conte. Les lettres de Daudet sont un mélange de réalisme et d’imagination.

Bien sûr, comme bien des *boomers*, j’ai fait connaissance avec LES LETTRES DE MON MOULIN à l’école. LA CHÈVRE DE MONSIEUR SÉGIN était une des lettres de prédilection ainsi que LA MULE DU PAPE et quelques autres. Comme les autres lettres m’intriguaient, j’ai lu l’ensemble de l’œuvre.

D’abord, je précise que ces lettres n’ont pas de liens entre elles et avant d’être rassemblées dans un recueil, elles avaient déjà été publiées dans des journaux de l’époque. Sans le considérer comme un chef d’œuvre, je dirais que c’est un bon recueil, rafraîchissant et qui se lit bien. Si vous en entreprenez la lecture, vous dégagerez sûrement des textes qui vous plaisent beaucoup, d’autres moins, certains pas du tout. Ce qui a été mon cas.

J’ai définitivement un faible pour LA CHÈVRE DE MONSIEUR SÉGUIN (qui me rappelle tellement de beaux souvenirs), LA MULE DU PAPE et LE SECRET DE MAÎTRE CORNILLE qui m’avait beaucoup ému.

LES LETTRES DE MON MOULIN demeure un très beau classique de la littérature française…un véhicule de sagesse et d’émerveillement avec, toujours comme toile de fond, les paysages bucoliques de la Provence. Pour prendre un exemple précis, j’ai choisi de vous parler de LA MULE DU PAPE.

Le jeune Tistet Védène, fils du sculpteur d’or, entre dans la maîtrise du pape. Il est chargé de s’occuper de la mule de ce dernier mais il la maltraite. L’animal lui en veut et rumine sa vengeance. Tistet est ensuite envoyé auprès de la reine Jeanne à Naples en tant que diplomate. La mule doit donc remettre à plus tard son châtiment. Après sept ans, Tistet revient pour être moutardier du pape. Lors de la cérémonie, la mule trouve enfin le moment pour exercer sa vengeance en décochant à son ancien bourreau un coup de sabot mortel. Le récit est illustré avec les tableaux de Vittore Carpaccio.

Peintre italien né à Venise autour de 1460 et mort approximativement vers 1525. Si l’on admet l’hypothèse de T. Pignatti (1958) concernant sa naissance, Vittore, fils de Piero Scarpazza, marchand de peaux, préféra changer son nom en celui de Carpaccio. Carpaccio détient une place éminente et originale dans l’histoire de la peinture vénitienne du XVe siècle. 

LES ODEURS DE LA PROVENCE
*Une fois au service du pape, le drôle continua
le jeu qui lui avait si bien réussi. Insolent avec
tout le monde, il n’avait d’attentions ni de
prévenances que pour la mule…*
(Extrait : LA MULE DU PAPE)

Il est difficile de déterminer la forme littéraire de LA MULE DU PAPE mais comme il s’agit d’un récit ayant une légère connotation fantastique tout en jetant un regard sur le réel, je dirai que c’est un conte. C’est un récit original avec un petit quelque chose de comique : un Pape témoignant une affection presque démesurée pour sa monture, une mule. Le récit vient nous rappeler qu’il n’y a pas que les éléphants qui ont de la mémoire.

Un petit conte drôle et sympathique, agrémenté pour cette édition de tableaux thématiques de l’artiste-peintre Vittore Carpaccio. L’histoire se situe au XIVe siècle, au temps où les papes habitaient en Avignon…*fifres et tambourins se postaient sur le pont d’Avignon, au vent frais du Rhône et jour et nuit l’on y dansait, l’on y dansait…* (Extrait : LA MULE DU PAPE)

Alphonse Daudet (1840-1897) est un écrivain et auteur dramatique français. Il est né à Nîmes et a passé toute son enfance en Provence avant de s’installer à Paris pour se lancer dans sa carrière littéraire. Sa Provence bien-aimée l’inspirera pour de nombreux récits sur la campagne provençale et ses légendes, ainsi que les personnages qui ont fait son histoire.

Ses premiers romans (LES AMOUREUSES 1859, LES LETTRES DE MON MOULIN 1865) ont connu un succès tel qu’il peut vivre de sa plume tout en travaillant pour des journaux. Daudet a bien publié des romans comme LE NABAB (1877), LES ROIS EN EXIL (1879) et L’IMMORTEL (1888)

Mais ce sont surtout ses nouvelles et ses contes qui l’ont rendu célèbre dans le monde entier, en particulier LES CONTES DU LUNDI et LES LETTRES DE MON MOULIN. Dans ce dernier recueil on trouve une des histoires les plus populaires de la littérature : LA CHÈVRE DE MONSIEUR SÉGUIN.

J’ai eu beaucoup de plaisir à renouer avec les LETTRES DE MON MOULIN. Je vous invite à les découvrir ou les redécouvrir. Pour parcourir les titres du recueil, cliquez ici.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
LE DIMANCHE 28 JANVIER 2018

LA MALÉDICTION DE LA MÉDUSE, ERIK EMPTAZ

*Je ne supporte plus mon cadre qui suinte
le moisi, toute cette flotte qui nous entoure
depuis trop de jours, tous ces gens qui se
pressent, se bousculent, se guettent,
s’ignorent, s’invectivent et ne pensent,
comme moi et les nombreux rats du bord,
qu’à sauver au plus tôt leur peau de ce
foutu bateau.*
(Extrait : LA MALÉDICTION DE LA MÉDUSE,
roman d’Erik Emtaz, Éditions Grasset et
Fasquelle, 2005, numérique, 205 pages )

Le 2 juillet 1816, LA MÉDUSE, une frégate commandée par un vieil officier incompétent et alcoolique, échoue au large de la Mauritanie. Ne pouvant prendre place dans les embarcations du bord, cent cinquante hommes construisent un radeau de fortune et s’y entassent, après avoir été remorqués quelques milles ils sont abandonnés en pleine mer. Les naufragés périssent les uns après  les autres. Après quelques semaines, ils ne seront plus que 15. Affaiblis, affamés, plongés dans le désespoir, les malheureux, accrochés à la vie, se décideront à manger un des cadavres. Cette histoire est basée sur une réalité historique qui fût un des plus grands scandales politiques du 19e siècle.

FAIT  HISTORIQUE :

La Méduse est une frégate française devenue célèbre par son naufrage survenu le 2 juillet 1816 au large des côtes de la Mauritanie. Ce naufrage, à l’origine de la mort de 160 personnes, dont 147 abandonnées sur un radeau de fortune, est évoqué par le célèbre tableau de Théodore Géricault : LE RADEAU DE LA MÉDUSE. (1819)

(source et image : WIKIPÉDIA)

INDESCRIPTIBLE BASSESSE
*Qu’avons-nous fait d’autre que nous lamenter
sur nous-mêmes, nous menacer, nous voler, nous
battre, nous entretuer et vouloir avant tout sauver
notre peau tout en sachant combien, dans notre
situation, il était vain de le faire? Notre espérance
de vie…est aussi limitée que l’espace exigu dans
lequel nous sommes confinés*
(Extrait : LA MALÉDICTION DE LA MÉDUSE)

C’est un récit très dur qui raconte une réalité historique dont il n’y a pas de quoi être fier : Le naufrage de la frégate française LA MÉDUSE et l’abandon en mer de près de 150 hommes laissés à eux-mêmes sur un radeau précaire, mal conçu, mal bâti et beaucoup trop petit pour tenir en vie autant de monde.

La plume d’emptaz est puissante, mettant en perspective l’incompétence crasse des politiciens et officiers de marine de l’époque. Même si le livre prend davantage la forme d’un roman d’aventure plutôt qu’un récit historique, l’ouvrage est bien documenté et est basé sur une étude sérieuse du drame cruel qui s’abattu à l’époque sur le fleuron de la marine française et sur le radeau de fortune qui a emporté tant de vies.

Cette étude de la tragédie, l’enquête faite à l’époque assortie de reconstitutions et d’investigations approfondies rendent le récit crédible. Heureusement, l’auteur s’est abstenu des longueurs et des artifices dont on peut s’attendre habituellement dans ce genre de récit. Il lui a tout de même fallu rapporter des faits qui évoquent l’horreur, la cruauté, la violence, allant jusqu’à l’indescriptible bassesse humaine : l’anthropophagie.

J’ai ressenti une forte émotion entre autres parce que le récit évoque le peintre Théodore Géricault qui était un contemporain du narrateur de l’histoire Jean-Baptiste Savigny. Dans sa célèbre toile, Géricault a mis de côté violence, cannibalisme et actes de cruauté pour s’attarder à l’expression de la douleur, la souffrance intérieure, la peur et la privation sans compter la promiscuité.

*Il est vrai que la critique officielle a déjà daubé sur l’obscurité de la toile après l’avoir découverte au théâtre Italien. Chacun s’attendait à des scènes de rixe et d’anthropophagie, or tout est dans les yeux des naufragés qui disent ce que nous avons enduré, ce que nous avons fait et notre espoir insensé. Mais pour s’en rendre compte, il faut prendre le temps d’observer. (Extrait : LA MALÉDICTION DE LA MÉDUSE.) C’est presqu’un miracle que cette toile n’ait pas été censurée à l’époque.

Le récit prend rapidement le lecteur dans sa toile car, avec une expression littéraire vigoureuse, il n’est pas sans nous faire réfléchir sur l’instabilité et la fragilité de la nature humaine lorsque celle-ci est confrontée à la terreur et qu’elle est confrontée aux bas-fonds du désespoir. Le récit m’a captivé jusqu’à développer l’impression par moment que j’étais moi-même sur le radeau.

Je vous invite donc à une véritable exploration de l’âme humaine avec LA MALÉDICTION DE LA MÉDUSE, un récit fascinant, celui d’une tragédie issue de la lâcheté et l’incompétence qui livre aux affres du désespoir 147 êtres humains sur le radeau de la honte…

La méduse est un navire militaire français de type frégate construit au début des années 1800. Il a été lancé le premier juillet 1810, s’est échoué et a fait naufrage le 2 juillet 1816. Cette frégate avait 47 mètres de long, 12 mètres de large avec une coque renforcée par des plaques de cuivre. Le navire de 1433 tonneaux était équipé d’une quarantaine de canons. L’orgueil de la marine française…victime de l’incompétence et de la crasse politique et monarchique…

Érik Emptaz est un journaliste français intimement lié au célèbre hebdomadaire satirique français LE CANARD ENCHAÎNÉ, journal d’investigations qui a mis au jour de nombreux scandales et où il est entré en 1978 comme responsable du trimestriel LES DOSSIERS DU CANARD avant de devenir éditorialiste et rédacteur en chef en 1990. Parallèlement, il écrit quelques livres à saveur politique ou dramatique en commençant par LA MALÉDICTION DE LA MÉDUSE en 2005.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
le dimanche 26 novembre 2017 

BASTIEN, GAMIN DE PARIS, de BERTRAND SOLET

*…la viande rationnée à cinquante grammes par jour, bientôt introuvable…on mange du chien maintenant, il vaut cher : quatre à cinq francs la livre. Le rat est à deux ou trois francs pièce et encore on n’en trouve plus. Le chat est un mets de riche. Dans les restaurants, il est appelé «agneau». Personne n’est dupe…*

(Extrait : BASTIEN, GAMIN DE PARIS, Bertrand Solet, Nouveau Monde éditions,  2009, 145 pages, édition numérique.)

Récit d’un adolescent de 14 ans, Sébastien Blanchard dit Bastien né dans le Faubourg Saint-Antoine près de la Bastille à Paris. Son récit est consigné dans un journal qui débute en 1870 et dans lequel il décrit ses aventures et les épreuves qu’il a dû subir pendant la guerre franco-prussienne de 1870, marquée par la domination militaire de la Prusse et de ses alliés sur Paris. Il décrit aussi la misère engendrée par la Commune de Paris, une période insurrectionnelle qui dura un peu plus de deux mois. Enfin, Bastien parle de sa participation à une enquête policière sur les agissements d’un espion allemand. Bref…une adolescence agitée.  

Un ado en eaux troubles
*Tout à coup, d’énormes détonations m’ont
déchiré les tympans; les pavés se sont
soulevés juste devant moi…nous avons
riposté; l’air sentait la poudre, on ne
s’entendait plus; des gardes tout autour
tombaient à terre. J’étais plein de
fièvre…*
(Extrait : BASTIEN, GAMIN DE PARIS)

BASTIEN, GAMIN DE PARIS est un court roman historique écrit pour les jeunes et auquel se greffe une petite intrigue policière. Je ne dirais pas que c’est un récit génial mais il m’a accroché à quelques égards.

Je crois qu’il devrait plaire aux jeunes parce que Solet met en scène un ado de 14 ans qui fait face beaucoup trop vite aux soubresauts de la vie et à la bêtise des hommes…je fais référence ici aux nombreuses guerres, révolutions, rébellions et insurrections qui ont marqué l’histoire de la France.

Dans son récit, Bastien consigne dans son journal les souffrances qu’il a endurées pendant la guerre franco-prussienne de 1870 et plus particulièrement pendant la mort lente et douloureuse des communes, spécialement celle de Paris.

Ça devrait intéresser les jeunes lecteurs parce que, entre autres raisons, le jeune personnage principal est crédible. Solet n’en a pas fait un héros infaillible qui sait tout et qui a tout vu. Au contraire, Bastien est sensible, il a du courage mais il fait des erreurs.

La chance n’est pas toujours avec lui, mais il est inventif, il a de l’imagination. Il est facile de s’identifier à lui. En fait le jeune lecteur va s’inquiéter pour lui et même souffrir pour lui.

Le récit développe une chaîne d’évènements, avérés sur le plan historique, qui viennent basculer une adolescence jusque-là paisible. Ce n’est pas sans faire réfléchir sur la situation intenable des enfants de partout dans le monde qui sont souvent les premières victimes des guerres et des insurrections, sans parler des enfants-soldats, un rôle pénible que joue Bastien pendant un temps.

C’est un petit livre agréable à lire. Le fil conducteur tient dans l’intrigue policière. L’ensemble est crédible sur le plan historique malgré une faiblesse dans les détails contextuels, ce qui ne devrait pas trop déranger le jeune lectorat. L’idée du journal comme réceptacle du récit est intéressante et bien exploitée…

*Tout à l’heure je fouillais le grenier, cherchant je ne sais plus quoi. Je suis tombé sur ce cahier aux feuilles jaunies…je l’ai relu, souriant de mes naïvetés enfantines, mais le cœur serré par certains souvenirs brusquement resurgis de très loin. Je me souviens…je ferme les yeux et je me souviens.* (Extrait : BASTIEN, GAMIN DE PARIS)

Les jeunes et même les adultes devaient se laisser tenter. Ce livre est une valeur sûre pour les 9-14 ans.

Suggestion de lecture : JE M’ENNUIE, de Micheline Cumant

Bertrand Solet, de son vrai nom Bertrand Soletchnik est un auteur français né à Paris en 1933. Il est issu d’une famille d’émigrés russes. C’est pendant un épisode douloureux où il fut atteint de poliomyélite qu’il développa une passion pour la lecture et l’écriture. Comme il adorait l’histoire, il s’est spécialisé dans la littérature historique pour la jeunesse. Pour plusieurs, son œuvre majeure est IL ÉTAIT UN CAPITAINE, devenu un classique, plusieurs fois réédité et qui aborde de façon remarquable L’AFFAIRE DREYFUS à l’intention des jeunes. Son œuvre a été récompensé de plusieurs prix prestigieux.

BONNE LECTURE
JAILU/CLAUDE LAMBERT
le 2 avril 2017

MATRICULE 728, servir et se faire salir

Commentaire sur le livre de
BERNARD TÉTRAULT
et STÉFANIE TRUDEAU

*Tout a changé le soir du 20 mai 2012 quand, intervenant
dans une des émeutes de la grève étudiante, je me suis
retrouvée à la une de tous les journaux, à la radio, à la
télévision et sur les réseaux sociaux, décriée comme «une
folle qui a pété sa coche»…*
(Extrait : MATRICULE 728, servir et se faire salir, Bernard
Tétrault et Stéphanie Trudeau, Éditions Ada, 2015, 304 pages)

Lors des manifestations étudiantes du printemps 2012, à Montréal,  Stéfanie Trudeau, connue comme matricule 728 du SPVM, est filmée aspergeant de gaz poivre des manifestants. Le 2 octobre 2012, elle tente d’arrêter un homme qui buvait une bière sur la voie publique près d’une résidence d’artistes. L’évènement est filmé par une passante avec son téléphone portable.

Trudeau  applique une prise d’étouffement sur l’homme qu’elle voulait arrêter ; quand finalement elle lâche prise, elle fait un rapport verbal de l’incident, rapport enregistré sur un téléphone portable saisi et dont la fonction enregistrement avait été accidentellement déclenchée ; son langage est parsemé de jurons et d’insultes à l’endroit des occupants de la résidence. Avec Internet, les vidéos font le tour du monde.

Suite à ces évènements et à certains antécédents relatifs aux agissements de Stéfanie Trudeau, personne ne prendra sa défense, ni les autorités policières du SPVM, encore moins la presse.

En 2015, donc trois ans plus tard, bien que la poussière ne soit pas encore retombée sur ces évènements sur les plans judiciaires et médiatiques, Stéfanie Trudeau, vivant l’ensemble de cette situation comme une descente aux enfers, décide de publier un livre pour s’expliquer en entraînant le lecteur sur le terrain des évènements.

Photo d’une manifestation étudiante captée à Montréal lors du *printemps érable*, la grève étudiante la plus longue et la plus imposante de l’histoire du Canada, déclenchée en réponse à l’augmentation projetée des droits de scolarité universitaire dans le budget du Québec 2012-2013 du gouvernement libéral de Jean Charest.

Un long justificatif
*J’avais agi, dans l’imaginaire des gens, sous le
coup de la frustration, de la colère et de
l’impatience, alors que j’avais fait exactement
ce qu’on attendait de moi et ce pourquoi
j’étais payée.*
(Extrait : MATRICULE 728)

Voici un livre qui tente de s’ajuster à une actualité brûlante. En effet, au moment d’écrire mon commentaire sur le livre, Stéfanie Trudeau est devant la justice dans cette affaire qui traîne en longueur. Il est très difficile d’écrire un commentaire sur ce livre sans l’imprégner d’une pensée éditoriale.

J’essaie de me limiter au commentaire sur le livre, mais je ne peux éviter de parler du volume sans parler de la personne car le livre, Matricule 728, Stéfanie Trudeau et les évènements pour lesquels elle a été sévèrement blâmée sont intimement liés.

Le livre comporte une petite partie biographique au début. Le reste est une longue justification des attitudes et comportements de Stéfanie Trudeau pendant la crise basée sur une discrimination relative à des aspects bien précis de sa personnalité :

*Comme mon image était déjà perçue comme très négative à cause de mon allure, mon caractère, ma stature, mon orientation sexuelle, mes sentiments exprimés sous le coup de l’émotion, ma masculinité et mon look androgyne, ils n’avaient pas eu beaucoup de difficulté à me faire un procès d’intention et à fausser la perception de la population à mon endroit en refusant systématiquement de rectifier les faits en laissant croire que j’étais fautive durant cette intervention.* (Extrait)

C’est là toute la faiblesse du livre : Stéfanie Trudeau n’admet à peu près aucun tort. C’est la faute à tout le monde mais pas la sienne. Le récit prend même, par moment, l’allure d’un réquisitoire contre les autorités policières, les politiciens, la Presse et les réseaux sociaux. Elle n’a pas tout faux. Comme elle le dit elle-même, tous les services de police et tous les systèmes politiques ont leurs côtés occultes et ça j’y crois.

Mais malheureusement, j’ai vu moi aussi les vidéos et nonobstant le contexte et l’urgence du moment, je n’ai pas aimé ce que j’ai vu. Je pense qu’il faut être naïf pour croire que la Presse et les réseaux sociaux n’utiliseront pas ces images pour les monter en épingle.

Je crois qu’ici les torts devraient se partager. Les propos publiés par Stéfanie Trudeau dans son livre m’amènent à la certitude que la Presse et les médias sociaux s’attardent rarement à un travail bien fait de part et d’autre. Y a-t-il eu bavure policière? Est-ce que, par des écarts de gestes et de propos, Stéfanie Trudeau a simplement été victime de sa trempe et de son caractère?  À vous de juger. Moi je crois que de part et d’autre le travail a été bâclé.

Quant au livre comme tel, je ne sais pas si c’est parce que Stéfanie Trudeau se disculpe avec l’énergie du désespoir et qu’elle semble fortement miser sur les sentiments du lecteur en parlant par exemple de sa famille, mais je l’ai trouvé ennuyeux avec ses nombreuses répétitions et son  caractère à sens unique.

Je l’ai lu plus par curiosité que par la conviction que j’allais tomber sur un chef d’œuvre de haute qualité littéraire. Ne développant qu’un seul côté de la médaille, la crédibilité qu’on peut accorder à un tel volume est finalement une question de foi.

Je ne crois pas que ce livre passera à l’histoire.

Suggestion de lecture : LA MORT EST MON MÉTIER, de Robert Merle

Stéfanie Trudeau est née à Brossard en 1972. Cadette de la famille Trudeau, son père était policier. Dans sa biographie, elle avoue avoir connu une jeunesse difficile parce qu’elle était différente des filles de son âge se disant entre autres plutôt masculine. Après son passage à l’école secondaire, elle fait ses études collégiales au Cégep Maisonneuve, puis entre à l’école nationale de police du Québec à Nicolet.

Elle est assermentée comme policière à l’été 1994 et accepte une fonction au poste 33 du SPVM. Au printemps 2012, la crise étudiante baptisée PRINTEMPS ÉRABLE bat son plein. Pendant une émeute, elle pose des gestes considérés par ses pairs, les autorités, la presse et le public comme une bavure policière.

Avec des images et des propos peu flatteurs qui font le *cybertour* du monde, La vie de Stéfanie Trudeau bascule et elle décide de s’expliquer en publiant en 2015 MATRICULE 728 SERVIR ET SE FAIRE SALIR MON HISTOIRE.

Bernard Tétrault est un journaliste spécialisé dans les affaires criminelles et judiciaires depuis 1964. Il a été le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Allô Police. Il est aussi le coauteur de Claude Poirier – 10-4, de Claude Poirier – Sur la corde raide et a signé, avec Michael Lechasseur, Confidences d’un agent double – En mission à 14 ans.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
DÉCEMBRE 2015