LE VILLAGE, livre de Virginie Delage

*Finalement, je ne sais pas ce qui a déclenché tout ça.
 Son regard à lui. Ses yeux, à elle. Ou le gosse ?
Le gosse me demandant : “Tu viens nous aider ?” 
J’ai la rage, soudain. Tout ça, c’est à cause de lui.
Uniquement à cause de lui. Voilà pourquoi je
m’apprête à faire un truc que je n’aurais jamais pensé
faire, moi qui ne suis pas un violent. Dans quelques
minutes, je vais tuer cet homme. * 
(Extrait : LE VILLAGE,
Virginie Delage, pour la présente, édition numérique, Michel
Lafon éditeur, 2020, 1,7 Mo, 237 pages. Collection Thriller)

Les villages de l’adolescence sont parfois dangereux quand on les revisite vers la quarantaine et qu’on se confronte à ses rêves de jeunesse. Car l’adolescence est une période magique où l’on croit volontiers à l’amour éternel, aux amitiés d’airain, à son talent, au destin que l’on s’est choisi. Pour finir, quelquefois, par tout renier et se trahir soi-même. Ce livre nous permet d’emprunter le regard de plusieurs personnages ayant tous un lien avec un village qui génère des souvenirs bons ou douloureux. C’est un roman à deux voix : Oscar, qui raconte son ascension sociale, puis un anonyme qui plonge dans ses souvenirs en se promenant dans le village.

Un passé attractif
*Il y a des souvenirs si forts, si intenses,
qu’il vaut mieux les tenir à l’écart. *
 
(Extrait)

LE VILLAGE est un drame psychologique qui met en scène des personnages ayant un point en commun : ils sont issus d’un village où des évènements précis ont touché et modelé de toutes sortes de façon leur enfance et leur adolescence, façonnant ainsi un avenir qui ne s’annonce pas nécessairement rose. Les deux principaux personnages ont aussi un point en commun : leur ambition.

Dans ce livre, deux narrations alternent. D’abord, nous suivons l’évolution professionnelle d’Oscar Aury dont la vie jongle entre l’amour et l’ambition. Oscar parle de sa vie, de ses amis, de son amour et surtout des évènements qui vont le conduire vers son tragique destin sans oublier la façon dont il influencera le destin des autres, par exemple celui de François Bonnamy qui dirige, pour le compte d’une Société dont fait partie Oscar comme cadre, une prestigieuse entreprise de production de vêtements pour enfants : la marque Bonenfant.

Le deuxième narrateur n’a pas de nom. Il parle lui aussi de son quotidien au village pendant sa jeunesse et nous fait rencontrer les riches familles de la région.

Que deux destins en apparence banals convergent, sur le plan littéraire, c’est très courant et très acceptable, mais j’ai de la difficulté avec les récits à plusieurs voix quand l’auteur s’étend trop longtemps et farcie son récit d’une quantité de détails telle que l’intérêt du lecteur et de la lectrice est dilué. Sur le plan de l’écriture, le récit à deux voix est un beau défi. Ça peut même devenir emballant avec des personnages bien travaillés et une intrigue solide.

Je n’ai pas pu m’attacher aux personnages qui sont insuffisamment définis et j’ai trouvé l’intrigue en errance avec un peu de confusion jusqu’au dernier quart du livre où les états d’âmes d’Oscar nous font un peu appréhender la finale. J’ai trouvé que, pour un roman aussi court, il y avait beaucoup de longueurs. Malgré tout, j’ai trouvé l’écriture belle, la plume élégante. Malheureusement, les personnages manquent de chaleur et ont été, à mon avis, insuffisamment travaillés.

Je ne regrette absolument pas d’avoir lu LE VILLAGE car c’est le premier roman de Virginie Delage et j’ai ressenti dans la lecture de son livre les indices d’un futur prometteur. Et peut-être quelque chose m’a-t-il échappé ! Le livre n’a-t-il pas gagné un prix? Je le considère comme un encouragement pour l’auteure qui, pour jouer sur la convergence devra ajouter à son écriture de l’émotion et des éléments qui pousseront les lecteurs et lectrices à l’empathie vis-à-vis ses personnages.

Je considère ce dernier élément extrêmement important car à quoi s’accroche le lecteur dès le départ sinon à un personnage. J’admets que le début du récit est accrocheur et en parfaite cohérence avec la finale et que le roman a sûrement d’autres belles qualités. Ici, je me suis spontanément limité à mon ressenti.

Suggestion de lecture : L’APPEL DU COUCOU, de Robert Galbraith


Virginie Delage, lauréate du PRIX LITTÉRAIRE AU FÉMININ

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 13 avril 2024

LA BÊTE CREUSE, de Christophe Bernard

*-Depuis le temps que tu la fourres, va ben falloir que tu la
marisses ! Ça avait été l’anarchie. La réplique désormais
proverbiale avait scié carré les jambes du candidat député. *
(Extrait : LA BÊTE CREUSE, Christophe Bernard, le Quartanbier
éditeur, collection Polygraphe, 2017, édition de papier, 720 pages)

Gaspésie, 1911. Le village de La Frayère a un nouveau facteur, Victor Bradley, de Paspébiac, rouquin vantard aux yeux vairons. Son arrivée rappelle à un joueur de tours du nom de Monti Bouge la promesse de vengeance qu’il s’était faite enfant, couché en étoile sur la glace, une rondelle coincée dans la gueule. Entre eux se déclare alors une guerre de ruses et de mauvais coups, qui se poursuivra leur vie durant et par-delà la mort.

Mais auparavant elle entraîne Monti loin de chez lui, dans un Klondike égaré d’où il revient cousu d’or et transformé. Et avec plus d’ennemis. Il aura plumé des Américains lors d’une partie de poker défiant les lois de la probabilité comme celles de la nature elle-même : une bête chatoyante a jailli des cartes et le précède désormais où qu’il aille. Sous son influence Monti s’attelle au développement de son village et laisse libre cours à ses excès – ambition, excentricités, alcool –, dont sa descendance essuiera les contrecoups.

Près d’un siècle plus tard, son petit-fils François, historien obsessionnel et traqué, déjà au bout du rouleau à trente ans, est convaincu que l’alcoolisme héréditaire qui pèse sur les Bouge a pour origine une malédiction.

Il entend le prouver et s’en affranchir du même coup. Une nuit il s’arrache à son exil montréalais et retourne, sous une tempête homérique, dans sa Gaspésie natale, restée pour lui fabuleuse. Mais une réalité plus sombre l’attend à La Frayère : une chasse fantastique s’est mise en branle – à croire que s’accomplira l’ultime fantasme de Monti de capturer sa bête.

Truculente Gaspésie
*Les chasseurs ont pressé le pas quand Steeve
s’est mis à hurler sans plus aucun contrôle. Il
avait voulu lancer le plus loin possible qu’il
pouvait la tête à celui qu’il avait tyrannisé toute
son adolescence, mais un bout de face venait
de lui rester dans les mains. *
(Extrait)

J’ai trouvé ce livre vraiment bizarre. On peut en tirer une certaine satisfaction dans la mesure où on peut comprendre où l’auteur veut nous amener. À la base, on se retrouve en Gaspésie en 1911. Une guerre de tours pendables et de couteaux bas est déclarée entre Victor Bradley et Monti Bouge pour des raisons qui vous appartient de découvrir dans le développement du récit, si on peut appeler ça un développement.

Le reste est une suite sans logique évidente de récits qui s’imbriquent et qui prennent toutes sortes de directions. Pas de fil conducteur, rien sur quoi s’accrocher à part peut-être une malédiction qui s’étend sur tout le récit et qui est en lien avec le titre du livre qui, lui, symbolise une maladie sociale bien connue.

C’est un aspect qui aurait pu être intéressant si j’étais arrivé à comprendre les motivations des personnages qui sont, je dois dire, pas tellement travaillés sur le plan psychologique. Si vous cherchez une histoire ficelée, vous risquez de trouver ce long pavé de 717 pages très déprimant.

Pourtant, j’ai lu ce bouquin jusqu’au bout et il m’a amusé. Je l’ai trouvé drôle. J’ai compris que cette histoire constituait pour l’auteur un prétexte pour déployer la langue chaude et expressive de la Gaspésie du XXe siècle : vieilles expressions, archaïsmes, régionalisme, jargon québécois en général et gaspésien en particulier et surtout pour exprimer sur le plan littéraire la mentalité gaspésienne.

C’est bizarre à dire. Les personnages ne me disent rien mais j’ai été stimulé par leur langage, leurs expressions et des tournures de phrases qui m’ont arraché sourires et rires…*Les quatre pattes du lapin avaient continué de courir par la prairie et les gués, sauf qu’il y avait plus de lapin dessus. * (Extrait) Il faut donner à l’auteur ce qui lui revient, sa plume est détaillée et très descriptive. C’est le moins qu’on puisse dire :

*L’accouchement de François avait été, comment on dirait ça, plutôt salissant…Liette avait eu, à travers ses cris de mort, l’impression de donner naissance à quelque chose comme une table à pique-nique. * (Extrait) Ces tournures de phrases, expressions et dialogues gommés pullulent dans le récit : *-Ami secourable promettre indien bouteille de fort et toutoune chaude si toé rien que dire une tite phrase…* (Extrait)

Voilà ce qui m’a plu dans ce livre, le caractère chaud et vivant de la langue, expressive même au-delà de toute expression. En fait, si vous voulez tirer quelque chose de satisfaisant dans ce livre, il faut le prendre pour ce qu’il est : ce n’est pas une histoire, c’est une chronique. Hors-norme, c’est vrai, mais bourrée d’humour. C’est fou c’est délirant. Dans ce livre, il ne se passe rien mais tout peut arriver. Je me suis senti balloté.

C’était pas désagréable. C’est un livre sans langage. Il n’y a que de la parlure. Je pense que c’est un ajout très intéressant dans la littérature québécoise. Je n’ai pas vu dans l’œuvre de Bernard, matière à prix littéraire. Elle a tout de même décroché le prix des libraires en 1918. Je vous recommande LA BÊTE CREUSE mais ne cherchez pas à vous dépêtrer dans l’histoire qu’elle raconte. Faites comme moi. Savourez la langue.

Suggestion de lecture : LES CHRONIQUES DE HALLOW, t1, LE BALLET DES OMBRES, de Marika Gallman

Christophe Bernard est né en 1982 au Québec, en Gaspésie, et vit à Burlington, dans le Vermont. Il est traducteur de l’anglais (Yann Martel, Jacob Wren, bp Nichol, Sheila Watson, Tony Burgess…). La bête creuse, son premier roman, paru au Quartanier en 2017, a remporté le Prix des libraires du Québec 2018.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 12 août 2023