Docteure Irma, Pauline Gill

*<Vous êtes là pour me rappeler à l’ordre, mes petits chéris. C’est à vous sauver que j’ai dédié ma vie, pas à la reconnaissance des humains. Y a une chose que je vous promets aujourd’hui : je ne souscrirai jamais à un règlement qui vous priverait de vos droits aux meilleurs soins. Pauvres ou riches, miséreux ou choyés, vous y avez tous droit. Parole d’Irma. >*

Extrait : DOCTEURE IRMA, tome 1, LA LOUVE BLANCHE, de Pauline Gill. Format papier, Québec Amérique, 2009, 536 pages.

Née à Québec en 1878 dans le quartier Saint-Roch, la petite Irma LeVasseur est marquée par plusieurs évènements tragiques : La mort de son jeune frère et la disparition de sa mère Phédora Venner, une cantatrice de talent. Bouleversée, elle se lance alors dans une cause inaccessible aux femmes de l’époque : devenir médecin pour enfants.

Durant ses études à l’étranger, elle apprendra à devenir cette femme de tête au grand cœur qui donna sa vie aux enfants malades sans jamais reculer devant les obstacles. Première femme médecin canadienne-française et fondatrice de l’hôpital Sainte-Justine, le destin singulier d’Irma LeVasseur illustre toute l’ampleur portée par la détermination.

 

Vers Sainte-Justine

*L’esprit d’Irma bourdonne des mille choses à faire mais, dans son cœur, qu’une pulsion. Irrésistible. Penchée au-dessus du premier patient de L’HÔPITAL DES ENFANTS, la jeune pédiatre s’accorde un moment de pure exaltation. Qui aurait dit que mon meilleur complice dans la réalisation de mon rêve serait un bébé ! * Extrait.

LA LOUVE BLANCHE est le premier tome d’une trilogie dans laquelle Pauline Gill raconte la vie et les combats de la docteure Irma LeVasseur, première femme médecin canadienne-française à exercer cette profession au Québec après avoir été affublée du titre de première femme médecin à ne pas avoir le droit de pratiquer la médecine dans son propre pays.

Ça en dit long sur le combat parfois désespéré et rude de l’héroïne pour se tailler une place dans un monde qui couve une culture essentiellement masculine et machiste. L’ouvrage raconte aussi en détail le rêve de cette femme qu’elle a transformé en réalité au prix de sa santé :

*C’est pour les soigner, les petits enfants, que je veux étudier. Je vais ramasser mes sous et je vais faire bâtir un hôpital rien que pour eux, décrète-t-elle, martelant chaque mot avec une détermination saisissante. * (Extrait)

C’est cette détermination qui a conduit à la création de l’hôpital Sainte-Justine de Montréal, spécialisé en pédiatrie et devenu une autorité mondiale dans le domaine, et la fondation de l’hôpital Enfant Jésus de Québec. Le tout s’est fait non sans l’accumulation de douleurs, de peines, de frustrations et de contradictions, sans compter les nombreux reculs imposés par l’absurdité de la domination masculine.

Je suis un homme et pourtant je n’en reviens tout simplement pas de cette supériorité artificielle qui additionne l’absurde à l’absurde : *D’une part, on ne m’accepte pas comme femme et d’autre part, on ne m’accepte plus comme médecin. Or, je me définis essentiellement comme femme médecin. S’il n’en tenait qu’à ces deux collégialités, je n’aurais donc plus le droit d’exister. * (Extrait)

Cette histoire brasse les émotions, d’autant qu’elle se déroule à une époque (fin du XIXe, début du XXe siècle) où les statistiques sur la mortalité infantiles sont dramatiques, plaçant le Canada dans une bien piètre position à l’échelle mondiale.

Cette biographie d’Irma LeVasseur est romancée. Elle l’est trop à mon goût d’ailleurs parce que trop diluée d’abord dans la recherche obsessionnelle de sa mère, Phédora, qui a quitté la famille cavalièrement pour poursuivre une carrière de cantatrice aux États-Unis.

L’idée de retrouver Phédora ne quitte pas Irma comme elle ne quitte pas le récit d’ailleurs tout comme ses petites liaisons sentimentales superficielles, compliquées et qui n’aboutissent pas et les nombreux regards sur le frère d’irma, Paul-Eugène, qui vit avec une dysfonction comportementale.

Sur le plan romanesque, ce livre ne m’a pas vraiment emballé. Il y a de la redondance, des longueurs et aussi, et là c’est très personnel comme observation, un peu de misérabilisme.

Sur le plan biographique, c’est un livre très fort. La plume de Gill est vraiment venue me chercher en exacerbant des émotions liées aux efforts souvent sabotés d’Irma LeVasseur pour arracher des enfants à la mort : colère, tristesse, déception, rage. Si mes yeux sont devenus parfois plus humides que de raison, c’est que l’autrice a trouvé le ton juste.

Le livre est aussi porteur d’une profonde réflexion sur des cordes sensibles de la Société qui, dirait-on sont en constante redéfinition : La famille, les enfants, l’éducation, la salubrité, et surtout la santé, un domaine très malmené au Québec.

C’est un bon livre, conforme à l’histoire d’Irma LeVasseur et aux réalités québécoises au tournant des XIXe et XXe siècle. Je vais sûrement m’attaquer à la suite un jour. Il parait comme le tome 2 mérite fort bien son titre. Entre temps, je vous recommande LA LOUVE BLANCHE.

Suggestion de lecture : DANSEUR, Colum McCann

La suite


L’autrice Pauline Gill

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 4 octobre 2025

La perle et la coquille

Commentaire sur le livre de
NADIA HASHIMI

*Shekiba grandit avec son père pour seule compagnie, avec ses mots rares, ses yeux pleins de solitude. Elle travailla à ses côtés jour et nuit. Plus elle en faisait, plus il était facile à cet homme d’oublier que son enfant était une fille. Il se mit à la voir comme un fils, se trompant même parfois et l’appelant par le prénom d’un de ses frères. Dans le village, les bavardages allaient bon train. Comment un père et sa fille pouvaient-ils vivre seuls ? *

(Extrait : LA PERLE ET LA COQUILLE, de Nadia Hashimi, Bragelonne éditeur, Hauteville, 2015, format numérique, 1126 pages.)

Kaboul, 2007 : les Talibans font la loi dans les rues. Avec un père toxicomane et sans frère, Rahima et ses sœurs ne peuvent quitter la maison. Leur seul espoir réside dans la tradition des bacha posh, qui permettra à la jeune Rahima de se travestir jusqu’à ce qu’elle soit en âge de se marier. Elle jouit alors d’une liberté qui va la transformer à jamais, comme le fit, un siècle plus tôt, son ancêtre Shekiba. Les destinées de ces deux femmes se font écho, et permettent une exploration captivante de la condition féminine en Afghanistan.

Amour et désamour

C’est un excellent roman mais il m’a ébranlé et m’a fait passer par toutes les émotions dont plusieurs négatives : colère, tristesse, amertume et incompréhension car j’ai lu ce livre avec, derrière moi, ma culture nord-américaine, libérale, émancipée. Une culture jadis dominée par la religion qu’on a fini par séparer de l’état, nous faisant ainsi sortir de l’obscurantisme.

L’histoire se déroule dans l’Afghanistan du début des années 2000. Un pays étouffé par sa religion et dominé par les mâles : <…si elle avait des fils, alors son destin serait scellé. Quand on donnait vie à des garçons, on n’était pas traitée comme du bétail. > extrait

Le contexte de l’histoire a tout pour mettre mal à l’aise. Peut-être pour nous rappeler que malgré l’objet de nos contestations, protestations et manifestations, on est quand même bien en Amérique. En Afghanistan, être une fille est une malédiction et être un garçon est une bénédiction. Idéal pour engendrer un parfait déséquilibre social.

L’Afghanistan est aussi un pays miné et ravagé par la guerre : <Parce que, pour autant que je me souvienne, ces enfants ont vécu sous les feux des roquettes toute leur vie ! Pour l’amour de Dieu, je ne me rappelle même pas un seul jour où ce pays n’a pas été en guerre. > extrait. Difficile de discuter avec Allah ou pire, avec un fondamentaliste islamiste qu’on appelle Taliban.

L’histoire, qui fait des bonds entre le passé et le présent, suit le destin de Rahima, obligée de se travestir en garçon, une tradition courante appelée baccha posh, utile pour faire croire à un père entouré de filles qu’il a au moins un garçon et utile aussi pour surveiller les harems. Parallèlement, on suit l’histoire de Shekiba, qui a connu un parcours semblable un siècle plus tôt.

Cette innommable tradition n’est pas sans créer une pression intolérable sur les filles à moyen et long terme : <Tu es tellement occupée à être un garçon que tu as oublié ce qui peut arriver à une fille. Maintenant, nous devons toutes payer pour tes bêtises égoïstes. > Extrait.

Mais tout n’est pas noir dans ce roman extrêmement actuel, mélange de fiction et de réalité qui dépeint de façon juste la condition féminine en Afghanistan. L’auteure n’a pas manqué d’ajouter un élément qui fait que, pour moi, la lecture de ce livre est devenue marquante, inoubliable. Il s’agit de l’espoir, issu du courage et de l’abnégation de pionnières afghanes.

Bien sûr, les changements seront longs à venir, mais ils viendront. C’est une qualité de l’auteure qui se retrouve dans tous ses livres. Malgré la malveillance et la maltraitance qu’elles subissent de la part d’hommes déjà malheureux, les femmes afghanes sont les remparts de l’amour. Finiront elles par triompher ?

C’est la grande qualité de ce livre : il est un sérieux porteur d’espoir et tout le monde devrait le lire. Particulièrement les hommes. Très belle lecture.


L’auteure Nadia Ashimi

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Claude Lambert