DIEU PARDONNE, MOI PAS, de Claude-Michel Rome

*Le corps tomba du filet dans un bruit de masse
sourde parmi les flots gluants de merlus et de
sardines bondissant en apnée, gueules béantes
luttant contre la mort. Le corps lui, ne luttait plus. *
(Extrait : DIEU PARDONNE, MOI PAS, Claude-Michel
Rome, Albin Michel éditeur, 2020, 530 pages, papier)

À la veille d’un procès contre une dictature pétrolière, le cadavre du grand avocat parisien Pascal Metzger est retrouvé en mer. Bien qu’ébranlés par son décès, ses trois jeunes associés décident de poursuivre le procès. Or, les preuves amassées par Me Metzger ont disparu. En reprenant le dossier, Carla, Malik et Pierre-Emmanuel pénètrent peu à peu une affaire aux ramifications aussi gigantesques qu’insoupçonnées : armes, pétrole, alliances des mafias et des cartels, corruption, évasion fiscale…. De la « France-à-fric » en passant par la Suisse, Monaco et la banque du Vatican, c’est le sommet des États et le cœur même de l’économie planétaire qui sont en cause.

La corruption banalisée
*Le garde arracha son arme et tira deux fois dans le verrou.
Il explosa. Et la trappe de la cale s’ouvrit sur une vision
d’enfer. Plus de deux cent cinquante morts vivants surgirent
du néant comme une nuée, libérant une immense clameur de
panique dans une bousculade déchirante. Carla en resta
médusée. Une foule de corps décharnés, fantômes faméliques,
une vision de cauchemar… *
(Extrait)

C’est un récit très dur avec comme toile de fond le blanchiment d’argent, les règlements de compte, corruption, alliances obscures, cartel de drogues, mafias. Et comme il est beaucoup question d’argent sale, l’auteur se connecte à une actualité récente et implique la banque du Vatican. *-C’est mon combat…il touche aussi à son terme, professore. Au nom de sa Sainteté, je vais laver le Vatican du crottin du diable ! et par chance, je sais désormais qui est ce diable déguisé en cardinal ! * (Extrait)

En cours de lecture. il ne faut jamais perdre de vue que ce livre est une fiction mais vous devrez admettre qu’il est terriblement branché sur l’actualité, pointant du doigt une maladie planétaire chronique qui pourrit l’économie mondiale : le blanchiment d’argent, un art du crime organisé. Comme roman, j’ai trouvé l’histoire addictive, glaciale. Écriture très directe, efficace et qui entre très profondément dans les coulisses de la corruption.

Voyons un peu le contenu. L’auteur frappe fort dès le départ. À quelques jours du procès majeur du président Obamyane, dictateur d’un pays pétrolier d’Afrique de l’ouest, corrompu jusqu’à la moelle, l’avocat principal Metzer disparait en mer, avec toutes ses preuves. Les trois jeunes associés de Pascal Metzer reprennent le dossier qui est une véritable poudrière. Les trois jeunes loups se rendent compte très vite de l’ampleur colossale de cette affaire, voyant bien que le mal gruge jusqu’au cœur de l’économie planétaire :

*…-Personne ne sait, mais nous on sait. -À condition que le contenu de la clé vaille de l’or. -J’imagine que c’est le cas, sinon il n’y aurait pas une épidémie de morts subites dans les milieux bancaires. Ils sont aux abois. Et plus le procès Obamyane approche, plus ça flippe grave sur les places financières…* (Extrait) Ne vous fiez pas trop au caractère euphémique du dernier extrait. Je dois dire qu’en général, le langage tranche par sa crudité.

C’est un des meilleurs thrillers que j’ai lus. À certains égards, il m’a rappelé le film Z de Costa Gavras qui fait remonter beaucoup de crasse sociale à la surface ou encore les magouilles politiques et militaires de pays truands qui font l’objet de pratiquement tous les épisodes de la série originale MISSION IMPOSSIBLE. D’ailleurs, le livre est développé un peu à la manière d’un scénario de film. Le rythme est rapide, parfois haletant.

Dans l’ensemble, le récit est structuré de façon à garder le lecteur en apnée. Et dire que c’est une première expérience pour l’auteur, Claude-Michel Rome. Chapeau. Je vais le surveiller celui-là. Une petite faiblesse que je voudrais signaler ici. J’ai trouvé la finale un peu bizarre. Le sort de Francisco Obamyane m’a semblé tirée par les cheveux, orchestrée par un ange appelé Angel. Ça manque de fini, de détails.

La conclusion laisse beaucoup de choses en plan comme si on faisait le grand ménage en balayant tout simplement la poussière sous le tapis. Mais l’ensemble est ajusté à une triste réalité. Élimine un corrupteur, un autre prend sa place. C’est le classique d’Hercule contre l’hydre. C’est aussi dans la finale du récit que le titre prend tout son sens DIEU PARDONNE, MOI PAS…la vengeance est le dessert de ce thriller politique incisif et glacial. Ce livre est un excellent divertissement.

Suggestion de lecture : LES GESTIONNAIRES DE L’APOCALYPSE, de Jean-Jacques Pelletier

Claude-Michel Rome est réalisateur et scénariste. Il a une trentaine de films à son actif, la plupart pour la télévision, dont les plus connus sont L’emprise, diffusé sur TF1 en 2014, et un long métrage, Les insoumis (2007). Dieu pardonne, moi pas est son premier roman et c’est très prometteur.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 11 juin 2023

MENVATTS, IMMORTEL, de Dominic Bellavance

*…elle avait appris à se défendre, et bien sûr, à tuer de manière rapide et efficace, selon les méthodes des Clowns Vengeurs. Inspirée par les textes sacrés, elle avait appris à agir par empathie, pour servir les gens qui voulaient obtenir une vengeance salutaire, contrairement à Tristo qui, lui, tuait pour les plaisirs de la domination… *

(Extrait du Collectif MENVATTS, IMMORTEL par Dominic Bellavance,
AdA éditeur, collection Corbeau, 2019. Édition de papier, 310 pages)

Olivia Jills au laboratoire Anima  mène un projet de recherche illégal. Le produit qu’elle développe : l’Afamort, une pastille qui permettrait aux personnes fraîchement décédées de revenir à la vie. Les arcurides mettront tout en oeuvre pour s’approprier cette promesse d’immortalité. Mais encore doivent-ils s’assurer que l’Afamort fonctionne vraiment. Pour en avoir le coeur net, ils mèneront leur propre expérience.

Le retour des Clowns Vengeurs
*La mâchoire s’ouvrit. Un nouveau hurlement en jaillit dans un
tourbillon de flammes. C’était une fournaise, un portail vers
l’enfer. Sardomax, au bord du gouffre, en proie à la plus abjecte
terreur et mû par l’énergie du désespoir, se débattait comme un
forcené devant lui s’incarnait la mort dans toute son horreur. *
(Extrait)

Voici un petit livre fascinant issu du cœur d’une série de dix tomes écrits par huit auteurs différents. Dans MENVATTS IMMORTELS, Dominic Bellavance décrit un monde qui pourrait bien être le nôtre, dans un avenir indéterminable. Nous plongeons dans une société complexe, glauque, froide et violente. Malheureusement, le gouvernement légitime se soucie très peu du bien-être de sa population.

En matière d’évolution, la société fait du sur-place. Toutefois la drogue de manque pas ainsi que les armes. Pour l’un et pour l’autre, l’auteure  donne au lecteur et à la lectrice une idée plutôt terrifiante de l’avenir. Dans cette société hégémonique, un ordre d’assassins, les Odi-Menvatts aussi appelés les Clowns-vengeurs se dressent contre le gouvernement légitime : attentats, meurtre, intimidation…

Le gouvernement oppose aux Clowns-vengeurs ses arcurides, des agents policiers-militaires surentraînés, suréquipés et surarmés. Au cœur de cet affrontement une scientifique développe l’AFAMORT, une pastille de cauchemar qui permet à une personne fraîchement décédée de revenir à la vie avec une remontée dans le temps de trois minutes.  Les Arcurides veulent l’Afamort à tout prix.

La grande force de cette histoire, c’est les trouvailles qu’on y fait. À cet effet, J’ai compris que l’auteur, a carburé au super : des armes qui imposent la peur comme des démembreurs, qui portent très bien leur nom, des ligoteurs magnétiques, des vaisseaux qui rappellent les heures de gloire d’AVATAR, des armements de masse dévastateurs.

Mais le plus grand défi de ce récit est de comprendre la nature et les effets de l’Afamort, un composé chimique étrange qui chevauche la science et la théologie. Ses effets sont très particuliers : si on expose la substance à des flammes nues, elle explose et gèle tout dans un rayon d’un kilomètre avec la force d’une bombe à hydrogène. Dans l’environnement buccal par contre, elle se désintégrait sans dommage en quelques secondes.

Cet effet est impossible à reproduire sur un animal, ce qui laisse supposer que l’âme a un rôle à jouer dans la réaction. Aussi incroyable, quiconque mourrait dans l’heure suivant la consommation de l’Afamort, remontait le temps de quelques minutes, en emportant avec lui tous ses souvenirs…un phénomène qui ouvrait la porte aux paradoxes spatio-temporels . L’Afamort est au cœur de l’histoire et lui en attribue une certaine originalité.

Dans Menvatts, il y a une séquence intrigante qui me rappelle le film du réalisateur Harold Ramis : UN JOUR SANS FIN (1993) Essayez de vous imaginer le cercle infernal du héros condamné à revivre sans cesse des journées identiques mais différentes et dont il se souvient. Cette première journée est exploitée jusqu’à ce que l’univers adéquat soit atteint et permette au héros de poursuivre.

Nous avons quelque chose de très semblable dans le livre qui nous intéresse aujourd’hui sauf que les scénarios liés à l’Afamord sont d’une innommable violence. D’ailleurs, tout dans le livre est violence, traîtrise, vengeance avec toujours cette insatiable recherche de pouvoir.

Malgré un fil conducteur instable, ce livre se lit vite et bien. Les chapitres sont courts, l’ouvrage est bien ventilé, La principale faiblesse réside dans les personnages peu travaillés En fait, ils sont plutôt froids, quoique compatibles avec cette histoire où la vie a peu de valeur. Je ne crois pas que ce soit une histoire dont je vais me rappeler mais son côté accessoire m’a impressionné. 

Suggestion de lecture : LE GOÛT DE L’IMMORTALITÉ de Catherine Dufour

Après avoir écrit des romans contemporains à saveur humoristique chez Coups de tête, Dominic a contribué à la collection « Les clowns vengeurs » en publiant LES LIMBES DES IMMORTELS et LA PATIENCE DES IMMORTELS, deux romans de science-fiction dystopiques, aux éditions Porte-Bonheur. Il a fait paraître LES DERNIERS JOURS, la première de la série LE SILENCE DES SEPT NUITS, aux Éditions ADA en 2018.Dominic a obtenu un baccalauréat multidisciplinaire en création littéraire, en littérature québécoise et en rédaction professionnelle à l’Université Laval. 

Quelques livres de la collection LE CLOWN VENGEUR

Livres de la collection MENVATTS


(À gauche) Deux regards sur l’éternité (Au centre) Héritage maudit (À droite) Allégeances

 

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 23 juillet 2022