CUL-DE-SAC, le livre d’Agnès Boucher

*…une dernière pause, puis il tracera sa route, bien pépère jusqu’à Marines, là où il a établi ses installations, en rase campagne chez une nourrice insoupçonnable, bien à l’abri des regards indiscrets. Il y déposera la petite tonne de shit et d’héro qui sommeille dans son coffre et rentrera à Paris. *
(Extrait : CUL-DE-SAC, Agnès Boucher, Éditions Hélène Jacob, collection Polars, 2016. Numérique, 370 pages)

Le commissaire Tahar Agnelli vient d’enterrer son père en Corse. En tant qu’aîné d’une fratrie insulaire devenue orpheline, gérer au mieux la petite famille lui revient de droit. Après les terribles attentats terroristes qui ont traumatisé Paris, le policier n’a pas le temps de s’ennuyer. Côté vie privée, sa jeune sœur songe à prendre le voile et son frère est amoureux d’une beurette universitaire affublée de deux consanguins belliqueux, l’un trafiquant de drogue et l’autre apprenti djihadiste. Dans une atmosphère lourde et menaçante, Agnelli va devoir se recentrer sur l’essentiel. Heureusement pour lui, quelques alliés surprenants, vont lui apporter leur aide.

Deux voies en convergence
*-Lacroix est mort. Il observe le visage de son gendre
se liquéfier d’un seul coup.  Merde ! Qu’est-ce qui
lui est arrivé ? Murmure-t-il. -Il a été assassiné dans
le parking de ton immeuble, précisément dans le box
où vous garez votre voiture. *
(Extrait)

Le récit met en scène un irréductible individualiste, le commissaire Tahar Agnelli qui possède un insondable sens de la famille. S’agit-il d’un héritage italien de nature atavique? Toujours est-il que dans ce récit, le commissaire met la famille à toute fin pratique à l’avant-scène, lui accorde honneur et priorité et parfois, en ai-je l’impression, tous les péchés d’Israël.

Pour comprendre le personnage Agnelli, dans toute sa profondeur, il est préférable d’avoir lu les deux livres précédents où il tient la vedette : TUER N’EST PAS JOUER et MÉFIEZ-VOUS DES CONTREFAÇONS. Mais je vous rassure, CUL-DE-SAC se lit indépendamment. C’est un polar bien ficelé mais parfois difficile à suivre à cause d’une part de la nature même de Tahar Agnelli et d’autre part parce que le fil conducteur de l’histoire est fragile et le récit accuse de l’errance et des longueurs. Il vaut mieux persévérer toutefois car dans la deuxième moitié de l’histoire, je me suis laissé aller à une petite addiction…

Dans CUL-DE-SAC, Agnelli enquête sur deux fronts : un meurtre dans le cercle très fermé des chasseurs de tête. Ça c’est ce qu’on appelle une enquête professionnelle. Et puis, le frère de Tahar, Simon, amoureux d’une jeune arabe est menacé par les deux frères de celle-ci, une paire d’enfants de chœur peu recommandables : un djihadiste en devenir et un dealer.

C’est ce que j’appelle une enquête familiale et c’est justement cette enquête qui prend le pas et qui entraîne le lecteur dans un monde complexe et impitoyable : *…une affaire privée d’enlèvement et de séquestration afin d’assouvir les pulsions sexuelles de notables bon teint. Et ce n’était pas leur coup d’essai. *  Extrait

C’est surtout cet aspect de l’histoire qui s’est approprié mon attention dans la deuxième moitié du récit et l’auteure ne fait pas dans la dentelle : *…dénicher des victimes à offrir, sur un plateau, aux amis européens de l’américain, dans les parties fines qu’il aime à organiser, et assouvir ses vices ; les drogues qui circulent dans ces orgies décadentes… * (Extrait)

L’appât utilisé pour ces monstruosités est un site web de rencontres :  *Émois du web* utilisé par un tordu indécrassable appelé Dédé pour organiser ses *sacrifices*. Les côtés criminels et hors de contrôle d’internet constituent un sujet récurent en littérature mais il est tout de même développé ici avec intelligence par l’auteure.

Un mot sur les personnages. Ils ont été bien travaillés et l’auteure a bien pris soin de créer pour chacun un rapport de forces et de faiblesse. Toutefois, je n’en ai pas trouvé un dégageant la chaleur nécessaire pour m’y attacher. J’ai eu de la difficulté à embarquer dans l’histoire. Beaucoup de dialogues intéressants mais beaucoup aussi sont inutiles et nuisent à la progression du récit. C’est-à-dire qu’ils diluent l’intérêt du lecteur. Toutefois, le ton change dans la seconde partie du récit.

Cela m’arrive souvent dans mes lectures et l’expérience m’a appris qu’il est bon de persévérer dans la consommation d’un livre parce que, comme c’est le cas dans CUL-DE-SAC, l’intrigue prend une tournure inattendue.

L’originalité de cette histoire est qu’il s’agit en fait de deux histoires développées en parallèle mais qui deviennent convergentes par la force des choses. J’ajouterais aussi que l’histoire constitue un véritable manifeste pour la famille qui est la principale cellule à la base de la Société. Elle cache quantité de secrets, souvent inavouables et est le siège d’alliances qui modifient la face du monde au fil du temps.

Ce polar ne m’a pas emballé mais il m’a quand même intrigué par son côté obscur et son évocation des travers humains. Je dois dire aussi que son personnage principal est intéressant et gagne à être connu. Je n’ai pas réussi à m’y attacher mais l’ai-je vraiment cerné. Je crois qu’il serait intéressant d’entreprendre la lecture des deux livres précédents d’Agnès Boucher pour en apprécier l’ampleur.

Suggestion de lecture : EN SACRIFICE À MOLOCH, d’Asa Larsson

Passionnée par l’écriture sous de nombreuses formes, Agnès Boucher est auteure et coach. Elle a écrit quelques docu-fictions pour France Inter et publié des ouvrages en lien avec la musique classique, d’abord un essai : « Comment exister aux côtés d’un génie ? Fanny Mendelssohn, Clara Schumann, Alma Mahler et les autres », puis un récit : « Alma Mahler, naissance d’une ogresse », les deux chez L’Harmattan. Aux Éditions Hélène Jacob, elle a déjà commis « Méfiez-vous des contrefaçons », « Elle veut toute la place » et « Tuer n’est pas jouer ». Car, paradoxalement, sa forme de prédilection est la fiction.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 5 mars 2023