La perle et la coquille

Commentaire sur le livre de
NADIA HASHIMI

*Shekiba grandit avec son père pour seule compagnie, avec ses mots rares, ses yeux pleins de solitude. Elle travailla à ses côtés jour et nuit. Plus elle en faisait, plus il était facile à cet homme d’oublier que son enfant était une fille. Il se mit à la voir comme un fils, se trompant même parfois et l’appelant par le prénom d’un de ses frères. Dans le village, les bavardages allaient bon train. Comment un père et sa fille pouvaient-ils vivre seuls ? *

(Extrait : LA PERLE ET LA COQUILLE, de Nadia Hashimi, Bragelonne éditeur, Hauteville, 2015, format numérique, 1126 pages.)

Kaboul, 2007 : les Talibans font la loi dans les rues. Avec un père toxicomane et sans frère, Rahima et ses sœurs ne peuvent quitter la maison. Leur seul espoir réside dans la tradition des bacha posh, qui permettra à la jeune Rahima de se travestir jusqu’à ce qu’elle soit en âge de se marier. Elle jouit alors d’une liberté qui va la transformer à jamais, comme le fit, un siècle plus tôt, son ancêtre Shekiba. Les destinées de ces deux femmes se font écho, et permettent une exploration captivante de la condition féminine en Afghanistan.

Amour et désamour

C’est un excellent roman mais il m’a ébranlé et m’a fait passer par toutes les émotions dont plusieurs négatives : colère, tristesse, amertume et incompréhension car j’ai lu ce livre avec, derrière moi, ma culture nord-américaine, libérale, émancipée. Une culture jadis dominée par la religion qu’on a fini par séparer de l’état, nous faisant ainsi sortir de l’obscurantisme.

L’histoire se déroule dans l’Afghanistan du début des années 2000. Un pays étouffé par sa religion et dominé par les mâles : <…si elle avait des fils, alors son destin serait scellé. Quand on donnait vie à des garçons, on n’était pas traitée comme du bétail. > extrait

Le contexte de l’histoire a tout pour mettre mal à l’aise. Peut-être pour nous rappeler que malgré l’objet de nos contestations, protestations et manifestations, on est quand même bien en Amérique. En Afghanistan, être une fille est une malédiction et être un garçon est une bénédiction. Idéal pour engendrer un parfait déséquilibre social.

L’Afghanistan est aussi un pays miné et ravagé par la guerre : <Parce que, pour autant que je me souvienne, ces enfants ont vécu sous les feux des roquettes toute leur vie ! Pour l’amour de Dieu, je ne me rappelle même pas un seul jour où ce pays n’a pas été en guerre. > extrait. Difficile de discuter avec Allah ou pire, avec un fondamentaliste islamiste qu’on appelle Taliban.

L’histoire, qui fait des bonds entre le passé et le présent, suit le destin de Rahima, obligée de se travestir en garçon, une tradition courante appelée baccha posh, utile pour faire croire à un père entouré de filles qu’il a au moins un garçon et utile aussi pour surveiller les harems. Parallèlement, on suit l’histoire de Shekiba, qui a connu un parcours semblable un siècle plus tôt.

Cette innommable tradition n’est pas sans créer une pression intolérable sur les filles à moyen et long terme : <Tu es tellement occupée à être un garçon que tu as oublié ce qui peut arriver à une fille. Maintenant, nous devons toutes payer pour tes bêtises égoïstes. > Extrait.

Mais tout n’est pas noir dans ce roman extrêmement actuel, mélange de fiction et de réalité qui dépeint de façon juste la condition féminine en Afghanistan. L’auteure n’a pas manqué d’ajouter un élément qui fait que, pour moi, la lecture de ce livre est devenue marquante, inoubliable. Il s’agit de l’espoir, issu du courage et de l’abnégation de pionnières afghanes.

Bien sûr, les changements seront longs à venir, mais ils viendront. C’est une qualité de l’auteure qui se retrouve dans tous ses livres. Malgré la malveillance et la maltraitance qu’elles subissent de la part d’hommes déjà malheureux, les femmes afghanes sont les remparts de l’amour. Finiront elles par triompher ?

C’est la grande qualité de ce livre : il est un sérieux porteur d’espoir et tout le monde devrait le lire. Particulièrement les hommes. Très belle lecture.


L’auteure Nadia Ashimi

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