Commentaire sur le livre de
Waubgeshig Rice
*Si on en prend trop, c’est tout le reste qui en souffre. Il faut respecter l’équilibre de toute la vie présente dans l’eau qui nous entoure. Or, en ce moment, on est la cause d’un déséquilibre. *
Extrait : LA LUNE DES FEUILLES ROUGES, de waubgeshig rice. Prisedeparole éditeur 2025.

Douze ans se sont écoulés depuis qu’une panne d’électricité mondiale a provoqué l’effondrement de la société. Dans la forêt boréale du nord de l’Ontario, une communauté anishinaabe perdure grâce aux pratiques et savoirs traditionnels. Isolée du reste du monde, elle s’organise, s’adapte. Mais les ressources s’amenuisent, et l’éventualité d’un départ devient de plus en plus difficile à ignorer.
Un petit groupe mené par Evan Whitesky et sa fille Nangohns se porte volontaire pour explorer les territoires du sud et retrouver les terres ancestrales, sur les rives du lac Huron. En chemin, ils traversent des villes dévastées, des paysages métamorphosés, des routes effacées par la nature qui reprend ses droits. Ils rencontrent aussi des survivants habités par la peur et la violence, et d’autres portés par la bienveillance. À mesure que les épreuves se succèdent, les liens se resserrent, et la volonté d’atteindre le territoire tant convoité reste intacte.
Une certitude se cristallise au fil du voyage : l’avenir ne peut se construire qu’en retournant aux racines.

La forêt boréale du nord de l’Ontario
Je commence par une petite précision. LA LUNE DES FEUILLES ROUGES est une prolongation du best-seller de waubgeshig rice NEIGE DES LUNES BRISÉES. LA LUNE DES FEUILLES ROUGES peut se lire indépendamment mais pour bien saisir l’histoire et la psychologie des anishinaabe, je vous suggère de commencer par NEIGE DES LUNES BRISÉES. Voici un petit aperçu du livre.

Une petite communauté anishinaabe est plongée dans le noir, alors que l’hiver s’annonce. Plus d’électricité ni de moyens de communication. L’arrivée inopinée de visiteurs fuyant l’effondrement de la société dans le Sud attise les tensions et divise les allégeances. 
Les mois durs de l’hiver s’éternisent, la pénurie de nourriture s’aggrave et s’accumulent les cadavres. La véritable menace, pourtant, pourrait bien survenir du cœur même de la communauté.
Retour aux sources vertes et bleues
 
 
C’est un livre dépaysant et apaisant aussi, malgré la couleur postapocalyptique omniprésente dans le récit, car il est très proche de la nature et son message environnemental est très fort sans jamais être agressant.
L’histoire se situe douze ans après une panne d’électricité mondiale ayant provoqué un chaos généralisé jusqu’à l’effondrement de la Société et la formation d’un univers dystopique et malade : *… et ils nous ont raconté les horreurs de la fin du monde, de la fin de ce monde-là. L’effondrement des gouvernements après plusieurs tentatives ratées de rétablir la loi et l’ordre. La destruction des immeubles, des maisons. Les incendies, les meurtres et les gangs dangereux… Les maladies aussi… * Extrait.
Une petite communauté anishinaabe vivant dans la forêt boréale du nord de l’Ontario a survécu grâce à ses savoirs traditionnels mais les ressources diminuent dangereusement. C’est ainsi qu’Evan Whitesky décide de mener un petit groupe pour explorer et trouver un chemin menant vers des terres ou sa communauté pourra s’épanouir. L’objectif est une île située au nord du Lac Huron.
Laissant le petit village derrière lui pour un temps, espère-t-il, le groupe, très restreint, comprenant Evan et sa fille, Nangohns, 15 ans, représentant la nouvelle génération, porteuse des espoirs de la communauté, Cal, Amber, Tyler, James Charles, appelé JC. Le défi du groupe est énorme, baliser un chemin vers le Lac Huron afin de préparer la migration de leur communauté.
Le voyage sera très long, plus de 1000 kilomètres, aller et retour, périlleux, éprouvant, épuisant…un voyage qui est autant un acte de survie qu’un geste de réaffirmation culturelle. À peu de choses près, toute l’histoire est consacrée à ce voyage exploratoire.
C’est une très belle histoire, porteuse d’émotions, de chaleur, d’amitié, de solidarité, de courage, de résilience et de spiritualité. J’ai trouvé l’écriture de Rice très belle. D’ailleurs, l’histoire commence par la mise au monde d’une petite fille, Waawaaskone. Cette naissance est décrite avec émerveillement et une infinie délicatesse. C’est ainsi que l’histoire m’a accroché dès le début et par la suite, j’ai développé une forte empathie pour les explorateurs qui ont sué sang et eau pour la survivance de leur peuple.
Dans son histoire, qui offre une voix puissante aux peuples anishinaabe, l’auteur révèle les multiples visages d’une humanité en crise et d’une terre victime d’un véritable gâchis humain. Il nous offre une bonne matière à réflexion issue d’une pensée qui est philosophique sans être moralisatrice sur la décolonisation et la recherche identitaire.
Une autre force non négligeable de ce livre est son caractère immersif. Personnellement, j’ai accompagné les explorateurs. J’ai souffert avec eux et j’ai évolué dans une nature à couper le souffle, une nature qui reprend ses droits. C’est un magnifique mélange de beauté, de tension, de moments tendres et dramatiques. La spiritualité est aussi très importante dans cette aventure et met en perspective des idées intéressantes. Par exemple, J’aime bien l’idée évoquée dans ce livre que le corps est un réceptacle de l’esprit. Ce n’est pas une idée neuve mais elle s’insère magnifiquement dans le récit.
Notez que le roman a quelques petites faiblesses. Il est plutôt linéaire pour une dystopie. Son rythme est lent, surtout dans la première moitié du roman parce qu’en fait les traditions ont été mises à l’avant plan.
Dans les moments de tension, certains épisodes sont répétitifs et il y a des longueurs comme par exemples quand les explorateurs visitent Gibson, ville saccagée, détruite, abandonnée. Une longue visite trop détaillée, qui apporte peu. Enfin, c’est un détail, mais vu l’immensité du territoire, j’aurais apprécié l’inclusion de quelques cartes géographiques pour mieux saisir le périple du petit groupe.
Quoiqu’il en soit, j’ai adoré cette nouvelle incursion dans la littérature autochtone et je recommande chaleureusement LA LUNE DES FEUILLES ROUGES.
Suggestion de lecture : CHEVAL INDIEN, de Richard Wagamese

L’auteur waubgeshig rice
Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 31 octobre 2025
