L’épicerie Sansoucy
Le p’tit bonheur
*Un simple malaise physique ne pouvait engendrer
à lui seul un tel éloignement des êtres. Même le
taciturne Placide, le plus renfermé de ses enfants,
ne lui était jamais apparu aussi étrange, aussi
impénétrable…*
(Extrait : L’ÉPICERIE SANSOUCY, le p’tit bonheur,
Richard Gougeon, Les éditeurs réunis, format poche,
réédition : 2018, édition de papier, 425 pages
Au milieu des années 1930, dans le quartier ouvrier de Maisonneuve, la pauvreté règne, le chômage est le pain quotidien des miséreux. La famille nombreuse de Théodore Sansoucy s’entasse dans un logement au-dessus de son épicerie-boucherie.
Irène, l’aînée des enfants Sansoucy, est la vieille fille sage de la maisonnée. Forte tête, Léandre travaille au magasin, et la tension monte entre son père et lui. Marcel, étudiant peu talentueux, livre les commandes.
L’intellectuel Édouard, quant à lui, rêve de se marier avec la fille du notaire Crochetière, chez qui il fait son apprentissage de clerc. Il ne s’intéresse nullement aux siens et encore moins à l’épicerie.
Simone, la « petite perle » du clan, amoureuse d’un Irlandais au grand dam du paternel, ainsi que l’impénétrable Placide, membre de la congrégation de Sainte-Croix qui aspire à marcher sur les pas du frère André, complètent le portrait de cette famille. La vie de quartier s’anime autour de la petite épicerie.
Derrière le comptoir, Sansoucy reçoit des confidences. Cependant, les commentaires sont bien moins drôles à entendre lorsqu’ils concernent sa vie familiale. Surtout s’il s’agit des frasques de ses enfants…
INTIMISTE ET ANECDOTIQUE
*L’amour ne règle pas tous les problèmes, Arlette. Je ne
suis pas plus avancé que j’étais avec cette histoire de
restaurant. Comme c’est là, je me retrouve le bec à
l’eau, sans emploi comme des milliers de jeunes de mon
âge, sans avenir, avec un loyer à payer, puis une
blonde qui colle à moi comme une grosse mouche à
marde, taboire.* (extrait)
L’épicerie Sansoucy est un roman historique, une chronique intimiste du cœur des années 1930 qui suit le quotidien d’une famille québécoise typique vivant à Montréal, dans les logements situés au-dessus de l’entreprise familiale : L’épicerie-boucherie Sansoucy.
Une vraie famille québécoise pure laine d’avant-guerre comprenant une variété de genres et bien sûr, une flopée de *matantes* *mononcs*, beaux-frères et belles-sœurs, cousins et cousines…tous des personnages attachants mais qui ne sont pas vraiment là pour simplifier la vie familiale. Bref une famille typique.
Richard Gougeon développe son histoire un peu comme Roger Lemelin l’a fait plus tard avec les Plouffe : la vie de tous les jours d’une famille attachante avec ses hauts, ses bas et ses petites intrigues. Il y a bien sûr des différences accessoires entre les deux histoires mais il faut surtout dire que le récit de Gougeon débute quelques années avant la guerre tandis que l’histoire des Plouffe débute quelques années après la guerre.
Au Québec ça fait des différences importantes dans le tissu familial. L’auteur met l’emphase sur deux éléments essentiels : d’abord, la vie de quartier évolue autour de l’épicerie. Ça crée des évènements cocasses qui impliquent évidemment les commères du quartier.
Et il y a les petits drames qui montent vite en épingle : l’accident de Marcel, les aventures douteuses de Léandre, le hold-up de l’épicerie. Même avec le recul du temps, on continue de se reconnaître dans ce récit que j’ai trouvé savoureux.
J’ai été particulièrement captivé par les moments où je trouvais Colombine, la fiancée d’Édouard, au derrière de laquelle j’aurais donné volontiers un bon coup de pied. La rencontre entre la famille Sansoucy et les Crochetière était un pur délice…un classique du choc des cultures, le quartier Hochelaga et Westmount :
*- Vous oubliez l’étiquette Mère. Vous auriez pu attendre avant de vous asseoir. -Ma chérie ! rétorqua faiblement madame Crochetière. Sa fille prit un air offusqué. -La convenance la plus élémentaire l’exige, exprima-t-elle. Même lorsqu’on reçoit du monde ordinaire. * (Extrait) La visite des Crochetière chez les Sansoucy était aussi un bel exemple du choc des convenances.
Cette saga a constitué pour moi un très bon moment de lecture. Richard Gougeon nous a concocté une petite finale dramatique au premier tome qui ne fait que nous donner l’envie de poursuivre la lecture. N’hésitez pas. Vous ne serez pas déçu.
Suggestion de lecture : RUE PRINCIPALE. été 1966, de Rosette Laberge
La suite…
Richard Gougeon est né à Granby en 1947. Très préoccupé par la qualité de la langue française, pour la beauté des mots et des images qu’ils évoquent. Il a enseigné pendant trente-cinq ans au secondaire. L’auteur se consacre aujourd’hui à l’écriture et est devenu une sorte de marionnettiste, de concepteur et de manipulateur de personnages qui s’animent sur la scène de ses romans. ( richardgougeon.com )
BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 4 octobre 2020