Les surveillants du fleuve

Commentaire sur le livre de
NORMAND PAYETTE

Kevin n’en croit pas ses yeux ! Il repense aux deux étrangers sur la terrasse de LA RAFALE, au Bureau de commerce… il dévore le texte en tentant de lire entre les lignes et afin de bien comprendre : « Treize inspecteurs allemands arriveront très bientôt dans le but de visiter les installations forestières et portuaires et d’examiner la possibilité d’acheter l’île d’Anticosti. »

Extrait : LES SURVEILLANTS DU FLEUVE, tome 1, INCURSION DES ALLEMANDS SUR LE SAINT-LAURENT (1937-1945), par Normand Payette. Édition de papier : Norpay éditeur, 2022, 475 pages. Version audio : Vues et Voix éditeur, 2019. Durée d’écoute : 15 heures 18 minutes. Narrateur : Jacques Tremblay



De 1937 à 1945, Normand Payette nous entraîne de Montréal à Terre-Neuve, en passant par Québec, Trois-Pistoles, Matane et Anticosti, sans oublier la Côte-Nord du Saint-Laurent. Autour de Kevin O’Connor, un pilote du Saint-Laurent, et de Conrad Tremblay, directeur de la GRC, le défi des surveillants du fleuve sera de faire échec aux manœuvres belliqueuses des Allemands, dont les agents dormants sont infiltrés partout… 

Révélant des faits historiques que le gouvernement canadien a longtemps cachés à la population de l’époque, l’auteur nous plonge avec réalisme dans la bataille du Saint-Laurent et dévoile le rôle majeur de ces pilotes, gardiens de phare et pêcheurs qui empêchèrent les Allemands de mettre la main sur l’île d’Anticosti.

 Roman sur un pan d’histoire

Malgré quelques irritants sur lesquels je reviendrai plus loin, ce livre, un drame d’espionnage m’a captivé… serré, car il développe un thème rare de la deuxième guerre mondiale : la présence d’espions allemands et de nombreux agents dormants au Québec pendant la guerre d’une part, et des nombreux navires destinés à l’approvisionnement des alliés en Europe, coulés ou lourdement endommagés dans le golfe et le fleuve Saint Laurent.

C’est un fait historiquement avéré que les Allemands étaient infiltrés partout au Québec, intéressés par la situation stratégique du Saint-Laurent pour empêcher l’accès à l’océan Atlantique. Ils ont même tenté de se porter acquéreur de l’île d’Anticosti.

Pour tenir tête aux allemands, un réseau de surveillance s’est mis tout naturellement en place, composé de pilotes du Saint-Laurent, des gardiens de phares qui sillonnent le fleuve, et de pêcheurs. Ce réseau portera le nom de SURVEILLANTS DU FLEUVE et prendra une importance telle qu’il sera appuyé par la GRC, l’armée et la police provinciale.

Nous suivons plus particulièrement Kevin O’Connor, un pilote à l’origine du réseau, Conrad Tremblay et Wolfgang Eichman, un espion allemand fantôme, prétendu chef des services secrets allemands au Québec.

Normand Payette reconstitue ici une partie dramatique de notre histoire au Québec avant et pendant la deuxième guerre mondiale et je dois dire que ça manquait à notre littérature. La présence allemande au Québec a été longtemps occultée pour deux raisons en particulier : la crainte du gouvernement de McKenzie King de semer la panique et de commettre de graves erreurs de stratégie et bien sûr, le fait que tous les yeux étaient tournés vers l’Europe, théâtre sanglant qui allaient confirmer la folie d’Hitler.

Des faits historiques avérés comme l’espionnage et les attaques de sous-marins allemands sont insérés dans un roman d’espionnage dans lequel des agents secrets s’autorisent à infiltrer, tuer et promouvoir au maximum le nazisme au pays. J’ai trouvé le récit instructif, captivant. J’ai appris beaucoup de choses tout en savourant une intrigue extrêmement serrée donnant parfois des passages à l’emporte-pièce. L’ensemble est crédible et rigoureux.

Ce livre comporte des irritants que je vais toutefois nuancer. D’abord, il met en scène une imposante galerie de personnages. C’est à s’y mêler mais je souligne que l’auteur, Normand Payette, qui se publie lui-même soit dit en passant, a eu la gentillesse de publier une liste des principaux personnages. C’est une attention qui manque à beaucoup de livres. J’ai dû référer à cette liste souvent mais je suis reconnaissant à l’auteur pour cette initiative.

Il y a dans le récit de nombreux passages un peu *fleur bleue*, d’autres suggestifs, qui s’insèrent laborieusement dans l’histoire.

C’est une tendance un peu agaçante mais il faut la tolérer car dans ce contexte d’espionnage et de guerre, l’amour joue un rôle capital et je vous laisse découvrir pourquoi. Vous verrez que tout se tient.

Enfin, l’auteur décrit chaque attaque de sous-marins allemands dans le fleuve et le golfe Saint-Laurent sur des navires d’approvisionnement à destination d’Europe. Il y en a eu 29. La liste est publiée aux pages 386 et 387 avec la carte signalant les attaques. Était-ce bien nécessaire de décrire chaque attaque avec le cri d’attaque désormais célèbre : ACHTUNG ! Torpedo…LOS. C’est redondant. Répétitif.

Mais je suis un peu mitigé. Peut-être au fond était-ce une nécessité car j’ai été choqué de réaliser que les allemands pouvaient tirer sur tout ce qui bouge en mer en toute impunité. J’ai ressenti colère et tristesse et réalisé que le livre est beaucoup plus porteur d’émotions que je croyais.

C’est un livre haletant. Sa plume est alerte, sa finale, surprenante. À mon avis, l’œuvre vient combler un vide important dans la littérature québécoise.

Suggestion de lecture : LA CHANCE DU DIABLE d’irwin Kershaw
Autre suggestion : L’ESPIONNE (l’histoire de Mata Hari) de Paulo Coellho

La suite

L’auteur Normand Payette

 

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le vendredi 12 décembre 2025

 

 

LA FILLE DU TRAIN

Commentaire sur le livre de
PAULA HAWKINS

*Nous sommes tous des voyeurs. Les gens qui prennent le train tous les jours pour se rendre au travail sont les mêmes partout dans le monde : chaque matin et chaque soir, nous sommes installés sur notre siège, à lire le journal ou écouter de la musique ; nous observons d’un œil absent les mêmes rues, les mêmes maisons et, de temps à autre, nous apercevons un éclair de la vie d’un inconnu. Alors, on se tord le cou pour mieux voir. *

(Extrait : LA FILLE DU TRAIN, de Paula Hawkins, Pocket, Sonatine éditeur, 2015, papier, 455 pages)

Entre la banlieue où elle habite et Londres, Rachel prend le train deux fois par jour : le 8 h 04 le matin, le 17 h 56 le soir. Chaque jour elle est assise à la même place et observe, lors d’un arrêt, une jolie maison en contrebas de la voie ferrée. Cette maison, elle la connaît par coeur, elle a même donné un nom à ses occupants, qu’elle voit derrière la vitre. Pour elle, ils sont Jason et Jess. Un couple qu’elle imagine heureux, comme Rachel et son mari ont pu l’être par le passé, avant qu’il la trompe, avant qu’il la quitte. Rien d’exceptionnel, non, juste un couple qui s’aime. Jusqu’à ce matin où Rachel voit Jess dans son jardin avec un autre homme que Jason.

Que se passe-t-il ? Jess tromperait-elle son mari ? Rachel, bouleversée de voir ainsi son couple modèle risquer de se désintégrer comme le sien, décide d’en savoir plus sur Jess et Jason. Quelques jours plus tard, c’est avec stupeur qu’elle découvre la photo de Jess à la une des journaux. La jeune femme, de son vrai nom Megan Hipwell, a mystérieusement disparu…

Un long fleuve agité
*temps normal, je simulerais la politesse, mais ce
matin, je me sens authentique, je me sens moi-
même, je suis exaltée, comme si j’étais défoncée,
et, même, si j’en avais envie, je serais incapable de
feindre la gentillesse. *
(Extrait)

C’est un polar psychologique glauque, triste et obsessif. La fille du train, c’est Rachel, une femme déchirée, alcoolique et dépressive. Elle prend le train quotidiennement. Pratique pour faire croire à sa colocataire qu’elle travaille et qu’elle paiera le loyer. Elle prend aussi le train pour faire déraper ses pensées et suivre un couple qu’elle s’est inventé, Jess et Jason, qu’elle croit voir par les fenêtres du train.

Elle imagine bientôt le couple s’enliser dans un cercle d’infidélité jusqu’à ce que Jess disparaisse de la circulation. Le mystère s’intensifie avec la disparition, réelle celle-là d’une jeune femme nommée Mégan.

Les trois femmes au cœur de cette histoire plutôt noire prennent la parole à tour de rôle. Une triple narration qui permet d’explorer en alternance le point de vue de chacune et la façon dont elles sont entraînées dans un cercle de violence et de mal-être. Il y a aussi des hommes dans cette histoire. Deux principalement : Scott et Tom, ce dernier est dépeint d’une façon peu engageante : <La vie entière de Tom était bâtie sur des mensonges, des malhonnêtetés et des semi-vérités censées le faire passer pour quelqu’un de supérieur, de plus fort et de plus intéressant qu’il ne l’était…>

Ce dernier extrait vient préciser l’atmosphère du récit, le non-dit caché entre les lignes qui prend le lecteur au cœur. C’est un récit très riche, un peu lourd, pas toujours facile à suivre mais qui se dévoile sur des chapeaux de roues dans le dernier quart du livre. Il faut être attentif pour bien saisir la vraie nature des personnages et l’enchaînement des rebondissements, exacerbé par la triple narration.

C’est un bon thriller, mais il est complexe et accuse des longueurs. C’est un récit noir dans lequel la seule réalité des personnages est la folie qui les guette. La plume est bien maîtrisée malgré une certaine dérive. On sait que Paula Hawkins veut nous entraîner quelque part, mais impossible d’imaginer la finale.

La nature convergente de la triple narration en alternance m’a plu et je me suis laissé entraîné par l’intensité du récit. Attendez-vous à explorer l’attitude de personnages complexes face à leurs démons. On est loin du genre <C’est beau la vie> . C’est une lecture qui laisse des marques.

Suggestion de lecture : DANS LA TOILE, de Vincent Hauuy

Paula Hawkins a vécu au Zimbabwe, en France et en Belgique et réside maintenant à Londres. Elle a été journaliste pendant quinze ans avant de se consacrer à la fiction. LA FILLE DU TRAIN, son premier roman a été vendu à 18 millions d’exemplaires dans le monde. Dreamworks en a acquis les droits d’adaptation cinématographique, et le film est sorti en 2016. Son deuxième roman, AU FOND DE L’EAU a paru en 2017 chez Sonatine.

De la même auteure

Bonne lecture
Claude Lambert