LA LISTE, livre de Siobhan Vivian

*Ainsi, à chaque nouvelle édition, les étiquettes qui répartissent les filles du Lycée de Mount Washington en une multitude de catégories, -les frimeuses, les populaires, les exploiteuses, les ringardes, les ambitieuses, les sportives, les cruches, les sympas, les rebelles, les coquettes, les garçons manqués, les allumeuses, les saintes-nitouches, celles qui se refont une virginité, les coincées, les douées qui cachent bien leur jeu, les glandeuses, les fumeuses de pétards, les parias, les marginales, les intellos et les barges, à titre d’exemples- s’évanouissent. *
(Extrait : LA LISTE, Siobhan Vivian, Nathan éditeur, 2013, format numérique, 415 pages)

LA LISTE nomme 8 filles chaque année, 
Les 4 plus belles et les 4 plus laides du lycée.
Et si votre nom s’y trouvait ? Une tradition odieuse sévit au lycée de Mount Washington : tous les ans, une semaine avant le bal de début d’année, une liste est placardée dans les couloirs. Personne ne sait qui établit cette liste. Et personne n’a jamais réussi à empêcher qu’elle soit publiée. Invariablement, chaque année, la plus belle et la plus laide sont désignées. 8 filles en tout. 8 filles qui se retrouvent sous les projecteurs impitoyables du lycée. 8 filles qui vont voir leur vie brusquement changer… pour le meilleur ou pour le pire ?

L’étiquette de la honte
*-J’ai décidé de ne pas me laver de toute la semaine. -Sérieux ?
-Yep…Pas de douche, pas de brossage de dents, pas de
déodorant, rien. Je garde les mêmes fringues, même les
chaussettes et les sous-vêtements…Je fais l’impasse totale
sur l’hygiène jusqu’à samedi soir…à cause du bal de la rentrée
…l’objectif étant d’être la plus cradingue et la plus puante
possible. *
(Extrait)

C’est un livre assez intéressant mais comportant beaucoup d’errance… un mélange de banalité et d’originalité mais il est très introspectif et nous allons voir pourquoi. Dans un lycée américain, une tradition insipide et cruelle sévit. Une liste est affichée partout dans l’établissement et définit les quatre plus belles filles et les quatre plus moches…une fille par catégorie par année de secondaire. Personne ne sait qui a écrit cette liste et personne n’a jamais pu empêcher sa publication.

L’histoire développe le portrait de ces huit filles et décrit la torture psychologique engendrée par cette liste pouvant être motivée par la jalousie, l’envie, la haine, la vengeance et autres tares exacerbées par les passions adolescentes. Nous avons le portrait de huit filles blessées, jalousées, confuses dans leurs sentiments, avec leurs réactions. On peut sentir tout le cheminement intérieur du mal que peut faire une telle liste. Mais qui fait cette liste ? Quelles sont les motivations ?

À première vue, c’est un livre pour les jeunes filles mais il concerne tout le monde en fait, y compris les adultes qui se rappelleront sans doute leur propre adolescence. Le livre met en perspective les besoins de l’adolescence souvent mal exprimés : le besoin d’être aimés, reconnus, désirés, entourés sans compter la définition souvent surfaite du *canon de beauté*. C’est le principal intérêt du livre : son pouvoir introspectif mais ça s’arrête là.

Dans l’ensemble, j’ai été déçu…déçu par la traduction plutôt douteuse sans doute à cause des accords de verbe surtout, déçu par la finale, erratique et bâclée, déçu par l’omniprésence de clichés et de stéréotypes. J’ai été surpris du sort réservé à un de mes personnages préférés, la jeune fille la plus extravertie et la plus attachantes de l’histoire : Sarah. Elle décide de démontrer à tout le monde ce qu’elle ressent.

Une semaine avant le bal de la rentrée, Sarah décide de ne plus se laver, ne plus changer de vêtements, ne plus se brosser les dents et négliger ses cheveux. Son ami Milot tente de la dissuader, persuadé que ce que les autres pensent n’a pas d’importance. Cette approche me plaisait car il y a autant de définitions de la mocheté qu’il y a de personnes dans le monde. Même chose pour la beauté d’ailleurs

Je vous laisse découvrir si Milot a persuadé Sarah mais ce qui m’a déçu c’est que je n’ai plus entendu parler de Sarah encore moins de sa présence au bal de la rentrée et de son état d’esprit. Cette mise au rancart m’a même choqué. Entendons-nous, le livre n’est pas dénué d’intérêt mais ce qui est dommage c’est que Siobhan Vivian avait tous les éléments pour faire un grand roman.

elle aurait pu nous faire réfléchir sur une question que beaucoup de jeunes se posent, ceux d’avant, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain, pourquoi il n’y a que la beauté qui est attractive? Pourquoi pas l’intelligence, ou le charme à la rigueur, la gentillesse, l’empathie. Ce livre ne passera pas à l’histoire mais l’idée de départ est très bonne et laisse à penser que s’accepter soi-même nous place pile sur le chemin du bonheur…

Suggestion de lecture : LA VIE QUAND-MÊME UN PEU COMPLIQUÉE D’ALEX GRAVEL-CÔTÉ, de Catherine Girard Audet

Siobhan Vivian est née en 1979, à New York. C’est là qu’elle a grandi, puis fait ses études. Elle a obtenu un diplôme de scénariste (pour le cinéma et la télévision) à l’Université des Arts, puis un Master d’écriture à la New School University. Après avoir été éditrice pour la maison d’édition Alloy Entertainment et scénariste pour Disney Channel, Siobhan Vivian partage aujourd’hui son temps entre écriture et enseignement de l’écriture à l’Université de Pittsburgh.

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 8 septembre 2023

LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY, Oscar Wilde

*Il n’y a que deux sortes d’êtres qui soient
 véritablement fascinantes : ceux qui savent
absolument tout, et ceux qui ne savent
absolument rien.*
(Extrait : LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY, Oscar
Wilde, édition à l’origine, 1890, réédition, Gallimard
1992. 408 pages. Version audio : Audible studio
éditeur, 2014. Durée d’écoute : 9 heures 28 minutes,
narrateur : Hervé Lavigne)

Par la magie d’un vœu, Dorian Gray conserve la grâce et la beauté de la jeunesse. Seul son portrait vieillira. Le jeune dandy s’adonne alors à toutes les expériences et recherche les plaisirs secrets et raffinés. « il faut guérir l’âme par les sens, guérir les sens par l’âme ».  Oscar Wilde voulut libérer l’homme en lui donnant comme modèle l’artiste. Pour se réaliser, il doit rechercher le plaisir et la beauté, sous toutes ses formes, bien ou mal. L’art n’a rien à voir avec la morale.

L’auteur remet en question la société, le mariage, la morale et l’art. Ce livre scandalisa l’Angleterre victorienne, Oscar Wilde fut mis en prison pour avoir vécu ce qu’il écrivait. Au siècle suivant, Proust, Gide, Montherlant, Malraux ont contribué à la célébrité du génial écrivain.

Le parfum de l’irrévérence
*Ce que vous m’avez dit est tout à fait un roman,
un roman d’art l’appellerais-je et le désolant de
cette manière de roman est qu’il vous laisse un
souvenir peu romanesque.*
(Extrait)

C’est un livre étrange qui dégage un parfum de scandale issu d’une écriture aussi belle que noire, aussi audacieuse que décadente. Un livre qui évoque la beauté du diable, envoûtant et un peu glauque. L’histoire n’est pas sans me rappeler le destin de Faust qui, pour éviter la stagnation et la chute de son art, fait un pacte avec le diable.

Ici, le peintre Basil Hallward achève son meilleur tableau à vie. Son modèle est un adolescent d’une incroyable beauté, dont la richesse et le style dandy vont se préciser au fil du récit. Lorsque l’œuvre est fin prête, Basil invite Dorian à la regarder. Le regard traduit d’abord la surprise, puis la fascination. Sur le champ, Dorian Gray fait un vœu insensé : que le portrait vieillisse à sa place et que lui, Dorian, conserve éternellement jeunesse et beauté.

Le diable l’a peut-être entendu, obsédé par la possession d’une nouvelle âme. Toujours est-il que le vœu se réalise. Le récit se centre par la suite sur le nouveau chemin que prend Dorian Gray : celui de la déchéance. Ici l’art est extirpé de toute éthique. Le portrait de Dorian Gray devient graduellement hideux, rongé par la perversité et le stupre.

J’ai cité deux des trois principaux personnages, le peintre, Basil Hallward et le modèle Dorian Gray. Le troisième personnage Lord Henry : sucré à la philosophie facile ayant une tendance très forte à l’hédonisme. Il s’agit de connaître un peu Oscar Wilde, reconnu pour ses mœurs légères, même s’il a beaucoup souffert après avoir reconnu son homosexualité, pour comprendre que Lord Henry donne au récit un caractère autobiographique.

Même les références homosexuelles m’ont semblé *très proches de la surface*. La relation entre Lord Henry est étrange, extrêmement attractive et a quelque chose de pervers. La personnalité de Dorian Gray est très complexe et constitue un défi pour le lecteur et la lectrice qui auront à décider entre autres si les journaux qui publiaient dans les années 1890 exagéraient en jugeant LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY empoisonné et immoral.

Dans ce livre, il n’y a pas d’action proprement dite mais il y a un crescendo évident dans l’intensité dramatique. La toile de Basil devenant le miroir de l’âme de Dorian, l’auteur m’a fait plonger dans les coulisses de la décadence. Le dernier tiers du livre est particulièrement prenant et dramatique.

Le lecteur est témoin d’une transformation radicale du physique de Dorian Gray sur la toile de l’artiste Hallward et d’une transformation toute aussi radicale sur l’âme du Gray vivant : *L’âme est une terrible réalité. On peut l’acheter, la vendre, on peut l’empoisonner ou la rendre parfaite. Il y a une âme en chacun de nous. Je le sais. * (Extrait)

J’ai été moins attiré par le sujet que par la beauté de l’écriture même si les propos de Wilde sont résolument cyniques et frôlent l’immoralité. Il m’a peut-être envoyé promener sans que je m’en aperçoive. Subtilité, finesse sont la substance du non-dit. Il reste que Wilde est acide dans ses propos, surtout ceux qui évoquent l’hédonisme, la misogynie et la dérision.

J’ai beaucoup aimé cette façon qu’a Oscar Wild de tourner en dérision le conformisme british. Enfin, le récit pousse à la réflexion sur le sens de la vie et sur l’influence de l’art. Je n’ai pu faire autrement que de me poser cette question qui vous brûlera peut-être aussi les lèvres : Qu’est-ce que je ferais avec une jeunesse éternelle, sachant que la pureté s’éteint dans un temps si bref qui nous est imparti.

LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY est un roman noir qui frôle la démesure. On peut aussi le considérer comme un roman fantastique sans doute et philosophique sûrement. Le sujet et le développement ne constituent pas pour moi un chef d’œuvre mais la plume est un enchantement.

Suggestion de lecture : L’ÉTRANGE DISPARITION D’AMY GREEN de S.E. Harmon

 

Après de brillantes études littéraires, Oscar Wilde (1854-1900) fréquente la haute société londonienne dès 1879. Ce dandy élégant et à l’esprit vif et cynique s’y forge vite une réputation. Il se fait l’apôtre de l’esthétisme dans ses poèmes aux vers raffinés ainsi que dans ses pièces de théâtre. Mais son oeuvre maîtresse en la matière est certainement son roman fantastique le Portrait de Dorian Gray, publié en 1891. Wilde est alors au sommet de sa gloire.

Il monte pièces et comédies cyniques qui remportent un grand succès. Bien que marié et père de deux enfants, le poète est jugé pour son homosexualité affichée en 1892. Il est envoyé en prison pour deux années et perd dans ce procès sa réputation et l’amour du public. Il meurt dans la solitude à Paris, quelques années après sa sortie de prison. (linternaute)

LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY a été adapté plusieurs fois au cinéma et au théâtre. Ci-haut, l’affiche de la version cinématographique de 1945, réalisée par Dalton D. Neela avec Bouglé Rochant. En bas, photo extraite de la version cinématographique de 2009 réalisée par Oliver Parker avec Ben Barnes (à droite) dans le rôle de Dorian Gray.

Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 14 août 2022