APRÈS LES TÉNÈBRES, de Martine Delomme

*<Tu vas bien sœurette ? Appelle-moi dès que tu peux.
En cherchant sur Internet, je suis tombée sur la vente
de certains tableaux par la galerie Goldberg. Il y a
quelque chose qui me tracasse. Il faut qu’on en parle. *
(Extrait : APRÈS LES TÉNÈBRES, Martine Delomme, à
l’origine L’Archipel, 2017, pour la présente, France-Loisirs
éditeur, édition de papier, 400 pages)

En posant les yeux sur ce tableau de Matisse, Marion ignorait quels terribles secrets elle allait déterrer… Étudiante en droit et en histoire de l’art, Marion revient auprès de ses parents à l’occasion d’un stage chez Fabien Goldberg, notaire et homme politique à la carrière prometteuse. Troublé par le charme et l’enthousiasme de la jeune fille, celui-ci l’invite dans le domaine familial et lui fait admirer quelques peintures de grands maîtres. Une toile de Matisse retient l’attention de Marion. Ce Soleil couchant à Collioure ne fait-il pas partie des œuvres d’art disparues pendant la Seconde Guerre mondiale ? Quel que soit le mystère qui se cache derrière cette découverte, il va bouleverser le destin de Marion et de ceux qu’elle aime…

Le secret du galeriste
*À ces mots, Marion se souvint. C’était en travaillant
avec Béatrice qu’elle avait entendu parler de ce
tableau. Il faisait partie des œuvres référencées
par l’association <Dernière Chance> comme n’ayant
jamais refait surface depuis la fin de la guerre. *
(Extrait)

C’est une histoire assez originale ayant comme toile de fond un sujet relativement rare en littérature d’intrigues, le trafic des œuvres d’art et plus spécifiquement les œuvres faisant partie d’une longue liste de toiles disparues au cours de la deuxième guerre mondiale.

L’histoire est celle d’une jeune étudiante en art, Marion Tourneur qui accepte un stage d’été dans un cabinet de notaires. Elle y rencontre Fabien Goldberg. Fabien invite Marion chez son père, Simon Goldberg et lui fait découvrir la célèbre collection de toiles de la famille Goldberg. Une de ses toiles l’intrigue. Après recherche, elle découvre que cette toile est disparue lors de la deuxième guerre mondiale, supposément détruite lors d’un raid ou d’un incendie.

On sait aujourd’hui que les nazis détournaient ces toiles à leur profit. Après hésitations et autres recherches, Mario et sa sœur Béatrice décident d’alerter les autorités. *Désormais, elle avait l’intime conviction que le tableau avait été vendu frauduleusement à la fin de la guerre. Ou bien c’était un faux. Dans l’un ou l’autre cas, elle ne pouvait pas en rester là. * <Extrait> Toutefois, Marion devient graduellement hésitante, ralentie et gênée dans cette démarche parce que, graduellement elle tombe amoureuse de Fabien. Or, il se trouve que la famille Goldberg a beaucoup de choses à cacher.

Je ne peux pas dire que j’ai été emballé par cette histoire qui mêle des techniques d’enquête lourdes avec une histoire d’amour devenant graduellement impossible. J’ai appris toutefois des choses intéressantes sur le trafic d’œuvres d’art et j’ai pu vérifier que le récit est bien documenté. L’enquête présente quelques rebondissements mais la finale est prévisible. Je n’ai malheureusement pas pu m’attacher aux personnages principaux, Marion en particulier, jeune étudiante en amour dont les états d’âme m’ont paru artificiel. Le personnage manque de profondeur et de conviction.

Le récit contient également beaucoup de clichés du genre <sans peur et sans reproche>. L’auteure a quand même réussi à croiser les destins dans un style assez agréable et m’a  accroché en me poussant à me questionner : comment une œuvre d’art disparue ou supposément détruite pendant la guerre peut-elle resurgir comme ça, dans une collection familiale des dizaines d’années après l’évènement. Ce type de trafic est complexe et ça donne au récit un aspect intrigant.

Finalement, c’est le thème du récit qui m’a gardé dans le coup, intéressant et instructif plus que par les croisements d’une histoire d’amour un peu Fleur Bleue avec une enquête qui est de nature à détruire tous sentiments entre les deux protagonistes. L’aspect de la faute des aînés qui pèse sur les épaules des héritiers est intéressant. Il y a des pour…il y a des contre… c’est quand même bien, ça se laisse lire.

Suggestion de lecture : HIVER ROUGE, de Dan Smith

Ancienne chef d’entreprise, Martine Delomme se consacre maintenant à l’écriture. France Loisirs l’a découverte en 2011 grâce à son roman UN ÉTÉ D’OMBRE ET DE LUMIÈRE, qui a connu un énorme succès. Son précédent roman, LE PACTE DU SILENCE a été le livre le plus vendu au Club en 2016.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 11 mars 2023

LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY, Oscar Wilde

*Il n’y a que deux sortes d’êtres qui soient
 véritablement fascinantes : ceux qui savent
absolument tout, et ceux qui ne savent
absolument rien.*
(Extrait : LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY, Oscar
Wilde, édition à l’origine, 1890, réédition, Gallimard
1992. 408 pages. Version audio : Audible studio
éditeur, 2014. Durée d’écoute : 9 heures 28 minutes,
narrateur : Hervé Lavigne)

Par la magie d’un vœu, Dorian Gray conserve la grâce et la beauté de la jeunesse. Seul son portrait vieillira. Le jeune dandy s’adonne alors à toutes les expériences et recherche les plaisirs secrets et raffinés. «il faut guérir l’âme par les sens, guérir les sens par l’âme».  Oscar Wilde voulut libérer l’homme en lui donnant comme modèle l’artiste. Pour se réaliser, il doit rechercher le plaisir et la beauté, sous toutes ses formes, bien ou mal. L’art n’a rien à voir avec la morale.

L’auteur remet en question la société, le mariage, la morale et l’art. Ce livre scandalisa l’Angleterre victorienne, Oscar Wilde fut mis en prison pour avoir vécu ce qu’il écrivait. Au siècle suivant, Proust, Gide, Montherlant, Malraux ont contribué à la célébrité du génial écrivain.

Le parfum de l’irrévérence
*Ce que vous m’avez dit est tout à fait un roman,
un roman d’art l’appellerais-je et le désolant de
cette manière de roman est qu’il vous laisse un
souvenir peu romanesque.*
(Extrait)

C’est un livre étrange qui dégage un parfum de scandale issu d’une écriture aussi belle que noire, aussi audacieuse que décadente. Un livre qui évoque la beauté du diable, envoûtant et un peu glauque. L’histoire n’est pas sans me rappeler le destin de Faust qui, pour éviter la stagnation et la chute de son art, fait un pacte avec le diable.

Ici, le peintre Basil Hallward achève son meilleur tableau à vie. Son modèle est un adolescent d’une incroyable beauté, dont la richesse et le style dandy vont se préciser au fil du récit. Lorsque l’œuvre est fin prête, Basil invite Dorian à la regarder. Le regard traduit d’abord la surprise, puis la fascination. Sur le champ, Dorian Gray fait un vœu insensé : que le portrait vieillisse à sa place et que lui, Dorian, conserve éternellement jeunesse et beauté.

Le diable l’a peut-être entendu, obsédé par la possession d’une nouvelle âme. Toujours est-il que le vœu se réalise. Le récit se centre par la suite sur le nouveau chemin que prend Dorian Gray : celui de la déchéance. Ici l’art est extirpé de toute éthique. Le portrait de Dorian Gray devient graduellement hideux, rongé par la perversité et le stupre.

J’ai cité deux des trois principaux personnages, le peintre, Basil Hallward et le modèle Dorian Gray. Le troisième personnage Lord Henry : sucré à la philosophie facile ayant une tendance très forte à l’hédonisme. Il s’agit de connaître un peu Oscar Wilde, reconnu pour ses mœurs légères, même s’il a beaucoup souffert après avoir reconnu son homosexualité, pour comprendre que Lord Henry donne au récit un caractère autobiographique.

Même les références homosexuelles m’ont semblé *très proches de la surface*. La relation entre Lord Henry est étrange, extrêmement attractive et a quelque chose de pervers. La personnalité de Dorian Gray est très complexe et constitue un défi pour le lecteur et la lectrice qui auront à décider entre autres si les journaux qui publiaient dans les années 1890 exagéraient en jugeant LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY empoisonné et immoral.

Dans ce livre, il n’y a pas d’action proprement dite mais il y a un crescendo évident dans l’intensité dramatique. La toile de Basil devenant le miroir de l’âme de Dorian, l’auteur m’a fait plonger dans les coulisses de la décadence. Le dernier tiers du livre est particulièrement prenant et dramatique.

Le lecteur est témoin d’une transformation radicale du physique de Dorian Gray sur la toile de l’artiste Hallward et d’une transformation toute aussi radicale sur l’âme du Gray vivant : *L’âme est une terrible réalité. On peut l’acheter, la vendre, on peut l’empoisonner ou la rendre parfaite. Il y a une âme en chacun de nous. Je le sais. * (Extrait)

J’ai été moins attiré par le sujet que par la beauté de l’écriture même si les propos de Wilde sont résolument cyniques et frôlent l’immoralité. Il m’a peut-être envoyé promener sans que je m’en aperçoive. Subtilité, finesse sont la substance du non-dit. Il reste que Wilde est acide dans ses propos, surtout ceux qui évoquent l’hédonisme, la misogynie et la dérision.

J’ai beaucoup aimé cette façon qu’a Oscar Wild de tourner en dérision le conformisme british. Enfin, le récit pousse à la réflexion sur le sens de la vie et sur l’influence de l’art. Je n’ai pu faire autrement que de me poser cette question qui vous brûlera peut-être aussi les lèvres : Qu’est-ce que je ferais avec une jeunesse éternelle, sachant que la pureté s’éteint dans un temps si bref qui nous est imparti.

LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY est un roman noir qui frôle la démesure. On peut aussi le considérer comme un roman fantastique sans doute et philosophique sûrement. Le sujet et le développement ne constituent pas pour moi un chef d’œuvre mais la plume est un enchantement.

Suggestion de lecture : L’ÉTRANGE DISPARITION D’AMY GREEN de S.E. Harmon

 

Après de brillantes études littéraires, Oscar Wilde (1854-1900) fréquente la haute société londonienne dès 1879. Ce dandy élégant et à l’esprit vif et cynique s’y forge vite une réputation. Il se fait l’apôtre de l’esthétisme dans ses poèmes aux vers raffinés ainsi que dans ses pièces de théâtre. Mais son oeuvre maîtresse en la matière est certainement son roman fantastique le Portrait de Dorian Gray, publié en 1891. Wilde est alors au sommet de sa gloire.

Il monte pièces et comédies cyniques qui remportent un grand succès. Bien que marié et père de deux enfants, le poète est jugé pour son homosexualité affichée en 1892. Il est envoyé en prison pour deux années et perd dans ce procès sa réputation et l’amour du public. Il meurt dans la solitude à Paris, quelques années après sa sortie de prison. (linternaute)

LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY a été adapté plusieurs fois au cinéma et au théâtre. Ci-haut, l’affiche de la version cinématographique de 1945, réalisée par Dalton D. Neela avec Bouglé Rochant. En bas, photo extraite de la version cinématographique de 2009 réalisée par Oliver Parker avec Ben Barnes (à droite) dans le rôle de Dorian Gray.

Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 14 août 2022