audio
*…deux hommes traités avec plus de mépris que nous. À peine ont-elles pu se résoudre à nous faire donner des sièges, je n’ai jamais vu tant parler à l’oreille entre elles, tant bailler, tant se frotter les yeux et de demander tant de fois quelle heure est-il ? *
(Extrait : LES PRÉCIEUSES RIDICULES, Comédie de Molière, Compagnie du Savoir éditeur, 2014, durée d’écoute : 43 minutes. Comédiens : André Rochel, Francine Dartois, Pierre Stephen, Marie Laurence.)
La fille et la nièce d’un bon bourgeois, nommé M. Gorgibus, sont deux pédantes qui ne rêvent que de se voir entourées de beaux esprits, gens à la mode qui ne parlent que dans un style prétentieux ; elles ont changé leurs noms de Madelon et de Cathos pour les noms plus sonores d’Aminte et de Polixène et elles se posent en précieuses. Gorgibus, qui, avant tout, est un homme de gros bon sens, veut marier ces jeunes filles avec deux jeunes gens de bonne maison, nommés La Orange et du Croisy.
Ces jeunes gens s’expriment avec simplicité et naturel, ce qui ne les recommande pas auprès de Cathos et de Madelon qui les éconduisent avec mépris. Les deux gentilshommes jurent de se venger et envoient chez elles, à cet effet, deux valets impudents, qui se donnent pour des hommes de qualité. Nos deux sottes prennent les extravagances du marquis de Mascarille et du vicomte de Jodelet, puisque tels sont les noms qu’ils se sont donnés, pour la perfection de l’esprit et de la galanterie.
Tout à coup, les maîtres arrivent, le bâton à la main, chercher leurs domestiques ; ils ne manquent pas de railler les coquettes sur le choix de leurs admirateurs et les laissent confondues et accablées de honte. Gorgibus les engage un peu rudement à profiter de la leçon et elles disparaissent devant cette apostrophe foudroyante : « Allez-vous cacher, vilaines, allez-vous cacher. »
Aussi en audio…
La préciosité
un reflet français du XVIIe siècle
*…je n’entends rien à toutes ces balivernes. Je veux
être maître absolu et pour trancher toutes sortes de
discours, vous vous serez mariées toutes deux avant
qu’il soit peu ou ma foi vous serez religieuses…*
(extrait)
Pour ceux et celles qui hésitent à aborder le classique, LES PRÉCIEUSES RIDICULES constituent une merveilleuse porte d’entrée dans cet univers. Il s’agit d’une comédie en un acte exprimée en prose : À l’écoute, ça dure moins d’une heure, c’est drôle, léger, désopilant et antiélitiste. En effet, Molière y développe le thème d’une tendance sociale qui était courante dans la bonne Société française du XVIIe siècle : la préciosité, ce qu’un bon québécois appellerait le snobisme mais c’est peut-être un peu plus complexe.
Compte tenu de la position qu’occupait les femmes dans la Société à cette époque, la préciosité était peut-être un des rares moyens permettant de se tailler une place et gagner un peu de respect. Mais Molière n’en avait cure. Il avait horreur de la préciosité. D’ailleurs. Molière était très critique de ses contemporains. Son regard était sévère. Ça transpire dans toute son oeuvre.
Je note toutefois une certaine retenue de l’auteur dans le texte. Il ne voulait sans doute pas trop se mettre à dos ses contemporains qui appréciaient la préciosité. Cependant, je n’ai pas senti de retenue du côté de la performance vocale des comédiens. Ils m’ont surpris et enchanté par leur entrain et leur déclamation calculée.
Cet opus est loin d’être le meilleur de Molière à mon avis car il caricature deux femmes précieuses et pincées au point d’en être ridicules. Peu de recherche dans le texte, une finale carrément expédiée. C’est écrit à la va vite. Toutefois, il était urgent pour Molière de plaire au roi d’une part et d’assurer son financement d’autre part. Le célèbre auteur a donc planché sur ce qui allait mettre tout le monde à la cour et dans le public d’accord : au-delà de l’humour spontané, de la drôlerie, du burlesque et surtout la caricature.
Molière ne fait que démontrer ici que plus on fait d’artifice, plus on est artificiel. Sans être recherchée et d’une grande profondeur, j’ai trouvé cette comédie drôle et tout à fait divertissante, jouée par d’excellents comédiens. Une pièce qui grossit démesurément les prétentions intellectuelles de deux femmes très ordinaires.
L’idée est bonne quoique légèrement sous-développée. Moi j’ai aimé. Je vous le répète, si vous cherchez une porte d’entrée dans le monde de la littérature classique, et même si vous y furetez déjà, investissez une peu de temps dans LES PRÉCIEUSES RIDICULES. Rire garanti.
Suggestion de lecture : TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, de Voltaire
Jean-Baptiste Poquelin, dont le nom de scène est Molière, naît le 15 janvier 1622 à Paris. Fils d’un tapissier, Jean-Baptiste Poquelin renonce à reprendre l’affaire familiale qui le destinait à une vie bourgeoise et se tourne vers le théâtre. Il fonde en 1643 « l’Illustre Théâtre » et se fixe comme objectif de « faire rire les honnêtes gens ». Il rencontre cette année-là Madeleine Béjart dont il tombe amoureux.
La troupe connaît des débuts difficiles. Elle parcourt la province de long en large de 1646 à 1658. Durant cette période, Jean-Baptiste apprend le métier d’acteur et commence à écrire ses premières comédies comme L’Étourdi et Le Dépit Amoureux sous le pseudonyme de Molière. Devenu dramaturge, son mouvement littéraire est le classicisme et ses œuvres sont principalement des farces et des comédies.
Charlène Vince de l’Internaute.com a publié un article dont le texte ci-haut est un extrait. C’est un dossier abrégé mais excellent sur la vie et l’œuvre de Molière. Cliquez ici.
Les principales œuvres de Molière
Les Précieuses ridicules (1659) L’École des femmes (1662) Dom Juan ou le Festin de Pierre (1665) Le Misanthrope (1666) Le Médecin malgré lui (1666) Amphitryon (1668)
George Dandin ou le Mari confondu (1668) L’Avare (1668) Le Tartuffe ou l’Imposteur (1669) Les Fourberies de Scapin (1670) Le Bourgeois gentilhomme (1670) Les Femmes savantes (1672) Le Malade imaginaire (1673)
Bonne écoute
Claude Lambert
Le dimanche 10 septembre 2023