LETTRES, madame de Sévigné

*M. de La Rochefoucauld voulait que j’allasse chez lui entendre lire une comédie de Molière. Mais en vérité, j’ai tout refusé avec plaisir, et me voilà à mon devoir, avec la joie et la tristesse de vous écrire. *

Extrait : LETTRES, de madame De Sévigné. Pour la présente, version audio : Frémeaux et Associés éditeur, 2004, durée d’écoute : 1 heure 48 minutes, narratrice : Marie-Christine Barrault. Édition de papier : Wentworth press éditeur, 2018, 444 pages. Format numérique, Larousse éditeur, 2014, 14,4 MB, version audio : Frémeaux et Associés éditeur, 2004, durée d’écoute : 1 heure 48 minutes, narratrice : Marie-Christine Barrault.

NOTE : Les LETTRES de madame de Sévigné ont été publiées à l’origine aux Éditions Perrin en 1734-1737 puis en 1754. Ce furent les deux premières éditions officielles. De nombreuses autres suivirent.

L’EXPRESSION DU XVIIe SIÈCLE

Les lettres de madame de Sévigné ont été écrites entre 1671 et 1696, année de sa mort. On compte plus de 760 lettres. La majeure partie de cette correspondance était adressée à sa fille, madame de Grignan. Ces lettres n’étaient pas destinées à être publiées. Elles le seront pourtant progressivement après la mort de l’épistolière.

Ces lettres, bien que sensiblement déformées ou enrichies au fil du temps par des éditeurs ambitieux constituent selon plusieurs observateurs du monde littéraire, une chronique à caractère biographique. Plusieurs de ces lettres se démarquent par leur nature intimiste, mondaine et toujours très observatrice des tendances de la Société française de la fin du XVIIe siècle.

Madame de Sévigné était une épistolière et nom une autrice. D’ailleurs, même si plusieurs critiques considèrent les LETTRES comme un incontournable de la littérature et si je peux me permettre une opinion personnelle, l’œuvre ne présente pas grand intérêt sur le plan littéraire. Toutefois, et c’est ici que ma lecture des LETTRES devint un enchantement, madame de Sévigné était une exceptionnelle portraitiste de son époque.

Ce fut une belle expérience pour moi de prendre connaissance des lettres de la marquise de Sévigné, qui n’a jamais rien publié et qui est pourtant une des femmes de lettres françaises les plus citées. Avant de lire les lettres, j’ai écouté une des nombreuses versions audios, celle de l’éditeur Frémeaux, ce qui a doublé mon émerveillement.

En effet, avec son ton de la confidence et la subtilité des réparties, j’avais l’impression que la narratrice Marie Christine Barrault jasait avec moi en prenant le thé dans mon salon, sous le regard bienveillant du roi Soleil, de Molière ou du moraliste François de la Rochefoucauld. J’ai savouré cette trop brève narration, livré dans le français haut-perché typique de la noblesse du XVIIe siècle.

*Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisants; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort : je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle, que si je pouvais retourner en arrière, je ne demanderais pas mieux.

Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : je suis embarquée dans la vie sans mon consentement; il faut que j’en sorte, cela m’assomme, et comment en sortirai-je ? par où ? par quelle porte ? quand sera-ce ? en quelle disposition ? souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? … comment serai-je avec Dieu ? Qu’aurai-je à lui présenter ? * (Extrait)

Ces lettres sont un condensé de galanterie et de mondanité qui livrent, souvent sur le ton de la confidence et parfois de l’humour, un regard direct et parfois critique de madame de Sévigné sur ses contemporains. Elles sont un reflet de l’histoire de France, écrites dans un style rigoureux que j’ai pourtant trouvé très agréable.

Les LETTRES sont aisées à lire, agréables à écouter, à la portée de tous. Les sujets traités sont extrêmement variés. Pas de longueurs, de monotonie. La richesse historique est remarquable et l’écriture est un pur régal. Donc à lire ou à écouter absolument.

Suggestion de lecture : LES MISÉRABLES, de Victor Hugo

NOTE : Il existe une très belle chanson de Georges Brassens évoquant madame de Sévigné : BÉCASSINE

A sa bouche, deux belles guignes,
Deux cerises tout à fait dignes,
Tout à fait dignes du panier
De madame de Sévigné.  

Les hobereaux, les gentillâtres,
Tombés tous fous d’elle, idolâtres,
Auraient bien mis leur bourse à plat
Pour s’offrir ces deux guignes-là,
Tout à fait dignes du panier
De madame de Sévigné.  
(Extrait de Bécassine)

Paroles de Georges BRASSENS
Musique de Georges BRASSENS
© UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING

La cerise est un fruit très utilisé dans l’art. Ici, Madame de Sévigné établit un lien fort entre une cerise de son panier, la plus belle, avec les Fables de Jean De La Fontaine.  À peine la cerise est-elle dévorée, qu’on s’empresse de passer à la suivante. Sans sombrer dans la facilité, il est tentant de faire la comparaison avec les lettres.

Pour une analyse de BÉCASSINE, visitez analysebrassens.com


L’autrice Marquise Marie de Rabutin-Chantal,
appelée de tout temps Madame de Sévigné

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le vendredi 28 novembre 2025

L’ALIÉNISTE

Commentaire sur le livre de
Joaquim Maria Machado de Assis

*Parler de la folie, quelle étrange entreprise…
Les cliniciens ont substitué au langage de la
folie leur langage sur la folie. *
 (L’ALIÉNISTE, Joaquim Maria Machado de Assis,
extrait de la préface de Pierre Brunel, Métailié éditeur,
1984, format numérique, 98 pages)

Simon Bacamarte, aliéniste diplômé, s’installe dans une paisible bourgade brésilienne et, au nom de la science, fonde un asile d’aliéné. Il classe d’abord et enferme tous les lunatiques, mais son emprise sur la cité déclenche un mécanisme diabolique qui va atteindre la totalité de la population. Avec ce savant en délire, Machado s’attaque avec humour aux dogmatismes scientifiques et politiques. L’aliéniste vit un carnet à la main ; il note les réactions de tous, y compris les siennes. Doit-on le craindre ou rire de lui, comme si l’étude de la folie ne pouvait être que folie

Pas de folie sans fou
*L’attitude de Simon Bacamarte leur parut lourde
de menaces, de calcul et probablement de sang.
L’inconvenance a passé les bornes jugèrent les
deux femmes. Et l’une comme l’autre prièrent
Dieu d’écarter l’épisode tragique qui risquait de
suivre. *
(Extrait)

Malgré toute la gravité du sujet traité, j’ai trouvé que l’auteur ne manquait pas d’humour. Le sujet est grave et parfaitement intemporel. En effet, il est question ici de folie. Voyons le synopsis : L’aliéniste, c’est Simon Bacamarte, un scientifique spécialisé dans l’étude et le traitement de la folie. Au XIX siècle, les contemporains de l’auteur appelait cela un aliéniste. Aujourd’hui, on appelle ça un psychiatre et le terme *Folie* a été banni, remplacé par maladies mentales ou psychiatriques.

Donc le bon docteur s’installe dans une petite ville brésilienne : Itaguaï pour fonder un asile d’aliénés qui portera le nom de *Maison verte*. Je reconnais là, la griffe de Machado de Assis. La personnalité et la force de Bacamarte sont telles que toute la ville lui donne sa bénédiction pour qu’il agisse à sa guise. Mais la définition que Bacamarte se fait de la folie est telle que je me suis demandé, comme lecteur, qui n’était pas fou dans cette histoire.

Un conseiller municipale dissident, personnage de cette histoire exprime parfaitement ma pensée : *Si tant de gens, dont nous estimons qu’ils ont du jugement, sont enfermés en tant que déments, qui nous assure que l’aliéné n’est pas l’aliéniste lui-même ? * (Extrait)

Qu’est-ce qui arrive à une ville quand, de sa population, quatre personnes sur cinq sont déclarées folles? Et quelles dimensions a-t-elle cette maison verte. Des fois, il s’agit d’une bonne carricature pour nous pousser à la réflexion même s’il est question de folie et particulièrement de la définition toute relative qu’on peut lui donner.

C’est un récit tout à fait captivant qui nous réserve des surprises, dont un fantastique revirement de situation qui nous laisse finalement avec autant de fous qu’avant. La plume est légère mais le sujet est grave et pourtant, le résultat final est d’une grande sensibilité et d’une gravité qui saute aux yeux…un problème qu’on tente de régler par l’absurde.

Il ne suffit pas de nous demander si celui qui est le plus fou ne serait pas celui qui voit la folie partout finalement. Machado di Assis va plus loin. Il soulève des questionnements de Société dérangeants. Par exemple, comment le charisme d’une personne peut sceller le destin d’une Société dont les membres sont abaissés au rang de moutons ? Ça s’est vu avec Hitler, Staline et combien d’autres ? C’est quoi exactement la folie ? Quelles sont les limites de l’éthique?

Les contemporains de l’auteur ne se posaient sans doute pas ces questions mais je sais que ce que j’ai lu, c’est un récit fort et d’une brûlante actualité et qui entre dans la vaste zone grise qui sépare la raison de la folie.

De nombreux passages cinglants et bien grossis nous gardent bien campés dans l’histoire : *Tout était folie. Amateurs d’énigmes, auteurs de charades ou d’anagrammes, gens médisants ou curieux de la vie des autres, noceurs et galants, contrôleurs et inspecteurs trop imbus d’eux-mêmes, plus personne n’échappait aux émissaires de l’aliéniste. * (Extrait).

Même si le récit a un peu l’allure d’un conte, il jette un regard sérieux et sévère sur la Société, ce qui n’est pas sans me rappeler les plaidoyers du grand Voltaire en particulier dans son TRAITÉ DE LA TOLÉRANCE. L’ALIÉNISTE est un livre qui atteint le cœur et la raison. À lire absolument.

Suggestion de lecture : RAVAGE, de René Barjavel

Joaquim Maria Machado de Assis est un écrivain brésilien (Rio de Janeiro, 21 juin 1839 – Rio de Janeiro, 29 septembre 1908), fondateur et « Président Perpétuel » de l’Académie brésilienne des lettres. Né d’un père mulâtre et ouvrier, et d’une mère portugaise, blanchisseuse. Pour aider sa mère veuve, Machado de Assis exerce divers métiers, dont, à treize ans, celui de typographe et, plus tard, celui de journaliste.

Autodidacte de génie, il apprend le français et l’anglais, et se dote d’une très grande culture littéraire. Il publie ses premiers poèmes dès l’âge de 16 ans. Il obtint en 1872 un poste de fonctionnaire au ministère de l’agriculture. Cette situation lui permit de publier des romans et des nouvelles qui firent rapidement de lui le grand homme des lettres brésiliennes. En 1897, il fonda l’Académie brésilienne des lettres et devint son président jusqu’à sa mort en 1908.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 1er juin 2024