LE FESTIN NU, de William Burroughs

*Les vétérans de la drogue sont tout pareils. À leur seule
de la camelote, ils commencent à mouiller et gargouiller.
Pendant qu’ils mitonnent leur sauce blanche, la bave leur
dégouline du menton. Ils ont le ventre clapoteux et les
tripes qui papillotent en péristole, et le peu de peau intacte
qui leur reste se dissout… *
(Extrait : LE FESTIN NU, William
Burroughs, folio sf, Gallimard éditeur, t.f. 1964, édition de papier
340 pages.)

L’Interzone. Un territoire qui ne figure sur aucune carte, situé quelque part entre New York et Tanger, dédale infini de rues Un lieu fantomatique, où se réfugie William Lee après avoir accidentellement tué sa femme. Persuadé d’être un agent secret au centre d’une gigantesque machination, Lee commence à rédiger des rapports pour le compte d’une mystérieuse corporation internationale, communiquant avec elle par l’intermédiaire d’une machine à écrire fort loquace…Vertigineuse descente aux enfers de la drogue –

Le macabre imaginaire
*L’image pervertie de l’homme évolue de
minute en minute, de cellule en cellule…
la misère, la haine, la guerre, gendarmes
et voleurs, la bureaucratie, la folie, tous
les symptômes du virus humain. Or, on
peu à présent isoler et soigner le virus
humain. *
(Extrait)

C’est un roman étrange, très dur, fort, noir, atypique, qui ne cache d’aucune façon son caractère autobiographique. C’est un récit qui est aussi très dur à comprendre parce qu’écrit dans un langage très argotique et incohérent, frôlant même le délire. On dirait une suite de récits interrompus. Certains de ces passages me rappellent un peu l’écriture automatique. Le langage utilisé, ainsi qu’une traduction laborieuse m’ont obligé à rester en surface mais j’ai vite compris la nature de l’écrivain. Humain mais camé. Très camé.

En principe, quand Burroughs a commencé à écrire LE FESTIN NU, il devait être libéré de la drogue. Je suis un peu sceptique après la lecture d’une substantielle quantités de passages exubérants et irrationnels qui sont souvent à soulever le cœur. Burroughs ne se fait pas d’illusion sur ce que pensera de lui le lecteur mais il insiste sur un point important sur lequel pourra s’accrocher les lecteurs et lectrices comme à un fil conducteur :

*…le virus de la drogue constitue le problème médical numéro un du monde moderne. Traitant de ce problème médical, LE FESTIN NU est fatalement brutal, obscène et répugnant. La maladie et ses détails cliniques ne sont pas pour les estomacs délicats. * (Extrait) Croyez-moi, il n’exagère pas.

Je vous en averti à nouveau, LE FESTIN NU n’est pas facile à suivre étant issu d’un esprit torturé qui s’exprime dans un langage démesurément chaotique : *…m’échauffez pas le sang ou je vous en raconte une si raide qu’elle va vous mettre le paf au garde-à-vous et vous partirez à japper après la coquillette rose du con tout neuf ou la jolie chansonnette gicleuse d’un petit cul brun d’écolier qui vous joue sur la bite comme sur un pipeau. * (Extrait) Tout à fait à l’image du livre.

Traduire un tel ouvrage a dû provoquer quelques maux de tête au traducteur éric Kahane. Pour aider un peu à la compréhension du récit et le rendre plus supportable à suivre, l’auteur a créé L’INTERZONE, une région fictive pour satisfaire tous les fantasmes, débauches sexuels débridées à l’extrême, orgies, stupre et dépravation homosexuelle et surtout un terrain où l’expérimentation chimique et médicamenteuse prolifère. Et je ne parler pas ici de médicaments pour les maux de tête. Je parle de véritables recettes de mixtures addictives qui contrôlent totalement leurs consommateurs et les condamnent irrémédiablement.

C’est un ouvrage chaotique et décousu mais pourtant, il m’a parlé. À bâtons rompus bien sûr, mais j’ai cru déceler quelque chose…un message…un avertissement…un énorme WARNING si vous me passez le terme anglais.

Ceux qui connaissent le courant littéraire issu de la *beat generation* comprendront sûrement qu’on ne peut pas rejoindre Burroughs dans la profondeur de son jugement. Je peux donc pardonner la vulgarité et les bassesses exprimées par un esprit atypique. La lecture de ce livre fut pour moi disons une expérience. Elle sera difficile à oublier. Si vous tentez l’expérience, une suggestion : n’allez pas trop en profondeur. Si vous pouvez saisir la poésie de l’auteur sans en comprendre le sens, c’est que vous avez tout compris.

Suggestion de lecture : AMERICAN GODS, de Neil Gaimen

William S. Burroughs (1914-1997) était un romancier et un artiste américain, une des principales figures de la beat génération et à ses figures emblématiques dont Jack Kerouac et Allen Ginsburg.. Principalement connu pour ses romans hallucinés mêlant drogue, homosexualité et anticipation, William Burroughs a élaboré le cut-up, technique littéraire consistant à créer un texte à partir d’autres fragments textuels d’origines diverses.

LE FESTIN NU AU CINÉMA

Le livre de Burroughs a été adapté au cinéma en 1991 par David Cronenberg. Synopsis : Employé dans une société new-yorkaise qui élimine les cafards, Bill Lee, ex-junkie, est accusé d’avoir détourné la précieuse poudre utilisée pour cette extermination. En proie à un délire hallucinatoire, il écrit « Le Festin nu ». Il tue sa femme accidentellement après l’avoir surprise faisant l’amour avec leurs deux meilleurs amis. Distribution : Peter Weller, Judy Davis, Ian Holm et Julian Sands. PRIX GÉNIE du meilleur film.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi janvier 2024

GRAVÉ SUR CHROME, de WILLIAM GIBSON

*Le Drome puait le trafic : arrière-goût métallique de tension nerveuse. Des malabars éparpillés dans la foule jouaient des biceps en échangeant de minces sourires glacés et certains étaient noyés sous de telles masses de muscles greffés, qu’ils n’avaient presque plus figure humaine.* (Extrait : GRAVÉ SUR CHROME, recueil de nouvelles
de William Gibson, T.F. : Éditions La Découverte, 1987. Édition numérique, 190 pages)

GRAVÉ SUR CHROME est un recueil de nouvelles au style cyberpunk évoquant un monde sur encadré par l’hyper technologie, en particulier les technologies de l’information. Le recueil comprend 9 nouvelles dont JOHNNY MNEMONIC (adapté au cinéma), Coécrit avec Michael Swanwick. En tout, neuf nouvelles plongent le lecteur dans l’hyper-technologie, un monde qui peut sembler surréaliste mais qui dépeint une société qui évolue rapidement en développant différents thèmes sociologiques.

Les nouvelles :

1)    Johnny Mnemonic, William Gibson
2)    Fragments de rose en hologramme, William Gibson
3)    Le genre intégré, William Gibson et John Shirley
4)    Hinterlands, William Gibson
5)    Étoile rouge, blanche orbite, William Gibson et Bruce Sterling
6)    Hôtel New Rose, William Gibson
7)    Le marché d’hiver, William Gibson
8)    Duel aérien, William Gibson et Michael Swanwick
9)    Gravé sur chrome, William Gibson

Traduction : Jean Bonnefoy

VERTIGE HYPERTECHNOLOGIQUE
*Chrome : son joli visage enfantin aussi lisse que
l’acier, avec des yeux…gris et froids qui vivaient
sous une terrible pression. On disait qu’elle
mitonnait ses cancers maison pour les gens qui
la croisaient, variation rococo sur mesure qui
prenaient des années à vous tuer.
(Extrait : GRAVÉ SUR CHROME du recueil GRAVÉ SUR CHROME)

En lisant ce recueil de nouvelles vous pénétrez au cœur d’un style littéraire un peu dégingandé pour mon goût quoique très visionnaire, sombre, bariolé, saturé de synthétique, de rebuts et de gadgets ultra-technologiques.

Ce style crépitant fut ourdi par Gibson lui-même avec la publication de son livre NEUROMANCIEN en 1984 qu’on trouve maintenant dans toutes les bibliothèques de SF et dans le top 20 à vie des meilleurs livres de science-fiction.

La plus connue de ces nouvelles est sans doute JOHNNY MNEMONIC adaptée au cinéma et incarné par Keanu Reeves qui transporte dans son cerveau des informations auxquelles il n’a même pas accès lui-même…un disque dur vivant qu’on cherche à éliminer et ce ne sera pas simple…l’archétype du genre : très punk, très cyber, froid.

J’ai eu de la difficulté à lire ce livre au complet. La plume de William Gibson est confuse. Ses nouvelles n’ont à peu près pas de fils conducteurs et prennent toutes sortes de directions. Il m’a fallu souvent revenir en arrière pour comprendre certains développements, certains passages.

Aussi, contrairement à la science-fiction classique, Gibson accorde une importance à mon avis démesurée à la psychologie de ses personnages. Ça crée des longueurs et des temps morts dans un environnement qui explore dans la plupart des nouvelles un monde spasmodique noyé dans une ultra-technologie froide et sans âme.

Après JOHNNY MNEMONIC, je suis tombé sur FRAGMENTS DE ROSE EN HOLOGRAMME, une histoire banale, linéaire. Imaginez un homme qui ne peut pas accepter de vivre sans son ex…qui tente de revivre un passé révolu.

Je me disais au départ que j’aurais quelque chose d’un peu moins techno et plus humain. Très humain en effet mais triste et déprimant à mourir. C’est un récit lent, dépourvu d’action et étouffant par son absence d’espoir.

Il y a quand même une nouvelle qui s’est démarquée des autres et qui est venue me chercher, pas toujours facile à suivre mais offrant au moins une matière accrochante. Comme ça se produit souvent dans les recueils, Gibson a gardé le meilleur pour la fin. Il s’agit de la nouvelle en titre : GRAVÉ SUR CHROME.

Notez que, comme c’est le cas de quelques autres nouvelles, GRAVÉ SUR CHROME va et vient dans le temps et raconte l’histoire de deux hackers très doués qui décident de s’attaquer à la forteresse de Chrome, la barrière informatique hyper sophistiquée d’une entreprise qui gère des milliards dans le cyberespace.

Pour parvenir à briser Chrome, nos magouilleurs récupèrent un programme destructeur russe extrêmement virulent qu’ils utiliseront au péril de leur vie, pour détourner à leur profit, le gigantesque flux financier qui transite au-delà de Chrome. Donc, une seule condition pour réussir : GRAVER SUR CHROME.

Au moins dans cette nouvelle, j’ai senti un but, un objectif, un peu d’action et des indices qui permettent aux lecteurs de sous-peser les chances de Bobby et Automatic Jack, les deux hackers, de réussir ou de se planter.

Là aussi, il y a des digressions, des longueurs, de longs passages sur les états d’âme des principaux acteurs mais au moins j’ai pu m’accrocher à une intrigue, bénéficier d’une plume plus structurée, plus disciplinée et même un peu plus chaude. J’ai beaucoup apprécié la finale. Dans l’ensemble, GRAVÉ SUR CHROME est un beau texte.

Voilà, tout est une question de goût finalement, je vous ai donné quand même une bonne idée du monde dans lequel nous fait plonger Gibson : un monde glacial, échevelé, étouffé par une puissante circulation de l’information, un monde saturé de drogues synthétiques qui flirt dangereusement avec la criminalité.

C’est ce qu’on appelle le CYBERPUNK. En faire l’essai pourrait en convaincre plusieurs que, finalement, rien ne pourra jamais occulter la science-fiction classique.

Personne ne pourra mettre dans l’ombre George Orwell qui nous a donné 1984, Frank Herbert, le créateur du cycle de DUNE, Isaac Asimov, à qui on doit le cycle de FONDATION, Ray Bradbury avec les chroniques martiennes, Dan Simmons avec son cycle d’Hypérion, René Barjavel qui nous a donné LA NUIT DES TEMPS et j’en passe vous vous en doutez bien.

Toutefois, je me permets d’ajouter à cette liste un ouvrage dont le style pourrait se rapprocher sensiblement de celui de William Gibson : LE GUIDE DE VOYAGEUR GALACTIQUE, la saga H2G2 de Douglas Adams publiée en 1979.

Vous savez…la fameuse trilogie publiée en cinq volumes. J’ai déjà commenté sur ce site le 2e opus :  LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE.

Voilà amis lecteurs, amies lectrices, vous voici aux portes de deux mondes : la science-fiction classique qui recèle d’extraordinaires trésors et une science-fiction émergente appelée CYBER-PUNK. Si comme moi, vous voulez essayer des nouvelles tendances sans garantie d’aimer, alors je vous invite à lire GRAVÉ SUR CHROME.

William Gibson est un écrivain américain né en 1948 en Caroline du Sud. En 1968, pour éviter d’être envoyé au Vietnam, il fuie vers le Canada, et reprend ses études. Vers la fin des années 70, Gibson commence à écrire des nouvelles.

Il développe des sujets d’anticipation sur la réalité virtuelle alors émergente, la cybernétique et sur un portrait de la race humaine dans un futur pas si lointain.

Gibson se spécialise donc en science-fiction mais dans un style plutôt gothique qui adopte la tendance punk également émergente à l’époque. Le CYBERPUNK est né officiellement en 1984 avec NEUROMANCIEN, détenteur de plusieurs prix.

Deux de ses nouvelles seront portées à l’écran (voir plus bas). Enfin, Gibson collaborera avec Tom Maddox à l’écriture de deux épisodes de la célèbre série X-FILES. 

Même titre pour le film et la nouvelle : JOHNNY MNEMONIC, scénarisé par l’auteur de la nouvelle : William Gibson. Production Canado-américaine réalisé en 1995 par Robert Longo avec Keannu Reeves, Dolph Lundgren et Dina Meyer.

   

Là aussi, même titre pour le film et la nouvelle : HOTEL NEW ROSE FILM AMÉRICAIN SCÉNARISÉ PAR William Gibson et réalisé par Abel Ferrara en 1998 avec Asia Argento, Christopher Walken et Willem Dafoe.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 25 mars 2018

LA CAGOULE, livre de François Gravel

*Les gardiens ont sans doute l’air de bandits, mais les psys ont vraiment l’air de psys. Sont-ils dangereux eux aussi? À qui puis-je me fier?* (Extrait : LA CAGOULE, François Gravel, Québec Amérique jeunesse, 2009, papier, 240 pages)

Maxime, un adolescent de 16 ans vient de terminer un séjour en centre d’accueil après avoir été reconnu coupable de trafic de drogue. Juste avant sa libération, la juge offre à Maxime  de participer à un programme expérimental de réhabilitation. Ce qui l’amène dans un centre mystérieux, perdu en forêt. Il s’apercevra bien vite que ce centre use de méthodes étranges et peu rassurantes. Caché sous une cagoule, et perturbé par le message de sa psy qui lui recommande d’aller  au bout de sa violence, Maxime sera confronté à un nouveau choix : s’extirper de la délinquance ou y plonger encore davantage. Qu’est-ce qui se cache dans ce camp?

LE CERCLE VICIEUX DE LA DÉLINQUANCE
*Dix mille questions se bousculent dans ma
tête, mais il y en a une qui revient sans
cesse et qui finit par éclipser toutes les
autres : Qu’est-ce que je fais ici? J’ai
l’impression d’être manipulé depuis le
début, mais je ne sais pas par qui, ni
pourquoi.*
(Extrait : LA CAGOULE)

C’est un livre intéressant qui donne la parole à Maxime, un adolescent de 16 ans qui raconte un épisode plutôt éprouvant de sa vie dans un mystérieux centre de réadaptation perdu dans les bois à quelques minutes de la frontière américaine. Tout y est étrange.

Les jeunes ont tous reçu une consigne stricte de silence et se voient imposer des activités qui ne riment à rien comme par exemple, transporter des sacs à dos fermés hermétiquement sur de longs parcours… très bizarre. Pire, on leur offre quotidiennement de la marijuana à fumer tranquillement autour du feu de camp.

Maxime, qui ne consomme pas malgré le fait qu’il avait été condamné pour trafic de drogue est poussé par un mystérieux personnage appelé le Mohawk à faire comme les autres et de laisser aller les choses. Alors, portant sa cagoule qui n’est rien d’autre qu’un manteau surmonté d’un capuchon, il observe, de plus en plus intrigué et irrité par une impression très forte d’être manipulé.

C’est une histoire touchante mettant en scène des personnages attachants. Elle a comme thème la délinquance juvénile et la drogue mais elle explore aussi des thèmes plus profonds comme l’estime de soi, la volonté et la fragilité de l’adolescence face à une société manipulatrice.

On trouve tout ce que les jeunes apprécient dans un livre : du suspense, de l’intrigue, du mystère, de l’imagination, une finale spectaculaire et j’ajoute que l’auteur a développé son histoire de façon à ce qu’elle ne soit pas moralisatrice même s’il est difficile d’éviter les allusions sur les grands dangers de déviation que présente le monde de la drogue. Mais l’histoire est davantage un message d’espoir qu’un jugement sur la jeunesse.

L’écriture est soignée, sensible et équilibrée. L’histoire est développée avec intelligence et amène le jeune lecteur tout doucement à une réflexion sur sa qualité de vie actuelle et future. C’est un beau défi que François Gravel a relevé je crois.

Les épisodes d’introspection de Maxime constituent selon moi les plus beaux passages de l’histoire et donnent à l’ensemble une évidente touche de réalisme. En effet Maxime sera confronté à un choix qui décidera finalement de sa vie future et le récit met en perspective cette capacité qu’ont les jeunes, règle générale, à raisonner, analyser, distinguer le bien du mal et les choix auxquels ils sont souvent confrontés : écouter le cœur ou la raison…

Un récit bien construit aux rebondissements surprenants…parfait pour les 12 ans et plus.

Suggestion de lecture : L’OEIL DE CAINE, de Patrick Bauwen

François Gravel est un écrivain québécois né en 1951. Il écrit pour les petits et les grands. Son œuvre littéraire est gratifiée par de nombreuses récompenses dont le prix TD de littérature canadienne pour l’enfance et la jeunesse en 2006. Ses romans décrivent avec justesse la réalité sociale de la jeunesse en particulier avec bien sûr une touche de fiction, de rêve et d’humour. Il a créé entre autres pour les jeunes la série KLONK et la série DAVID, toutes deux rehaussées des magnifiques illustrations de Pierre Pratt

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
MARS 2016