LA SERVANTE ÉCARLATE, de Margaret Atwood

*En un sens le Mur est encore plus sinistre quand il est vide,
 comme aujourd’hui. Quand quelqu’un y est pendu, au moins
on est informé du pire. Mais, désert, il est latent comme un
orage qui menace. *

(Extrait : LA SERVANTE ÉCARLATE, Margaret
Atwood, à l’origine : RLaffont éditeur, 2015, papier, 544 pages. Version
audio : Audible éditeur, 2019, durée d’écoute : 11 heures 19 minutes,
narratrice : Sarah-Jeanne Labrosse)

Devant la chute drastique de la fécondité, la république de Gilead, récemment fondée par des fanatiques religieux, a réduit au rang d’esclaves sexuelles les quelques femmes encore fertiles. Vêtue de rouge, Defred, «servante écarlate» parmi d’autres, à qui l’on a ôté jusqu’à son nom, met donc son corps au service de son Commandant et de son épouse. Elle songe au temps où les femmes avaient le droit de lire, de travailler… En rejoignant un réseau secret, elle va tout tenter pour recouvrer sa liberté.   

Indémodable
*Nous apprîmes à lire sur les lèvres, la tête à plat sur le
lit, tournées sur le côté à nous entr’observer la bouche.
C’est ainsi que nous avons échangé nos prénoms, d’un
lit à l’autre :
Alma, Jeanine, Dolorès, Moïra, June…*
(Extrait)

C’est une histoire sombre et choquante qui se déroule dans une société dystopique étouffante et dans laquelle les femmes sont asservies au bon plaisir, aux caprices et au besoin de la Société, les servantes en particulier, appelées *les tantes*, portant la robe écarlate, qualifiées de parias et dont le rôle en est un de reproduction humaine essentiellement.

Les femmes qui ne servent à rien sont envoyées dans les lointaines colonies où elles sont affectées aux tâches les plus repoussantes. Defred est l’héroïne du roman. C’est une servante écarlate, donc destinée à la reproduction sans le droit de séduire. Elle se qualifie elle-même d’utérus à deux pattes, de calice ambulant. Defred raconte son histoire, au compte-gouttes je dois dire, dans un rythme désespérément lent.

Le premier quart du récit traîne en longueur mais mon intérêt s’est accru à partir du moment où la servante écarlate décide de rejoindre un réseau secret de femmes désireuses de s’organiser afin de devenir libres. Cette démarche est très justement appelée *la route clandestine des femmes* dans le récit.

C’est un livre fort. L’écriture est puissante et ne ménage pas les lecteurs et encore moins les lectrices. Style direct, parfois incisif. Il n’y a pas d’action dans cette histoire, pas de rebondissement mais elle rappelle, parfois crument le prix démesuré que beaucoup de femmes ont payé pour leur liberté. À ce niveau, on peut qualifier LA SERVANTE ÉCARLATE de roman *Coup de poing*.

Cette histoire, qui n’est pas sans rappeler *1984* du grand Orwell se déroule dans une Société sans âge mais elle est suivie de l’analyse d’un conférencier spécialisé dans l’histoire de la République de Giléad dans laquelle évolue Defred. C’est un aspect très intéressant de LA SERVANTE ÉCARLATE car cette analyse est livrée dans un très lointain futur et jette donc un regard très critique sur les tares d’une très ancienne Société.

J’ai trouvé l’idée très bonne car elle apporte de l’éclairage sur un récit parfois difficile à suivre, si je me réfère du moins aux souvenirs de Defred. C’est un roman qui donne à réfléchir en particulier sur le sens de la liberté, le prix à payer pour la conquérir et le courage nécessaire pour la gagner. Si j’analyse la situation des femmes dans le monde, compte tenu entre autres des lourdeurs et des absurdités religieuses, le livre demeure d’une brûlante actualité.

Suggestion de lecture : I.R.L. d’Agnès Marot

Née au Canada, Margaret Atwood est depuis plus d’un demi-siècle une des forces vives de la scène littéraire internationale. Ses romans embrassent féminisme, changements climatiques, religion et technologie, puisant dans les multiples champs d’intérêt de l’écrivaine, qui est aussi inventrice, ainsi que poète, essayiste et critique littéraire accomplie.

Elle a écrit plus de 40 romans dont Le tueur aveugle, Œil-de-chat et La servante écarlate, un classique de la littérature dystopique – ont remporté certains des prix littéraires les plus prestigieux, comme le prix Arthur C. Clarke. Avec Les testaments, son dernier roman – la suite de La servante écarlate –, elle a remporté le prix Booker 2019.

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
Le mardi 25 juillet 2023

VIOLENCE À L’ORIGINE, de MARTIN MICHAUD

*Valeri poussa une plainte horrible. Un cri
bestial, à glacer le sang. Le cri d’un animal
blessé qui sait d’instinct que la mort gagne
du terrain et que, cette fois, il n’y aura pas
de dérobade.*
(Extrait : VIOLENCE À L’ORIGINE, Martin Michaud,
Les Éditions Coup d’œil, 2016, papier, 475 pages.)

La tête d’un haut-gradé de la Police de Montréal est retrouvée dans un conteneur à déchet. L’assassin laisse un message clair : d’autres têtes pourraient rouler. L’enquête est confiée au détective Victor Lessard, tourmenté par son passé, personnage récurrent de l’œuvre de Michaud, (voir LA CHORALE DU DIABLE) Victor forme une équipe dans laquelle on retrouve entre autres, la redoutable Jacinthe Taillon. Victor devra résoudre le mystère d’une horrible toile qui semble inextricable et qui pourrait bien capturer son corps et son âme…

Un tueur hors-norme
*On dit que l’humain est la seule créature
du règne animal qui prend plaisir à tuer
ses congénères. On voudrait nous faire croire
le contraire, mais il s’agit précisément là de la
nature humaine*
(Extrait : VIOLENCE À L’ORIGINE)

C’est la troisième fois que je parle de Martin Michaud. Certains se rappelleront peut-être le commentaire assez favorable que j’ai publié le 30 aout 2015 sur son livre LA CHORALE DU DIABLE, et un autre commentaire que j’ai publié le 24 janvier 2016 sur le recueil de nouvelles CRIMES À LA LIBRAIRIE, dans lequel Michaud publie un texte très intéressant : UNE LONGUE VIE TRANQUILLE.

Il semble que Martin Michaud soit devenu un incontournable, ce que confirme les milieux littéraires québécois et même la francophonie canadienne.

De Martin Michaud, j’ai lu cette fois VIOLENCE À L’ORIGINE, un thriller puissant dans lequel j’ai pu retrouver deux personnages familiers que j’appelle les gentils mufles : Victor Lessard qui semble près de faire la paix avec son passé et Jacinthe Taillon, une caractérielle mal embouchée mais très efficace. Encore une fois, Martin Michaud nous offre quelque chose de solide, original, intriguant et haletant. Voyons voir…

La tête de Maurice Tanguay, un haut gradé du Service de Police de la Ville de Montréal est retrouvée dans un conteneur à déchet. Dans sa bouche, on retrouve un petit sachet avec un message à l’intérieur : «Le commandant Maurice Tanguay a été jugé et exécuté le 13 juillet à 3h25. Tanguay était le premier…le dernier sera le Père Noël». (Extrait)

Sur un mur à proximité, on retrouve un graffiti qui explique comment sera commis le prochain meurtre. Voilà donc le modus operandi du meurtrier qui annonce ainsi une série d’exécutions et de gros maux de tête pour les enquêteurs du SPVM, de la GRC et de la SQ qui iront de surprise en surprise.

Voilà, il m’est difficile d’en dire plus sans atteindre le cœur de l’histoire. Je peux toutefois vous dire que Maurice Tanguay était loin d’être un enfant de Chœur : «Fallait-il attribuer un sens au fait que la tête de la victime avait été retrouvée dans un conteneur à déchets?» (Extrait)

Les policiers seront carrément propulsés dans une histoire d’horreur qui évoque un fait malheureusement très réel et dont j’ai déjà parlé dans mon commentaire sur l’autobiographie d’Arielle Desabysses 14 ANS ET PORTÉE DISPARUE. Il s’agit du trafic humain ou esclavage sexuel, une plaie que la Société a tendance à occulter et qui est répandue partout, y compris au Québec, à Montréal en particulier.

Le récit est complexe car trois affaires s’imbriquent parfois dans la même enquête, ce qui éclaire beaucoup certains éléments laissés obscurs dans les livres précédents, mais grâce à une extraordinaire maîtrise de l’écriture et de l’intrigue et à un fil conducteur solide, VIOLENCE À L’ORIGINE est un régal à lire.

C’est un polar très sombre, voire noir mais riche et malgré tout teinté d’humour avec entre autres Jacinthe Taillon qui n’a pas peur des mots et un langage très québécois avec jurons appropriés. Le tout vient alléger une atmosphère parfois inévitablement lourde.

Michaud a développé sans excès la psychologie de ses personnages. Son roman est original parce qu’il a créé un tueur en série plutôt hors-normes avec des motivations complexes dont celle de faire justice soi-même, un problème de société vieux comme le monde.

Un petit fait à noter : dans le récit, Victor Lessard se rend régulièrement chez sa psychologue pour des problèmes évoqués dans les livres précédents. Je voyais ça comme le vieux cliché, répandu en littérature policière, du policier qui tente de combattre et vaincre ses démons du passé. Je trouvais ça un peu agaçant. Mais à la fin de l’histoire, j’ai compris pourquoi ce choix de l’auteur et j’ai trouvé ça brillant.

C’est toute la structure du récit qui est impeccable, ainsi que le développement du schéma de pensée. Les rebondissements s’enchaînent dans des chapitres courts. Ça se lit vite, le temps passe vite et lever le nez du livre est aussi difficile que de trouver le coupable car l’issue est imprévisible.

En terminant, ceux et celles qui lisent régulièrement mes textes savent que je suis sensible aux messages, petites morales et matières à réflexion issus des livres. Dans VIOLENCE À L’ORIGINE, les thèmes à réflexion ne manquent pas : la loi du Talion ou le principe du œil-pour-œil-dent-pour-dent et la tentation de se faire justice soi-même.

C’est inconcevable dans toutes sociétés civilisées mais ce problème encore fréquent de nos jours a toujours suscité réflexion et questionnements.

Il y a aussi matière à réflexion sur la violence faite aux femmes ainsi que sur les incroyables bassesses et perversités issues du trafic humain. N’ayons pas peur des mots, il s’agit de commerce sexuel et plus souvent qu’autrement avec des mineures. Ce trafic existe, même au Québec. Il n’y a rien de plus certain.

Enfin, une réflexion sur la manipulation et la violence, autant psychologique que physique, phénomène que l’auteur semble définir comme atavique, donc très tenace. Cette réflexion est distinctement exprimée dans le récit :

*On porte tous en nous la capacité de détruire et de tuer. On a tous un potentiel de violence à l’origine…ce qu’on appelle le mal est en chacun de nous. Et le seul rempart entre le chaos et la paix sociale, c’est la société qui, avec ses lois et ses règles nous permet de vivre dans une relative harmonie. Mais, parfois, des individus déviants se glissent dans les mailles du filet* (Extrait) on comprend mieux le titre maintenant.

Excellent bouquin. Beaucoup d’action et de rebondissements, une intrigue solide, le développement est impressionnant et la finale est superbe, bien imaginée, peu prévisible et elle laisse croire à une suite possible même si le livre dans son ensemble donne l’impression de la fin d’un cycle. Enfin, bien que plutôt noir, le roman ne manque pas de sensibilité. Du grand Michaud je dois dire.

Né à Québec en 1970, Martin Michaud est un véritable homme-orchestre : avocat, scénariste, écrivain, il est aussi musicien. Sur le plan littéraire, il s’est spécialisé dans le thriller à forte intensité.

Ses trois premiers ouvrages (IL NE FAUT PAS PARLER DANS L’ASCENSEUR et LA CHORALE DU DIABLE en 2011, JE ME SOUVIENS en 2012) obtiennent un succès spontané et fulgurant avec la création d’un personnage tourmenté mais d’une impeccable moralité : Victor Lessard qui récidive dans VIOLENCE À L’ORIGINE. Son œuvre lui vaut de prestigieux prix littéraires.

Pour en savoir davantage sur cet auteur déjà qualifié de maître du thriller québécois, consultez le site internet michaudmartin.com Je vous invite également à lire mon commentaire sur LA CHORALE DU DIABLE, de Martin Michaud, publié sur ce site en août 2015.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 12 août 2018