Les liaisons dangereuses

Commentaire sur le livre de

PIERRE-AMBROISE-FRANÇOIS CHODERLOS DE LACLOS

(Lettre de la marquise de Merteuil au vicomte de Valmont)
*Croyez-moi, Vicomte, on acquiert rarement les qualités dont on peut se passer. Combattant sans risque, vous devez agir sans précaution. Pour vous autres hommes, les défaites ne sont que des succès de moins. Dans cette partie si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, et votre malheur de ne pas gagner. *

Extrait : LES LIAISONS DANGEREUSES, de Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos. Publié à l’origine en 1782 chez Durand-Neveu. Pour la présente, version audio : Gallimard éditeur, 2015, durée d’écoute : 8 heures 46 minutes, narrateurs : Karin Viard et Thibault de Montalembert. Édition de papier : plateforme indépendante d’édition, 2016, 298 pages.

Un classique épistolaire

C’est la première fois que je lis un roman épistolaire. Je n’ai jamais été attiré par ce genre littéraire dans lequel il n’y a pas de narrateurs mais plutôt un échange de lettres, de correspondances dans un but précis. J’ai apprécié cette expérience même si je n’ai pu m’attacher aux personnages dont les deux principaux sont d’invétérés manipulateurs à la morale douteuse. L’histoire, essentiellement développée dans une suite de lettres, met en scène principalement le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil, deux anciens amants versés dans le libertinage qui se confient leurs projets de conquête amoureuse.

La marquise cherche à dépraver la jeune Cécile de Volanges pour assouvir une vengeance tandis que le vicomte manœuvre pour séduire la présidente de Tourvel, virginale et vertueuse. Ici, la marquise et le vicomte jouent un jeu dangereux : tromper tout le monde en préservant leur réputation. Mais ces jeux couverts d’hypocrisie ont leur limite.

Au départ, je croyais me lancer dans la lecture d’un roman libertin. Ce n’en est pas un. Je croyais lire un roman basé sur l’amour courtois, ce n’est pas le cas non plus. L’amour courtois est un concept qui valorise l’amour chevaleresque, noble. Dans LES LIAISONS DANGEREUSES, c’est tout le contraire, et c’est un aspect qui m’a fasciné. L’amour y est présenté comme malintentionné, manipulateur. C’est l’amour courtois perverti. C’est-à-dire que le vicomte et la marquise utilisent les codes et le langage de l’amour courtois pour endormir leurs victimes, les tromper, les manipuler. Ce livre pose plusieurs défis qui le rendent à mes yeux attrayants : d’abord apprécier et comprendre la profondeur psychologique des personnages. Ça m’a permis de bien apprécier leur pouvoir manipulateur et la déviance de leur moralité.

Si le roman n’est pas libertin comme tel, il est quand même basé sur des intrigues libertines et ces machinations secrètes sont développées avec une finesse et une précision extraordinaires. C’est le point fort du roman.

L’autre défi intéressant est de saisir la complexité du langage de la France du XVIIIE siècle. Ce n’est pas toujours simple pour les lecteurs d’aujourd’hui. Beaucoup ont considéré cet élément comme un point faible du roman, Pour moi, c’est un défi fort enrichissant. La grande faiblesse tient plutôt dans la lenteur de l’intrigue et de ses nombreux changements de directions. Ça peut devenir lassant pour beaucoup de lecteurs même si cet aspect est propre au genre épistolaire.

Cette nouvelle plongée dans la littérature classique m’a ravi. Pas de crudité, pas de sadisme, pas de violence mais un reflet de l’amour en dissonance, évoquant la manipulation, le pouvoir, ces thèmes éternels qui font de LES LIAISONS DANGEREUSES une œuvre toujours actuelle…chaudement recommandée.

Suggestion de lecture : LES PRÉCIEUSES RIDICULE, de Molière


L’auteur Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos

 

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 16 août 2025

11 SERPENTS, le livre de PHILIPPE SAIMBERT

*Les yeux grands ouverts, la bouche en cul de poule, la médium des familles fixait un point devant elle. Nul doute, une âme se tenait là et avait accepté de lui causer.*(Extrait : 11 SERPENTS, Philippe Saimbert, Éditeur : Philippe Salamagnou, 2016, numérique et papier, 255 pages numériques)


La terrible cousine Abeline, aussi riche qu’originale, convie amis et famille dans son domaine pour leur faire une étrange proposition. Elle leur propose un jeu où les participants devront se montrer drôles et machiavéliques.

Elle cédera la moitié de sa fortune à celui ou celle qui remportera le défi. 11 invités. 11 serpents. Le gagnant sera celui qui mordra le plus fort.

 


POUR LE PLAISIR DE TOMBER BAS

*Désolé mais dans la vie, celui qui ne rend pas
les coups est destiné à en recevoir de nouveaux…
Mais je vais te dire une chose. Que tu ne devras
jamais oublier. Et qui te servira plus tard. Celui
qui gagne, c’est celui qui baise en dernier !
(Extrait : 11 SERPENTS)

Abeline est une femme très riche et excentrique. Elle convie amis et famille à un jeu particulier. Pendant 8 jours, les convives devront être drôles, machiavélique…*Un jeu d’échec où tous les stratagèmes seront permis pour porter un coup fatal à l’adversaire. Tous sauf un…la violence. Qui sera éliminatoire*(Extrait) …et s’éliminer les uns les autres. L’enjeu : la moitié de la fortune d’Abeline, payable immédiatement à la fin du jeu.

Ce genre de course à l’héritage est loin d’être nouveau en littérature même Saimbert a déjà développé ce thème dans L’HÉRITAGE DE TATA LUCIE. Sujet réchauffé c’est vrai. Toutefois, le livre a de quoi brassé le lecteur. Dans cette réunion d’héritiers potentiels chez Abeline, vous avez le plus beau ramassis de salauds, de Bitchs, de perfides, de manipulateurs et d’hypocrites …onze personnages odieux…onze serpents.

ONZE SERPENTS est le récit de Philippe Depondick, cousin d’Abeline, romancier raté et sympathique, un superbe molasson…*Parce qu’un homme ça aime collectionner les conneries. Et moi, je suis un vrai mec. * (Extrait) Philippe participe au jeu mais est perdant d’avance et pour ce qui est de recevoir des coups bas, il ne l’aura pas facile…

Ce livre m’a fait vibrer et est venu me chercher rapidement. C’est une comédie aussi noire qu’amusante, une véritable collection de méchancetés issue d’une imagination pour le moins fébrile. J’ai été choqué par les bassesses des convives qui se tiraient cruellement dans les jambes pour ne pas dire dans le cœur et dans l’âme…

J’ai été choqué mais j’ai ri et j’ai pris en pitié Philippe, cette loque avec son dos de canard qui donne toujours l’impression de ne pas avoir dit son dernier mot. Quand je lis un livre, je m’attends d’être atteint, réchauffé, brassé, choqué et je mets le reste dans ce que j’appelle couramment la gamme d’émotions. J’ai été surpris, c’est le moins que je puisse dire.

Surpris par autant de méchanceté dont l’exécution s’élève presqu’au niveau de l’art, surpris par la finale superbement imaginée et qui confirme jusqu’où on peut tomber pour être riche. Surpris par la personne qui a gagné ce huis-clos barbare…la moins probable et qui a su s’investir autant en finesse qu’en cruauté. Le livre m’a vraiment accaparé jusqu’à la fin.

Je passerai rapidement sur les irritants de ce livre, c’est-à-dire ses longueurs et ses nombreux développements qui sans être nécessairement longs créent des diversions inutiles et irritantes. Je note aussi cette manie agaçante de Saimbert de prévenir souvent le lecteur qu’il sera sidéré par la suite…

Mais la plume fébrile de Saimbert nous ramène vite fait dans le fil conducteur. Ce livre est très bon divertissement mais il est acide. La cruauté qui est manifestée dans le récit peut mettre beaucoup de lecteurs mal à l’aise.

C’est un roman définitivement cynique mais il m’a fait rire. Je découvre qu’on peut être choqué en dissimulant une envie de rire. On ne peut pas lire une bombe pareille sans être mitigé. C’est bourré de machinations, d’astuces, de coups bas et l’humour et les répliques sont plutôt noirs. Disons que le temps que j’ai pris pour lire ce livre a passé très vite avec un minimum de pauses.

Suggestion de lecture : LE FACTEUR 119, de Lydie Baizot

Philippe Saimbert est un auteur et scénariste français né à Pau en 1962. Il a aussi signé plusieurs albums de bande dessinée en empruntant diverses avenues littéraires telles que la science-fiction, le thriller, l’humour. Ses nombreux polars et sa série LES ÂMES D’HÉLIOS lui ont fait atteindre la notoriété.

Je pense entre autres au livre qu’il a écrit en collaboration avec Isabelle Muzart et dont j’ai déjà parlé sur ce site, LE WAGON qui nous plonge dans une atmosphère très particulière qui n’est pas sans rappeler Agatha Christie. 

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 12 décembre 2020

DRÔLE DE MORT, le livre de SOPHIE MOULAY

Enquêtes d’outre-tombe # 1

*Tôt ce matin, je suis mort. *
(Extrait : DRÔLE DE MORT,
Sophie Moulay, Les éditions du
38, 2018. Numérique et papier
235 pages.)

Je m’appelle Roger Fournier et je suis mort depuis soixante ans. Assassiné. Ne soyez pas désolé, j’ai eu le temps de m’y habituer. Les plus beaux moments de ma mort ? L’enquête menée par l’inspecteur Tovelle pour découvrir mon meurtrier. Inutile de vous préciser que j’étais aux premières loges ! J’ai découvert le véritable visage de mes proches et appris à mes dépens que toute vérité n’est pas bonne à entendre… Depuis, j’ai su rebondir et me construire une nouvelle vie dans la mort. Un jour, si nous avons le temps, je vous en parlerai davantage. Mais d’abord, laissez-moi vous raconter comment j’ai été assassiné.

ÇA RAPPELLE HERCULE…
*Seul dans la pénombre,
j’ai maintenant l’impression
d’être passé à coté de
moments importants. *
(Extrait)

Ce n’est pas un livre qui tranche par son originalité mais je l’ai trouvé drôle et franchement bien écrit. Un homme, Roger Fournier, meurt assassiné. Il se désincarne bien sûr mais son esprit reste sur place. Roger ne comprend pas trop pourquoi mais il décide d’en profiter pour comprendre les causes de sa mort et de suivre l’enquête qui déterminera qui l’a tué :

Il découvre des choses intéressantes mais il déchante car ce qui saute surtout à ses yeux de spectre est l’hypocrisie de sa famille. Fallait-il se surprendre? Surtout si on tient compte que Fournier laissait à sa mort une fortune considérable.

En plus de l’écriture qui est soignée, je note plusieurs forces dans ce livre. D’abord, malgré le contenu dramatique du récit, l’humour est omniprésent sans connotations noires ou disgracieuses : *Ma mère est morte la première, étouffée par un os de poulet. Ma tante l’a suivie dans la tombe un an plus tard. Un accident de voiture. Elle a voulu éviter une dinde égarée. Depuis, je fuis toute volaille. * (Extrait)

Autre force intéressante, la psychologie développée des personnages. Comme ce récit est un huis-clos familial et que chaque personnage est suspect, l’auteure a travaillé et bien campé chaque acteur afin que le lecteur puisse comprendre la démarche des policiers et participer à l’enquête.

À ce niveau, je signale deux éléments intéressants : l’auteure met en perspective la solitude des membres de la famille qui n’ont jamais appris à se connaître et deuxièmement, j’ai beaucoup apprécié le personnage de l’inspecteur Tovelle : secret, théâtral et remarquablement intuitif. Je m’y suis attaché rapidement.

Enfin, le livre pose une question intéressante. Est-ce qu’à ma mort, je serais intéressé en tant qu’esprit, à rester sur place pour connaître avec exactitude les vrais sentiments de mon entourage à mon égard. Il y a forcément des petites vérités qui n’ont jamais éclaté. Alors ? Je reste ou passe à autre chose ? J’ai encore un peu de temps j’espère pour y réfléchir.

C’est un très bon livre qui amène ses lecteurs à analyser chaque personnage suspect car dans cette histoire, tout le monde a quelque chose à cacher. L’enquête est riche en rebondissements et j’ai particulièrement aimé suivre Roger Fournier dans son introspection en tant que spectre, curieux, intéressé mais frustré de ne pouvoir dire son mot ou remettre certaines personnes à leur place.

En fait sa démarche est une forme d’examen de conscience sans jugement. Il y a dans le récit, de beaux moments d’émotion et d’humour. J’ai trouvé aussi la finale particulièrement bien imaginée. Qui peut savoir ce que ressent un être intuitif comme l’inspecteur Tovelle ?  Il me rappelle un peu Hercule Poirot celui-là. Légendaire limier créé par Agatha Christie.

Reste à savoir maintenant ce qui se passe avec Roger Fournier une fois faite la conclusion de l’enquête :  *Le reste de la journée s’écoule lentement. Très lentement. Ce que la mort peut être ennuyeuse ! L’éternité risque d’être très longue. *  Un autre très beau moment de lecture pour moi. Je vous recommande DRÔLE DE MORT de Sophie Moulay.

Suggestion de lecture : LE MAGASIN DES SUICIDES, de Jean Teulé

Sophie Moulay a découvert les livres de la Bibliothèque verte au milieu des années 80. À ce moment-là, il était trop tard pour espérer la guérir du virus de la lecture ; elle s’y est donc adonnée avec bonheur. Plus tard, elle découvre les équations et les racines carrées et va même jusqu’à les enseigner au collège.

Elle a commencé à écrire en 2007, mais c’est en 2009 qu’elle imagine le personnage d’Almus, en s’appuyant sur l’expérience acquise au contact des adolescents. Elle développe alors la série « L’Élu de Milnor« . Depuis, elle a commis quelques meurtres dans ses « Enquêtes d’outre-tombe » ; « Drôle de mort » en constitue le premier volet.

Suggestion de lecture   11 SERPENTS de Philippe Saimbert

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 8 novembre 2020