LE RESSAC DE L’ESPACE, de Philippe Curval

*Quel prix l’homme doit-il payer pour garder sa liberté?
Un monde de plénitude vaut-il la peine d’être vécu si on
ne peut y exercer son libre arbitre et son esprit critique?
Une apparence de bonheur et une vie de plaisir valent-
elles la peine de renoncer à son individualité ? Jusqu’à
collaborer avec l’envahisseur ? *
(Extrait : LE RESSAC DE L’ESPACE, Philippe Curval, à
l’origine, Hachette éditeur 1962, 244 pages. Pour la présente,
P. Curval, format numérique, 235 pages

Après une longue errance, le Txalq arrive finalement sur Terre. Sa quête est terminée ; il va pouvoir à nouveau se diviser par scissiparité et se multiplier. Les Txalqs sont un peuple parasite pour qui l’homme est un hôte parfait car ils peuvent les dominer sans peine. Naturellement les humains vont organiser la résistance, mais quelques hommes libérés de l’emprise mentale des extra-terrestres révèlent bientôt que la symbiose avec un Txalq apporte paix, harmonie et bonheur. C’est par milliers désormais qu’hommes et femmes se livrent joyeusement à la domination des parasites. Seule une poignée d’irréductibles tentent de préserver leur condition humaine. Une poignée contre toute une planète…

Les accords du cauchemar
(titre d’un chapitre de la troisième partie)
*Nous n’échangeâmes aucune parole, traumatisés que nous étions
par cette invraisemblable vision d’un monde nouveau auquel nous
voulions échapper de toutes nos forces. Aucun d’entre nous n’aurait
pu désavouer la pensée que je formulai à cette minute : nous devons
analyser ce qui nous incite à ne pas abdiquer notre dignité d’humain
pour nous intégrer à la civilisation harmonieuse que les Txalqs
établissent sur terre. C’est en en découvrant les raisons que nous
pourrons envisager la reconquête. *
(Extrait)

Forcés de quitter leur planète, des Txalqs errent dans l’espace jusqu’à ce qu’ils soient interceptés par des humains en mission spatiale. Les humains décident de ramener ces créatures sur la terre sans savoir que les Txalqs sont des parasites. Pour survivre, ils doivent s’emparer d’une race inférieure pour des raisons accessoires d’une part, car les Txalqs sont des êtres à peu près incapables sur le plan physique et d’autre part et surtout, pour atteindre un mode de vie idéal fait de beauté et d’harmonie.

C’est le genre de paradis artificiel que procurent aux humains certaines drogues sauf qu’ici, les Txalqs tendent à créer ce monde paradisiaque par l’hypno-contrôle. Les Txalqs, qui se reproduisent par scissiparité ne tardent pas à prendre le contrôle de la terre et étrangement, la plupart des humains sont trop heureux de vivre dans cette espèce de paradis artificiel, acceptant ainsi une symbiose qui leur est imposée…*S’il établissait sa domination sur ces êtres, c’était dans l’unique dessein de créer avec eux un monde harmonieux. En échanges de membres pour agir, il leur offrirait une sorte de renaissance, il deviendrait le corps pensant de leur espèce. * (Extrait) .

Refusant ce bonheur plastique qui n’est rien d’autre qu’une forme d’esclavage, une poignée d’humains décident de résister, fuient sur la planète Vénus afin d’organiser la libération de la terre.

C’est un des très bons romans d’anticipation que j’ai eu le plaisir de lire. Il développe en profondeur la philosophie TXALQ et amène le lecteur et la lectrice à des questionnements très intéressants : entre autres : qu’est-ce que l’homme est prêt à faire ou à donner pour être libre et LA question sur laquelle on pourrait s’étendre longtemps : Est-ce qu’une vie complètement dépourvue de libre arbitre et de sens critique vaut la peine d’être vécue.

Le livre de Curval alimente aussi un intéressant débat sur l’addiction. Si vous croyez que les Txalqs font ce qu’ils veulent avec facilité, détrompez-vous et c’est là que l’auteur nous amène à réfléchir sur la nature humaine. Les hommes sont rebelles, ataviquement violents et addicts. Ils aiment le sexe, ils aiment le jeu, le risque et ils sont épris de liberté. Ils sont humains quoi et de cette humanité, les Txalqs devront en payer le prix.

Est-ce que les hommes pourraient *déteindre* sur les Txalqs ?

Pas étonnant que ce livre soit devenu un classique de la science-fiction francophone. C’est un hymne à la liberté…cette précieuse liberté dont les hommes se privent entre eux depuis la nuit des temps. J’ai trouvé la plume de Curval envoûtante, un peu à l’image de cette créature qu’il a créée. Elle est dosée pour offrir tout ce que souhaitent les amateurs d’anticipation : des revirements, de la technologie, de la confrontation, le choc des idées et le fameux retour introspectif sur soi-même qui se traduit par une question bien simple : Qu’est-ce que je ferais à la place des humains dans cette histoire ? Je mets ma lucidité et mon libre arbitre au placard ou je me bats ?

Par les questions qu’il pose, par l’équilibre dont il a toujours gardé le souci et par sa profonde connaissance de la nature humaine, Philippe Curval a doté son récit d’une belle crédibilité.

Je sais que l’idée de l’atteinte du Nirvana ou la vie dans un monde ou guerre, haine et violence n’ont pas de sens sont des thèmes récurrents en littérature (par exemple, les inconditionnels de Star Trek se rappelleront sûrement du monde de Landru) mais peu de romans ont atteint la profondeur et l’intensité que Curval a insufflé dans son récit.

Une très belle pièce littéraire… à lire absolument.

Suggestion de lecture : LES PROTECTEURS, de Mario Fecteau

Écrivain, journaliste, photographe, Philippe Curval est l’un des principaux fondateurs de la science-fiction française, au milieu du siècle précédent. Il obtient le prix Jules Verne pour Le Ressac de l’espace (Hachette/Gallimard, « Le Rayon Fantastique », 1962), le Grand Prix de la science-fiction française pour l’Homme à rebours (R. Laffont « Ailleurs & Demain », 1974) et de nombreux autres prix et distinctions.

Son amour pour la nouvelle l’a conduit à en écrire plus de cent. Ses derniers recueils, Rasta Solitude (Flammarion « Imagine ») en 2003, et L’homme qui s’arrêta (La Volte) en 2009. Son travail critique sur la SF, commencé dans Galaxie, se poursuivra au Monde, et au Magazine littéraire. Traduit dans quatorze pays, à cette date, il a publié plus de quarante volumes. (La Volte éditeur)

Bonne lecture
Claude Lambert/ biblioclo.com
Le samedi 4 février 2023

VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU, de KEN KESEY

*Le martyr de McMurphy est aussi un martyr
chrétien. Ce livre noir est aussi un livre
rayonnant de joie de vivre et un plaidoyer.
Il s’agit de mieux comprendre, de mieux
prendre conscience du monde fou dans
lequel nous vivons.*

(Extrait : VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU,
Plus précisément le texte AVERTISSEMENT signé
André Bay et précédent le récit  de Kesey, Ken
Kesey, Édition Stock de 2002, réédition, édition
numérique, 290 pages)

Dans une maison de santé, une redoutable infirmière fait régner, grâce à un arsenal de « traitements de choc », un ordre de fer, réduisant ses pensionnaires à une existence quasi-végétative avec des psychotropes, des électrochocs et même des lobotomies. Surgit alors McMurphy, un colosse irlandais, braillard et remuant, qui a choisi l’asile pour échapper à la prison. Révolté par la docilité de ses compagnons, il décide d’engager une lutte qui devient peu à peu implacable et tragique. McMurphy sera à l’origine non seulement d’un sentiment de révolte chez les internés, mais aussi d’une prise de conscience de leur personnalité et de leurs conditions de vie.

AVANT-PROPOS

Les origines du titre VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU  sont contestables pour plusieurs. Pour moi, ce titre pourrait très bien symboliser la lobotomie. Mais la version la plus courante laisse à penser que le *nid de coucou* représente l’asile et le *vol* représenterait la seule personne qui a réussi à s’échapper de l’asile : l’indien, le chef Bromdem, c’est-à-dire le narrateur.

UN CLASSIQUE INDÉMODABLE
*Ne reconnaissez-vous pas l’archétype du
psychopathe? Je n’ai jamais vu un cas de
psychopathie aussi manifeste. Cet homme,
c’est Un Napoléon, un Gengis Khan, un
Attila.*
(Extrait : VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU)

C’est un livre très dur, une histoire à haute intensité dramatique que j’ai fini par lire peut-être une vingtaine d’années après avoir vu le film, adaptation remarquable du réalisateur Milos Forman.

Même si ce livre a été un des plus commenté et critiqué dans l’histoire de la littérature américaine, force est de constater qu’il a été un mis dans l’ombre par le film, à cause, en particulier de l’interprétation magistrale de Jack Nicholson qui s’est approprié le rôle du rebelle McMurphy avec un naturel désarmant.

Mais le livre vaut la peine d’être lu, je le considère même meilleur que le film car la plume extrêmement puissante de Ken Kesey appelle à l’angoisse dès le début et vient nous rappeler, grâce à un sordide jeu de pouvoir, cette fâcheuse tendance de toutes les sociétés à vouloir contrôler leurs sujets.

Le fil conducteur est simple à suivre : dans un asile psychiatrique, une redoutable infirmière fait régner une discipline de fer grâce à toute une panoplie de traitements de choc, réduisant les pensionnaires à une existence quasi végétative. Les choses vont changer dès le jour où Randal McMurphy, personnage subversif, exubérant et rebelle arrive à l’asile parce qu’il a choisi cette solution pour échapper à la prison.

Pendant un certain moment de lecture, je me suis demandé qu’est-ce que McMurphy faisait dans ce décor, me disant qu’il était loin d’être fou. Mais j’ai compris assez vite que, révolté par la docilité de ses compagnons à l’égard de l’infirmière, qui est une véritable peau de vache, McMurphy s’est engagé dans une lutte qui devient graduellement implacable et dramatique :

*…eh bien, j’ai été étonné de constater à quel point vous êtes sains d’esprit, tous autant que vous êtes. Pour autant que je puisse en juger, vous n’êtes pas plus fous que le trou-du-cul moyen qui se balade en liberté.*(Extrait)

Dès lors, le récit se concentre sur un impitoyable jeu de pouvoir qui retiendra définitivement l’attention du lecteur allant jusqu’à prendre une très intéressante valeur de symbole révélatrice de la vie actuelle : d’un côté la répression et la coercition et de l’autre, un appel à la tolérance, à l’ouverture d’esprit et à la liberté.

Autre fait intéressant et magnifiquement mis en mots dans le récit de Kesey, l’agitateur devient, aux yeux de ses pairs, un héros…une solution au conformisme crasse qui caractérisait la société des années 60 en général et les institutions psychiatriques américaines en particulier:

*Il était un géant descendu du ciel pour nous libérer du système qui ligotait le monde de son réseau de fils électriques et de cristaux, un être de trop d’envergure pour se soucier de mesquines questions d’intérêt.*(extrait)

Le récit est narré par un vieil indien, un géant qui fait semblant d’être sourd depuis son arrivée à l’asile il y a des années. Tout comme le lecteur, l’indien est témoin et raconte les tentatives habiles de McMurphy pour donner aux pensionnaires de l’asile de la personnalité, une raison de vivre, de se battre.

VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU est un livre en quatre parties. Il n’y a pas de chapitres, pas de temps mort, peu de diversions. C’est un crescendo de révolte et de frustrations. Le livre m’a fait vibrer et passer par toute une gamme d’émotions.

Tantôt j’étais choqué et triste, tantôt fasciné et admiratif. Ce fût pour moi un moment de lecture intense et touchant…le temps s’est arrêté, effet d’une plume habile et sans compromis qui ne laisse pas indifférent.

Je vous recommande la lecture de VOL AU-DESSUS d’un nid de coucou. Une œuvre de premier plan…une grande lecture…

Ken Kesey (1935-2001) était un écrivain américain natif du Colorado. Il s’est prêté à des expérimentations de drogues entraînant temporairement des états de psychose. Continuellement sous acide, Kesey est embauché dans un hôpital. C’est de cette étrange expérience que naîtra son premier roman : VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU, un succès immédiat qui sera adapté au cinéma par Milos Forman. D’autres titres à succès suivront dont SOMETIMES A GREAT NATION, adapté au cinéma en 1963 sous le titre : LE CLAN DES IRRÉDUCTIBLES.

VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU AU CINÉMA
Le livre de Ken Kesey a été adapté au cinéma par Michael Forman. Le film est sorti en 1976 et a fait époque avec 15 prix et 5 nominations.
Le film met en vedette Jack Nicholson

Et Louise Fletcher…la redoutable infirmière

La presse a salué ce film. Le journaliste Jacques Doyon écrivit, peu après la sortie du film en 1976 : *Voilà un film qui est grand parce que fait à l’intérieur d’un système, il nous atteint et nous transforme*.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 20 octobre 2018