LE LIVRE SANS NOM, anonyme

<Une trentaine de cadavres gisaient, affalés, sur les bancs.
une autre trentaine se trouvait hors de vue sous les bancs
ou entre les rangées. Seul un homme avait survécu au
massacre. >
Extrait : LE LIVRE SANS NOM, anonyme, Sonatine
éditeur, Reprise d’un texte diffusé anonymement sur internet en
2007. Édition de papier, 510 pages.

À Santa Mondega, une ville d’Amérique du Sud oubliée du reste du monde, où sommeillent de terribles secrets… Un mystérieux tueur en série assassine ceux qui ont eu la malchance de lire un énigmatique « livre sans nom »… La seule victime encore vivante du tueur, après cinq ans de coma, se réveille, amnésique… Deux flics très spéciaux, un tueur à gages sosie d’Elvis Presley, des barons du crime, des moines férus d’arts martiaux, une pierre précieuse à la valeur inestimable, un massacre dans un monastère isolé, quelques clins d’œil à Seven et à The Ring…le tout constitue un thriller très singulier…

Une lecture assassine
< Nous avons un cadavre, lieutenant, répondit-il. Une femme d’une
 soixantaine d’années. Sa tête est plantée à une patère derrière
la porte, et le reste du corps est assis sur une chaise, face à une
 table. On a toujours pas retrouvé les yeux et la langue…>
Extrait

Ce récit est d’une effrayante opacité. Le théâtre des évènements, Santa Mondega, la ville la plus dangereuse et la plus oubliée du monde, me rappelle un peu l’univers de Dick Tracy : fermé, tordu, sans âme, avec quelque chose de laid et de pas humain. Pour mieux comprendre, voyons le topo :

Tout se déroule à Santa Mondega, que je qualifierais de poubelles de l’enfer et c’est un euphémisme. On y retrouve le Bourbon Kid, homme cruel et sans pitié qui tue tout ce qui bouge après avoir bu du bourbon. Jessica, la seule survivante des tueries du Bourbon kid. Miles Jensen, détective du paranormal, envoyé à Santa Mondega pour enquêter.

Il y a quantité de personnages que je vous laisse découvrir mais je citerai pour terminer, deux personnages-clés : Kyle et Peto, des moines d’Hubal, chargés de récupérer L’ŒIL DE LA LUNE, une pierre bleue réputée magique et qui est le principal enjeu de l’histoire. Pour rendre le tout plus suffocant, un livre circule. Un livre sans nom, sans auteur et celui qui a la malchance de le lire est assassiné.

Cette histoire est une succession de massacre teintée d’humour noir. Violent, gore, cradingue…mais tellement bien écrit…la plume est ultra-imagée, tellement qu’il y a comme un film des évènements qui se crée dans l’esprit du lecteur et de la lectrice. Cette lecture est d’ailleurs devenue vite addictive, et ce, malgré des passages à soulever le cœur ou à faire frissonner qui m’ont rappelé plusieurs productions cinématographiques trash aussi dégoûtantes qu’impressionnantes sur le plan des effets visuels comme la série gore DÉCADENCE produite par Lions Gate, SIN CITY, ville atypique étouffée par le crime et pour lequel Quentin Tarentino aurait participé à la réalisation.

Je pense aussi au film LE CERCLE, adaptation du livre de Kuji Suzuki. Rappelons-nous ces ados qui meurent après avoir vu une mystérieux cassette vidéo. C’est comme si le livre parlait. Il vous propulse dans des univers connus par le billet d’une histoire aussi singulière que glauque. La plume est puissante. L’immersion est totale. Les enchaînements sont rapides, jusqu’à la finale que je n’avais définitivement pas prévue et qui m’a ébranlé.

Je note deux faiblesses au passage. Il est vrai que l’écriture est hautement visuelle mais on dirait que le scénario a été puisé dans les films. J’en ai déjà nommé quelques-uns, je pourrais rajouter PULP FICTION et même IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST ou VAMPIRE VOUS AVEZ DIT VAMPIRE, car il y a des vampires dans l’histoire. J’aurais souhaité une histoire moins inspirée et plus exclusive sur le plan littéraire.

Aussi, le lien entre le livre qui tue et le récit n’est pas clairement défini. L’ensemble est un mélange de polar, de fantastique, de policier et de western et fait à mon avis très caricatural. C’est le caractère attractif de l’écriture qui fait je crois, toute la différence.

Je ne comprends pas vraiment pourquoi l’auteur de ce livre est resté dans l’ombre malgré sa page Facebook au nom du Bourbon Kid, mais ce faisant, il a consacré l’originalité du livre. Ce livre me renvoie très loin de ma meilleure lecture à vie mais c’est bien écrit, très rythmé avec une forte atmosphère de tension.

Malgré son développement extrêmement violent, ce livre m’a procuré un divertissement satisfaisant. Il s’agit du premier volet de la série du Bourbon Kid. Huit autres volumes vous attendent.

Suggestion de livre : GORE STORY, de Gilles Bergal

L’originalité du livre tient au caractère anonyme de l’auteur. « Nous ne savons réellement pas qui il est », explique Marie Misandeau, éditrice chez Sonatine. Ce qui n’empêche pas les internautes d’émettre des hypothèses sur l’écrivain. Certains, par exemple, penseraient à Quentin Tarantino du fait du caractère « badass » du livre.

L’auteur tient à rester dans l’ombre, même s’il dispose d’une page Facebook au nom de Bourbon Kid. Pour son éditrice française : « a priori, c’est plutôt un inconnu, mais le fait qu’il tienne absolument à rester anonyme sème le doute ». Extrait d’un dossier monté par Wikipédia.

LE LIVRE SANS NOM est aussi un clin d’œil au livre célèbre de Koji Suzuki RING, adapté au cinéma sus le titre français LE CERCLE. On sait que dans cette histoire, des ados meurent après avoir regardé une certaine cassette vidéo. Dans UN LIVRE SANS NOM, anonyme comme la cassette de Suzuki, c’est un livre qui tue. Si vous voulez préciser davantage les liens qui unissent les deux œuvres, consultez mon article sur le livre de Suzuki publié sur ce site le 6 août 2017. Cliquez ici. Pour en savoir plus sur l’auteur anonyme, visitez le site officiel de Bourbon kid. Cliquez ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 10 février 2024

BLANCHE NEIGE, les contes interdits, partie 2

De L.P. SICARD

*Que dois-je faire pour obtenir la vérité ? Dis-le-moi tout de suite ; si tu comptes la garder pour toi-même, je vais t’assassiner, en finir de ce pas. Mes frères ont besoin de moi, je n’ai pas de temps à perdre à torturer une sorcière de ton espèce…

Quand je pense que nous hésitions entre toi et une autre, bien plus belle encore que toi et ta grande gueule ! Nous l’aurions tous eue, notre pipe, et rien de tout ça ne serait arrivé. Bordel…(Extrait : BLANCHE NEIGE, série LES CONTES INTERDITS, L.P. Sicard, Éditions AdA, édition de papier, 2017, 200 pages).

Pour consulter la première partie de ce commentaire, cliquez ici.

UN CONTE DÉPRAVÉ
*Ce geste en soi était des plus horrifiques,
mais pire encore que ce sanglant et
désinvolte assaut fut l’absence de
réaction de la part des autres ; pas un ne
vint à son secours, pas un n’émit un
commentaire quant à ce geste d’une
innommable inhumanité ; leur comparse
venait d’être tué, et ça ne les indisposait
nullement.*
(Extrait: BLANCHE NEIGE…Les Contes Interdits)

La série m’intriguait. Les titres m’intriguaient. Je trouvais les 4e de couverture impressionnants. J’ai fini par me décider à entreprendre une exploration de la série suite à ma visite au Salon International du Livre de Québec en 2018. C’est là que j’ai rencontré les auteurs Simon Rousseau et L.P. Sicard. J’ai pu discuter avec eux de leur motivation.

Leur livre fut le résultat d’une exploration des secrets cachés ou imaginés, enfouis dans les contes des Frères Grimm qui n’étaient pas destinés aux enfants, au commencement du moins. C’est ainsi que BLANCHE NEIGE est devenu un conte interdit parce que perverti et dépravé qui explore les cauchemars qui se confondent dangereusement avec la réalité.

C’est un côté B, la face noire, le côté obscur, appelons ça comme on voudra, ça fait frémir : *Nul mot n’aurait pu décrire avec quelle terreur je levai mes yeux, ni quel effroi me parcourut l’échine lorsque je vis enfin l’auteur de ces gémissements : Un homme, suspendu au plafond, par d’énormes clous qui lui transperçaient et les coudes et les genoux, souriait du plus grotesque sourire. * (Extrait)

C’est un livre très noir qui devrait plaire aux amateurs de gore. Car pour être violents et sanglants, on peut dire que l’auteur a atteint les objectifs des contes interdits et plus :

*Il empoigna une lame de rasoir…et la porta à sa gorge… il porta son arme blanche à sa poitrine qu’il se mit à découper, lentement, indolemment, avec cette même grâce qu’ont les hommes offrant quelque bijou à leur amante* (extrait)

Il y a tellement de ces passages créant à l’esprit des images atroces voire trash que l’éditeur prend soin d’avertir le lecteur que le récit pourrait ébranler les âmes sensibles.

L’auteur s’est aussi arrangé pour nous faire sentir l’influence des Frères Grimm. Elle n’est pas toujours évidente, mais il y a quand même une sorcière qui n’a pas besoin d’interroger un miroir tellement elle est hideuse, il y a sept hommes, ce ne sont pas des nains et ils brillent par leur dérèglement sexuel.

Émilie, notre Blanche Neige par défaut ne l’aura pas facile. D’autres petits indices rappellent le conte : Émilie qui dialogue avec une colombe par exemple sans oublier une surexploitation du passé simple comme on l’a vu dans l’œuvre de Perreault, Anderson, De La Fontaine et j’en passe. L.P. Sicard s’est aussi employé à nous faire chevaucher entre la réalité et la fabulation.

Pour lire BLANCHE-NEIGE, il faut désapprendre ce que l’on sait sur les contes et accepter de se laisser aller dans une angoissante exploration de la démence, du complot, de la mort et de l’inimaginable horreur qui vient des pires cauchemars. La plume de l’auteur est d’une redoutable efficacité. Dès le départ, l’auteur nous agrippe. On ressent d’abord de l’empathie pour Émilie et on se demande qui est fou dans cette histoire, Émilie ou son psychiatre ?

Je ne suis pas un grand amateur de Gore, mais à l’analyse, L.P. Sicard remplit la plupart de mes critères de satisfaction. Le récit est noir, dur mais fort. L’Histoire est atypique et sa finale est fort bien imaginée et bien travaillée. Il y a des passages à soulever le cœur, mais les lecteurs sont avertis. Bien écrit ! Bien ficelé ! Lire ce livre, c’est tenter une expérience…

Suggestion de lectures : 12 CONTES VAGABONDS, de Gabriel Garcia Marquez

L.P. Sicard a 25 ans alors qu’il achève la sombre réécriture de BLANCHE NEIGE. S’inspirant de la théorie freudienne de l’inquiétante étrangeté, dite unheimlich, il a tenté de conduire subtilement son lectorat dans une indétermination angoissante, où la folie se joint à la fois au réalisme et au surnaturel.

D’abord poète, il a publié un recueil de poésie en 2012, en plus de remporter le second prix de l’association littéraire et artistique de France, le grand prix du concours international de poésie de Paris,  celui Salon du livre international de Québec, avec le premier tome de sa série Felix Vortan, traduit en braille.

On peut suivre L.P. Sicard sur Facebook. Vous pouvez aussi visiter son site WEB. Cliquez ici

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 5 mars 2021

Les invraisemblables aventures de …

MONSIEUR TOUT LE MONDE

Commentaire sur le livre de
MAHRK GOTIÉ

*Honnêtement, baillai-je, je n’en ai strictement rien à cirer de ta vie, de ton pouvoir, ni de tout ce qui constitue ta particularité intrinsèque qui, j’en suis convaincu, n’a rien à envier à celle de n’importe quel autre abruti ordinaire. Mais puisque tu ne sembles pas comprendre que tu me dérange, crache ton venin!*

(Extrait : LES INVRAISEMBLABLES AVENTURES DE MONSIEUR TOUT LE MONDE, Mahrk Gotié, IS Éditions 2014, édition numérique, 160 pages)

Monsieur Tout le monde est comme tout le monde ou presque : il a un travail qu’il déteste, une femme moche, et deux adolescents dont le premier but dans la vie est de ne surtout pas devenir comme lui. Mais Monsieur Tout le monde veut changer tout ça. Il veut rêver, vibrer. Alors, un beau jour, il décide de s’affranchir de ses barrières mentales, et part à la découverte d’un monde beaucoup plus déjanté qu’il ne l’avait soupçonné… Il plaque femme et enfants, bien décidé à vivre. Il se lance ainsi dans des aventures invraisemblables qui seront tout sauf ordinaires, à la découverte d’un monde tordu et débridé. 

VIRAGE DANS LA VIE
D’UN CASSE-PIED FAINÉANT
*Je n’aime pas les gens et ils me le rendent à
l’identique. Je pisse sur tout le monde et ça
me fait jouir. Détestez-moi, je ne demande
que ça. Je souhaite votre haine et votre
mépris, ma mauvaise réputation me fait
bander comme un âne. Insultez-moi,
salissez mon image, n’hésitez pas…
(Extrait : LES INVRAISEMBLABLES AVENTURES
DE MONSIEUR TOUT LE MONDE)

J’ai choisi ce livre par curiosité. Le titre n’est pas banal et puis je croyais trouver un monsieur qui me ressemblait un peu. Tel ne fut pas le cas…loin de là. LES INVRAISEMBLABLES AVENTURES DE MONSIEUR TOUT LE MONDE est un livre déjanté et affublé d’une surdose de cynisme, de machisme et d’égocentrisme.

Le sujet était pourtant prometteur : Monsieur tout le monde n’aime pas sa vie, il déteste son travail, il croit que sa femme ne l’aime plus et trouve ses deux ados insignifiants. Il décide donc de tout plaquer, décidé à vivre avant de mourir.

C’est là que l’auteur aurait pu être original. Au contraire de l’originalité et d’un goût recherché, il nous a laissé un récit aux limites du trash : *La médiocrité, moi je vous la sublime, je la divinise, je l’incarne au plus haut point, parce que je suis monsieur-tout-le-monde, comme vous. Et vous savez très bien que nous ne triomphons pas.* (Extrait)

Il est certain que ce livre va plaire aux amateurs de trash qui recherche dans un livre la plume directe et provocante : le trash, l’indécence, la vulgarité et bien sûr la crudité qui ne manque pas dans le livre de Gothier :

*Sur cette annonce pour le moins alléchante, une grosse pute d’au moins soixante ans, vieille, immonde et snobe, un gros tas de graisse puant et dégoulinant, un déchet humain repoussant à l’excès avec des yeux enfoncés dans les fentes, un nez porcin, une bouche dégueulasse, s’assit en face de moi avec la prestance d’un tas de merde…* (Extrait)

Le titre du livre a un petit quelque chose qui évoque un peu l’arnaque. À partir du moment où notre monsieur tout-le-monde choisit de dissoudre sa vie, il n’est plus monsieur Tout-le-Monde, mais tombe dans une minorité indigente selon son propre choix.

Quel lecteur ou lectrice va se reconnaître là-dedans. Ce genre de monsieur tout-le-monde ne prend même pas le temps de lire un livre. Vous ne devez pas vous attendre à vous reconnaître dans ce genre de vie délabrée.

Ce livre est un peu comme son personnage principal. Il n’a pas de but. Ça raconte, un peu comme dans une chronique, mais avec plus d’errance, des pirouettes sexuelles qui relèvent de l’obsession et surtout avec une philosophie de supermarché facile mais bien tournée toutefois. Par exemple :

*Ouais, je rate toutes ces choses qui valent le coup et ça me plait, parce que c’est moi et personne d’autre qui décide de les rater. J’apprécie la beauté de l’inutile.*
*Au final, chaque homme se révèle minable. Faut juste attendre le moment où il ne dissimule plus sa véritable nature.*

*J’aime la décadence et la saleté, et tout ce qui ne tourne pas comme vous le voulez. Parce que je ne suis qu’un vieux con qui n’en a plus rien à foutre car il sait qu’il va bientôt crever.* (Extraits)

Ce sont des phrases bien tournées mais qui n’ajoutent pas grand-chose à l’intérêt du livre sauf peut-être à la psychologie du personnage principal. Je terminerai en disant qu’au moins le livre est bref, très ventilé, il se lit vite et bien et annonce peut-être une suite…je ne commenterai pas. Conclusion, ce livre ne deviendra sûrement pas un fleuron de la littérature.

Mahrk Gotié est un jeune auteur émergent, un peu philosophe mais surtout provocateur. Pendant un séjour de quelques années sur l’Île de la Réunion, il décide d’écrire nouvelles et poèmes qui apparaîtront ici et là dans quelques revues littéraires jusqu’à la publication de son premier roman : modeste mais se voulant comique et tout à fait cynique voire dérangeant : LES INVRAISEMBLABLES AVENTURES DE MONSIEUR TOUT LE MONDE.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 14 octobre 2018