Le vent en parle encore

Commentaire sur le livre de MICHEL JEAN

<Quand le train d’atterrissage touche le sol, elle comprend qu’ils ont atteint leur destination. Ils ne retrouveront les leurs que dans dix mois. Une éternité quand on a quatorze ans. Un vertige s’empare d’elle. Pourtant, de sa gorge nouée, aucun son ne parvient à sortir, même pas un soupir. L’adolescente serra très fort la main de Marie qui, comme elle, reste sans voix. Face aux jeunes filles se dresse le pensionnat de Fort George. > Extrait : LE VENT EN PARLE ENCORE, Michel Jean, Libre Expression éditeur, 2013, réédition 2021. Papier, 215 pages.


À quatorze ans, Virginie, Marie et Charles sont arrachés à leurs familles sur ordre du gouvernement canadien. Avec les autres jeunes du village, ils sont envoyés, par avion, dans un pensionnat perdu sur une île à près de mille kilomètres de chez eux pour y être éduqués. On leur coupe les cheveux, on les lave et on leur donne un uniforme. Il leur est interdit de parler leur langue. Leur nom n’existe plus, ils sont désormais un numéro. Soixante-dix-sept ans plus tard, l’avocate Audrey Duval cherche à comprendre ce qui s’est passé à Fort George et ce qu’il  est advenu des trois jeunes disparus mystérieusement.

 

IMAGINER L’INIMAGINABLE

C’est un livre inoubliable, est troublant et dur dans sa réalité. Il m’a choqué, attristé et ému. Il m’a surtout mis <les barres sur les T> si vous me permettez l’expression. Il m’a aussi conforté sur la piètre opinion que j’ai concernant la qualité de l’enseignement que j’ai reçu à la petite école et sur l’obscurantisme crasse que l’Église faisait peser sur la Société. Le livre a été publié en 2013 puis, réédité en 2021, s’ajustant ainsi à l’actualité de premier plan qui a secoué l’ensemble du Canada et qui est évoqué par Michel Jean dans la postface :

<Cent cinquante mille enfants autochtones ont fréquenté ces établissements. Plus de quatre mille y sont morts. Les conditions de vie difficiles qui prévalaient dans les pensionnats sont le plus souvent attribuables au financement insuffisant du gouvernement canadien. Elles ont entraîné des problèmes sanitaires, un régime alimentaire inadéquat et un manque de vêtements et de médicaments pour les enfants sur place>  Extrait

Dès la fin du XIXe siècle, le but, aujourd’hui avoué du gouvernement canadien était de <désindianiser> les jeunes autochtones en les arrachant d’abord à leur famille et en les assimilant à la Société en général : <Quand les cinquante-trois enfants sont descendus de l’avion, chacun a perdu son nom, son foyer et, déjà, une part de sa dignité.> Extrait

Et on a confié la gestion de ce gâchis à des prêtres et autres religieux décidés à dresser ces <petits sauvages.> Les pensionnats étaient dirigés par le même clergé qui, dans le passé, s’était posé en rempart contre l’intégration forcée des francophones.> Extrait.

N’est-ce pas édifiant ? Et je ne m’étendrai pas sur la violence psychologique, les agressions physiques, abus sexuels dont le viol, morts douteuses et le mépris dont les enfants autochtones ont été victimes de la part de religieux supposément voués à la charité et à l’empathie.

DES ÉMOTIONS QUI CHAVIRENT

Bien que le livre mette à jour des atrocités orchestrées en toute impunité par de soi-disant <bien-pensants>, le récit de Michel Jean est développé avec beaucoup de sensibilité et est dépourvu d’éléments spectaculaires. Évidemment, beaucoup de passages ont généré en moi de la frustration, de la colère mais l’auteur, lui-même d’origine innue, journaliste d’enquête, chef d’antenne, écrivain et universitaire, s’est exprimé sur des faits avérés.

C’est dur, mais c’est bien écrit, c’est simple, c’est humble, sobre et ça met en lumière la situation actuelle des premières nations et sur l’image qu’on a développé d’elles, plus faussement qu’autrement. Je crois que LE VENT EN PARLE ENCORE, livre qui porte admirablement son titre, est une œuvre qui doit être lue, absolument, pour se rappeler, ne pas oublier…un argumentaire pour décrier la bêtise et l’hypocrisie.

Suggestion de lecture: LE RÊVE DE CHAMPLAIN, de DAVID HACKETT-FISCHER


L’auteur Michel Jean


DU MÊME AUTEUR

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 21 décembre 2024

L’INDIEN MALCOMMODE, livre de THOMAS KING

*Enseignez aux Indiens à pêcher, mais enseignez-leur surtout à devenir des pêcheurs chrétiens. Après, vous pourrez leur vendre des cannes à pêche… Notre plus grave erreur est d’aller porter notre civilisation aux Indiens au lieu de conduire les Indiens à la civilisation.* (Extrait : L’INDIEN MALCOMMODE, Thomas King, t.f. Éditions du Boréal, 2014, num. 725 pages)

L’INDIEN MALCOMMODE est un essai sur l’histoire, le résultat d’une longue réflexion personnelle que Thomas King a menée presque toute sa vie sur ce que ça représente d’être un indien en Amérique du Nord. Avec le franc parler typique d’un indien, King donne un petit caractère subversif à son livre en démolissant avec beaucoup d’esprit et d’humour toutes les idées reçues et préconçues sur les peuples autochtones qu’on appelle Les Premières Nations. Il ne s’agit pas d’une condamnation des attitudes ou des comportements. Il s’agit plutôt de l’histoire revisitée et replacée dans son contexte. 

Un portrait inattendu des Autochtones
d’Amérique du Nord
*Sur le plan des attitudes, en terme de dépossession
et d’intolérance, pas grand-chose n’a changé…
Vous voyez le problème que j’ai? L’histoire que
j’essaie d’oublier, ce passé que je propose de
convertir en autodafé, c’est notre présent. Ce
pourrait être aussi notre avenir.
(Extrait : L’INDIEN MALCOMMODE)

Quand j’ai lu le résumé de ce livre, je me suis replongé, l’espace d’un instant, dans les petites leçons d’histoire que je recevais à l’école primaire. La plupart du temps, ces leçons se résumaient à un constat plutôt navrant : les Blancs étaient les bons et les Indiens étaient les méchants.

Bien que je ne fusse pas plus précoce qu’un autre à l’époque, je trouvais ça trop beau pour être vrai. J’étais sceptique. Si le livre de Thomas King avait été publié à l’époque, il aurait été mis à l’index ou peut-être refilé aux universités.

En effet, dans un ouvrage sensiblement subversif, King fait une relecture de l’histoire du Canada et des États-Unis en identifiant les mythes et en replaçant les évènements dans leur contexte.

Dans un langage simple et avec des raisonnements faciles à suivre, King met dans l’ombre les récits trop beaux pour être vrais généralement très bien encadrés par la littérature en général et les manuels scolaires en particulier, et bien sûr la télévision et le cinéma.

L’auteur rappelle que la réalité est beaucoup plus complexe et avertit d’entrée de jeu le lecteur, la lectrice : Nous sommes nombreux à penser que l’histoire, c’est le passé. Faux. L’histoire, ce sont les histoires que nous nous racontons sur le passé*

Il semble que le temps, et quantités d’expédients politiques, économiques, sociaux et culturels aient dénaturé l’idée qu’on se fait des indiens. Vous comprendrez vite, comme moi que Thomas King n’a pas réécrit le passé. Il livre simplement et parfois avec humour, le fruit d’une longue réflexion personnelle et analytique qui tend à répondre à une question complexe : qu’est-ce que ça signifie d’être un indien aujourd’hui en Amérique du nord?

Pour répondre à cette question, King identifie trois classes historiques d’indiens : L’indien légal, l’indien mort et l’indien idéal. Il développe surtout en long et en large ce qui a constitué de tout temps le cauchemar des indiens : LA POSSESSION DES TERRITOIRES en expliquant les lois, traités, ententes, règlements et jugements dont les effets et les conséquences allaient plutôt à sens unique.

À l’entrée du National Cowboy Hall of Fame d’Oklahoma City se trouve la sculpture de James Earl Fraser (1876-1953). L’œuvre représente la légendaire FIN DE LA PISTE DES LARMES (The end of the trail) évoquée et développée par Thomas King dans L’INDIEN MALCOMMODE. Elle représente un guerrier à bout de force, qui s’effondre sur son cheval. Plutôt très compatible avec l’histoire. Par ailleurs, on a donné le nom de PISTE DES LARMES à l’exode Cherokee qui eut lieu pendant l’hiver 1838-1839 du Mississipi vers l’Oklahoma.

J’ai adoré ce livre…il m’a passionné pour plusieurs raisons. D’abord à cause de la beauté du texte magnifiquement traduit par Daniel Poliquin qui a su aller au-delà des mots en livrant le ressenti de l’auteur. Ensuite, j’ai ressenti toute une gamme d’émotions : la colère, la déception, la tristesse mais aussi le rire, la sympathie, l’étonnement.

C’est un livre fascinant, très bien documenté et dans lequel s’étend un raisonnement crédible facile à suivre et qui tend à expliquer de façon parfois mordante, parfois drôles où nous en sommes aujourd’hui dans nos relations avec les indiens et où est-ce que ça va nous mener.

Un plaisir à lire.

Suggestion de lecture : TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, de Voltaire

Thomas King est un auteur, journaliste, animateur et conférencier né à Sacramento en Californie et installé au Canada depuis 1980, plus précisément à Guelph en Ontario où il enseigne l’anglais à l’Université. King est de descendance Cherokee et fût le tout premier conférencier autochtone canadien.

Ardent défenseur des premières nations, King s’est exprimé dans ses écrits sur l’expérience autochtones dans la littérature, les traditions orales, l’histoire, la politique, la religion et la culture avec, comme principal objectif de donner un sens aux relations complexes qu’entretiennent la société nord-américaine et les peuples autochtones.

King est aussi le créateur d’une série radiophonique intitulée THE DEAD DOG CAFE COMEDY HOUR pour CBC Radio one. Thomas King est membre de l’Ordre du Canada depuis 2004.

BONNE LECTURE

JAILU/CLAUDE LAMBERT
11 décembre 2016