IL A JAMAIS TUÉ PERSONNE MON PAPA

Commentaire sur le livre de
JEAN-LOUIS FOURNIER

*Un jour, il est rentré avec sa traction dans un
troupeau. Il a abîmé quelques moutons, mais
il a pas écrasé le berger, il s’est arrêté juste
avant. *
Extrait IL A JAMAIS TUÉ PERSONNE
MON PAPA, Jean-Louis Fournier, Stock éditeur,
1999, 152 pages, format numérique pour la présente.

Il était docteur, le papa de Jean-Louis Fournier. Un drôle de docteur qui s’habillait comme un clochard, faisait ses visites en pantoufles et bien souvent ne demandait pas d’argent.
Il n’était pas méchant, seulement un peu fou quand il avait trop bu ; il disait alors qu’il allait tuer sa femme. Un jour il est mort : il avait quarante-trois ans. Longtemps après, son fils se souvient. En instantanés, il trace le portrait de ce personnage étonnant, tragique et drôle à la fois. Il a appris, en devenant grand, l’indulgence. Et qu’il ne faut pas trop en vouloir à ceux qui, plus fragiles, choisissent de « mauvais » moyens pour supporter l’insupportable. Il en résulte un livre drôle et poignant.

Des pages de vie
*On a tout essayé pour que papa ne boive
plus : des prières, des neuvaines, des
messes…on a même essayé un curé…*
(Extrait)

C’est un petit livre fait d’histoires très brèves qui sont autant de pans de la vie du docteur Fournier…des histoires racontées par son fils, Jean-Louis, avec toute la candeur qui caractérise habituellement les petits garçons. Le bon docteur soigne des gens qui le paient mal ou pas du tout mais qui lui offrent toujours à boire :

*On essayait de le ranimer : la cousine lui mettait des glaçons sur la tête, maman lui faisait boire du café très fort, puis elle repartait au salon faire des sourires aux invités, leur dire que papa allait bientôt rentrer, et elle retournait à la cuisine s’occuper de lui. Finalement…Les invités ne s’étaient rendu compte de rien. Ils disaient à maman qu’il n’était pas étonnant de voir papa fatigué, avec le nombre de client qu’il avait ! * (Extrait)

Telle était la vie de la famille Fournier, une reconstruction quotidienne des apparences autour d’un homme pas méchant malgré ses allures parfois menaçantes, gauche, maladroit, parfois drôle mais pour des résultats finalement assez tristes. Mais de petite histoire en petite histoire, j’ai découvert qu’on ne pouvait pas vraiment en vouloir à cet homme singulier. J’ai été surtout ému par la bonne nature de ses enfants et le courage de la maman.

Cette succession de petits épisodes est une bonne idée. On peut se les imaginer comme des sketches, des instantanés de l’école de la vie avec des moments comportant parfois un certain humour mais générant aussi de la tristesse. Voilà…humour et tristesse qui se côtoient : *Je me souviens, un jour, ils ont été au cinéma…C’était docteur Jekyll et Mister Hyde…C’était l’histoire d’un docteur très gentil et très savant. Il travaillait dans la journée, mais le soir, il se transformait. Il devenait comme un monstre…Est-ce que maman, elle s’est rendu compte que c’était un peu l’histoire de papa ? * (Extrait)

Il faut sans doute bien connaître Jean-Louis Fournier pour comprendre le petit ton de dérision qui caractérise son recueil. Il a un sens de l’humour assez aiguisé, il ne craint pas la controverse. J’ai l’impression qu’il part du principe que le ridicule ne tue pas. Bien que ces textes autobiographiques font passer les lecteurs par une gamme d’émotions, j’ai senti, dans les propos de Jean-Louis Fournier davantage d’affection que d’amertume pour son père, un raté au grand cœur, gentil mais imprévisible. D’ailleurs il dit lui-même qu’il ne lui en veut pas et qu’il aurait aimé mieux le connaître.

J’ai donc passé un bon moment de lecture, qui a passé très vite évidemment. Autodérision, humour grinçant. Une histoire de résilience et d’acceptation. Je me suis longtemps demandé, après la lecture de ce livre, comment un homme aussi graffigné par la vie ait réussi à me faire rire des épreuves de la vie. Ça fait réfléchir.

*Maintenant j’ai grandi, je sais que c’est difficile de vivre, et qu’il ne faut pas trop en vouloir à certains, plus fragiles, d’utiliser des «mauvais» moyens pour rendre supportable leur insupportable. * (Extrait)

Suggestion de lecture : LE MONDE DE BARNEY, de Mordecai Richler

Auteur prolifique, Jean-Louis Fournier a toujours su mêler humour, culture et sincérité. Fournier est un homme-orchestre mais c’est surtout son humour à la fois pétillant et touchant qui gagne le cœur du public. Avec ses essais humoristiques, Jean-Louis Fournier rencontre un succès immédiat. Par exemple, dans ARITHMÉTIQUE APPLIQUÉE ET IMPERTINENTE, il apprend au lecteur et à la lectrice à calculer le poids du cerveau d’un imbécile. Je souligne enfin la publication de deux ouvrages sur l’enfance de l’auteur.

On sait que dans IL A JAMAIS TUÉ PERSONNE MON PAPA, il aborde l’alcoolisme de son père et OÙ ON VA PAPA qui lui vaut le prix FÉMINA 2008 pour une évocation émouvante du handicap de ses fils. Enfin, en 20013, il publie LA SERVANTE DU SEIGNEUR, sur la vocation religieuse de sa fille.

Quelques livres de l’auteur

Pour lire mon commentaire sur le C.V. DE DIEU, cliquez ici

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 21 janvier 2024