LES RAISINS DE LA COLÈRE

COMMENTAIRE SUR LE LIVRE DE
JONH STEINBECK

*Un homme peut garder sa terre tant qu’il a de quoi manger et payer ses impôts ; c’est une chose qui peut se faire. Oui, il peut le faire jusqu’au jour où sa récolte lui fait défaut, alors il lui faut emprunter de l’argent à la banque. Bien sûr… seulement, vous comprenez, une banque ou une compagnie ne peut pas faire ça, parce que ce ne sont pas des créatures qui respirent de l’air, qui mangent de la viande. Elles respirent des bénéfices ; elles mangent l’intérêt de l’argent. Si elles n’en ont pas, elles meurent, tout comme vous mourriez sans air, sans viande. C’est très triste, mais c’est comme ça. On n’y peut rien. *

Extrait : LES RAISINS DE LA COLÈRE, John Steinbeck, version numérique, Gallimard éditeur 2012. Publié pour la première fois en 1939, 64 pages -poche-

Oklahoma dans les années 1930 : tout juste sorti de prison, Tom Joad rejoint sa famille. Surprise, la famille se prépare à partir. En effet, suite à une série de tempêtes de sable qui ont détruit toutes les cultures, la famille est contrainte d’abandonner la ferme. Attirés par des prospectus qui promettent travail et prospérité en Californie, ils investissent toutes leurs économies dans ce long voyage, empruntant la légendaire route 66 vers l’ouest. Bien qu’enfreignant les conditions de sa mise en liberté, Tom décide de partir avec eux.

Une œuvre Pulitzer

Une de mes meilleures lectures à vie

Nous sommes dans les années 1930, dans la grande dépression économique provoquée par le krach boursier de 1929 qui a semé misère, désolation, faillites et chaos. Nous suivons la famille Joad : Tom, le personnage central du roman, libéré sur parole, Pa le patriarche, Ma la matriarche, Al, le cadet de la famille et John, frère de Pa donc oncle de Tom et Al. Puis Noah, les enfants Rudy et Winfield, enfin Grandpa et Grandma, les aînés Joad qui meurent sur la route d’une espérance illusoire… Ajoutons à cela quelques personnages qui gravitent autour de la famille.

Les banques ayant repris toutes les terres déficitaires de l’Oklahoma, les Joad empruntent la légendaire route 66 pour gagner la Californie où, parait-il, il y a de l’embauche. Cruelle déception à leur arrivée : une énorme quantité de travailleurs pousse les salaires déjà scandaleux à la baisse, favorisant ainsi l’enrichissement éhonté des grands propriétaires terriens. Les grands rêves des Joad sont cruellement brisés et remplacés par une unique nécessité : survivre. La famille, en marge de l’éclatement sera rudement mise à l’épreuve.

LES RAISINS DE LA COLÈRE est un drame social d’une grande intensité, enveloppant et profondément humain. J’ai été ébranlé, touché, ému par la profondeur des personnages, comme je le fus pour la lecture d’un autre chef d’œuvre de Steinbeck : LES SOURIS ET LES HOMMES. Les Joad auraient pu être mes frères, sœurs, amis, collègues. J’ai souffert pour eux, tantôt triste, tantôt volontaire et insufflé de l’incroyable courage de Ma Joad.

Tels sont les effets qu’ont sur moi des personnages aussi attachants et authentiques. Pour utiliser un cliché aussi clair qu’explicite, j’ai été pris aux tripes par la sensibilité de la plume, la conscience sociale de l’auteur et le regard critique qu’il pose sur la société. Tout en douceur, Steinbeck insère dans son récit une philosophie qui colle à une réalité triste et encore très actuelle en commençant par sa définition de l’homme :

<…la faim dans une seule âme, faim de joie et d’une certaine sécurité, multipliée par un million ; muscles et cerveau souffrant du désir de grandir, de travailler, de créer, multipliés par un million. La dernière fonction de l’homme, claire et bien définie… muscles souffrant du désir de travailler, cerveau souffrant du désir de créer au-delà des nécessités individuelles… voilà ce qu’est l’homme. > Extrait

Le récit est porteur d’une profonde réflexion sur la faim qui fait encore souffrir de nos jours : <… et la colère commence à luire dans les yeux de ceux qui ont faim. Dans l’âme des gens, les raisins de la colère se gonflent et mûrissent annonçant les vendanges prochaines. > Extrait. Les raisins symbolisent la dignité par le travail, un cri du corps et du cœur. Ce livre de Steinbeck est un chef d’œuvre immense qui n’a jamais vieilli.

Très léger bémol : j’ai trouvé la finale un peu étrange. Comme si l’auteur mettait son récit en suspension, laissant à penser que l’histoire des Joad est une réalité qui perdure partout dans le monde. J’aurais aussi aimé être fixé sur le destin de Tom, personnage central de l’histoire qui disparait presque discrètement vers la fin.

C’est un livre magnifique, une véritable prose qui m’a fait ressentir de la tristesse, de la colère, bref toute une gamme d’émotions sans compter la nécessité d’une introspection et le goût d’un retour à la terre. C’est aussi un roman porteur de réflexion entre autres sur la famille. Le livre illustre dramatiquement sa fragilité.

Mon avis est qu’il faut lire absolument LES RAISINS DE LA COLÈRE, une œuvre qui ne laisse pas indifférente et qui analyse froidement une situation sociale préoccupante. Même si le livre a été publié pour la première fois en 1939, vous pouvez me croire quand je vous dis qu’il a conservé toute son actualité. J’ai adoré cette lecture. Elle m’a beaucoup touché.

 

En haut à gauche, l’auteur John Steinbeck. En haut à droite, une scène du film adapté du livre LES RAISINS DE LA COLÈRE sorti en 1940 et réalisé par John Ford avec Henry Fonda, Jane Darwell, Doris Bowdon et Charley Grapewin. Ci-contre, l’affiche du film.
En bas, couverture du livre qui a précédé de deux ans LES RAISINS DE LA COLÈRE et qui fut aussi un best-seller : DES SOURIS ET DES HOMMES. Ce livre a fait l’objet d’un commentaire sur ce site. Pour le lire,
cliquez ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 16 juin 2016

 

IL A JAMAIS TUÉ PERSONNE MON PAPA

Commentaire sur le livre de
JEAN-LOUIS FOURNIER

*Un jour, il est rentré avec sa traction dans un
troupeau. Il a abîmé quelques moutons, mais
il a pas écrasé le berger, il s’est arrêté juste
avant. *
Extrait IL A JAMAIS TUÉ PERSONNE
MON PAPA, Jean-Louis Fournier, Stock éditeur,
1999, 152 pages, format numérique pour la présente.

Il était docteur, le papa de Jean-Louis Fournier. Un drôle de docteur qui s’habillait comme un clochard, faisait ses visites en pantoufles et bien souvent ne demandait pas d’argent.
Il n’était pas méchant, seulement un peu fou quand il avait trop bu ; il disait alors qu’il allait tuer sa femme. Un jour il est mort : il avait quarante-trois ans. Longtemps après, son fils se souvient. En instantanés, il trace le portrait de ce personnage étonnant, tragique et drôle à la fois. Il a appris, en devenant grand, l’indulgence. Et qu’il ne faut pas trop en vouloir à ceux qui, plus fragiles, choisissent de « mauvais » moyens pour supporter l’insupportable. Il en résulte un livre drôle et poignant.

Des pages de vie
*On a tout essayé pour que papa ne boive
plus : des prières, des neuvaines, des
messes…on a même essayé un curé…*
(Extrait)

C’est un petit livre fait d’histoires très brèves qui sont autant de pans de la vie du docteur Fournier…des histoires racontées par son fils, Jean-Louis, avec toute la candeur qui caractérise habituellement les petits garçons. Le bon docteur soigne des gens qui le paient mal ou pas du tout mais qui lui offrent toujours à boire :

*On essayait de le ranimer : la cousine lui mettait des glaçons sur la tête, maman lui faisait boire du café très fort, puis elle repartait au salon faire des sourires aux invités, leur dire que papa allait bientôt rentrer, et elle retournait à la cuisine s’occuper de lui. Finalement…Les invités ne s’étaient rendu compte de rien. Ils disaient à maman qu’il n’était pas étonnant de voir papa fatigué, avec le nombre de client qu’il avait ! * (Extrait)

Telle était la vie de la famille Fournier, une reconstruction quotidienne des apparences autour d’un homme pas méchant malgré ses allures parfois menaçantes, gauche, maladroit, parfois drôle mais pour des résultats finalement assez tristes. Mais de petite histoire en petite histoire, j’ai découvert qu’on ne pouvait pas vraiment en vouloir à cet homme singulier. J’ai été surtout ému par la bonne nature de ses enfants et le courage de la maman.

Cette succession de petits épisodes est une bonne idée. On peut se les imaginer comme des sketches, des instantanés de l’école de la vie avec des moments comportant parfois un certain humour mais générant aussi de la tristesse. Voilà…humour et tristesse qui se côtoient : *Je me souviens, un jour, ils ont été au cinéma…C’était docteur Jekyll et Mister Hyde…C’était l’histoire d’un docteur très gentil et très savant. Il travaillait dans la journée, mais le soir, il se transformait. Il devenait comme un monstre…Est-ce que maman, elle s’est rendu compte que c’était un peu l’histoire de papa ? * (Extrait)

Il faut sans doute bien connaître Jean-Louis Fournier pour comprendre le petit ton de dérision qui caractérise son recueil. Il a un sens de l’humour assez aiguisé, il ne craint pas la controverse. J’ai l’impression qu’il part du principe que le ridicule ne tue pas. Bien que ces textes autobiographiques font passer les lecteurs par une gamme d’émotions, j’ai senti, dans les propos de Jean-Louis Fournier davantage d’affection que d’amertume pour son père, un raté au grand cœur, gentil mais imprévisible. D’ailleurs il dit lui-même qu’il ne lui en veut pas et qu’il aurait aimé mieux le connaître.

J’ai donc passé un bon moment de lecture, qui a passé très vite évidemment. Autodérision, humour grinçant. Une histoire de résilience et d’acceptation. Je me suis longtemps demandé, après la lecture de ce livre, comment un homme aussi graffigné par la vie ait réussi à me faire rire des épreuves de la vie. Ça fait réfléchir.

*Maintenant j’ai grandi, je sais que c’est difficile de vivre, et qu’il ne faut pas trop en vouloir à certains, plus fragiles, d’utiliser des «mauvais» moyens pour rendre supportable leur insupportable. * (Extrait)

Suggestion de lecture : LE MONDE DE BARNEY, de Mordecai Richler

Auteur prolifique, Jean-Louis Fournier a toujours su mêler humour, culture et sincérité. Fournier est un homme-orchestre mais c’est surtout son humour à la fois pétillant et touchant qui gagne le cœur du public. Avec ses essais humoristiques, Jean-Louis Fournier rencontre un succès immédiat. Par exemple, dans ARITHMÉTIQUE APPLIQUÉE ET IMPERTINENTE, il apprend au lecteur et à la lectrice à calculer le poids du cerveau d’un imbécile. Je souligne enfin la publication de deux ouvrages sur l’enfance de l’auteur.

On sait que dans IL A JAMAIS TUÉ PERSONNE MON PAPA, il aborde l’alcoolisme de son père et OÙ ON VA PAPA qui lui vaut le prix FÉMINA 2008 pour une évocation émouvante du handicap de ses fils. Enfin, en 20013, il publie LA SERVANTE DU SEIGNEUR, sur la vocation religieuse de sa fille.

Quelques livres de l’auteur

Pour lire mon commentaire sur le C.V. DE DIEU, cliquez ici

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 21 janvier 2024

LES MISÉRABLES, version audio (2)

Commentaire (2e partie) sur l’œuvre de
VICTOR HUGO

*Dieu est derrière tout, mais tout cache dieu. *
(Extrait : LES MISÉRABLES, Victor Hugo, Tome troisième publié
à l’origine en 1862 chez Albert Lacroix, réédité chez Testard en
1990, un format de 2 598 pages. Versio audio : Thélème éditeur,
2016, durée d’écoute : 56 heures 52 minutes, narrateurs : Michel
Vuillermoz, Élodie Huber, Pierre-François Garel, Louis Arène,
Mathurin Voltz)


Représentation du tome V de la pentalogie LES MISÉRABLES de Victor Hugo, JEAN VALJEAN, Émile Testard, 1890. (Wikisource)

Pour lire la première partie du commentaire, cliquez ici.

Le génie du Père Hugo

Résumer un récit aussi considérable et riche relève ici du défi. Je dirai simplement que l’histoire est celle de Jean Valjean, un forçat qui, après avoir été libéré de prison trouve refuge chez Mgr Myriel, l’évêque de Digne, qui le traite avec gentillesse. Mais Valjean vole son argenterie. L’évêque lui pardonne et lui fait promettre de devenir un honnête homme. Valjean change d’identité et parvient à Montreuil-sur-mer où il deviendra maire de la ville et lui assurera une grande prospérité.

Mais le passé rattrape Jean Valjean ainsi que l’inspecteur Javert qui l’arrête. Évadé de prison, Jean Valjean sauve la fille de Fantine, la petite Cosette, des griffes des aubergistes Thénardier, et se cache. Puis, arrive dans le décor un beau jeune homme, Marius, sauvé de l’insurrection par Valjean. Quelques années plus tard, le jeune Marius tombe amoureux de Cosette et l’épouse. Le petit Gavroche meurt héroïquement sur les barricades. Marius découvre tardivement qui est son sauveur et se rend avec Cosette auprès de lui : Jean Valjean se meurt, dans la solitude et le chagrin.

On ne peut pas critiquer un tel chef d’oeuvre, commenter est aussi un bien grand mot. Je ne peux ici qu’observer, entre autres que Hugo était un homme très engagé et extrêmement critique de ses contemporains. Je peux aussi transmettre mon ressenti : de la colère, de la joie, de l’empathie et surtout une grande tristesse car Victor Hugo évoque les Misérables dans les deux grandes définitions du mot : -Qui inspire la pitié, -Qui évoque la misère, le dénuement, pour citer Larousse.

C’est un récit qui est très long. Pourtant, en cinquante-trois heures d’écoute, je ne me suis pas ennuyé une seule minute. C’est bien dans le style d’Hugo de se laisser aller à de grandes envolées colorées, des évocations, des parenthèses le tout nécessaire à la compréhension des personnages car dans ce récit, tout s’imbrique de façon aussi géniale que lente.

Par exemple, un extraordinaire récit descriptif de la bataille de Waterloo qui se conclut comme on le sait par l’abdication de Napoléon le 22 juin 1815. C’est pourtant dans cet épisode que le brigand Thénardier sauve la vie de Pont Mercy, le père de Marius. Et cette parenthèse n’est qu’un exemple. Autre exemple, en lisant l’histoire de Gavroche, vous apprendrez l’origine du mot *gamin*. Hugo m’a gardé captif pendant cinquante-trois heures

Je sais. Tout a été dit sur Victor Hugo et LES MISÉRABLES. Je ne peux que me joindre aux courants de pensées relatifs à l’oeuvre du Père Hugo. Sa plume est fluide et sans prétention. Ses personnages sont attachants. Gavroche en particulier m’a fasciné. J’ai pratiquement pleuré sa mort. Ce roman m’a fasciné parce qu’entre autres, il demeure d’une incroyable actualité, peut-être plus que les romans modernes

Il me rend triste parce qu’il semble démontrer que l’homme ne changera jamais. Il y aura toujours des dominants et des dominés. Des riches, des pauvres. Une seule petite faiblesse au tableau sonore : Pourquoi cinq narrateurs. Michel Vuillermoz a narré le premier livre avec brio. J’aurais préféré le garder *pour moi* jusqu’à la fin. L’éditeur a décidé du contraire. Pour le reste, disons que j’ai fait avec délice la connaissance d’un génie.

Suggestion de lecture : LEGEND, de Marie Lu

Bibliographie
Victor Hugo occupe une place importante dans l’histoire de la littérature au XIXe siècle. Il est un poète lyrique avec des livres tels que Odes et Ballades (1826), les feuilles d’automne (1832) ou Les Contemplations (1856), mais il est aussi un poète engagé contre Napoléon III dans la Moisson (1853) ou le poète épique avec le Légende des Siècles (1859 et 1877). Il est aussi un romancier du peuple qui connut un grand succès populaire avec de telles Notre Dame de Paris (1831), et plus encore avec Les Misérables (1862).

Au théâtre, il expose sa théorie du drame romantique dans sa préface de Cromwell en 1827 et illustré principalement avec Hernani Ruy Blas en 1830 et en 1838. Son travail comprend également plusieurs discours politiques à la Chambre des Pairs, à l’Assemblée constituante et l’Assemblée législative, y compris la peine de mort, l’école ou en Europe, récits de voyage (Le Rhin, 1842 ou choses vues, posthume, 1887 et 1890), et une abondante correspondance. (Savoir)

Victor Hugo est né le 26 février 1802 à Besançon. Il est le dernier enfant d’une famille de trois garçons. Il a eu une enfance nomade et anxieuse.
À l’âge de 14 ans, Victor Hugo commence à écrire dans tous les genres poétiques. A 19 ans, il écrit et publie ses premiers poèmes, Odes. Il est alors remarqué par le roi Louis XVIII qui lui verse une pension. Malgré une scolarité erratique, l’écrivain semble déjà avoir une idée très précise sur son avenir alors qu’il est encore au lycée. Le 12 octobre 1822, Hugo épouse, son amour d’enfance Adèle Foucher. Deux ans plus tard, Adèle donne naissance à leur premier enfant, Léopoldine. Ils auront en tout 5 enfants.

Le 22 mai 1885, Victor Hugo meurt d’une congestion pulmonaire à l’âge de 83 ans dans son hôtel particulier « La Princesse de Lusignan ». La Troisième République a honoré sa mort par des funérailles nationales qui ont accompagné le transfert de sa dépouille au Panthéon de Paris le 31 mai 1885.

Pendant plus d’un demi-siècle, Victor Hugo écrit tout : des poèmes, des épopées, des odes, des romans, des drames, des essais… ; il est tout : député, académicien, banni, sénateur… et humain.

La pentalogie

Bonne lecture
Bonne écoute

Claude Lambert
le dimanche 14 mai 2023