PASSAGE, le livre de CONNIE WILLIS

*…Il souhaitait l’informer des détails sidérants que Mme Davenport s’était remémorée. «Ils sont si précis et authentiques que vous ne pourrez plus contester la réalité des EMI.» -Ce qu’on voit n’est pas réel.- Rétorqua-t-elle. Même s’il a raison de
parler de précision et d’authenticité. *
(Extrait : PASSAGE, Connie Willis, t.f. Éditions J’ai Lu, 2001, édition numérique, 740 pages)

Joanna Lander, une psychologue, s’est spécialisée dans les expériences de mort imminente. Pour comprendre les mécanismes de la mort et du passage dans une autre vie, elle collige des témoignages qui s’avèrent malheureusement peu fiables. Mais un neurologue, Richard Wright, lui propose de travailler sur des EMI provoquées artificiellement par l’injection d’une drogue psychoactive. Joanna accepte sans toutefois se douter que cette technique pourrait bouleverser toutes les théories scientifiques sur les EMI et sur la mort elle-même. Joanna veux prouver la survie de l’esprit à l’enveloppe charnelle, mais les motivations ne sont pas les mêmes pour tous…

LES CHEMINS DE LA LUMIÈRE
*-C’est un S.O.S.- Ils ne le capteront jamais,
se répéta-t-elle. Mais elle resta assise dans
le noir, cernée d’étoiles, pour serrer le
petit chien contre elle et diffuser des
signaux d’amour, de compassion et
d’espoir. Les messages des trépassés.*
(Extrait : PASSAGE)

La mort, l’au-delà, la vie après la mort et les expériences de mort imminente sont des thèmes qui prolifèrent en littérature mais surtout sous forme de témoignages ou de documentaires, rarement sous forme de roman. Dans PASSAGE, Connie Willis a relevé le défi en se concentrant sur les expériences de mort imminente : Les E.M.I.

Évidemment, quand on parle d’E.M.I. on pense presque automatiquement au docteur Raymond Moody qui a fait un tabac avec son livre LA VIE APRÈS LA VIE. Peut-on comparer avec PASSAGE? Disons que les deux auteurs développent une théorie complètement opposée.

Moody attribue à l’E.M.I une dimension essentiellement spirituelle répondant à des critères précis, les principaux étant la décorporation, la sensation d’être enveloppé de bien-être et d’amour, le tunnel avec au bout l’ange de lumière et le récapitulatif de la vie.

Dans PASSAGE, la théorie développée par Connie Willis est essentiellement scientifique, l’ E.M.I. étant considérée comme un soubresaut hallucinatoire du cerveau mourant, une réaction chimique et même comme une ultime tentative de se raccrocher à la réalité de la vie.

Voilà qui ne fait pas l’affaire des mystiques car la disparition des synapses cérébrales une par une, implique une finalité de la vie, un passage vers la non-existence. Ça s’arrête là. *Il est logique de supposer qu’une scientifique considère ces choses sous un jour différent, qu’elle les dépouille de leurs connotations mystiques* (Extrait)

Dans PASSAGE, les deux théories s’opposent. Nous avons en présence Maurice Mandraque, auteur à succès, être borné, farouche partisan du tunnel de lumière et dont les convictions se rapprochent beaucoup de celles de Raymond Moody. L’auteure n’est pas tendre avec son personnage et lui attribue la fâcheuse tendance à influencer les ÉMISTES dans leur témoignage.

Puis, il y a les défenseurs de la théorie scientifique, Joanna Lander et Richard Write qui tentent de comprendre les mécanismes de la mort pour éventuellement sauver des vies. Pour eux, la mort est une finalité, l’âme n’entrant pas en ligne de compte puisqu’elle n’est pas scientifiquement prouvée et encore moins manipulable.

Pour illustrer les étapes de la mort cérébrale, expliquer un retour possible à la vie et mettre en perspective le caractère hallucinatoire de l’É.M.I, l’auteure a imaginé une énigme qui trouverait sa réponse à bord du Titanic peu avant son naufrage et prend l’allure d’une véritable course contre la montre.

Le Titanic prend ici valeur de symbole de la finalité de la mort. Ce n’est pas simple à suivre, mais l’idée était tout de même excellente.

PASSAGE touche une corde sensible, développe un sujet controversé et on ne peut pas vraiment dire qu’il apporte une bonne nouvelle aux êtres humains mystifiés par la mort depuis l’aube des temps. L’histoire est intéressante et comporte beaucoup d’action, même haletante par moment. Mais le livre est victime de sa complexité. Les longues explications scientifiques sont nombreuses et lourdes.

Dans l’ensemble, le livre comporte beaucoup de longueurs. Mais la plume de Willis, brillante, pousse le lecteur à aller toujours plus loin pour comprendre où les acteurs veulent en venir. C’est réussi je crois, même si la finale m’a laissé un petit arrière-goût d’inachevé.

C’est un livre à lire avec patience et un esprit ouvert. Il faut se rappeler que c’est un roman de science-fiction. Willis a évité le piège du mélodrame tout en maintenant une forte intensité dramatique.

Elle ne prétend pas détenir la vérité mais développe une théorie originale qui pousse à une profonde réflexion et un questionnement qui n’aura peut-être jamais sa réponse : peut-on lier la logique, la raison, la science et la survie de l’esprit? Un bon livre finalement.

Connie Willis est une romancière américaine spécialisée dans la science-fiction, née à Denver, Colorado, le 31 décembre 1945. Elle a rapidement gagné en célébrité dès l’apparition de ses premières nouvelles dans les années 80. Comme c’est le cas avec PASSAGE, la plupart de ses livres abordent des thèmes difficiles ou sensibles. Son œuvre est chargée d’une impressionnante quantité de distinctions. PASSAGE par exemple, a décroché le PRIX LOCUS du meilleur roman de science-fiction en 2002. Ses œuvres majeures sont  LE GRAND LIVRE (1994) et SANS PARLER DU CHIEN (2000).

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 6 janvier 2019

LE SERMENT DES LIMBES, de Jean-Christophe Grangé

*Je restai hypnotisé. Impossible de ne pas voir dans cette éruption un présage. Le souffle du diable m’accueillait. Je songeai à ce passage de l’apocalypse de Saint Jean : –Le second ange sonna de la trompette, et il tomba sur la mer comme une grande
montagne brûlante–*
(Extrait : LE SERMENT DES LIMBES, Jean-Christophe Grangé,
Éditions Albin Michel, 2007, num. 600 pages)

Un policier, essaie de comprendre pourquoi son ami Luc, lui aussi policier, a essayé de se suicider. Mathieu découvre que Luc enquêtait secrètement sur une série de meurtres perpétrés aux quatre coins de l’Europe et que les auteurs de ces meurtres procèdent à  la décomposition des corps selon un rituel satanique. Plusieurs meurtriers sont impliqués dans ces lugubres mises en scènes et ils ont tous un point en commun : ils ont tous frôlé la mort et vécu une expérience de mort imminente. Dans cette enquête troublante, complexe et dangereuse, Mathieu sera confronté à la réalité du diable, d’autant qu’il se retrouvera devant une stupéfiante vérité…

AVANT-PROPOS :
L’expérience de mort imminente négative

Pour comprendre le titre du livre de Grangé LE SERMENT DES LIMBES, il faut se rappeler quelques-uns des grands principes que le philosophe et médecin américain Raymond Moody a évoqués pour décrire l’expérience de mort imminente qui intervient entre le moment de la mort clinique déclarée et le retour à la vie.

-la décorporation de la personne décédée. L’âme sort du corps et flotte au-dessus, d’où le souvenir par survol. -L’âme continue de monter, au-delà du toit et est attirée par une lumière intense, mais non aveuglante qui semble se positionner au bout d’un tunnel. -L’âme se sent enveloppée de pureté, d’amour et de paix. -L’âme voit ou ressent le film de sa vie se dérouler devant ses yeux.

Dans le livre de Grangé, l’enquêteur Mathieu Durey est confronté à l’antithèse de l’e.m.i., c’est-à-dire l’e.m.i.n. : l’expérience de mort imminente négative qui amène l’âme vers le bas, le fond, attirée par une lumière rouge ou orange derrière laquelle elle fait la rencontre d’un esprit malin ou le diable ou la Bête, peu importe. L’échange issu de cette rencontre EST le serment des Limbes. Au retour à la vie, l’état d’esprit est très différent de celui engendré par l’e.m.i.

En dire davantage équivaudrait à spolier le lecteur du plaisir de la découverte…

En quête du diable
*Ils voulaient seulement comprendre comment
une miraculée de Dieu pouvait être sous
l’emprise du malin. Ou plutôt, pour parler
clair, déterminer s’il pouvait exister une
miraculée du diable. Ce qui revenait à
prouver physiquement l’existence de Satan.
……
Le Prince des ténèbres ne s’était pas invité
à l’interrogatoire…
(Extrait : LE SERMENT DES LIMBES)

LE SERMENT DES LIMBES est une histoire étrange et complexe…une enquête policière haletante qui explore les limites du paranormal. Le livre est issu d’une recherche intense et l’auteur s’est très bien documenté…ça m’a semblé évident.

Vous vous demandez s’il s’agit encore d’une histoire de diable, sujet qui, comme on le sait est plutôt élimé et très surchauffé en littérature? Je vous dirai OUI et NON. C’est une question de perception parce qu’il fait appel entre autres à vos croyances. Moi j’ai trouvé le sujet original. Aimerez-vous ce livre ou pas? Ça dépend beaucoup de ce que vous recherchez dans une histoire policière, spécialement quand celle-ci est empreinte d’un caractère surnaturel.

Personnellement j’ai trouvé cette enquête fascinante. J’ai aimé ce livre et voici pourquoi.

D’abord, j’adore relever des défis de compréhension dans l’évolution d’une enquête. Ici, les défis ne manquent pas et ça me plait : des enquêtes qui s’imbriquent, un tas de fausses pistes, des personnages marginaux, un cadre mystique venu bousculer mes convictions, de nombreux rebondissements, une évolution lente mais sûre, quitte à faire valser un peu le lecteur, et surtout des questionnements… beaucoup de questionnements…*…un pur chaos, où chaque réponse posait une nouvelle question.* (Extrait) Chaque nouvelle question étant crédible, il y a de quoi faire bouillonner le raisonnement du lecteur.

Ensuite, comme je l’ai dit plus haut, le sujet est original. L’expérience de mort imminente négative vient apporter une variante intéressante à un genre littéraire essoufflé. Peut-être que le diable est omniprésent mais la connaissance et l’exploration de l’esprit humain nous poussent à nous demander, par la plume de Grangé, où est la frontière entre l’action du diable et la démence humaine…*L’assassinat de Sylvie Simonis ouvrait la porte à une autre réalité, dépassant le meurtre rituel. Un savoir interdit, une logique supérieure qui valait qu’on tue pour la préserver.* (Extrait)

Enfin, je se saurais trop insister sur l’importance de retirer quelque chose d’un livre : un réactif, une matière à réflexion, un frisson, de l’émotion et j’en passe. C’est le cas avec LE SERMENT DES LIMBES : un thriller qui m’a fait passer des bons moments, parfois très intenses. Que vous croyiez au diable ou pas, je crois que vous passerez un bon moment.

Suggestion de lecture : QUI MENT, de Karen M, McManus

Jean-Christophe Grangé est un journaliste, scénariste et écrivain français né à Paris le 15 juillet 1961. Ses enquêtes pour le National Geographic et Paris-Match en particulier l’ont largement inspiré pour ses romans. Comme journaliste, il fait le tour du monde en accumulant plusieurs prix prestigieux. Son premier roman est publié en 1994 et plusieurs suivront et seront adaptés au cinéma dont LES RIVIÈRES POURPRES…ouvrage majeur dont le succès sera fulgurant. LE SERMENT DES LIMBES est le deuxième volet d’une trilogie ayant comme thème la compréhension du mal. Il s’est classé rapidement dans la liste des best-sellers.

DOSSIER SUGGÉRÉ : Expérience de mort imminente, l’émi négative.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
Le 23 avril 2017