L’enfant des livres

Commentaire sur le livre de
FRANÇOIS FOLL

< La souffrance physique est un puissant anesthésique de la souffrance morale. En revanche, dès qu’elle s’estompe, l’autre revient au galop. Ce fut le cas pour Martin qui sentit monter en lui un mascaret d’idées sombres. La semi-hébétude dans laquelle il se trouvait fut soudain balayée par un flot d’amertume. Il prit clairement conscience de la situation.

Sans appui, sans aide à attendre de qui que ce fût, elle était désespérée. Certes, il avait tenu bon. L’implacable tourmenteur dont il ne comprenait pas l’acharnement n’avait pas réussi à lui faire avouer ce qu’il n’avait pas commis, la syncope provoquée par la douleur l’avait peut-être sauvé d’un délire incontrôlable. Avec l’aide de Dieu, il avait vaincu les méchants, prouvé sa bonne foi. >

Extrait : L’ENFANT DES LIVRES, François Foll, Nouveau Monde édition pour le format numérique, 2009, 504 pages. Point éditeur 2011 pour le format papier de 576 pages.

 

Les livres qui affranchissent

C’est un tout premier roman pour François Foll et je dois dire qu’il débute sa carrière sur des chapeaux de roues. Je ne m’attendais pas du tout à un tel déploiement de talent et d’imagination. Ce livre, magnifiquement documenté m’a touché et m’a fait vibrer…une de mes plus belles lectures. Avec ce livre entre les mains, le temps s’est arrêté.

On suit un jeune garçon attachant doté d’une nature généreuse, avide de connaissances mais malheureusement écrasé par les préceptes absurdes et débilitants de la religion. Mal aimé et maltraité, Martin a 10 ans au début de l’histoire. Son destin sera d’être pris en charge par un colporteur appelé à devenir un grand Chevaler : Raymond Puységur.

Martin évoluera avec son père adoptif, dans un monde fragilisé par d’interminables guerres de religion, cruelles et meurtrières opposant les catholiques aux calvinistes. À travers toutes ses tribulations, Martin connaîtra l’amour et aura recours à un abri moral de premier ordre : les livres.

J’ai dévoré et adoré ce livre et il y a tellement de raisons que je me permets ici d’emprunter un style télégraphique :

-Les personnages sont attachants, vivants, vigoureux et travaillés. J’ai développé une exceptionnelle empathie pour Martin et j’ai été fasciné par le caractère bien trempé de Puységur. Tous les personnages ont quelque chose d’authentique.

-Un élément important qui a retenu mon attention est l’omniprésence des livres. Bien que guerrier et habile au maniement de l’épée, Martin grandira dans les livres et vieillira dans les livres. J’ai vu dans ce récit de Foll un vibrant plaidoyer sur le pouvoir des livres.

-Non seulement l’auteur parle du contenu des livres mais en explique la fabrication du contenant. Il détaille comment, au XVIe siècle, on fabriquait un livre à travers le quotidien des maîtres imprimeurs: la fabrication des pages, la reliure, l’assemblage…comment on pouvait faire d’un livre, une véritable œuvre d’art. Foll est rentré dans les détails. Sa recherche est impressionnante et ça m’a captivé.

J’ai appris et compris plusieurs aspects des guerres de religion. Entre autres, Foll fait évoluer son personnage principal à travers les évènements qui conduiront un massacre de la Saint-Barthélemy en 1572, un innommable gâchis qui a fait plus de 3000 morts dans la seule ville de Paris et plus de 10 000 en France. Il y a dans ce livre une effrayante vision de ce carnage.

L’auteur met en perspective l’absurdité du fanatisme, de l’extrémisme, de l’intransigeance religieuse, de l’ultra orthodoxie. L’ENFANT DES LIVRE est un véritable plaidoyer en faveur de la tolérance, ce qui n’était pas pour me déplaire. Je suis curieux de voir ce que Voltaire en aurait dit.

La plume est fine, parfois très directe. L’écriture est belle, d’une grande richesse et l’auteur, fait appel pour ses dialogues au français d’un autre temps : *Cornedieu ! Je conjecturai bien l’issue de ce massacre ! Des bas de poil ! Des couards ! Des parjures incapables de faire une braverie pour transformer ce royaume acéphale ! Et puis celle-là. (Il fixa l’épouse de l’apothicaire). Voyez comme elle s’est pimplochée ! D’épouse exemplaire, la voilà transformée en caillette ! N’a-t-elle pas appris que l’excès de fard et la superfluité du vêtement sont le lot des femmes perdues ? * (Extrait) Savoureux …authentique.

François Foll m’a livré, avec L’ENFANT DES LIVRES sa vision du pouvoir des livres et des vertus de la connaissance. Je recommande chaleureusement cette perle littéraire, un des meilleurs romans historiques que j’ai lus.

Suggestion de lecture : LA SCRIBE, d’Antonio Garrido

 


Ingénieur retraité et passionné d’histoire, Français Foll est membre très actif de l’association Lire et Faire lire. Il a eu l’idée d’écrire L’Enfant des livres, son premier roman, après un an de lecture aux enfants des écoles, pour témoigner de l’importance du livre, de son rôle vital dans l’éducation, mais aussi du danger de son utilisation à des fins partisanes.

 

 

BONNE LECTURE
CLAUDE LAMBERT

UNE COLONNE DE FEU, KEN FOLLET partie 2

LES RAVAGES DU FANATISME
*Paré disait que si l’écharde n’avait pénétré que dans l’œil
du roi, il aurait pu survivre…Malheureusement, la pointe
s’était enfoncée jusqu’au cerveau. Paré mena des
expériences sur quatre criminels condamnés à mort,
leur plantant des éclats de bois dans les yeux pour
reproduire la blessure. Les quatre moururent. Il n’y
avait aucun espoir de sauver le roi.*
(extrait)

Pour compléter mon commentaire sur UNE COLONNE DE FEU, je dirai qu’il est difficile pour moi de dissocier la perception que j’ai du récit de mes convictions. L’auteur précise que le protestantisme était aussi loin d’être vertueux. Raison pour laquelle je pense que la neutralité de l’auteur est raisonnable.

Pour le reste c’est du grand Follet : insertion efficace de personnages fictifs dans des réalités historiques de premier plan, beaucoup de rebondissements, de l’émotion, et l’histoire est toujours d’actualité sauf qu’aujourd’hui, c’est l’Islam qui est pointé du doigt. Donc, quant à la tolérance, on ne peut pas dire que c’est une vertu dans notre société actuelle.

Dans les petits moins, attention, il y a beaucoup de personnages. Ça devient mêlant. Mais les principaux acteurs étant bien mis en évidence, c’est tolérable. Quant au titre, je n’ai pas vraiment compris ce choix.

Dans COLONE DE FEU, vous suivrez, tout au long du récit, l’évolution de Ned Willard qui est devenu espion au service de la reine Élizabeth 1ère, puis du roi Jacques. C’est un aspect extrêmement original que Follet a développé dans son récit : la nécessité et la création d’un cercle d’espions qui a été dans l’histoire, d’une redoutable efficacité. Naissance des services secrets…

Je sais que j’ai été long mais j’aimerais terminer en vous disant que si j’ai trouvé ce livre passionnant, il m’a ébranlé, à cause du caractère parfois brusque de la plume, mais surtout à cause des réalités historiques développées par Follet et dominées par la méchanceté, la cruauté et évidemment l’intolérance qui a tant fragilisé l’Europe au cours de l’histoire. Je vous recommande donc UNE COLONE DE FEU… du grand Follet.

Pour en savoir plus sur le protestantisme, cliquez ici.
Pour en savoir plus sur le massacre de la Saint-Barthélemy, cliquez ici.
Pour lire mon commentaire sur CODE ZÉRO de Ken Follet, cliquez ici.
La première partie de mon article est ici.

Un élément de la conclusion du livre de Ken Follet m’a amené à faire une recherche sur le MAYFLOWER, un navire marchand qui deviendra célèbre après avoir transporté dans le nouveau monde, en 1620, des passagers dissidents religieux. Plusieurs de ces passagers, pèlerins et autres sont considérés par beaucoup d’historiens comme faisant partie des premiers colons de ce qui deviendra les futurs États-Unis. Pour en savoir plus, cliquez ici.

Suggestion de lecture : L’INQUISITEUR, d’Henri Gougaud

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 20 novembre 2020

UNE COLONE DE FEU, KEN FOLLET, partie 1

*Certains étaient suffisamment exaspérés par la
corruption de l’Église pour prendre le risque
d’assister à des cultes protestants clandestins,
même si c’était un crime. Pierre fit mine d’être
scandalisé. «Ces gens devraient être mis à mort.»*
(Extrait : UNE COLONNE DE FEU, Ken Follet, Éditions
Robert Laffont, 2017, édition de papier, 925 pages)

Noël 1558, le jeune Ned Willard rentre à Kingsbridge : le monde qu’il connaissait va changer à tout jamais… La ville est déchirée par la haine religieuse et Ned se retrouve dans le camp adverse de celle qu’il voulait épouser. L’accession d’Élisabeth Ire au trône met le feu à toute l’Europe. Les complots pour destituer la jeune souveraine se multiplient. Pour déjouer ces machinations, Élisabeth constitue les premiers services secrets du pays et Ned devient l’un des espions de la reine. Dans ce demi-siècle agité par le fanatisme, la véritable bataille oppose les adeptes de la tolérance aux tyrans décidés à imposer leurs idées à tous les autres – à n’importe quel prix.

Deux siècles après
UN MONDE SANS FIN

*Ils se rendront de nuit au château de ma sœur,
l’actuelle comtesse de Shiring. Elle organise des
offices religieux catholiques en secret depuis des
années et dispose déjà de tout un réseau de
prêtres clandestins. De là, ils se disperseront
dans toute l’Angleterre*
(Extrait : UNE COLONNE DE FEU)

L’histoire d’une Europe instable et agitée. Elle est agitée et meurtrie par une guerre sans merci que se livrent les ultra-catholiques et les protestants qui, sous l’impulsion de Jean Calvin ont décidé de faire sécession d’une église contrôlante, austère, orthodoxe dirigée par des papes incompétents assis sur l’argent, le pouvoir et l’ambition.

Pour comprendre l’histoire, il faut saisir toute l’ampleur de l’intolérance catholique, le contexte politique, spécialement en Angleterre, le durcissement du protestantisme qui deviendra aussi intolérant. Le résultat est une bombe meurtrière au nom d’une étiquette empoisonnée : la religion de l’église.

Ken Follet livre un récit historique avéré dans lequel il a inséré des personnages fictifs avec des intrigues. C’est sa grande force. Il passe en revue les grands moments de la crise de religion à partir de 1558 où Élizabeth 1ère accède au trône d’Angleterre et établit l’autorité de l’Église protestante.

Elle créera les tout premiers services secrets anglais. Par la suite, le pape aura l’idée brillante d’excommunier Élizabeth, répudier sa religion et inciter les anglais à la désobéissance. Dans un crescendo dramatique, Follet passe en revue l’exécution de Marie Stuart, la tentative de l’Espagne d’envahir l’Angleterre et d’y faire agir l’inquisition.

L’auteur met tous les éléments en place menant inexorablement au massacre de la Saint-Barthélemy : chaque protestant de la noblesse était désigné pour être assassiné par un ultra-catholique …des milliers de morts ont jonché les rues de Paris et d’autre villes pendant des semaines. Suite à cet indescriptible carnage, le Pape aurait envoyé une lettre de félicitations au roi de France. N’est-ce pas édifiant ? Pour un saint homme ?

C’est une parenthèse très personnelle, mais on dirait qu’il y a beaucoup de gens, dont des rois et des saints pères qui ont oublié le message pourtant très simple qu’un jeune homme adulé a livré un jour sur une montagne : AIMEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES et non *tuez-vous les uns les autres* et pour des chicanes de doctrines encore. J’ai trouvé le livre dur, très direct. Il y a quelque chose de dérangeant dans la justesse du propos.

Au moins, à plusieurs reprises dans le récit, j’ai senti l’appel à la tolérance, c’est-à-dire cette capacité d’admettre que mon voisin, ami ou cousin peu importe ait une manière différente de la mienne de vivre et de penser. Il ressort de l’ensemble de l’œuvre une mise en valeur, sinon une glorification de la tolérance. Et les exemples sont nombreux…

*Margery était consternée. Les catholiques allaient massacrer les protestants, et inversement. Mais un disciple du Christ n’était pas censé manier l’épée ni tirer le canon, pas plus que tuer ou estropier. (Extrait) 

*Nous ne voulions qu’une chose, un pays où chacun pourrait faire la paix avec Dieu comme il l’entend* (Extrait) 

*La simple idée que des êtres humains puissent être autorisés à pratiquer la religion de leur choix provoqua plus de souffrances que les dix plaies d’Égypte*. (Extrait)

Le prochain article sera consacré à la suite et la fin de mon commentaire sur UNE COLONNE DE FEU

Suggestion de lecture : BORGIA, de Michel Zévaco

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 15 novembre 2020