Sang trouble

Commentaire sur le livre de
ROBERT GALBRAITH
Cinquième volume de la série CORMORAN STRIKE

*Strike avait du mal à résister à l’envie de savoir. C’était un besoin impératif chez lui, comme une démangeaison. *
Extrait : SANG TROUBLE, Robert Galbraith, Grasset éditeur 2022, édition de papier, 906 pages. VERSION AUDIO : Audiolib éditeur, 2022, durée d’écoute : 33 heures 2 minutes. Narrateur Philippe Résimont.

Cormoran Strike est en visite dans sa famille en Cornouailles quand une inconnue l’approche pour lui demander de l’aide. Elle aimerait retrouver sa mère, disparue dans des circonstances jamais éclaircies en 1974. Intrigué, Strike accepte, malgré la longue liste des cas sur lesquels lui et son associée Robin Ellacot travaillent déjà.  Petit à petit, l’enquête apparaît comme très complexe. Sur leur chemin, Robin et Strike rencontrent des témoins peu fiables, s’interrogent sur des jeux de tarots, tout en poursuivant des pistes qui semblent mener vers un serial killer psychopathe. Ils apprendront bientôt, à leurs dépens, que même des affaires classées peuvent se révéler dangereuses…

Un duo attachant

C’est une enquête très complexe, un défi de lecture dans la mesure où on peut rester concentré. Car comment une enquête pourrait ne pas être complexe quand elle reprend une affaire insoluble depuis 40 ans.

En effet, un soir, la docteure Margot Bamborough quitte son cabinet médical pour un rendez-vous auquel elle ne se présentera jamais. En fait, on ne l’a jamais revue. L’enquête sera confiée à un policier nommé Talbot, mentalement instable et fortement influencé par l’astrologie et le tarot.

Résultat : l’enquête n’aboutira jamais et Talbot finira à l’hôpital psychiatrique. 40 ans après la disparition de Margot Bamborough, sa fille Anna Phillips demande au détective privé Cormoran Strike et à son adjointe Robin Ellacott de reprendre l’enquête et de trouver le fin mot de l‘histoire.

La force du récit réside dans le parcours des détectives qui doivent reprendre une enquête qui fut un véritable gâchis… un parcours labyrinthique qui leur fera croiser le chemin de deux psychopathes, tueurs en série d’une inimaginable cruauté dont un raconte en détail à Strike son palmarès de meurtres avec une légèreté choquante.

Ce qui m’a captivé particulièrement dans cette lecture fut les personnages particulièrement bien travaillés avec une psychologie bien développée, peut-être un peu trop car la vie privée des détectives est compliquée et ça se ressent beaucoup dans leurs interactions. Cela provoque beaucoup de longueurs et un peu d’errance, malgré toute la force et la conviction de la plume.

C’est effectivement bien écrit. De plus, malgré les nombreux étalements d’états d’âmes de Strike et Ellacott, l’auteure a créé un contexte fort de nature à rendre les détectives attachants. Dans l’ensemble, j’ai beaucoup aimé malgré les longueurs et le fait que j’ai été un peu déçu par la finale, un peu simpliste.

Détail intéressant : Chaque chapitre est précédé d’une citation de LA REINE DES FÉES, un célèbre poème épique d’Edmund Spenser (1552-1599). Le lien avec SANG TROUBLE n’est pas évident, d’autant que l’œuvre de Spenser est essentiellement dédié à la vertu. Un défi de plus pour la compréhension des lecteurs et lectrices et aussi les auditeurs et auditrices (car je dois le dire en passant, la version audio est excellente).

En résumé c’est un bon roman, long et complexe en partie parce qu’il repose davantage sur l’intuition que sur le dialogue d’où l‘impression d’une histoire qui ne finit pas de finir. Heureusement, l’enquête est passionnante, intrigante et j’ai développé une belle empathie pour les détectives, Robin en particulier pour qui le bourru Cormoran n’est pas toujours facile à suivre même si l‘auteure l’a doté d’une belle sensibilité.

Malgré la lenteur de son développement, SANG TROUBLE est une très bonne histoire à lire ou à écouter.

Suggestion de lecture : L’APPÂT, de Sylvie G.


Robert Galbraith est un pseudonyme de la célèbre J.K.Rawling

Dans la même série

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 3 août 2025

LES RÉSIDENTS, de Johann Etienne

*L’étrange expérience que je viens de vivre me poursuit et grandit en moi sous une forme inattendue. Et si je tenais là le sujet de mon prochain roman ? *
(Extrait : LESRÉSIDENTS, Johann Etienne, Éditions Exaequo, 2018, format numérique, 2871 kb, 100 pages au format papier grand format)


Dans une maison isolée, une femme vit seule.
Du moins, le croit-elle…
Une maison isolée,
Une femme seule,
La forêt pour seule témoin…
Après une longue absence, une femme rentre chez elle. Elle vit seule, à l’écart du monde et des hommes. Entre ces quatre murs, elle n’ambitionne qu’une chose : que le quotidien reprenne son cours. Mais d’étranges évènements ne tardent pas à ébranler ses aspirations…

 

Il y a quelqu’un dans la maison
*J’avance et avance encore…Rendue muette par ma propre terreur,
je n’ai plus d’autre choix que d’aller à leur contact. Il faut que je sache
ce qu’ils me veulent et ce que signifient leurs intrusions répétées. *
(Extrait)

C’est un roman intéressant quoiqu’un peu prévisible. C’est son atmosphère qui prend le pas sur le récit. Voyons un peu le tableau : après une longue absence …disons forcée… une femme rentre chez elle, dans une maison isolée entourée d’une forêt dense. Heureuse de retrouver sa tranquillité loin du monde, la femme s’aperçoit rapidement que quelque chose ne va pas.

Et ça empire de jour en jour : des objets déplacés, un frigo qui se remplit comme par enchantement, une mystérieuse valise qui fait son apparition dans sa chambre, emplie de vêtements qui ne lui appartiennent pas. Devient-elle folle ? Que faire ? Enquêter, chercher ? Faire preuve de résilience ?  *Qu’ai-je donc à redouter d’une valise enfermée dans un placard ? Qu’elle me saute à la gorge au milieu de la nuit ? Convaincue par ma propre bêtise, je décide de réintégrer mon espace et de faire fi de mes angoisses d’hier. *

Quant à savoir ce qui arrive réellement à cette femme, le lecteur/lectrice en développera une idée rapidement. Mais l’atmosphère du roman et l’occupation de la femme m’ont entraîné sur une fausse piste et ce qui me restait pour comprendre relevait d’une vague intuition. En fait j’ai jonglé entre le thème classique de l’auteure qui confond la réalité avec la trame de son roman et le thème de la maladie mentale ou quelque amalgame d’autres possibilités. Ce sera au lecteur et à la lectrice de le découvrir mais il devrait y arriver avant la conclusion.

Ce n’est pas vraiment un roman qui tranche par son originalité. Je crois toutefois qu’au-delà de l’intrigue, l’auteur a su imprégner à son roman une ambiance qui prend un peu à la gorge. : *J’avance dans la maison comme en terre inconnue, craignant la rencontre, redoutant le changement…Au comble de l’angoisse, je n’ose approcher de la porte de mon bureau que je trouve entr’ouverte. À l’intérieur, le désordre absolu…seule ma précieuse machine à écrire semble avoir échappé au chaos. * (Extrait)

Je n’ai pas vraiment été impressionné par la finale que j’ai trouvé abrupte et pas très détaillée, et qui s’est déroulée à peu près comme je me l’étais imaginé en cours de récit. Beaucoup de lecteurs et de lectrices sont sensibles à l’atmosphère qui se dégage d’une histoire. Il faut prendre ce livre pour ce qu’il est : un roman d’atmosphère, un huis-clos comportant beaucoup d’éléments classiques dont beaucoup font encore leur petit effet : maison isolée, peu ou pas de figurants et une impression qu’il y a dans la trame un petit quelque chose de surnaturel.

Ce dernier élément ne s’applique pas au roman mais je l’ai quand même considéré, le temps de quelque page. Pour le reste, je dirai que le livre se lit vite et bien, la plume est claire et fluide. C’est bien écrit. J’aurais aimé que l’impression de *déjà vu* s’estompe en cours de lecture, mais ce ne fut pas le cas. À lire tout de même, surtout si vous aimez plonger dans les méandres d’un esprit perturbé…

Suggestion de lecture : CYANURE, de Camilla Läckberg

Né en 1975 à Troyes, dans l’Aube, Johann Étienne écrit depuis l’âge de seize ans. Passionné d’Histoire et d’actualité, il se sert des réalités qui nous entourent pour élaborer intrigues et personnages au profit de romans de fiction policière. Il est l’auteur de trois précédents thrillers, Le Théorème de Roar-chack, Prophétie et La Colonie; puis d’un roman court intitulé Le Plan, tous parus chez Ex æquo.
Les résidents est son cinquième roman.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 3 février 2024

Le mystère de la chambre jaune, Gaston Leroux

*…il n’y a pas de cheminée dans la chambre <jaune>. Il ne pouvait s’être échappé par la porte… Par la fenêtre restée fermée avec ses volets clos et ses barreaux auxquels on n’avait pas touché, aucune fuite n’avait été possible. Alors? Alors…je commençais à croire au diable…*

(Extrait : LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE, Gaston
Leroux, édition originale : Pierre Lafitte, 1907, 236 pages.
Pour la présente, extrait de 50 CHEFS D’ŒUVRE QUE VOUS
DEVEZ LIRE AVANT DE MOURIR, vol. 1, livre-collection
numérique)

Un soir, malgré la porte de la chambre fermée à clef « de l’intérieur », les volets de l’unique fenêtre solidement fermés eux aussi « de l’intérieur », et en l’absence de toute cheminée ou passage secret, Mlle Stangerson est agressée dans la chambre jaune. Une trace ensanglantée de la main du coupable est retrouvée sur le mur.

Qui a tenté de tuer Mlle Stangerson ? Et surtout, par où l’assassin a-t-il pu fuir de la chambre jaune ? Le jeune reporter Rouletabille, limier surdoué d’à peine 18 ans qui raisonne par « le bon bout de la raison », entreprend de trouver la solution de cet affolant problème.

ROULETABILLE <au bout de la raison>
*<À l’assassin ! À l’assassin ! Au secours ! > Aussitôt

des coups de revolver retentirent et il y eut un
grand bruit de tables, de meubles renversés, jetés
par terre, comme au cours d’une lutte et encore
la voix de mademoiselle qui criait <À l’assassin !
… Papa ! Papa !>*

Avec LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE, Gaston Leroux introduit dans la littérature policière un personnage qui va se démarquer : Joseph Joséphin, jeune journaliste de 18 ans. Petite taille, le visage rond comme une boule de quilles d’où le surnom qui va lui rester : ROULETABILLE, deux bosses sur le front :

*Mais qui donc pourrait encore se vanter d’avoir la cervelle de Rouletabille ? Les bosses originales et inharmoniques de son front, je ne les ai jamais rencontrées sur un autre front…* (extrait)

Il est d’une intelligence remarquable et possède un extraordinaire talent de détective. Son raisonnement est affûté et part du principe qu’on doit affronter une énigme en utilisant le bon bout de la raison. Il me fait penser un peu au célèbre personnage de Hergé, Tintin qui est jeune aussi, reporter et doué pour résoudre les énigmes les plus complexes. Sauf que Tintin ne fume pas la pipe et est infiniment moins prétentieux.

Je trouve le jeune héros imbu de lui-même. Je n’ai pas vraiment réussi à m’attacher à Rouletabille mais je dois admettre qu’il est surdoué et même génial.

Ça prend Rouletabille pour résoudre le mystère de la chambre jaune. En effet, on tente d’assassiner une jeune scientifique, mademoiselle Stangerson dans sa chambre. Mais on ne comprend pas comment l’assassin a pu quitter la chambre jaune après son forfait.

La porte de la chambre et la fenêtre étant verrouillées de l’intérieur. Pas de cheminée. Le mystère est total. Il fera d’ailleurs époque en littérature introduisant d’une certaine façon le problème du *local clos*.

Toute l’enquête, le roman autrement dit devient une manifestation allant crescendo d’instinct, de réflexion, d’inférence, de déductions, de raisonnement et de raison. Le sujet, original, m’a gardé en haleine jusqu’à la finale où le coupable identifié était pour moi le plus improbable. L’ensemble est extrêmement imaginatif et il y a un petit quelque chose de surréaliste dans le déroulement de l’enquête.

Je l’ai ressenti dès le début alors que le drame éclate dans la chambre jaune. J’avais pensé à quelque chose de surnaturel mais le triomphe de la raison s’est dévoilé très graduellement, brillamment…écriture efficace, teintée d’action et de rebondissements jusqu’au revirement final.

C’est un bon livre. Son style est un peu vieillot mais la publication remonte quand même au début du 20e siècle. Toutefois le sujet qu’il développe et sa complexité en ont fait un classique. L’intrigue s’étire et parfois, les raisonnements ne finissent pas de finir et ça donne des passages indigestes et lourds.

Le héros comme tel n’a pratiquement aucun magnétisme et ses manifestations d’intelligence sont souvent teintées d’orgueil. Je ne l’ai trouvé ni sympathique ni attachant. Mais le récit demeure solide et l’intrigue, très singulière. LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE demeure un des huis-clos les plus extraordinaires de la littérature policière.

Je laisse le mot de la fin à Joseph Joséphin dit Rouletabille qui s’exprime sur le mystère de la chambre jaune : *-En vérité ! En vérité ! Acquiesça Rouletabille, qui s’épongeait toujours le front, semblant suer moins de son récent effort corporel que de l’agitation de ses pensées. En vérité ! C’est un très grand et très beau et très curieux mystère ! *(Extrait)

Suggestion de lecture : LE MYSTÈRE DES JONQUILLES, d’Edgar Wallace

LA CHAMBRE JAUNE AU CINÉMA

LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE a été adapté cinq fois au cinéma : 1913 (muet), 1919, 1930, 1949 et 2003. On en a fait aussi un téléfilm en 1965, un feuilleton radiophonique en 1983. Je signale aussi plusieurs adaptations en bandes dessinées. Ma version cinématographique préférée est celle réalisée en 1949 par Henri Aisner avec Serge Reggiani dans le rôle de Joseph Rouletabille, à droite sur la photo.

   

Serge Reggiani incarne Joseph Rouletabille dans LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE adapté au cinéma du livre de Gaston Leroux en 1949

Auteur français natif de Paris, Gaston Leroux (1868-1927) Grand aventurier, il n’est pas comblé par le métier d’avocat et se tourne plutôt vers le journalisme. Il travaille pour l’Echo de Paris dès 1892 puis accomplit des missions de grand reportage dans le monde entier pour de nombreux journaux. Il rencontre véritablement le succès avec son personnage de Rouletabille. Cet ingénieux reporter gagne le coeur des français dans LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNEle Fantôme de l’opéra et bien d’autres encore. S’en suit alors la série des Chéri-Bibi, à partir de 1913, qui remporte le même succès.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 23 août 2020