ANTISÈCHES

Commentaire sur le livre de
SÉBASTIEN L. CHAUZU

*-On ne va pas se mentir. Si tu étais inspiré, ça fait longtemps que tu aurais essayé de me draguer.
J’ai regardé l’animal allongé sur la chaise longue et j’ai évalué les chances que j’avais de sortir vivant de ce combat…elle a croisé les jambes au niveau de ses genoux et a ajouté :
-Tu sais, tu n’es pas mon premier écrivain. *

Extrait : ANTISÈCHES, de Sébastien L. Chauzu. Édition de papier et format numérique : Prise de parole éditeur, 2025, 354 pages.

Ed aurait pu faire face à la réalité. Il a préféré remplir ses poches de rappels absurdes. Antisèches, ou comment rester debout grâce à l’ironie, l’obsession, et une foi discrète en l’humanité. Dans un monde parfait, Ed serait romancier, et l’infidélité d’Ana, il la découvre en recevant une lettre anonyme. Mais Ed est réceptionniste dans une maison d’édition qui refuse de le publier, et plutôt que de se rapprocher de sa compagne, il cherche à tout prix à retrouver l’auteur du courrier.

S’ensuit une longue série de déconvenues qui amène Ed à sillonner son quartier en tracteur, et à bourrer ses poches d’antisèches, qui sont censées lui rappeler ses priorités. Au fil de son périple, il croise entre autres, un Espagnol qui partage la vie de son ami éditeur, et un barbu tireur d’élite.

Ed sait ce qui l’attend au bout du chemin, mais il ne veut pas affronter cette réalité sans se dire, une dernière fois, qu’il peut tout arranger.

 
Ironique, absurde mais touchant

ANTISÈCHES est un roman aussi singulier qu’audacieux. Décalé et relâché sur le plan narratif, à l’image de son héros, Edgar Clauss (qui préfère qu’on l’appelle Ed tout court) un écrivain raté en ce sens qu’il est incapable d’écrire un récit cohérent tout comme il est incapable de structurer sa vie. Réceptionniste dans une maison d’édition qui refuse de le publier, Ed se sent incompris :

*Les gens ne comprennent pas ce qu’est un écrivain, le marché, la publication, une histoire avec un début et une fin, mon égo, des personnages qui essaient de créer du sens alors que la vie n’en a aucun. * (Extrait)

Un jour, Ed reçoit une lettre anonyme qui lui dévoile l’infidélité d’Ana. Dès lors, il n’aura qu’un seul objectif, découvrir l’auteur du courrier anonyme. Il entreprendra alors toutes sortes de démarches absurdes et farfelues. Il a entre autres la manie d’écrire sur des bouts de papier des petits rappels, des notes, réflexions et des pensées sur ses relations en Société et surtout sur ses relations amoureuses. On appelle ces notes des antisèches.

Ed est obsédé par Ana et l’auteur de la lettre anonyme, moteur de l’intrigue. Mais ce qui poursuit les lecteurs et lectrices tout au long du récit, ce sont les antisèches d’Ed. Elles sont au cœur du récit et malheureusement pour notre héros, pour ne pas dire notre antihéros, il est le premier à s’y perdre. Tous les personnages secondaires sont les témoins volontaires ou non, des démarches obsessionnelles d’Ed.

C’est un récit déjanté, balloté dans le burlesque et l’absurde et donnant l’apparence d’une philosophie bon marché avec quantités de phrases et d’expressions étranges et gonflées auxquelles on peut donner le sens qu’on veut si on en trouve un : *Que valait une époque qui imposait le traçage de chaque minute de la vie de notre jambon si c’était pour nous exhorter à effacer de nos mémoires la plus infime de nos déceptions ? * (Extrait) ou encore *Le jugement est la seule chose qui différencie une fleur d’une mauvaise herbe. * (extrait)

Mais au-delà des apparences, j’ai développé de l’affection pour Ed, personnage maladroit et mélancolique évoluant dans un monde qui semble lui échapper. C’est un personnage attachant parce qu’humain, en quête de sens et d’identité, et fragile aussi. En fait, si Ed n’avait pas été un écrivain raté, le roman de Chauzun n’aurait aucune raison d’être. Ed n’est rien de moins que touchant. J’ai été fasciné par sa vulnérabilité et sa sincérité. Ce sont des éléments qui imprègnent le récit d’une finesse  enveloppante.

Pour bien goûter cette œuvre atypique, il faut s’armer de patience car elle comporte des longueurs et des redondances et elle est décousue. La galerie de personnages secondaires est assez abondante et le fait que l’humour absurde s’insère dans une situation personnelle dramatique rend le tout pas très facile à suivre. Il y a aussi la finale qui m’a donné une impression d’inachevé. Le style narratif et le ton utilisé peuvent ne pas convenir à tous les lecteurs et lectrices.

Toutefois, l’ouvrage a des qualités indéniables qui compensent largement les petits bémols…j’ai été surpris par le style de Chauzu qui joue aisément avec l’absurde et le drame. Oui, son univers est loufoque et burlesque mais il a doté son personnage principal d’authenticité. Il est maladroit mais sincère. Tout ce mélange ouvre la voie à une infinie tendresse. L’humour est subtil. La légèreté et la gravité sont en équilibre dans ce roman.

Le récit pousse à la réflexion sur l’échec, la solitude, le besoin de reconnaissance et vient nous rappeler qu’il n’est pas toujours aisé de vivre dans un monde étouffé par les lois et les convenances. Le récit traduit une dérive existentielle. Pour moi il est porteur d’émotion et ça compte beaucoup.

Suggestion de lecture : LE MUR, Jean-Paul Sartre


L’auteur Sébastien L. Chauzu

Du même auteur


Détails ici

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 16 novembre 2025

TAG, le livre de GHISLAIN TASCHEREAU

*Il vous est garanti que le corps de la cible
disparaîtra et ne sera jamais retrouvé…
puisque je n’ai rien contre le bénévolat,
sachez que… UN DÉFAUT DE PAIEMENT
VOUS SERAIT FATAL.*
(Extrait : TAG, Ghislain Taschereau,  Les Éditions
Goélette, édition de papier, 265 pages)

Tag est un tueur à gages. Il a deux problèmes principalement : il méprise l’humanité en général et l’être humain en particulier et souffre d’un énorme sentiment de frustration. Le tueur à gages serait-il devenu sensible ? Pas nécessairement. Tag ne sait pas encore si tous les humains méritent la mort ou si on peut en sauver quelques-uns. Il ne va pas tarder à le découvrir grâce à une expérience étonnante qu’il prépare avec un soin méticuleux et exécute avec un exceptionnel souci du détail. Cette expérience en est une de déconditionnement. Tag est-il un fou dangereux ou encore un justicier irréaliste ?

HUMAINE DÉMENCE
*Il fit vite coulisser la portière de la fourgonnette
et prit la tête du juge dans un étau. Dizcoti glapit
tandis que TAG le halait à l’intérieur du véhicule.
Sa mauvaise forme physique fit en sorte qu’il
s’éteignit facilement et rapidement…*

(Extrait : TAG)

Ghislain Taschereau nous livre cette fois l’histoire de Loïc L’Heureux appelé TAG, un tueur à gage misanthrope et froid qui n’a qu’un rêve, et il s’en fait même un objectif : détruire l’humanité : *Il faut que je parvienne à la grande extinction. Je ne veux plus avoir mal à mon espèce. * (extrait)

D’ailleurs Tag ne tue pas. Il *éteint*. Dans sa mentalité, ce n’est pas du tout la même chose. Vous aurez compris que TAG voue une haine profonde pour l’humanité : *Je hais les humains. Ces ordures me font regretter de faire partie de leur sale race. Je les hais tous profondément et avec attention. * (Extrait)

Dans l’évolution du récit, TAG consacre son temps principalement à trois activités : remplir des contrats *d’extinction*, déconditionner des humains, c’est-à-dire les remettre sur la bonne voie selon les critères de TAG et enfin, travailler à son grand projet d’extinction de l’humanité.

Première chose importante : Taschereau a vraiment bien travaillé son personnage. Malgré toute la haine qu’il peut cracher, la psychologie du personnage ne m’a pas repoussé. Je veux en dévoiler le moins possible parce que lire TAG, c’est aller de découverte en découverte. Devant l’impossibilité de réaliser son rêve, TAG devient un expérimentateur.

Sa haine est manifeste mais sa recherche du bon m’a semblé évidente. En fait Taschereau nous décrit un esprit à la dérive un peu comme s’il prenait un pot à la santé de la connerie humaine. TAG est un personnage recherché et profond. Sa psychologie est complexe mais ses motivations sont limpides.

Dans une entrevue accordée au Journal de Montréal en 2014, Ghislain Taschereau expliquait à la journaliste Marie-France Bornais qu’en créant TAG, personnage habité par la haine et la violence, il voulait provoquer une prise de conscience de la bêtise humaine.

Il a donc donné à son personnage les moyens, la rigueur et la froideur pour y parvenir. Autre force majeure du livre, son auteur a su entretenir l’intrigue jusqu’à la finale probablement parce que le personnage lui-même EST une intrigue.

Malgré tout, l’auteur l’a mis en position d’être compris à certains égards par le lectorat. En effet, qui n’a pas rêvé tôt ou tard de débarrasser l’humanité de sa mauvaise graine : meurtriers, violeurs, pédophiles, dictateurs sanguinaires et autres… loin de moi l’idée d’excuser le personnage mais je suis sûr que les lecteurs et lectrices vont trouver dans le récit un petit quelque chose qui va venir s’ajuster à leur philosophie sociétale.

Enfin un dernier point à signaler : l’auteur fait preuve d’un certain humour dans son livre et je ne me limite pas au fait que c’est toute la société qui est tournée en dérision mais sa façon de s’exprimer, surtout dans ses comparatifs m’a arraché quelques sourires :

*Quand TAG s’enquit de l’endroit où se trouvaient les *internets* rapides, une vieille serveuse, maquillée comme un clown qui se serait voulu sexy lui désigna trois petites portes…* (Extrait)

J’ai toujours aimé cette façon de mettre de l’humour dans un texte, aussi dramatique puisse-t-il être. Quant à la finale, je dirai que dans le dernier quart, le récit prend toutes sortes de directions et perd de sa spontanéité. Le personnage principal se cherche, allant d’idée en idée. Toutefois, Les trouvailles qu’on y fait, issues d’un esprit qui dérape complètement garde le lecteur dans le coup jusqu’au puissant et dramatique point final.

J’ai aimé ce livre et je le recommande. Je n’ai pas vu le temps passer. Il se lit très vite. Il est accrochant, à la rigueur troublant. L’histoire est assortie, peut-être même enrichie d’une vision ironique, voir acide que l’auteur se fait de la Société. J’ai trouvé l’ensemble original…à lire.

Suggestion de lecture : CHARADE, de Laurent Loison

Ghislain Taschereau est un comédien, humoriste, réalisateur et auteur québécois né en 1962. Sa carrière d’humoriste est extrêmement substantielle. Elle a commencé en 1989 comme scripteur à l’émission 100 LIMITES, un bulletin de nouvelles plutôt mordant qui était diffusé à TQS. Fort de cette première aventure, Taschereau a enchaîné avec Bob Binette, les Bleus poudre et j’en passe.

Sur le plan littéraire Ghislain Taschereau a connu un succès flatteur avec un personnage qu’il a créé, L’INSPECTEUR SECTEUR qui a ceci de particulier, que pour être le meilleur inspecteur de police de la planète pendant toute sa vie il a invoqué Satan involontairement et lui a vendu son âme sans à peine s’en apercevoir. Cette création a valu quatre best-sellers à Taschereau.

BONNE LECTURE
Claude Lambert

Le dimanche premier décembre 2019