CHEVAL INDIEN, de Richard Wagamese

*On raconte que nous avons les yeux brun foncé à cause
du chuintement de la terre féconde qui entoure les lacs et
les marécages. Les anciens affirment que nos longs cheveux
droits dérivent des herbes ondulantes qui bordent les baies. *
(Extrait CHEVAL INDIEN, Richard Wagamese, publié à l’origine
chez XYZ en 2017. Version audio par Audible studios éditeur en
2019. Durée d’écoute : 6 heures 15 minutes. Narrateur : Pierre-
Étienne Rouillard.)

Tout ce que je savais de façon certaine, c’est que je n’apprendrais à vivre le présent qu’en revenant sur mes pas, en revisitant les lieux marquants de ma vie antérieure.
À une autre époque, Saul Cheval Indien, fils DE LA nation ojibwée, était un joueur étoile, un phénomène sur les patinoires de hockey. Mais, au moment où il amorce l’écriture de ce récit, enfermé dans un centre de désintoxication, il touche le fond.

Expliquer dans le cercle de partage les détours qu’a pris sa vie est trop dur, trop compliqué. C’est donc sur papier qu’il se raconte: son enfance dans les forêts du Nord, puis les horreurs des pensionnats autochtones, mais aussi l’exaltation vécue sur la glace des arénas. Déraciné, isolé, Saul veut en finir avec cette violence qui couve en lui, cherche à percer le mur de l’oubli. L’heure est venue de faire la paix.

De la glace au pensionnat
*La lune s’est levée. Incapable de garder les yeux ouverts,
je me suis appuyé sur ma grand-mère à l’extérieur de la
tente où mon frère toussait dans le noir et je me suis
endormi. Au matin, il était mort*
(Extrait

C’est une belle histoire qui porte en elle une infinie tristesse parce que basée sur des faits historiques avérés au sein d’une société avilie par l’intolérance, la méchanceté et une église encrassée par l’obscurantisme si on peut appeler ça une église alors que la grande dame fait preuve d’une absence totale d’amour, de charité et d’empathie. C’est une histoire qui m’a fait vibrer, qui m’a ébranlé et choqué. Voyons brièvement le contenu.

Voici l’histoire d’un jeune Ojibwe appelé Saul CHEVAL INDIEN. Je résumerai son histoire en trois grands épisodes : Son arrivée forcée dans un pensionnat où les religieux pratiquaient largement le viol sexuel et psychologique, la torture ou les châtiments corporels démesurés, bref un enfer où la mort paraissait douce.

La naissance de sa passion pour le patinage et le hockey ainsi que sa rencontre avec le Père LeBouthillier qui a poussé Saul vers le sport libérateur a permis au jeune Cheval Indien de survivre. Deuxième épisode de vie, Saul devient une star du hockey et sera même remarqué par les dépisteurs de la ligue nationale,

Toutefois, ayant goûté cruellement aux affres de la haine raciale et de l’intolérance, Saul deviendra aigri, violent et accro à l’alcool. Troisième grand épisode : le retour aux sources, le Lac de Dieu, vers les siens qui lui vouaient respect et amour.

J’ai été littéralement subjugué par la poésie qui ceint l’écriture de Wagamese, la beauté bucolique des patronymes autochtones. Il n’en a pas mis trop. Pas de sensationnel, Il n’a exercé aucun jugement mais il donne à l’auditeur et à l’auditrice suffisamment de matière pour s’en forger un.

*Ce sentiment d’être sans valeur, c’est l’enfer sur terre, tel est le traitement qu’ils nous ont infligés. Les coups faisaient mal…les menaces nous rabaissaient… mais ce qui nous terrorisait le plus peut-être, c’était les invasions nocturnes…* (Extrait) Autant la beauté de l’écriture m’a enveloppé, autant j’ai été choqué par les barrières qu’elle décrit. La Société ne comprendra donc jamais. On ne peut pas *désindiennisé* un indien. C’est impossible et parfaitement inutile. La diversité fait la beauté du monde. Pourquoi cette violence? Cette intolérance ?

Enfin, Wagamese a créé des personnages profonds, travaillés, authentiques, attachants. Je me serais fait un tas d’amis dans cette histoire qui sera pour moi, inoubliable parce qu’elle décrit une réalité qui est, qui a toujours été en désaccord avec mes principes. Une belle histoire qui sensibilise et qui est magnifiquement racontée par Pierre-Étienne Rouillard, en version audio.

Seule petite faiblesse : et encore, j’admets que ça peut être discutable : le sport est un peu trop magnifié avec de longs palabres sur les techniques de hockey et des descriptions dignes de la soirée du hockey…rien de bien méchant. Ce récit est un petit bijou.

*Les blancs se sont approprié le hockey…
non…le hockey appartient à Dieu*
(Extrait)

Suggestion de lecture : L’INDIEN MALCOMMODE, de Thomas King

Extrait de l’adaptation cinématographique de INDIAN HORSE de Richard Wagamese sorti en salle en 2018, réalisé par Stephem Campanelli, scénarisé par Dennis Foon. L’histoire est surtout centrée sur un jeune canadien des premières nations : SAUL CHEVAL INDIEN un Ojibwe du nord ontarien. Le destin amène Saul à survivre au pensionnat indien et devenir un joueur de hockey étoile. Le film a principalement tourné à Sudbury et à Peterborough et a remporté le premier prix au Festival Du Film de Vancouver. Sur la photo à gauche, Forest Goodluck incarne Saul Cheval Indien à l’âge de 15 ans.

 

Richard Wagamese, né en 1955 en Ontario, est l’un des principaux écrivains indigènes canadiens. Il a exercé comme journaliste et producteur pour la radio et la télévision, et est l’auteur de treize livres publiés en anglais par les principaux éditeurs du Canada anglophone. Wagamese appartient à la nation amérindienne ojibwé, originaire du nord-ouest de l’Ontario, et est devenu en 1991 le premier indigène canadien à gagner un prix de journalisme national.

Son livre INDIAN HORSE est sorti en février 2012 et a été récompensé par le prix du public lors de la Compétition nationale de lecture du Canada. 
Richard a reçu le titre de docteur ès lettres honoris causa à la Thompson Rivers University de Kamloops en juin 2010 et à la Lakehead University de Thunder Bay en mai 2014. Il  s’est éteint en mars 2017, à l’âge de 61 ans. (Éd. Zoé)

Bonne écoute
Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 17 septembre 2023

 

 

ANNA ET L’ENFANT-VIEILLARD, de Francine Ruel

<C’est la deuxième fois que je vais à l’hôpital depuis
que je t’ai parlé. L’autre fois c’était… Un long silence
entre eux, un gouffre. -J’ai fait une tentative de suicide.>
Extrait : ANNA ET L’ENFANT-VIEILLARD, Francine Ruel,
Les Éditions Libre Expression, 2019, format numérique pour
la présente, 2 271kb, à l’origine : 140 pages.

« Plus que tout au monde, ce soir, elle aimerait se redresser pour atteindre l’amour de son fils, rejoindre son épaule, y déposer sa tête une seconde. Se hisser vers lui pour avoir quelques miettes d’amour. De l’amour sur la pointe des pieds. » Anna cherche à faire le deuil d’un enfant vivant. Elle ne sait plus quoi inventer pour sortir son fils de ce brouillard dans lequel il plane en permanence. Elle a l’impression d’errer dans un cimetière, sans corps à déposer en terre. Pourtant, tout était possible jusqu’à l’Accident. Un roman coup-de-poing, l’histoire d’une mère et de son enfant-vieillard.


Coup de poing, coup de cœur
<Lui qui doit combattre toutes ses peurs, lui qui lutte en permanence
contre un ennemi terrible logé en lui, celui qui l’a fait basculer du
côté obscur, alors qu’il n’a même pas d’amis ni d’épée pour se
défendre…Tout comme Mowgli, il cohabite maintenant dans la
jungle avec les loups, mais contrairement à E.T., il n’appelle pas
souvent à la maison.>
Extrait

Basé sur un fait vécu, ANNA ET L’ENFANT-VIEILLARD est un roman court mais très intense dans lequel, une mère, Anna, s’exprime sur le deuil qu’elle porte de son enfant, Arnaud, pourtant encore vivant. En fait, Francine Ruel exprime, à travers Anna, sa détresse face au choix de son fils de devenir itinérant, puis drogué et dépressif et tout cela malgré une enfance normale, et un père austère. Les raisons de ce choix d’Arnaud, le fils, se perdent dans une sorte de brouillard.

<Anna pense souvent que de grands pans dans le parcours de son fils s’écrivent entre parenthèses. Tout n’est pas dit, ni expliqué ni vraiment démontré. Les banalités du quotidien digressent dans les zones d’ombre.> Extrait   Le résultat est le même et il darde au cœur : <Le fils d’Anna n’est plus là. Elle le sait. Il est quelque part…engourdi, endormi, gelé… > Extrait    Tout le livre est centré sur les questionnements d’Anna et sa dure confrontation avec la réalité. Pourquoi ? Arnaud n’a-t-il pas été bien élevé, gâté, aimé ?

La résilience se prête peut-être à la reconstruction mais elle est loin d’être suffisante pour remettre le cœur à l’endroit. Ce récit met en perspective l’introspection d’une mère sur l’incompréhensible revirement de son fils et puis l’acceptation qui ne sera jamais totale finalement. Comme lecteur, j’ai voué une forte empathie pour Anna :

<À partir de quand baisse-t-on définitivement les bras ? Le combat est perdu d’avance ? Quand est-ce qu’on se résout à abdiquer irrémédiablement ? Anna, malgré la meilleure volonté du monde, est incapable de répondre à ces questions et de calmer son sentiment d’impuissance… Elle se sait responsable, du moins en partie et elle cherche encore et toujours le moyen de sauver son fils. > Extrait

Je me suis beaucoup attaché à Anna et aussi à Arnaud, ce fils que j’ai moi aussi essayé de comprendre en projetant, le temps d’une réflexion, le sort de ce garçon vulnérable sur moi qui est aussi père d’un fils. Comment aurais-je réagi au revirement aussi drastique d’une bonne nature ? La plume de Francine Ruel m’a happé et remué. Le roman n’est pas long mais il est en équilibre.

L’auteure a évité le misérabilisme en évitant d’en faire trop. Mais la dureté du questionnement est inévitable et ça met à l’épreuve la sensibilité du lecteur et de la lectrice. J’aurais souhaité en savoir plus sur les relations d’Arnaud avec son père et les sentiments de celui-ci vis-à-vis de son fils. Il m’a semblé que ce sujet a été passablement occulté mais aurais-je mieux compris le choix d’Arnaud ? Pas nécessairement.

J’ai aimé ce roman. Il est sensible, désarmant, écrit avec le cœur et chargé d’émotions transmissibles. Il pousse à une profonde réflexion sur les imprévisibles épreuves de la vie et le courage qu’il faut pour les affronter. Une lecture que je ne suis pas prêt d’oublier.

<Depuis qu’il vit dans la rue, Arnaud a demandé à plusieurs reprises à sa mère si elle avait honte de lui. Une fois, Anna a eu le courage de répondre:   Honte? Non. C’est la vie que tu as choisie. J’ai plutôt hâte d’être fière de toi.> Extrait

Suggestion de lecture : LA CHAMBRE DES MERVEILLES, de Julien Sandrel

 

Francine Ruel « promène » son talent et son imaginaire depuis quarante ans entre le jeu, l’animation et l’écriture. Figure connue du petit et du grand écran, elle a interprété divers rôles dans des films et des séries télévisées, dont Scoop, qui lui a valu en 1993 un prix Gémeaux pour la meilleure interprétation dans un rôle de soutien.

En plus de sa carrière de comédienne, Francine Ruel a touché à tous les types d’écriture : pour la télévision, dans des émissions pour les enfants comme POP CITROUILLE et dans des dramatiques comme De l’autre côté du miroir, pour le théâtre, y compris une participation à la pièce Broue, pour le cinéma (La dernière y restera), pour la chanson (textes pour Louise Forestier, Marie-Claire Séguin et Marie Carmen).

En littérature, Francine Ruel a d’abord signé deux romans. Elle a également publié deux recueils de chroniques parus dans le quotidien Le Soleil (Plaisirs partagés et D’autres plaisirs partagés) et plusieurs romans, dont sa fameuse saga du bonheur, qui s’est vendue à près de 150 000 exemplaires.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 19 août 2023