Cartes sur table

Commentaire sur le livre d’
AGATHA CHRISTIE

*-Si je voulais commettre un crime…> dit M. Shaitana…
-Je m’y prendrais de façon très simple. Des accidents se
produisent tous les jours…il haussa les épaules et prit
son verre de vin… il y eut un moment de silence… *
(Extrait : CARTES SUR TABLE, Agatha Christie, Librairie des
Champs-Élysées éditeur, 1939, papier, poche, 320 pages)

M. Shaitana est un excentrique collectionneur à l’air méphistophélique, il met toujours un point d’honneur à chercher l’excellence, que ce soit pour acheter une tabatière ou pour débusquer le parfait assassin. Et pour le prouver au célèbre détective belge, Hercule Poirot, il convie lors d’une soirée huit hôtes triés sur le volet :  u. Mais quand on entre dans la cage du tigre, celui-ci peut bondir et, au cours de la soirée, le rictus démoniaque de M. Shaitana s’effacera définitivement. C’est une erreur de laisser traîner des armes potentielles en présence d’aussi éminents spécialistes

 

Une nouvelle pause AGATHA
*-Voyons, laissez-moi l’examiner ! s’écria le médecin avec
impatience. Il ne s’agit peut-être que d’une syncope.
-Excusez-moi mais personne ne touchera le cadavre avant
l’arrivée du médecin légiste. Mesdames et messieurs,
M, Shaitana a été assassiné. *
(Extrait)

Je reste émerveillé par cette capacité d’Agatha Christie d’apporter à chacune de ses histoires une touche différente et de l’originalité. Je constate aussi avec bonheur qu’Agatha Christie n’a jamais fait de concession sur la place de la psychologie dans la résolution des énigmes. Voyons ce que nous avons ici. Un monsieur *je sais tout* excentrique, énigmatique et surtout diabolique, invite à un dîner suivi d’un bridge, huit personnes : quatre spécialistes du crime, et quatre criminels qui ont échappé à la justice.

Après le repas, les invités se lancent dans un bridge mais Shaitana reste dans le salon et semble assoupi jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’il est mort, poignardé au cœur. Comme de juste, parmi les criminalistes se trouve Hercule Poirot, Comment Shaitana a pu être assassiné au nez et à la barbe de tout le monde. Pas d’indice, pas de preuve, pas d’idée. Même Poirot est déstabilisé…phénomène assez rare.

Pour faire avancer l’investigation, il y a deux possibilités : fouiller le passé de chaque suspect et faire preuve de psychologie. Comme le dit Poirot, *je mets cartes sur tables* , son idée étant d’analyser et de fouiller les attitudes, les comportements et la mémoire de chaque joueur pendant la partie de bridge. S’ensuivra, une extraordinaire chaîne de déductions qui déterminera le coupable le plus improbable.

Évidemment, je suivais un peu en arrière car je n’ai aucune notion de bridge mais, de la démarche du limier, j’ai pu saisir toute la force de la logique…logique qui va permettre à Poirot de résoudre beaucoup plus qu’un meurtre. L’intrigue est un peu complexe et oppose les méthodes de Poirot à celles de la police. C’est souvent comme ça. Certains dialogues sont trop longs, et l’enquête est compliquée. Mais j’ai trouvé l’ensemble bien ficelé et le dernier quart du récit fait place à de nombreux revirements.

Quant aux méthodes de Poirot et je pense aussi à un autre limier célèbre créé par Agatha Christie, Miss Marple, je reproduis ici un extrait de l’article que j’ai publié en septembre 2014 sur ce site :

 <Les deux célèbres détectives appliquent les grands principes du roman policier qu’Agatha Christie a collés à la réalité de l’ensemble de son œuvre, à savoir :
-Le crime peut-être expliqué par la personnalité de la victime comme celle de l’assassin.
-La recherche de mobiles est plus importante que celle d’indices dans la recherche de solution d’un crime.
– le coupable ne peut être démasqué qu’au terme d’une investigation, souvent psychologique, des antécédents de la victime.
-Très souvent la solution de l’énigme ne se trouve qu’après une recherche purement intellectuelle.
Donc Poirot et Marple sont le reflet fidèle de la mentalité littéraire de leur créatrice qui fait passer la solution des énigmes par une profonde compréhension de la psychologie des personnages.>

À lire donc : CARTES SUR TABLE, une autre très bonne idée d’Agatha Christie.

Suggestion de lecture : 17 NOUVELLES ENQUÊTES DE SHERLOCK HOLMES et du docteur Watson, d’Arthur Conan Doyle

Agatha Mary Clarissa Miller devenue Agatha Christie est une des romancières les plus appréciées de l’histoire de la littérature. Elle a vécu de 1891 à 1976. Auteure de 84 romans, une vingtaine de pièces de théâtre et de plusieurs recueils de nouvelles, elle a présidé à l’élaboration de règles de base pour un bon roman policier avec ses fameux détectives Hercule Poirot et Jane Marple qui ont une approche originale et hautement intuitive de la résolution d’énigmes. Évidemment, il y aurait beaucoup à dire sur la grande dame. La place et le temps me manquent mais pour en savoir plus sur la célèbre romancière, je vous invite à consulter le site internet  http//agatha.christie.free.fr/.

DU MÊME AUTEUR :
Pour prendre connaissance du livre audio DIX PETITS NÈGRES,
cliquez ici.
Pour lire mon commentaire sur À L’HÔTEL BERTRAM,
cliquez ici.

Bonne lecture 
Claude Lambert
le dimanche 12 octobre 2024

LE CLUB DES VEUFS NOIRS, livre d’ISAAC ASIMOV

*Vous avez trop lu Agatha Christie, dit Rubin.
En fait, il s’avère que pour presque tous les
crimes, on s’aperçoit que la personne la plus
équivoque est celle qui est coupable…*
(extrait de RIEN QUE LA VÉRITÉ, du recueil LE CLUB
DES VEUFS NOIRS, Isaac Asimov, 10/18, 1974, éd.
num.)

Le CLUB DES VEUFS NOIRS est une incursion d’un maître de la science-fiction, Isaac Asimov dans le domaine policier. Ce recueil regroupe 12 récits évoquant les rencontres mensuelles de 6 hommes : LE CLUB DES VEUFS NOIRS. En effet, une fois par mois, ces 6 hommes, pas nécessairement veufs mais particulièrement érudits se réunissent pour diner. À chaque rencontre, un des six hommes invite une connaissance qui a une énigme complexe à résoudre ou une affaire étrange à soumettre, toujours de nature policière ou judiciaire.

Aidés par leur maître d’hôtel, Henri, particulièrement brillant, les six hommes s’emploient à résoudre l’énigme et chaque rencontre devient rapidement un marathon de déductions, de raisonnement et de concentration. Chaque nouvelle a le même cadre mais avec une situation et des acteurs différents.

Sept fois Hercule Poirot…
*J’en suis arrivé à un point où je dois en appeler
au grand principe de Sherlock Homes :
«Quand l’impossible a été éliminé, ce qui
reste, même si ça paraît improbable,
est la vérité »*
(extrait LE CLUB DES VEUFS NOIRS)

D’Isaac Asimov, je connais surtout l’œuvre de science-fiction. C’est un maître dans ce type de littérature. Par exemple, ses livres mettant en scène les robots et les *positroniques* sont remarquables. J’étais curieux d’en savoir un peu plus sur la contribution d’Asimov dans l’univers du roman policier. Je me suis donc mis en quête d’un titre et un ami lecteur m’a suggéré LE CLUB DES VEUFS NOIRS.

C’est un livre intéressant mais j’ai l’impression que le véritable pouvoir de la plume d’Asimov, c’est encore dans la science-fiction qu’on le trouve. Avec LE CLUB DES VEUFS NOIRS, j’avais l’impression de me retrouver en terrain connu, dans du déjà-vu. En effet le cadre me rappelle beaucoup LE CLUB DU MARDI d’Agatha Christie.

Le style et la profondeur des raisonnements n’est pas sans rappeler le grand Hercule Poirot, célèbre détective créé également par madame Christie. Il y a toutefois plus de palabres dans LE CLUB DES VEUFS NOIRS. Après tout, les limiers sont au nombre de 6, ou plutôt 7 devrais-je dire car il faut tenir compte du fameux Henri, le brillant maître d’hôtel qui, à lui seul, m’a tenu dans le coup.

Même si le livre n’est pas sans intérêt, je ne suis pas tellement amateur de ce style littéraire. Le contexte est statique. Il n’y a pas d’enquête, pas de déplacement, pas d’action. Sur les 7 principaux personnages, il y en a 6, ultra-rationnalistes, bavards et un peu machistes qui s’invectivent et s’écoutent parler.

Le septième personnage est celui qui m’a gardé captif du livre : Henri, le serviteur, estimé Maître d’hôtel des veufs noirs. C’est Henri qui, invariablement, à chaque récit, apporte les solutions, résout les énigmes et ce, avec une humilité désarmante :

*Ce n’était pas difficile dit Henry. Il se trouve que vous avez examiné toutes les possibilités qui ne pouvaient pas marcher. J’ai simplement suggéré celle qui restait.*
*…Vous êtes un détective remarquable. –Ce sont les Veufs Noirs qui le sont. Ils explorent le problème dans tous les sens. Je me contente ensuite de proposer la seule solution qui reste, dit Henry.*
(extrait de LE CLUB DES VEUFS NOIRS)

Donc il faut prendre le livre pour son principal aspect positif. Chaque nouvelle du recueil est un exercice de logique, de raisonnement. Asimov imagine une intrigue, lui donne au départ un aspect banal, insignifiant qui se complexifie pendant le développement. Sa plume pousse inévitablement le lecteur à raisonner, à déduire. Pour aider le lecteur, Asimov parsème ses récits d’indices. C’est intelligent, efficace.

Et toujours, le dernier mot va à celui qui sait écouter et prendre les choses avec suffisamment de recul pour y voir clair. Ce cher Henri…il gagne à être connu.

En fin de compte, j’ai trouvé le livre agréable à lire. Je craignais de sombrer dans la monotonie parce que le cadre et l’environnement ne changent à peu près pas dans les nouvelles, mais l’auteur a apporté une variété intéressante dans la nature des intrigues.

Quoique j’aie encore une forte préférence pour l’œuvre de science-fiction d’Isaac Asimov, je vous invite à noter ce titre : LE CLUB DES VEUFS NOIRS.

Suggestion de lecture, du même auteur : LE CYCLE DE FONDATION

Isaac Asimov (1920-1992) était chimiste, écrivain et vulgarisateur scientifique, natif de Russie et naturalisé américain en 1928. En littérature, Asimov a été extrêmement prolifique avec plus de 500 ouvrages publiés. Il a touché tous les genres, surtout la science-fiction. Dans une moindre mesure, Isaac Asimov a manifesté son intérêt pour la fiction policière. Il n’a jamais caché son intérêt pour Hercule Poirot qui est pour lui l’image parfaite du détective idéal. C’est donc en s’inspirant du célèbre limier qu’Isaac Asimov a imaginé le CLUB DES VEUFS NOIRS, véritable bijou d’ingéniosité, d’imagination et d’humour.

La carrière d’Isaac Asimov a connu un parcours tout à fait remarquable rehaussée d’une extraordinaire récolte de récompenses et de prix littéraires dont plusieurs prix LOCUS, NEBULA ET HUGO. Je signale enfin que trois films célèbres ont été réalisés d’après l’œuvre d’Asimov. LA MORT DES TROIS SOLEILS de Paul Mayersberg en 1988, L’HOMME BICENTENAIRE de Chris Columbus en 1999 et I, ROBOT d’Alex Proyas en 2004.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
août 2015