ENFANT 44, de Tom Rob Smith

*D’après le rapport de la milice, un garçonnet âgé de quatre ans et dix mois avait été retrouvé mort sur la voie ferrée. La veille, alors qu’il jouait sur les rails à la nuit tombée, Il était passé sous un train de voyageurs ; son corps avait été déchiqueté. *
(Extrait : ENFANT 44, Tom Rob Smith, Belfond  éditeur, 2008, édition de papier, 400 pages.)

Moscou, hiver 1953. Le corps d’un petit garçon est retrouvé nu sur une voie ferrée. Leo, de la police d’État chargée du contre-espionnage, reste fidèle à la ligne du parti : le crime n’existe pas sous le parfait régime socialiste, il s’agit d’un accident. L’affaire est classée mais le doute s’installe … soupçonné de trahison, Leo est contraint à l’exil avec sa femme. Et, dans l’Oural, il va faire une troublante découverte : un autre garçonnet mort dans les mêmes conditions que celles de Moscou. Prenant tous les risques, le couple se lance dans une terrible traque, qui fera d’eux des ennemis du peuple …

La bêtise soviétique
*On ne revoyait presque jamais les femmes ou les hommes
dépourvus de carte qui passaient sous ces portes.
 Le système
les expédiait soit au goulag, soit dans un bâtiment situé juste
derrière la Loubianka […] équipé de plans inclinés, de murs
 couverts de rondins pour absorber les balles, et de tuyaux
d’arrosage pour nettoyer les rigoles de sang. *
(Extrait)

C’est un roman intrigant avec, au départ, un titre qui ne l’est pas moins. D’ailleurs, tout est dans le titre. Malheureusement je ne peux rien en dire sans vous enlever le plaisir de la découverte, car en effet, j’ai eu du plaisir à lire ce premier roman de Tom Rob Smith qui lui a valu une entrée fracassante dans la littérature internationale. Toutefois, c’est un roman assez sombre, voire noir car il a comme toile de fond l’implacable système soviétique sous Staline, esprit fêlé qui étouffait le peuple pour préserver la soi-disant perfection de sa politique.

Les innocents tombaient comme des mouches. Pourtant, les meurtres qui s’accumulent dans le récit, n’ont rien à voir avec le régime. Voyons voir. Dans la région de Moscou, on découvre le corps d’un petit garçon sur une voie ferrée. L’affaire est vite classée parce que dans un état socialiste parfait, le crime n’existe pas. Un agent de la police d’état, Léo Stepanovitch s’insurge. Pour lui c’est clair, il y a eu meurtre et il faut enquêter. Ce faisant, il tombe en disgrâce, lui et sa femme Raïssa.

Pour trouver le meurtrier, le couple sera en permanence à un fil de la mort tentant d’échapper à Vassili, un agent du MGB qui voue une haine féroce à Léo. Ce dernier ira de découverte en découverte mais la dernière sera particulièrement cruelle car elle implique les liens du sang.

Ce livre m’a surpris autant par l’intensité de l’enquête que par l’exactitude descriptive du régime soviétique qui n’accordait aucune réelle valeur à la vie humaine. La crasse stalinienne est donc omniprésente dans ce récit et j’avoue avoir parfois manqué d’air. *C’était la paranoïa ambiante entretenue par l’État qui faisait que toute allégation, même la plus farfelue pouvait coûter la vie à quelqu’un. * (Extrait)

J’ai ressenti aussi une batterie d’émotions due à la nature des meurtres au modus operandi du meurtrier et plus tard vers la fin du roman de la véritable raison de cette tuerie, ce qui m’a fait tomber de ma chaise. *La substance broyée dans la bouche des gosses…les torses mutilés…il y avait la ficelle nouée autour de la cheville, les cadavres toujours nus, les vêtements en tas un peu plus loin. Le lieu du crime se situait dans une forêt…souvent à proximité d’une gare…* (Extrait) quand je pense que ce récit est basé sur une histoire vraie, j’en ai froid dans le dos.

Le cadre politique du roman qui demeure quand même assez discret m’a tout de même poussé à la recherche, ne serait-ce que pour m’assurer de la crédibilité du récit. Il s’avère que ce régime était meurtrier et pourri. C’est cette réalité qui fait de *ENFANT 44* un roman noir mais fidèle à la triste réalité soviétique et au contexte.

La seule faiblesse que je trouve dans ce récit réside dans la finale que j’ai trouvée longue et tirée par les cheveux mais sinon l’auteur m’a gagné par un récit intense, intrigant, une plume incisive et très directe. C’est un roman qui m’a brassé et qui m’a fait admettre combien je suis chanceux de vivre en Amérique.

Non seulement l’auteur m’a gardé vigilent mais il m’a appris beaucoup de chose et m’a poussé à prendre d’autres directions pour en savoir davantage.  Pour Tom Rob Smith, c’est une mission accomplie et parfaitement réussie…remarquable, si je tiens compte qu’ ENFANT 44 est son premier roman.

Suggestion de lecture : HIVER ROUGE, de Dan Smith


Né en 1979 d’une mère suédoise et d’un père anglais, Tom Rob Smith vit à Londres. Diplômé de Cambridge, il a participé à un atelier d’écriture, avant de travailler comme scénariste. Après Enfant 44 (2009) – adapté à l’écran –, Kolyma (2010) et Agent 6 (2013), tous disponibles chez Pocket, La Ferme est son quatrième roman paru chez Belfond.

Enfant 44 (Child 44) est un thriller américano-britannico-tchèque de Daniel Espinosa, sorti en 2015.. C’est l’adaptation cinématographique du roman de Tom Rob Smith Enfant 44, publié en 2008. Un téléfilm, Citizen X, fut déjà consacré en 1995 au tueur en série Andreï Tchikatilo, surnommé l’« éventreur de Rostov » d’après le roman de Robert Cullen : L’Ogre de Rostov.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 18 février 2024

MÉTRO 2033, livre de DMITRY GLUKHOVSKY

*Et quand ils sont arrivés à Polejaïevskaya, il n’y avait plus âme qui vive. Et de corps, il n’y en avait aucun…juste du sang, partout. Voilà. Que je sois damné si je sais qui a pu faire ça. Mais, pour moi, aucun humain n’est capable de telles atrocités.
(Extrait : MÉTRO 2033, Dmitry Glukhovsky, 2016 Librairie l’Atalante pour la version française. Le livre de poche, édition de papier, 860 pages)

En 2014, une guerre nucléaire a ravagé la Terre. En 2033, quelques dizaines de Moscovites survivent dans le métro, se dotant de diverses formes de gouvernements et croyances. Mais une menace plane à présent de l’extérieur. L’un des survivants, Artème, est alors chargé d’en avertir Polis, une communauté de stations qui préservent les derniers vestiges de la civilisation humaine.

 

HORS DU MÉTRO POINT DE SALUT
*Sa phrase fut coupée par un cri perçant. On entendait des
hurlements, des pas de course, des pleurs d’enfants et
des sifflements menaçants…il y avait du grabuge dans
la station. L’hiérophante, inquiet, se concentra sur le
bruit et se figea dans l’obscurité. *
(Extrait)

*Oppressant* : C’est le premier mot qui me vient à l’esprit pour commenter ce livre. Paradoxalement, c’est une oppression savourée. Quand je manquais d’air, je refermais le livre et j’y revenais peu après avec un plaisir renouvelé.

Pourquoi ce sentiment d’oppression ? L’explication est dans le contenu : Nous sommes en 2033, vingt années se sont écoulées depuis la catastrophe nucléaire qui a ravagé la planète, la rendant inhabitable en surface. En Russie, les rescapés se sont abrités sous terre dans le Métro de Moscou et ses différentes stations sous-terraines, socialement organisées et indépendantes.

Nous suivons Artyom, jeune homme dans la vingtaine, citoyen de la station VDNKh dont les habitants doivent faire face à une menace de créatures mystérieuses venant des profondeurs des tunnels. Des créatures appelées *LES NOIRES* à qui on prête entre autres le pouvoir de s’emparer des esprits humains et d’y semer la confusion.

*C’est la psyché qu’ils sapent, les salauds !… Le pire, c’est que t’as l’impression qu’ils s’ajustent à ta longueur d’onde. Et la fois suivante, tu les perçois encore mieux, et tu ressens une terreur décuplée. Ce n’est pas seulement de la terreur…* (Extrait)

Artyom se voit confier une mission capitale: aller chercher l’aide du dernier bastion de la civilisation, dans le réseau des stations POLIS à l’extrémité du Métropolitain. Un voyage qui entraînera Artyom d’une station à l’autre, dans les profondeurs lugubres des tunnels.

C’est le fil conducteur du roman : suivre Artyom dans son périple en se demandant s’il en sortira vivant. Le passage sur la mission d’Artyom dans la grande bibliothèque de Moscou est particulièrement brillant. Artyoum possède certains dons de perception extra-sensorielle.

Malgré la récurrence du thème, le récit m’a impressionné par son réalisme. L’histoire se déroule sous terre et si j’en suis venu à manquer d’air en cours de lecture, c’est que l’auteur a trouvé le ton juste. C’est un récit musclé dans lequel se chevauchent l’anticipation, la science-fiction, la psychologie et l’horreur, certains passages sont pour le moins saisissants.

De l’action en crescendo et des personnages fort bien travaillés et approfondis. Le bestiaire est aussi superbement imaginé et ne laisse pas indifférent. Je me suis attaché très tôt à Artyom, ce qui a grandement contribué à l’intérêt que j’ai manifesté pour l’histoire dans ses débuts. L’ensemble est original et intriguant avec entre autres l’influence du néonazisme et d’un mystérieux 4e reich.

Aussi impressionnante que puisse être cette histoire, elle comporte certaines faiblesses. D’abord c’est un pavé très long qui prend parfois l’allure d’une chronique du quotidien dans le métro. Il y a des longueurs, parfois indigestes et un peu de redondance. Le récit de 850 pages aurait pu en sacrifier 150 sans nuire à son objectif.

Deuxième point, l’histoire est dépourvue de présence féminine. Je ne comprends. pas ce choix de l’auteur. En ce qui me concerne, j’ai réalisé très vite que ça manquait. Troisièmement, un des éléments redondants de l’histoire tient au fait qu’Artyom est toujours sauvé à la dernière minute.

Ça donne à l’histoire un caractère probable et prévisible. Enfin, il aurait été intéressant de développer un peu plus sur l’organisation des stations et d’expliquer ce que le néonazisme vient faire là-dedans.

Malgré tout, l’histoire m’a emporté et c’est ce que je voulais. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est un chef d’œuvre mais l’ouvrage a quelque chose de sidérant. Je vous le recommande, mais prévoyez du temps…

Suggestion de lecture : LIVRE DE SANG, de Clive Barker

Né en 1979 à Moscou, Dmitry Glukhovsky, après des études en relations internationales à Jérusalem, a travaillé pour les chaînes Russia Today, EuroNews et Deutsche Welle. Métro 2033 a d’abord paru sur Internet avant de devenir un best-seller. Dmitru Glukhovssky est également l’auteur de Métro 2034, Sumerki (Prix Utopiales 2014, futu.re (Prix Libr’ànous 2016 et métro 2035.

La série

Bonne  lecture
Claude Lambert
le dimanche 12 juin 2022