MALEFICIUM, le livre de Martine Desjardins

*Ses volutes noires s’immisçaient dans mes fosses nasales
 avec une vibration tellurique qui me chatouillait jusqu’au
 tréfonds des oreilles. Mon sens de l’équilibre s’en trouva
 affecté et je ressentis un vertige exquis que, dans mon
égarement, je ne pensais qu’à prolonger. *

(Extrait : MALEFICIUM Martine Desjardins, Audible studios
éditeur, 2018. Durée d’écoute : 4 heures 24 minutes
Édition d’origine, Alto éditions, 2011)



Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent pas ce qu’ils ont fait. Pardonnez à ces sept hommes victimes d’étranges maléfices, venus chercher dans le confessionnal une oreille attentive au récit de leur infortune et implorer le salut de leur âme souillée par la curiosité et la faiblesse de la chair.  Pardonnez aussi à cette femme calomniée, emmurée dans un cruel silence, car elle sait bien ce qu’elle a fait.

Pardonnez enfin à l’homme de Dieu qui a recueilli leurs aveux et brisé le sceau de la confession en les transcrivant dans un ouvrage impie. Lecteur, vous tenez entre vos mains une version remaniée mais non expurgée du mythique Maleficium de l’abbé Savoie (1877-1913), prêtre sacrilège dont on connaît peu de choses, sinon qu’il termina ses jours, cloîtré dans un monastère après avoir été mystérieusement frappé de surdité.

Sachez que la lecture de cet ouvrage délétère pourrait provoquer un certain malaise chez les âmes pures, exciter les sens ou éveiller des désirs inavouables, et qu’en cédant à ses charmes vous risquez d’encourir l’excommunication.

Vous voilà averti. L’auteure du Cercle de Clara et de L’évocation (prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec) nous offre une fresque baroque en huit tableaux, une invitation à voyager aux limites des plaisirs et de la souffrance. Maleficium est une œuvre rare, parfumée de fantastique, d’exotisme et d’érotisme.

À lire ou à écouter car la version audio est très intéressante avec les narrations de Danny Boudreault, Maxime Dugas, Martin Rouette, Patrick Baby, Sébastien Dodge, Annick Vermette, Nicolas Landré et Thiery Dubé.

Baroque et sulfureux
*Le bruit a longtemps couru que l’archevêché de Montréal
abritait dans ses archives confidentielles un livre si
dangereux qu’il avait été emmuré au fond d’une alcôve.
Quiconque aurait la témérité de l’exhumer de ses
oubliettes serait excommunié sur le champ. *
(Extrait)

   

MALEFICIUM est un recueil de nouvelles. Elles peuvent se lire indépendamment mais elles ont un point en commun : aux fins du roman, ces huit nouvelles, qui sont autant de confessions entendues par un prêtre font partie d’un livre écrit par un certain abbé Jérôme Savoie qui vécut au XVIIIe siècle.

On ne sait pas grand-chose de ce prêtre sinon qu’il est considéré comme sacrilège et que son livre a été jugé tellement dangereux par l’Église que celle-ci l’a fait emmurer dans une oubliette et quiconque tenterait de l’en faire sortir serait condamné aux tourments éternels.

Il serait plus juste de dire que MALEFICIUM est une œuvre baroque en huit tableaux dont les acteurs évoluent aux limites de l’exotisme et de l’érotisme et livrent leur penchant avec des sens exacerbés à un prêtre qui ne s’exprime pas.

L’œuvre comprend des thèmes récurrents qui confinent à la bizarrerie, à la singularité et aux anomalies de la nature qui exacerbent le désir et les sens. Par exemple, les malformations humaines et les bizarreries anatomiques comme une personne logeant une larve dans son nombril, une femme à queue.

La huitième confession est particulièrement surprenante, je ne vais pas la dévoiler mais elle est comme un condensé de l’œuvre. La confession qui condense les huit témoignages et c’est la confession d’une femme. La seule femme parmi les huit qui s’accusent. La principale faiblesse de l’œuvre tient dans le fait que les histoires ne sont pas égales. L’intensité varie.

Certaines sont dépourvues d’émotions, d’autres accusent des longueurs. L’ensemble est plutôt froid. Le prêtre n’est pas étranger à cette impression. Il semble *absent dans sa présence*. Ce n’est pas le seul paradoxe de l’œuvre mais quoiqu’il en soit, c’est un livre assez sulfureux et qui ne laisse pas indifférent.

Il se dégage de ce récit un parfum de scandale, d’interdit, d’immoralité. Un trait d’union de tout ce que l’Église exècre…un parfum de sacrilège…*Fuyez mon Père, elle a déjà commencé à transformer votre église en pandémonium de l’enfer. * (Extrait de la septième confession, Oleatum pandaemonium).

J’ai trouvé original le fait de précéder les confessions d’une mise en garde presque solennelle. On ne pouvait trouver mieux pour capter définitivement l’attention des lecteurs/lectrices :

*Cette première édition de l’œuvre présentée ici dans une version passablement remaniée mais non expurgée, suscitera un certain malaise, voire la désapprobation. Après tout, l’abbé Savoie a retranscris des confessions qui lui avaient été faites sous le sceau du sacrement, rompant ainsi les chaînes du serment auxquelles il était tenu et dont ne pouvait le délier ni lois, ni menaces, ni périls de mort. * (En introduction. Extrait de l’avertissement)

C’est un livre étrange dans lequel le plaisir chevauche la souffrance. Il n’y a dans cette œuvre ni vulgarité, ni grossièreté. Tout n’est que fines allusions, double-sens, suggestions et sensualité retenue par une écriture très belle qui confine par moment à la poésie. Il y a quelque chose d’envoûtant dans ce livre. Un parfum d’exotisme qui me rappelle un peu les MILLE ET UNE NUITS du lointain orient avec en plus un soupçon de fantastique.

J’ai été subjugué par la plume de l’auteure qui est extrêmement descriptive, magnifiquement déployée, habilement suggestive. Martine Desjardins n’est pas tombée dans le piège de magnifier le mal. Elle décrit avec précision huit tableaux sacrilèges empreints d’audace, d’étrangeté avec, comme fil conducteur les méandres obscurs de l’esprit humain. Maleficium est un monde troublant à explorer.

J’ai beaucoup aimé.

Suggestion de lecture : Jour de confession, d’Allan Folsom

Martine Desjardins est née à Mont-Royal au Québec. Après des études de russe, d’italien et de littérature comparée, elle a travaillé pour plusieurs magazines, et tient présentement la chronique Livres à L’actualité. Saluée par la critique pour son premier roman, Le cercle de Clara, ainsi que pour L’élu du hasard, elle a remporté le prix Ringuet pour L’évocation, et les prix Jacques-Brossard et Sunburst pour Maleficium.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 27 mars 2022

JOURNAL D’UN DISPARU, de MAXIME LANDRY

*C’est étrange ce matin, c’est comme si
j’étais encore là. Tout autour de moi est
exactement comme je l’ai laissé. *
(Extrait : JOURNAL D’UN DISPARU, Maxime
Landry, Libre Expression février 2015, 176 p.
Édition sonore : Audible studios, 2017, durée
d’écoute : 3 heures 18, Maxime Landry fait la
narration de son propre livre.)

Bertrand a une vie tout à fait normale avec sa famille. Homme travaillant et dévoué, il se surmène dans le but d’assurer un avenir de qualité à sa femme et à ses enfants, qu’il n’aura pas le temps de voir devenir adultes. Tous ses efforts le dirigent, malgré lui, bien loin de ses rêves et de ses ambitions. Tranquillement, il sombre dans la noirceur. La nuit la plus longue de toute son existence.

Journal d’un disparu est le journal post mortem tenu par Bertrand durant l’année suivant son départ volontaire.

UN PANÉGYRIQUE DE LA VIE
*On m’a souvent répété…que notre vie nous était
prêtée. Comme un cadeau que l’on devait rendre
après l’avoir déballé. De ne pas trop en abuser au
risque de la perdre un jour. Moi, la mienne, je n’ai
jamais su quoi en faire, alors je l’ai rendue. *
(Extrait)

Plusieurs se rappelleront de Maxime Landry comme étant le grand gagnant de Star Académie en 2009 et qui, moins d’un an plus tard devenait interprète masculin de l’année. Auteur, compositeur et interprète, Maxime Landry, cet homme-orchestre qui semble vouloir rester éternellement jeune, verse maintenant dans la littérature et propose un premier roman qui m’a vraiment secoué pour ne pas dire qu’il m’a remis à ma place quant à ce que j’attends de la vie, même à la retraite.

Voici l’histoire touchante d’un homme, Bertrand, père de quatre enfants, facteur et restaurateur, deux métiers, trente-six misères. Il est dévoué et même altruiste à ses heures, mais il se surmène, néglige sa santé, sa famille, se détache de ses rêves. Un jour, Bertrand décide qu’assez c’est assez.

Pour ce livre, j’ai choisi la version audio, narrée par Maxime Landry lui-même qui m’a fait vibrer avec sa voix d’adolescent chargée d’émotion et de ressenti. Je n’ai pas regretté mon choix même si je n’ai aucun doute qu’un support papier aurait donné des résultats semblables.

Peu importe le support, Maxime brasse les émotions et le lecteur se sent forcément emporté. Trop parler de ce livre reviendrait à vendre la mèche. On pourrait le qualifier de confession post-mortem d’une âme obligée à errer pour un temps pour voir comment les vivants se débrouillent avec la suite.

Peut-être pourrait-on parler d’une puissante léthargie, une zone grise ou une plongée dans le film de sa vie, une introspection puissante et ébranlante, une zone mystérieuse qui sépare le rêve de la réalité. Le tout est évidemment assorti de profonds questionnements : *Pourquoi faut-il comprendre quand il est trop tard ? * (extrait) C’est vraiment à vous amis lecteurs, amies lectrices de le découvrir et ce sera, je crois une belle expérience.

Comment qualifier ce livre ? Je dirais une belle complainte, une sorte de mea culpa qui devient au fil du récit un puissant plaidoyer contre le suicide : *En un instant, en une fraction de seconde, en un geste, j’ai changé le cours de votre histoire. Je me suis pris pour Dieu, et c’est vous qui en payez la note*.

Ce livre de Maxime Landry, qui est parti d’une chanson d’ailleurs a un caractère autobiographique car le père de Maxime s’est suicidé alors que Maxime était adolescent. Malgré cette dure épreuve, Maxime a évité le piège du misérabilisme et fait plutôt ressortir la vie, avec sa belle signature vocale, comme un don spécial dont il faut prendre soin.

Il fait même preuve d’un peu d’humour…parfois noir mais qui arrache quand même un sourire. Il met aussi en perspective l’amour dont on est entouré, tous…la famille, les amis, le conjoint, la conjointe, les enfants et tout ce que ça engendre et qu’on appelle les p’tits bonheurs de la vie. Le narrateur est le personnage principal lui-même et ses propos post-mortems sont de nature à faire réfléchir. Imaginez en effet qu’à votre décès, votre conscience, au lieu d’aller vers la lumière décide de rester un peu en *bas*.

Il y aurait sûrement des observations intéressantes à faire et pas toujours gaies car vous êtes à la fois témoin de la peine engendrée par votre départ, mais aussi de l’hypocrisie et même parfois de l’indifférence. Peut-être décideriez-vous d’essayer d’influencer positivement la vie des êtres chers laissés derrière. À ce titre, le plus beau passage du récit est sans doute le moment ou Bertrand découvre que son fils François a un dangereux vague à l’âme.

La détresse de son âme est perçue par Bertrand comme une prière. Le texte est de toute beauté. J’ai savouré et dévoré ce petit livre de 175 pages, environ trois heures d’écoute en une soirée. Je pense que pour une première expérience en littérature, Maxime Landry a frappé fort. Ça vous fait aimer la vie…rien de moins.

Suggestion de lecture : LE JOURNAL D’UN FOU, de Nicolas Gogol

Connu surtout pour son succès musical, Maxime Landry est un homme aux 1001 talents. Depuis 2015, il nous le démontre avec brio à la barre de l’animation à Rouge FM (107.5 FM), tous les jours en semaine de 18 h à 20 h sur l’ensemble du réseau. Auteur de plusieurs chansons, Maxime est également écrivain. Il témoigne de sa belle plume dans deux livres : Journal d’un disparu et Tout mon temps pour toi, parus en février 2015 et avril 2016. Tous deux ont été encensés Best-Seller. Maxime est également impliqué dans plusieurs causes et fondations, dont Opération Enfants-Soleil, pour laquelle il co-anime le Téléthon.
(Extrait de la biographie de Maxime Landry publiée sur son site officiel)
Cliquez ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi  avril 2021