LE MUR, Jean-Paul Sartre

*Ils seront huit. On leur criera: « En joue » et je verrai les huit fusils braqués sur moi. Je pense que je voudrai rentrer dans le mur, je pousserai le mur avec le dos de toutes mes forces et le mur résistera, comme dans les cauchemars. * (Extrait : LE MUR, Jean-Paul Sartre, Gallimard éditeur, 1939, collection Folio, papier, 247 pages.)

LE MUR est un ouvrage réédité plusieurs fois depuis sa sortie en 1939. (Voir les 4e de couverture en lisant l’article). Il s’agit d’un recueil de nouvelles réunissant cinq récits. C’est aussi le titre de la première   nouvelle. Chaque histoire évoque une dérive humaine tragique ou drôle. Toutes les nouvelles ont un point en commun : des fuites ou tentatives de fuites, arrêtées par un mur.

Tout y est noir : pathologies individuelles telle la démence, crise de Société, guerres, crises personnelles. Plusieurs des nouvelles de Sartre ont été adaptées au cinéma et à la télévision. *Les hommes, il faut les voir d’en haut. * (Extrait de la nouvelle intitulée EROSTRATE)

 

LES NOUVELLES

  • -LE MUR : narration d’un républicain espagnol condamné èa être fusillé par les franquistes, le tout débouchant sur une survie non désirée grâce à une trahison non voulue.
  • -LA CHAMBRE : explore les thèmes de la folie, de l’enfermement, de la famille bourgeoise, du couple et de la sexualité.
  • -EROSTRATE : Nouvelle aux conclusions tragi-comiques développant les thèmes de la haine et de la violence et du meurtre gratuit.
  • -INTIMITÉ : Deux femmes se questionnent sur leurs rapports respectifs au couple, à la sexualité, aux sentiments et à l’échec.
  • -L’ENFANCE D’UN CHEF : Analyse sociologique et psychologique de la lente adhésion d’un personnage ordinaire au fascisme.

 

Noir c’est noir

Le recueil comprend donc cinq nouvelles aussi profondes que désespérantes, crues. On ne sort pas guilleret d’une telle lecture. En effet, imaginez toutes les expressions liées au mot MUR :  -être au pied du mur-aller droit dans le mur, le dos au mur-entre quatre murs-faire le mur-frapper un mur-un mur nous sépare-mur d’escalade-mur du son-mur de la honte, etc

Autant d’expressions qui sont communes aux nouvelles de ce recueil, cinq variations sur le même thème, un mur séparant les mondes et bâti sur une foule de tares qui empêchent l’humanité de grandir et de se parfaire, avec en tête, la dérive de l’esprit, la folie et l’absurdité de la vie. Sur cette dernière, Sartre s’exprime abondamment et nous laisse beaucoup de matière à réflexion.

Les deux nouvelles qui furent pour moi les plus frappantes sont, d’abord LE MUR, un conte coup-de-poing d’une inimaginable froideur : <Comment s’appellent-ils ces trois-là ? -Steinbock, Ibbieta et Mirbal, dit le gardien. Le commandant mit ses lorgnons et regarda la liste. -Steinbock… Steinbock… Voilà. Vous êtes condamné à mort. Vous serez fusillé demain matin. Il regarda encore. -Les deux autres aussi dit-il. >   Extrait.

Le récit explore la nuit d’attente et débouche sur ce qu’on appellerait aujourd’hui l’ironie du sort. Du grand Sartre. Lorsque Sartre a écrit ces nouvelles, le germe de l’existentialisme progressait en lui. Un principe philosophique selon lequel chaque individu vient au monde sans but ni valeurs prédéfinies. Il se définit par ses actes dont il est pleinement responsable. Le contraire du déterminisme quoi.

Ce principe transparait particulièrement dans la dernière nouvelle du recueil : L’ENFANCE D’UN CHEF qui analyse de façon exhaustive un personnage ordinaire, Lucien, qui adhère graduellement à l’idéologie fasciste et déclare ouvertement son antisémitisme. Ce thème figure parmi les schémas de pensée les plus complexes de Sartre. Mais ce que je retiens ici, c’est la volonté propre de Lucien de se définir lui-même et d’assumer.

Pour moi, Sartre a toujours été un penseur en contradiction. Chez Sartre, j’ai toujours eu un peu plus de facilité à saisir l’esprit du dramaturge que celui du philosophe. Et pourtant, il est philosophe bien avant d’être dramaturge. C’est LE MUR qui a valu à Sartre le prix Nobel de la littérature en 1964. Il l’a refusé car selon lui, personne ne devrait être consacré de son vivant.

C’est en contradiction avec la tradition littéraire mais il faut admettre que Jean-Paul Sartre était un homme très engagé. Saisir la pensée de Sartre n’est pas simple. Par moment, je le trouvais ennuyant à mourir, parfois passionnant à ravir.

Lire LE MUR est un défi que j’ai relevé. J’en sors mitigé mais je n’ai aucun regret.

Suggestion de lecture : LE MONDE SELON GARP, de John Irving


L’auteur Jean-Paul Sartre

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 13 septembre 2025

CIRCONSTANCIEL, livre de Gérald Provençal

*Les deux étudiants…à bord d’un véhicule récréatif,
traversent les frontières françaises pour se diriger
en Catalogne, poursuivis à leur insu par un policier
haineux…on découvre dans la Méditerranée, à la
hauteur de Barcelone, un navire-usine appartenant
à un groupe islamiste, dissimulant un laboratoire
illicite, pour fabriquer des drogues destinées au
marché européen*
(Extrait, CIRCONSTANCIEL de
Gérard Provençal, version audio, Vues et Voix éditeur,
2018. Durée : 6 heures 13, narrateur : Denis Lévesque.)

Diane et Gilles, deux étudiants universitaires Québécois partis parfaire leurs connaissances en Europe, expérimenteront des épreuves imprévues en visitant les peuples Basques et Catalans. C’est en Espagne et en France qu’ils découvrent l’analogie entre le Québec et ces deux peuples minoritaires. L’emblème du Québec qu’ils arborent sur leur sac-à-dos bouleversera leur voyage et les obligera à fuir.

Mauvais endroit, mauvais moment
*Je constate qu’Éric ne va pas bien. Il ne dort
pas. Il a perdu l’appétit. Il se plaint d’avoir
des crampes à l’estomac et toutes ces
intrigues l’angoissent….
(Extrait : CIRCONSTANCIEL)

Sans être un chef d’œuvre, l’histoire est intéressante. Contrairement à ce qu’on peut lire dans la description plus haut, au départ de l’histoire, c’est Gilles et Éric qui sont réunis pour ce périple. Ils sont effectivement des étudiants universitaires, futurs enseignants. Gilles et Éric veulent partir à la découverte des peuples Basques et Catalans.

Ils trouveront d’ailleurs de fortes analogies entre les québécois, les basques et les catalans, ces deux derniers étant aussi des peuples minoritaires. D’ailleurs, tous les personnages de ce roman sont issus de minorités. Donc nos voyageurs se retrouvent en Espagne et visiteront une partie de la France.

Toutefois, le voyage ne s’est pas passé selon le plan prévu. Lors de leur passage à Pampelone, Gilles et Éric sont témoins d’un accident qui a toutes les apparences d’un meurtre. À partir de ce moment le voyage des québécois tournera au cauchemar. Éric cède à la pression et décide de retourner au Québec. Gilles lui, reste. Il fera la connaissance de la belle Diane, étudiante en anthropologie qui continuera le voyage avec Gilles. Les deux mettront leur vie en danger.

Le développement de l’histoire est assez bien travaillé quoique par moment, il traîne en longueur. Le récit n’est pas sans nous rappeler qu’au plus fort de l’agitation sociale au Québec, les soi-disant bien-pensants voyaient des séparatistes partout et avec les évènements tragiques d’octobre 1970, pour beaucoup de gens à l’esprit fermé, le terme *séparatiste* équivalait à terrorisme.

C’est un aspect que Provençal a particulièrement bien développé dans son récit et l’idée de base est simple : Éric et Gilles sont au mauvais endroit au mauvais moment. Ils soupçonnent que l’accident dont ils sont témoins est un meurtre et ils se confient à leurs hôtes espagnols, ce qu’il ne fallait tout simplement pas faire.

Dès lors, les polices secrètes s’intéressent à nos amis, y compris Diane et pas seulement, un réseau complexe de trafic de drogue lié au meurtre s’intéresse à nos amis voyageurs qui en savent trop désormais. Ici, l’équation espagnole est simple: québécois égale séparatisme et le séparatisme en pays basque et catalan est une corde extrêmement sensible.

L’auteur a bien exploité son thème. Ce n’est pas tout à fait le cas pour la psychologie des personnages sur lesquels on ne sait pas grand-chose et j’ai eu un peu de difficulté à m’y attacher. Pour la version audio, la narration est plutôt pauvre. Denis Lévesque a une voix superbe et une élocution professionnelle. Malheureusement, il se contente de lire alors que j’aurais préféré qu’il me raconte. Il n’y a pas d’émotions ni de vibrations.

J’aurais souhaité aussi que monsieur Lévesque démarque davantage l’accent québécois comme l’a fait par exemple Maxime Gaudette dans LA CONSTELLATION DU LYNX. Par moment, j’avais l’impression que le narrateur présentait un documentaire. Heureusement, il a une très belle voix. Si vous pouvez passer par-dessus ce manque de mordant, d’intensité, vous pourriez découvrir une plume digne d’intérêt.

Suggestion de lecture : MEURTRES POUR RÉDEMPTION : Karine Giébel

À lire aussi chez VUES ET VOIX

Bonne lecture
Bonne écoute
le dimanche 22 janvier 2023
Claude Lambert