L’inspecteur Specteur et le doigt mort

Commentaire sur le livre de
GHISLAIN TASCHEREAU

*La nuit craquait comme un cafard sous le pied.
Il faisait soif. L’inspecteur Specteur avait des
fourmis dans les jambes. Ce n’étais pas aussi
prestigieux que deux rats dans l’estomac, mais
c’était déjà ça. *
(Extrait : L’INSPECTEUR
SPECTEUR ET LE DOIGT MORT, de Ghislain
Taschereau, Les Intouchables éditeur, 1998, papier,
215 pages)



C’est à Capit, capitale de la Friande qu’on a trouvé le doigt mort, coincé dans la trappe d’une boîte aux lettres. À qui appartient ce cure-nez ? Qui l’a placé là, au vu et au su de tous ? Dans quel but ? L’enquête ne sera pas de tout repos. Heureusement, notre héros a vendu son âme à Satan en échange d’un don particulier. Il est le meilleur inspecteur de police au monde: l’inspecteur Specteur. Mais son adversaire n’est pas un enfant de chœur.

 

Les couleurs du rire
*Ils avaient fait les trois-quarts du chemin quand Ré
mit le pied sur sa soutane et tomba pour la première
fois. Il piqua du nez -qu’il avait plein- et amortit la
chute de sa main brûlée. Une grosse pierre lui
amocha un membre du clergé. Le <ouille> qu’il
lança n’était qu’à un <c> près de ce qui le faisait
se cambrer. *
(Extrait)


C’est un livre drôle, noir, un peu vulgaire, extrêmement expressif, violent, avec une bonne dose d’intrigue et de suspense, le tout intelligemment développé faisant continuellement osciller le lecteur et la lectrice dans les limites du bien et du mal, de l’amour et de l’indifférence. Je vous donne une petite idée de l’histoire, ce que le quatrième de couverture ne fait pas.

Dans des circonstances un peu spéciales que je vous laisse découvrir, l’inspecteur, un tantinet manipulé, conclut un pacte avec le diable. Il échange son âme contre le statut de meilleur inspecteur au monde. Le contrat comprend toutefois deux petites clauses sous-évaluées par Specteur : il ne pourra avoir ni de femme, ni de petites amies. Pour le sexe, il devra s’en remettre aux prostituées et il ne se gênera pas d’ailleurs.

Puis, il devra vivre toute sa vie avec une tare, une maladie. Ici le choix se porte sur l’alcoolisme. Entre temps, une enquête complexe s’annonce pour le nouveau génie : un doigt mort est trouvé, coincé dans la trappe d’une boîte aux lettres. Qui l’a placé là ? Dans quel but? Même pour le meilleur limier au monde, ça s’annonce compliqué.

À plusieurs égards, ce livre est un bon divertissement mais il contient un humour très acide, un caractère irrévérencieux qui porte aux tournures de phrases ayant deux possibilités : ou elles sont à double-sens ou très directes…très très directes : *-…Àmène-toi immédatement au bureau. -Je m’amènerai au bureau quand je le voudrai, sale trou du cul ! Emmerdeur ! Pédéraste ! Dessert de prêtre ! Tampon de nonne ! Siège de vélo ! Sphincter de gorille ! morve de gnou ! Pus de lépreux ! * (Extrait)

Avouez que ça vous a arraché un petit sourire. Il y a aussi de petites subtilités auxquelles j’ai été sensible, des passages bien tournés : *-Il y a combien de temps que vous n’avez pas fait un séjour dans le corps d’un homme ou d’une femme ? Assez longtemps non ? …-La dernière fois, je crois que c’était dans le corps de Linda Blair. Tout ça s’était terminé dans un vulgaire film. C’était un peu décevant comme performance. Mais je m’étais tout de même un peu amusé…le lit…le crucifix, la mère, le prêtre…Que de souvenirs…* Extrait

Cette petite incartade m’avait ramené au souvenir d’un film qui m’avait beaucoup impressionné. Je vous laisse deviné lequel. C’est un livre assez original, plein de tournures de phrases humoristiques, d’allusions, de double-sens et de trouvailles comme ici l’inspecteur s’appelle specteur, son commandant s’appelle mandant. Son paternel s’appelle Ternel. Son ami le curé s’appelle Ré. Et j’en passe.

Quant à l’intrigue, et c’est là la faiblesse du livre, je l’ai trouvée noyée dans l’humour noir, les passages à caractère sexuel et autres passages farcis de sous-entendus.  La description des personnages prend aussi beaucoup de place. On se perd donc un peu dans l’enquête. Mais pour une lecture atypique, vous pouvez me croire, c’est très sorti des sentiers battus. Ce fut pour moi un bon divertissement.

Suggestion de lecture : LA GRIFFE DU CHAT, de Sophie Chabanel

Ghislain Taschereau est né à Saint-Pierre Baptiste, dans la région des Bois-Francs, en 1962. Après un baccalauréat ès théâtre à l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, Ghislain commence une carrière d’humoriste en 1989 à titre de scripteur à l’émission 100 LiMiTE. Il excelle comme auteur, comédien, narrateur et réalisateur.

À la télévision et à la radio, Ghislain a surtout œuvré avec le groupe humoristique Les Bleu Poudre. Il est également l’auteur de six romans : L’Inspecteur Specteur et le doigt mort (Les Intouchables, 1998), L’Inspecteur Specteur et la planète Nète (Les Intouchables, 1999), L’Inspecteur Specteur et le curé Ré (Les Intouchables, 2001), Diane la foudre (Les Intouchables, 2000), Tag (Goélette, 2014) et Étoiles tombantes, (Goélette, 2015).

 

Inspecteur Specteur
la suite

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 2 décembre 2023

ABSCONCITÉS, par le dessinateur Klub

Tordant

ABSCONCITÉS

Le noir et l’absurdité sur planches

Extrait du tome 4 des absconcités crées par le dessinateur KLUB. Bande dessinée publiée chez Rouquemoute éditeur. 85 pages. Format numérique pour la présente.

La série ABSCONCITÉS compile des dessins du dessinateur KLUB, à l’humour absurde et publiés dans PSIKOPAT, périodique libre et indépendant de bandes dessinées fondé par Carali au début des années 1980. Dans LES PETITS MIQUETS (blog BD du  Monde), Yves Frémiont définit les ABSCONCITÉS ainsi : *Humour noir, rosserie ravageuse et décomplexée.

Sens du titre choc : l’originalité de KLUB consiste à ne pas viser un évènement précis, un individu précis, un fait précis, mais à rester dans les problématiques générales, universelles, durables. Ses dessins tiennent dans le temps. Graphiquement, il reste dans un style tout public et revisite les lieux désormais communs à tous. Il joue sur les mots, prend les expressions au pied de la lettre et pratique le décalage à tous les degrés. Mais pour autant, il ne manque pas de moquer une société en effervescence pour ne pas dire en perdition.

Dans cette série, moi j’ai lu le livre deuxième : LA MORT. Il n’y a pas deux avis pareils sur un sujet aussi grave, sur une corde aussi sensible de la société. Ça fait peur parce que c’est de l’inconnu, la mort est inéluctable et souvent, les êtres chers nous précèdent. Personnellement, la mort ne m’empêche pas de vivre. Je sais qu’un jour, elle viendra me chercher. Je ne la provoque pas et je préfère me joindre à KLUB pour en rire.

Si je reviens à la bande dessinée, il faut l’aborder avec ouverture d’esprit et pourquoi pas, avec humour. Ça peut sembler noir mais les planches de KLUB ont provoqué chez moi de nombreuses séquences de fou rire. Humour jubilatoire, spontané, instantané, décalé, insolent. Il m’est arrivé d’avoir envie de rire dans un salon funéraire. Je me suis toujours retenu bien sûr mais ici, je vous suggère simplement de vous laisser aller. Je crois qu’il est impossible de parcourir les dessins et de ne pas rire.

Le rire sera aussi au rendez-vous je crois bien pour les autres livres de la série parcourue d’un bout à l’autre d’un humour insolent, magnétique voire surprenant. À essayer. Moi j’ai passé un moment très spécial avec les ABSCONCITÉS.

——-

 Visitez le blog de KLUB. Je crois que vous ne serez pas déçu. Cliquez ici.

Suggestion de lecture : CAPITAINE STATIC, d’Alain Bergeron et Sampar

Amusez-vous bien
Claude Lambert
le dimanche 18 juin 2023

 

DEPUIS L’AU-DELÀ, le livre de Bernard Werber

*…l’âme errante du baron remarque l’âme errante de l’écrivain. < Touriste ? Demande-t-il ? -Heu…oui en quelque sorte. Je suis décédé ce matin. -Vraiment ? Alors préparez-vous à beaucoup de surprises. *
(Extrait : DEPUIS L’AU-DELÀ, Bernard Werber, éditeur original : Albin Michel, 2017, papier, 448 p. Version audio : Audible, décembre 2017, narratrice : Carine Obin, durée d’écoute : 13 heures 16 minutes)

Je me nomme Gabriel Wells.
Je suis écrivain de romans à suspense. Ma nouvelle enquête est un peu particulière car elle concerne le meurtre de quelqu’un que je connais personnellement : Moi-même.
J’ai été tué dans la nuit et je me demande bien par qui. Pour résoudre cette énigme j’ai eu la chance de rencontrer Lucy Filipini. En tant que médium professionnelle, elle parle tous les jours aux âmes des défunts. Et c’est ensemble, elle dans le monde matériel, moi dans le monde invisible, que nous allons tenter de percer le mystère de ma mort.

Un esprit à la rescousse
*…<j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Vous
préférez que je commence par laquelle ? – La bonne.
répond Gabriel, passablement irrité. – Je vous ai
menti. Vous n’êtes pas malade. -C’est déjà ça. Et la
mauvaise alors ? -La mauvaise, c’est queeee…vous
êtes mort. *

Voici l’histoire de Gabriel Wells, écrivain, petit neveu d’Edmond Wells qui signe l’Encyclopédie du savoir relatif et absolu imaginé par Werber et qui est récurrente dans son œuvre, des extraits de l’encyclopédie faisant office d’introduction de plusieurs chapitres.

Une nuit, Gabriel se couche, s’endort et ne se réveillera jamais, ou plutôt si, mais dans l’autre monde, devenu âme errante. De chez les vivants, une médium qui vient à sa rencontre, Lucie Filippini, apprend à Wells qu’il est mort. Ce dernier finit par comprendre qu’il a été assassiné, empoisonné. C’est dit. Wells n’aura de paix que lorsqu’il découvrira qui l’a tué.

Débute alors une enquête complexe menée par le plus improbable des duos d’enquêteurs : une vivante qui communique avec les morts aussi aisément qu’avec des amis qui boivent un verre dans un bar, et un mort, fantôme, âme errante qui ira de surprise en surprise jusqu’à ce qu’il découvre que son assassin est le personnage le plus improbable qui soit.

Vous reconnaîtrez aisément la signature de Werber. Si vous avez lu LA TRILOGIE DES FOURMIS, vous vous demanderez peut-être dans quel monde vous avez atterri. L’après-vie imaginé par Werber rappelle une énorme machine administrée par des fonctionnaires. Je souhaitais au moins un brin d’originalité comme dans les THANATONAUTES ou une certaine essence dramatique comme dans le PAPILLON DES ÉTOILES mais j’ai été déçu.

Werber a misé sur la spontanéité allant jusqu’à exploiter l’écriture automatique, ce qui a donné un récit sans style, une histoire abracadabrante, tirée par les cheveux, sans direction, sans matière à réflexion avec peu ou pas d’essence philosophique et une finale fabulée et sans saveur. À la rigueur, c’est délirant, au pire, ennuyant.

L’ouvrage a quand même des points forts. Je pense à son humour…parfois lourd, parfois noir… : *Le monde est ironique. Je suis mort au moment même où j’avais décidé de rester en vie le plus longtemps possible…* (Extrait) parfois de nature à alléger un peu le texte… : *Cela fait partie des petits inconvénients d’être mort, on ne peut pas demander d’autographes aux célébrités qu’on rencontre dans l’au-delà. (Extrait)

Autre élément encore plus intéressant, l’histoire est développée dans l’univers des écrivains et de la littérature. Werber ne se gêne pas pour faire la promotion du livre en disant, par la bouche d’un de ses personnages que TOUTES les littératures sont dignes d’être défendues en partant du principe qu’aucun livre n’est foncièrement mauvais surtout si on applique un juste rapport de forces et de faiblesses. Ce n’est pas pour me déplaire.

Pour terminer, j’ai beaucoup aimé le clin d’œil fait par l’auteur à ces critiques littéraires tout droit sortis de la cuisse de Jupiter, pontifiants et imbus et qui oublient que le public a le dernier mot. Par exemple, les critiques en général ont plutôt levé le nez sur l’œuvre de Werber. Pourtant, Werber est un des auteurs français les plus lus dans le monde.

Il y a une petite odeur de règlement de compte mais quand-même, Bernard Werber continue de s’interroger sur les mystères de la mort et le don de médiumnité mais il le fait dans DEPUIS-L’AU-DELÀ avec une telle légèreté que ça frôle la dérision. Il y a quelques trouvailles, une suite dans les idées mais peu de profondeur et des personnages pas très fouillés. Le livre n’est pas sans qualité mais Werber a montré qu’il pouvait faire beaucoup mieux. Quant à la version audio, j’ai trouvé la narration de Karine Obin,  ennuyante et soporifique. Rien pour mettre le récit en valeur.

Suggestion de lecture : L’ÉTRANGE DISPARITION D’AMY GREEN, de S.E. Harmon

Bernard Werber fait ses premières armes dans un journal de Cambrai aux rubriques en tout genre, avant de gagner le prix de la fondation News du meilleur jeune reporter qui lui permet de financer son premier vrai grand reportage. A son retour, il devient journaliste scientifique au Nouvel Observateur où il reste 7 ans. Son enquête sur les magnans va lui inspirer son premier roman, Les Fourmis, qui connaît dès sa sortie en 1991, un succès immédiat. Succès qui ira croissant au fur et à mesure de la parution de ses livres (près d’une vingtaine : romans, nouvelles, pièce de théâtre…). Les livres de Bernard Werber sont traduits dans une trentaine de langues.

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert

L’INSOMNIE, le livre de TAHAR BEN JELLOUN

VERSION AUDIO

*J’ai tué ma mère. Un oreiller sur le visage. J’ai appuyé un peu.
Elle n’a même pas gigoté. Elle a cessé de respirer. C’est tout.
Ensuite…j’ai dormi.*
(Extrait : L’INSOMNIE, Tahar Ben Jelloun,
Gallimard éditeur, 2019, papier 272 pages. Version audio : Gallimard
éditeur, 2019, durée d’écoute : 5 heures 52, narrateur : Bernard Gabay.)

«S’il vous plaît…un petit peu de sommeil…un petit peu de cette douce et agréable absence… Une simple échappée, une brève escapade, un pique-nique avec les étoiles dans le noir…»

Grand insomniaque, un scénariste de Tanger découvre que pour enfin bien dormir il lui faut tuer quelqu’un. Sa mère sera sa première victime. Hélas, avec le temps, l’effet s’estompe… Il doit récidiver.

Le scénariste se transforme en dormeur à gages. Incognito, il commet des crimes qu’il rêve aussi parfaits qu’au cinéma. Plus sa victime est importante, plus il dort. Et c’est l’escalade. Parviendra-t-il à vaincre définitivement l’insomnie? Rien n’est moins sûr. Une erreur de scénario, et tout peut basculer.

TUER POUR DORMIR
*Je ne reconnaissais plus rien et j’avais la
conviction de n’avoir tué personne. Pourtant,
simultanément, une nouvelle liste de
candidats à la mort qu’on a hâtée se
dessinait dans mon esprit.
(Extrait)

C’est un roman court mais dense. Il ne bousculera certainement pas la littérature mais son originalité est quand même dérangeante. L’histoire est très simple : un scénariste marocain, le narrateur qui ne se nomme jamais, souffre d’insomnie et découvre que tuer lui procure le sommeil. Il tue sa mère pour l’essai.

*J’ai tué ma mère. Un oreiller sur le visage. J’ai appuyé un peu. Elle n’a même pas gigoté. Elle a cessé de respirer. C’est tout. Ensuite j’ai dormi, longtemps, passionnément. J’ai dû dormir des heures, car j’ai fait de nombreux rêves très beaux, lumineux, colorés, parfumés. (Extrait) Ça fonctionne, mais c’est éphémère. Il devient donc une espèce unique de tueur en série.

Il a l’excuse moralement satisfaisante de tuer des gens en fin de vie, lourdement handicapés ou mourants. Il se qualifie lui-même de *hâteur de mort*. Mais est-ce que ça lui suffira ? Toujours est-il qu’il a besoin de tuer pour accumuler des PCS, c’est-à-dire des ponts crédits sommeil et plus encore, des PCL, soit des points crédits libido.

Dans un environnement textuel exempt de terreur, d’horreur et même de suspense, l’auteur sème la mort tout simplement pour permettre à son héros de dormir et ce, au nom d’une charité dont il a une définition assez singulière.

Ce roman est davantage un mode d’emploi qu’un roman. J’ai senti que l’auteur s’est fait plaisir en dérogeant un peu de son style habituel. Il a eu un éclair de génie et n’a pas vraiment réussi à en faire une histoire qui se tient. Après-tout, y tenait-il vraiment ? Son livre est teinté d’un humour noir, je dirais même tordu.

Son style me rappelle sensiblement celui de Charles Bukovsky en moins recherché et moins alcoolisé…chaotique, tordu, déjanté. Ça n’est pas désagréable à écouter, ça ne doit pas être désagréable à lire non plus mais c’est redondant et ça devient ennuyant. au moins, le roman est court.

C’est le genre de livre qu’on écoute ou qu’on lit avec un certain intérêt mais qu’on oublie vite. L’histoire est non évolutive et il y a beaucoup de passages crus et vulgaires. La narration de Bernard Gabay est passablement dépourvue d’émotion. Ça m’a ennuyé un peu mais je peux comprendre que Gabay ait ajusté sa voix à un récit aussi froid.

Enfin, c’est une histoire sans scénario ni objectif mais elle a le mérite de pousser à la réflexion sur des problèmes qui déchirent la société : la fin de vie, le suicide assisté, l’euthanasie. J’y ai senti une critique de la société, une timidité à aborder les Droits et Libertés. L’auteur met aussi en perspective l’hypocrisie religieuse.

Voilà…attendez-vous à une histoire gardant l’absurde à l’avant-plan et dans laquelle semer la mort juste pour dormir est traité avec une légèreté désarmante.  Là, je me suis réveillé assassin. Je n’inventais plus des histoires, je me mettais à les vivre et à en profiter. Comme par enchantement, j’étais passé de l’écriture à la vie. (Extrait)

Un petit détail en terminant : la presse littéraire a reçu l’ouvrage de Ben Jelloun avec  timidité. J’ai senti une certaine difficulté à classer cet ouvrage atypique : histoire est un bien grand mot. Fable et conte sont des termes souvent utilisés.

Suggestion de lecture : L’IRREMPLAÇABLE EXPÉRIENCE DE L’EXPLOSION DE LA TÊTE, de Michael Guinzburg

Tahar Ben Jelloun naît le 1er décembre 1947 à Fès, au Maroc. Tout en commençant à écrire des poèmes, il enseigne la philosophie en français. En 1971, il publie son premier recueil de poésie, Hommes sous linceul de silence.

La même année, il s’installe à Paris et fera ensuite parler de lui avec la publication de son roman Harrouda, publié en 1973, qui évoque beaucoup la sensualité des femmes, et qui a choqué au Maroc. Mais le roman à l’origine de sa renommée se nomme L’Enfant de sable, publié en 1985. Sa suite La Nuit Sacrée, paraît en 1987 et reçoit le prix Goncourt.

En 1995, son livre pédagogique Le Racisme expliqué à ma fille rencontre un grand succès. Vendu à 400 000 exemplaires, il est traduit en 33 langues, faisant de Tahar Ben Jelloun l’auteur francophone le plus traduit au monde. Son roman L’Ablation mène une réflexion sur la vie et la maladie. En 2019, Tahar Ben Jelloun publie L’Insomnie.

Bonne lecture
Claude Lambert
Janvier 2021

LE MAGASIN DES SUICIDES, le livre de JEAN TEULÉ

*Allez, tout le monde dehors…Vous mourrez une autre
fois. Gardez vos tickets numérotés et revenez demain…
Allez, hop, dehors ! Prenez ce revolver jetable à un coup
et ne venez plus nous faire chier avec vos histoires
d’amour. *

(Extrait : LE MAGASIN DES SUICIDES, Jean Teulé,
Éditions Julliard, 2007, édition numérique, 150 pages)

Imaginez un magasin où l’on vend depuis dix générations tous les ingrédients possibles pour se suicider. Cette petite entreprise familiale prospère dans la tristesse et l’humeur sombre jusqu’au jour abominable où surgit un adversaire impitoyable : la joie de vivre…

MORT OU REMBOURSÉ
*Il ne parvient à y croire…le beau magasin…qui
était sobre comme une morgue d’hôpital, propre,

net, etc…ce qu’il est devenu ! Sur un long calicot
tendu d’un mur à l’autre…est écrit un mot d’ordre :

« Suicidez-vous de vieillesse »

C’est un petit livre étrange et fascinant qui semble vouloir nous exposer sa vision du sens de la vie en passant par l’absurde. Le suicide est le principal sujet, développé d’ailleurs avec une désinvolture dérangeante. Nous sommes dans une société loin dans le futur. L’auteur ne s’étend pas sur la démographie, mais on suppose que le suicide est encouragé d’une certaine façon car la promotion du geste ultime est légale.

Aussi, nous suivons la famille Tuvache : Papa Mishima, Maman Lucrèce et les enfants, Marylin, Vincent et Alan. La petite famille tient une boutique encastrée dans d’énormes immeubles : c’est le magasin des suicides où on trouve de tout pour mettre fin à ses jours soit avec violence soit avec élégance.

C’est le genre de famille à souligner un anniversaire de naissance avec un gâteau en forme de cercueil…la mort encadréetraitée avec légèreté, humour et des prix élevés… Le quotidien de la famille est graduellement perturbé quand on découvre que le cadet de la famille, Alan est heureux de vivre…horreur…pas Alan : *Quand, à l’école on lui a demandé ce qu’étaient les suicidés, il a répondu : « Les habitants de la Suisse » *. (Extrait)

Graduellement Alan contamine tout le monde avec sa joie de vivre, son sourire, son énergie positive…*Ah, celui-là, avec son optimisme, il ferait fleurir un désert…* (Extrait) et graduellement, Alan sabote les efforts de sa famille pour vendre ses articles de mort qui subissent mystérieusement quelques petites transformations. Alan est le rabat-joie avec lequel on se dirige vers une finale dramatique et aberrante.

C’est un livre qui peut en choquer plusieurs mais il en dit long sur la vision de l’auteur de la société future, une société égarée, errante, à peine en équilibre sur la corde raide de l’abrutissement. C’est un sujet original car même si la mort et le suicide sont des sujets sérieux qui affectent déjà notre société, Teulé a bourré son récit de traits d’humour.

Avec Alan et son optimisme dérangeant, le roman noir a subitement quelque chose de loufoque, de farfelu et comme on dit souvent au Québec, de fou braque. Au fur et à mesure que je suivais Alan, qui est devenu pour moi un petit frère, mon esprit se détendait mais restait toujours sous le coup d’une émotion. Malheureusement, la finale m’a laissé amer.

Il y a dans le récit de Teulé une logique sociale développée avec finesse. Alan est un symbole qui met en scène des vertus qui se sont figées dans la société décrite par l’auteur : un symbole d’espoir, d’accomplissement. Entendons-nous. J’ai eu froid dans le dos spécialement avec des slogans aussi noirs et triviaux : *Vous avez raté votre vie, avec nous vous réussirez votre mort* (Extrait)

Mais le développement du récit et surtout la raison de vivre d’Alan a donné à l’ensemble une éthique fort acceptable. Le sujet reste délicat et pourrait ne pas plaire à tous. En ce qui me concerne, malgré la finale qui m’a ébranlé, j’ai trouvé le tout très intéressant.

Vous serez comme moi, porté sans doute à suivre l’évolution d’Alan. Non seulement il est attachant, drôle et spontané (l’auteur le fait même zozoter) mais c’est le petit mouton qui va changer le monde. On dirait que l’auteur met le doigt sur un bobo guérissable. LE MAGASIN DES SUICIDES pourrait bien être un hommage à tous les petits Alan du monde…

Suggestion de lecture : TREIZE RAISONS, de Jay Asher

Jean Teulé est un romancier français aux multiples facettes. Homme de télévision, dessinateur, comédien, cinéaste et surtout écrivain, il est le compagnon de l’actrice Miou-Miou. Né le 26 février 1953 à Saint-Lô, Jean Teulé ne se prédestinait pas vraiment à une carrière littéraire et pourtant, il a signé de nombreux scénarios de bandes dessinées, et plusieurs romans dont DARLING, la touchante biographie d’une naufragée de la société. Le magasin des suicides a été adapté au cinéma par Patrice Lecomte cinq ans après sa publication.

Image du film LE MAGASIN DES SUICIDES, long métrage musical d’animation franco-belgo-canadien réalisé par Patrice Lecomte et sorti en 2012. Adaptation cinématographique du roman éponyme de Jean Teulé.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le samedi 22 août 2020

GORE STORY, le livre de GILLES BERGAL

*Le commandant était dans un piteux état…
-Commandant ! Je vous croyais à l’agonie.
-Eh bien, tu t’es trompée, et c’est à ton tour
de crever, comme tous ceux que tu as
rassemblés ici… elle chercha une issue, mais
il n’y en avait pas…*
(Extrait : GORE STORY, Gilbert Gallerne, Édition
Objectif Noir, 2015. Édition numérique 115 pages
numériques)

C’est dur de tuer un personnage de roman. Surtout quand le personnage en question est une…tueuse. Fabien Chevriez, auteur de la série BLOODY MARY en fait l’expérience quand, après 37 épisodes sanglants, il décide de se débarrasser de ce personnage et de passer à autre chose. C’est alors qu’un mystérieux fanatique commence à tuer des personnes proches de Chevriez en copiant les manières de BLOODY MARY. Chevriez l’a compris mais il a la tête dure. L’étau se resserre. Avec de l’aide, Fabien tente de résoudre l’énigme pendant que les assassinats s’enchaînent.

Avant-propos

Avant de commenter GORE STORY je veux juste préciser la différence entre deux genres littéraires cousins. D’abord le GORE : d’après l’internaute, le gore est un genre qui privilégie les scènes dans lesquelles le sang coule. Le gore est issu de l’horreur.

À ce sujet, Wikipédia est beaucoup plus direct et inspiré en disant que le gore est un sous-genre caractérisé par des scènes extrêmement sanglantes et très explicites dont l’objectif est d’inspirer au spectateur le dégoût, la peur, le divertissement ou le rire.

Le genre TRASH est différent. TRASH est un terme familier emprunté à l’anglais qui désigne quelque chose de sale, similaire à un déchet ou une ordure. Par extension, une histoire trash est plus que médiocre, de très mauvaise qualité ou vulgaire. D’après Wikipédia, une action, une œuvre, voire une personne, sale, répugnante ou moralement malsaine. Je vous ai déjà parlé de la littérature neurasthénique du Marquis de Sade.

Son livre LES 120 JOURNÉES DE SODOME est un excellent exemple d’œuvre TRASH, tout comme 18 MEURTRES PORNO DANS UN SUPERMARCHÉ de Philippe Bertrand, ou encore comme le nullissime BAISE MOI au cinéma, le désormais célèbre navet de Virginie Despentes et Coralie Thrin Thi.

GORE STORY est un livre du genre GORE comme LE RÉVEIL DES MORTS VIVANTS de John Russo, ou HERBERT WEST RÉANIMATEUR du grand HP Lovecraft… encore étonnant qu’à l’origine, GORE STORY ait été édité aux éditions TRASH.

UN AUTEUR TUE SA TUEUSE
*-Hier un type est venu me reprocher davoir
fait mourir mon personnage. Il m
a menacé,
Noémie est intervenue, ils se sont disputés,
et il a fini par se mutiler avant de disparaître.*
(Extrait : GORE STORY)

Je n’ai jamais été un amateur de gore et ce n’est pas le livre de Bergal qui m’a réconcilié avec le genre. Je trouve toutefois intéressant de voir évoluer une histoire dans laquelle un romancier tue son personnage principal, Bloody Mary, après lui avoir fait couler le sang aux gallons sur 37 livres. Je m’attendais à une touche d’originalité, je n’en ai pas trouvé. J’y ai noté toutefois certaines qualités qui plaisent dans les circonstances.

Par exemple l’humour…il sera soit noir soit coquin, mais on en trouve beaucoup dans GORE STORY : *…Marguerite voyait tout et son cerveau fonctionnait à merveille. Il y avait longtemps qu’elle avait repéré la complicité entre l’auteur et l’attachée de presse et elle avait eu vite fait d’additionner deux et deux pour trouver soixante-neuf.* (Extrait)

Dans ce livre l’humour noir arrache des sourires et peut aussi générer des frissons : *En deux ou trois coups, la tête partit vivre sa vie de son côté tandis que le reste du corps demeurait allongé façon Louis XVI sur la table LOUIS XV.* (Extrait)

Intéressante aussi est la façon dont Bergal insère l’humour en tournant les phrases de façon rythmique à grand renfort de jeux de mots : *La nuit noyait les lieux comme une nappe de néant où n’entrait nul néon mais quelques noctambules noctambulaient néanmoins nonobstant la noirceur nocturne…* (Extrait) Autant de tournures de phrases qui sont rythmiques en effet mais qui ne veulent pas dire grand-chose.

En général, les livres du genre GORE ne sont pas très longs et sont extrêmement violents, le sang coulant à flot. Dans Gore story, ne manquerait qu’un vampire pour tout nettoyer (si je veux prendre mon tour de faire une blague douteuse).

L’auteur aurait pu innover tout en restant dans le genre. Malheureusement, ce n’est pas le cas, sur le plan littéraire Gore story présente beaucoup de lacunes comme d’ailleurs les autres histoires gore que j’ai lues dans les dernières années. L’aspect policier/enquête est sous-développé. D’ailleurs la trame en général est sous-développée.

Une fois qu’un meurtre est commis, on dirait que l’auteur expédie sa petite cuisine pour passer plus vite au meurtre suivant. À partir des trois quarts du livre, on sent l’essoufflement de l’auteur jusqu’à la finale qui est carrément catapultée sans oublier l’écrivain Fabien Chevriez qui fait copain-copain avec la commandant de police. C’est d’un kitch absolu.

Enfin, il n’y a pas d’émotion dans cette histoire comme dans Jason ou Freddy au cinéma. Dans GORE STORY, Fabien Chevriez perd ses amis un par un avec un détachement choquant. Je ne crois pas vraiment que le gore soit hermétique au changement. C’est l’auteur qui en décide. GORE STORY est saturé de rouge et ça s’arrête là. Heureux de passer à autre chose.

Suggestion de lecture : DREAMWALKERS, d’Alain Lafond

Gilles Bergal est un Pseudonyme de Gilbert Gallerne. Il est né en 1954, est un écrivain français de roman policier, lauréat du Prix du Quai des Orfèvres 2010. Banquier de profession, il a été critique littéraire et a traduit plusieurs best-sellers américains. Le fantastique est son genre littéraire préféré. Sous son pseudonyme, il a publié plusieurs nouvelles, des romans d’horreur et sous le nom de Milan, il a publié le cycle ANTICIPATION. Il publie maintenant sous son vrai nom chez Fleuve Noir. Il collabore régulièrement à une revue consacrée à l’écriture. Dans sa chronique intitulée ÉCRIRE, il donne de judicieux conseils aux jeunes auteurs émergents.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 14 décembre 2019

 

MORT AUX CONS, livre de CARL ADERHOLD

*Je savais enfin contre qui je me battais. J’avais enfin mis un nom sur leur visage. Le con. M’écriais-je, voilà l’ennemi! (Extrait : MORT AUX CONS, Carl Aderhold, Hachette 2007, rééd. Fayard 2011. 687 pages)

Soucieux de développer une société meilleure basée sur le respect, l’entraide et l’empathie, un homme décide simplement de partir en guerre contre la connerie et d’éliminer une race d’humains qui prolifère un peu trop à son goût : Les cons. Ne réussissant pas à arrêter une définition claire et nette du con typique, il extermine ici et là tous ceux qui l’embêtent ou qui l’ennuient. Le livre prend un peu la forme d’un mode d’emploi …

TUEUR DE CONS EN SÉRIE

*J’avais l’impression d’être un super-héros qui
vient de découvrir ses superpouvoirs. Littéralement,
je planais au-dessus des choses. Le simple fait de
savoir qu’il existait…une possibilité rapide de
mettre fin à toute nuisance, me procurait un
sentiment de complet détachement vis-à-vis des
contingences…ma démarche est une vraie
démarche scientifique.
(Extrait : MORT AUX CONS)

Au début l’auteur peint le tableau d’un couple normal devant sa télévision où la chatte de la voisine vient se faire câliner. Christine va se coucher, l’homme reste à regarder une émission et se fait mordre par le petit animal. Il décide tout bonnement de la jeter par la fenêtre (4° étage). Elle meurt.

Le lendemain, une solidarité se développe vis-à-vis de la maîtresse. Le personnage principal veut voir le retour de l’amitié, plus de contact, de solidarité…. Il extermine donc tous les animaux domestiques du voisinage.

Au début sa technique marche mais très vite des clans se forment et se disputent. Il est sur le point de se faire démasquer par la concierge, il la tue donc. C’est à ce moment-là que sa lutte contre les cons commence. Il décide de trouver une théorie pour ne pas faire d’erreur mais il ne parvient pas à trouver quelque chose de stable.

Il extermine tous ceux qui l’ennuie, d’où il tue « pour un oui et un non » sans raison bien valable à part que la personne ne lui convient pas au niveau caractère. Il ne se prend pas pour un tueur jusqu’à ce qu’un flic vienne l’arrêter et c’est sa peur de la prison qui lui fait faire son geste. Par la suite il essaye de faire comprendre à l’opinion son combat et d’être légitimé.

Je n’apprécie pas du tout le style de l’auteur, même le but de son ouvrage est négatif. Les tueries sont toutes les fois très répétitives. Il nous peint un personnage peu tolérant, égoïste, qui veut être seul au monde … Heureusement qu’il n’existe personne avec un caractère aussi négatif, même un sérial killer me paraît plus sympathique.

On ne retient rien de sa théorie sur les cons, il ne créait rien de bien nouveau. Je suis même choqué qu’un personnage aussi peu tolérant existe dans un roman en effectuant autant de meurtres aussi facilement.

Du coup, je n’ai absolument rien retiré de cet ouvrage (même peu de distraction), aucune théorie, aucune fable rien . Peut-être n’ai-je pas compris mais j’en doute, le sens réel de ce livre !!!!

Carl Aderhold est un écrivain français né dans l’Aveyron en 1963. Fils de comédiens, il a poursuivi des études d’histoire avant de se spécialiser dans la littérature du XVIIIe siècle. Il est actuellement directeur éditorial chez Larousse dans le domaine des sciences humaines. MORT AUX CONS est son premier livre publié en 2007. Ont suivi : LES POISSONS NE CONNAISSENT PAS L’ADULTÈRE en 2010 et FERMETURE ÉCLAIR en 2012.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 11 mars 2018

LIVRE DE SANG, l’oeuvre de CLIVE BARKER

*Pour quelle raison les puissances des ténèbres (qu’elles tiennent une cour éternelle! Qu’elles chient éternellement leur lumière sur la tête des damnés!) L’avaient dépêché de l’enfer pour tourmenter Jack Polo, voilà ce que le cacophone ne parvenait pas à découvrir.* (Extrait : LIVRE DE SANG, titre original : BOOK OF BLOOD volume 1, Clive Barker, t.f. Alabin Michel, 1987. Édition numérique 185 pages)

LIVRE DE SANG est le premier d’une série de 6 recueils de nouvelles et portant le titre de la série. Les récits plongent le lecteur dans un univers gore où se côtoient le normal et le paranormal. Dans la première, on suit l’expérience de Simon McNeal, un escroc de petite envergure qui se fait passer pour un médium. Mais son escroquerie se retourne contre lui et McNeal devient victime de toute cette horde de morts qu’il a invoqués. C’est ainsi que des livres de sang vont s’imprimer sur sa chair. Les nouvelles sont sans liens entre elles mais elles ont toutes un point en commun : des scènes et des situations d’une horreur sans nom…

Gore…riens de moins
*Il connaissait les victimes et il connaissait
les garçons. Il ne s’agissait pas de débiles
incompris mais de créatures aussi vives,
féroces et amorales que les lames de
rasoir dissimulées sous leurs langues. Ils
n’en avaient rien à faire des sentiments,
ils voulaient juste sortir…
(Extrait : LIVRE DE SANG)

LIVRE DE SANG est une trouvaille au sujet original. Pour bien saisir l’originalité de l’ensemble, il faut d’abord se concentrer sur la première nouvelle qui porte le titre de la série.

C’est l’entrée en matière qui m’a plongé dans des mondes glauques et gores. Cette première nouvelle suit l’expérience de Simon McNeal qui se dit médium mais qui n’est rien d’autre qu’un petit escroc. Les fantômes invoqués jugent que l’escroquerie de McNeal est punissable et décide d’imprimer leur histoire dans sa chair. C’est ainsi que McNeal devient LIVRE DE SANG.

Je ne peux pas détailler vraiment les nouvelles sans nuire à l’effet de surprise. Je peux dire toutefois que j’ai été happé par chaque nouvelle, heureuse victime d’une écriture puissante, bénéficiant en plus d’une excellente traduction.

J’avais entendu parler de Clive Barker. Pour ce que j’en savais, je le comparais un peu à Stephen King, Edgar Allan Poe ou Doug Bradley. Pendant la lecture, c’est avec bonheur que j’ai constaté que le style se rapprochait plus d’un géant que j’adore : H.P. LOVECRAFT (1890-1937) dont le livre LES MONTAGNES HALLUCINÉES m’avait fortement impressionné.

Chaque nouvelle est empreinte d’opacité et d’horreur, mais une horreur dosée et manipulée de façon à garder le lecteur dans le coup, lui retirant l’envie de fermer le livre. Il y a même une place pour l’humour. Il y a aussi des passages où le lecteur pourrait ressentir du dégoût. L’épouvante est présente partout, mais c’est bien écrit et surtout très bien dosé. Comme vous voyez, il y en a un peu pour tous les goûts.

Il y a pour chaque nouvelle un fil conducteur qui est aussi le reflet de l’ensemble de la saga et ce fil n’est pas sans ébranler ou tout au moins porter à la réflexion ceux et celles qui croient aux sciences paranormales, à savoir que les morts regrettent d’être morts et reviendraient volontiers dans une enveloppe de chair, pour repartir à zéro peut-être, éviter les erreurs déjà commises ou finir une mission…allez savoir.

Je recommande ce livre, spécialement aux consommateurs de littérature de l’imaginaire. La plume de Barker est superbe. Ça ne vous laissera pas indifférent. La série porte extrêmement bien son titre. Vous verrez très vite pourquoi…

Suggestion de lecture : MÉTRO 2033, livre de DMITRY GLUKHOVSKY

 LA SÉRIE *LIVRE DE SANG*

C L I V E   B A R K E R

Clive Barker est un romancier anglais né à Liverpool en 1952. Il est aussi dramaturge, scénariste de bandes dessinées, peintre et cinéaste. À ce dernier titre, il a réalisé et scénarisé en 1988, le film HELLRAISER LE PACTE, un film d’épouvante inspiré d’une de ses nouvelles. Suite à ses études en littérature anglaise et en philosophie, Barker écrit d’abord des pièces de théâtre, puis sort son premier roman LE JEU DE LA DAMNATION en 1985.

Plus de 25 livres suivront, sans compter les films réalisés ou scénarisés. Son parcours comprend quelques chefs-d’œuvre dont IMAJICA publié en 1991. Au moment d’écrire ces lignes, Clive Barker, qui ne cache pas son homosexualité, vit à Los-Angeles avec David E. Armstrong.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
le dimanche 4 juin 2017

PEURS SUR LA VILLE, un collectif de six nouvelles

*Je traverse l’avenue de Paris entre divers
commerçants régalant leurs clients à coups
de hache dans la tronche…les agents de
police sautent à la gorge des mauvais
conducteurs. Les écoliers découpent la
maîtresse. Que de réjouissances…*
(Extrait : BIEN CRU CHEZ LES CH’TIS de
Giovanni Portelli, du recueil PEURS SUR LA
VILLE, publié en 2013 chez Storylab Editions.
95 pages. Édition numérique seulement,
collection Youboox)

PEURS SUR LA VILLE est un recueil de six nouvelles de type *légende urbaine* :
SAIGNONS SOUS LA PLUIE d’Antoine Lefranc, BIEN CRU CHEZ LES CH’TIS de Giovanni Portelli, SORTIE DE ROUTE de Béatrice Galvan, SEPT MINUTES de Julien Banon, LE FRUIT DE CES ENTRAILLES d’Olivier Caruso et LA MONNAIE DES MALFAISANTS de Drims. Ce recueil est le résultat d’un concours d’écriture organisé en 2013 par Storylab et Welovewords et qui a réuni 150 participations sous le thème HORREUR EN MILIEU URBAIN. Il s’agit d’une initiative essentiellement numérique. 

ÉPOUVANTE URBAINE
*-Chopez-la! Cria quelqu’un.
Alors elle les entendit fondre sur elle.*
(Extrait : SEPT MINUTES
du recueil PEURS SUR LA VILLE)

Je ne croyais pas en arriver là un jour, mais aujourd’hui, je vous parle d’une initiative littéraire essentiellement numérique. Je préciserai tout de même que j’ai un faible pour le livre de papier…j’aurai toujours un faible pour les livres de papier. Mais bon, sauver des arbres, limiter la pollution n’est pas pour me déplaire non plus. Sans jeu de mot, je suis un peu déchiré. Mais l’important n’est-il pas de lire? Peu importe le support utilisé…

Toujours est-il que, de cette initiative, six récits ont été déclarés les meilleurs parmi 150 participants sous un thème cher à une considérable quantité de lecteurs : les légende urbaines, un thème déjà abondamment développé dans la littérature et au cinéma. Il est difficile d’être objectif n’étant pas moi-même friand de légendes urbaines.

Les récits sélectionnés n’apportent pas vraiment grand-chose de neuf au thème des légendes urbaines. Il serait intéressant de répéter l’expérience sous des thèmes qui se prêtent davantage à l’innovation : société, psychologie, anticipation, fantastique par exemple.

Cependant, le recueil a des forces intéressantes : les histoires sont courtes et ont la capacité de pousser le lecteur à l’émotion, c’est-à-dire à transposer ses pires cauchemars dans le réel : un réel urbain…rue, métro, parc et même internet comme c’est le cas de SAIGNONS SOUS LA PLUIE d’Antoine Lefranc, la première nouvelle du recueil qui mérite fort bien son titre et qui rappelle un peu LE PROJET BLAIR.

Donc pour faire l’essai d’une expérience numérique (issue d’une longue et enrichissante démarche créatrice), PEURS SUR LA VILLE est un recueil intéressant réunissant six formats courts, accrocheurs, dotés d’un certain humour. Le style n’offre aucune nouveauté qui se démarque, mais vous pourriez apprécier, spécialement si vous êtes amateur d’histoire d’horreur en milieu urbain.

Je n’ai pas été emballé personnellement mais tout de même j’ai été impressionné par l’incroyable démarche qui a abouti à ce recueil et qui est résumée sur www.presseedition.fr  L’initiative est conforme à une nouvelle tendance de lecture faisant appel aux tablettes, smartphones, lecteurs numériques. C’est l’évolution, mais au moins on lit…ça ne m’empêche pas de retourner au papier quand j’en ai le goût, ce qui se produit assez souvent.

Suggestion de lecture : un autre recueil de nouvelles, CRIMES À LA LIBRAIRIE

Les 6 lauréats de PEURS SUR LA VILLE
Édition 2013

Ligne du haut, de gauche à droite : Antoine Lefranc, Giovanni Portelli, Béatrice Galvan,
ligne du bas, de gauche à droite, Olivier Caruso (qui préférait être vu comme ça),  Julien Banon et Drims.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
25 septembre 2016

MICHAEL GUINZBURG, L’IRREMPLAÇABLE EXPÉRIENCE…

DE L’EXPLOSION DANS LA TÊTE

Sept paires de bras qui se lèvent,
Sept nez qui saignent,
Sept paires d’oreilles qui crachent du sang,
Sept yeux qui gonflent,
Sept yeux qui giclent, volent, roulent
Et…mort,
Il n’y a pas de quoi être fier,
Il faut que j’aille à la fête ce soir!
(extrait de *L’IRREMPLAÇABLE EXPÉRIENCE DE
L’EXPLOSION DANS LA TÊTE* , Michael Guinzburg,
Gallimard, 1997)

Le théâtre des évènements est Cashampton, petite ville balnéaire américaine où a vécu Jackson Pollock, artiste-peintre excentrique, ivrogne en particulier, dépravé et cinglé en général.

La ville est aux prises avec un mal étrange qui atteint de plus en plus de gens et qui commence par de violentes crises de hoquets, puis du sang qui gicle des oreilles jusqu’aux yeux arrachés de leur orbite…des morts violentes et horribles dignes des plus sombres histoires d’horreur.

Quarante ans après la mort de l’artiste *fêlé* Pollock, un journaliste, Roger Lymon se prépare à écrire une biographie du célèbre personnage. Il enquête donc à Cashampton auprès de personnages pour la plupart excentriques du monde de l’art et qui ont tous eu un certain lien avec Jackson Pollock. Ses découvertes auront de quoi surprendre…entre autres, les raisons pour lesquelles des têtes explosent…

Né à New-York le 10 septembre 1958, Michael Guinzburg est le parfait homme à tout faire. Il a été plongeur, cuisinier, coursier, garde du corps de strip-teaseuse, chauffeur de poids-lourds, télégraphistes, détective, fleuriste et j’en passe. Il a écrit entre autres deux romans chez Gallimard, collection La Noire : L’IRREMPLAÇABLE EXPÉRIENCE DE L’EXPLOSION DANS LA TÊTE et ENVOIE-MOI AU CIEL SCOTTY.

 

Sans être un chef d’œuvre de style, c’est un livre intéressant que j’ai apprécié, mais j’ai dû surmonter quelques irritants, par exemple la quantité impressionnante de personnages qui interviennent dans l’histoire, avec des noms composés compliqués. Il faut vraiment se concentrer pour ne pas s’y perdre. Il y a aussi le fait que le langage du livre est d’une crudité parfois déconcertante.

Guinzburg y est allé très fort à ce chapitre et c’est sans compter un audacieux étalement d’obscénités sexuelles.  Mais les forces du livres sont indéniables : l’écriture est intense, riche en dialogues et l’humour qui teinte l’œuvre est très très noir. Même dans la description de ses scènes d’épouvante, l’auteur est parvenu à me faire sourire, sinon rire.

Autre élément intéressant et qui n’est pas pour me déplaire : l’auteur tourne en dérision le monde de l’art par des propos, des observations et des dialogues parfois très acides et il en fait autant d’ailleurs sur l’extravagance des riches. Voici un extrait qui illustre mon propos : 

…* Le fond de la piscine de Terry était tapissé de sculptures et de toiles sous enveloppes étanches, et des invités équipés d’un masque et d’un tuba plongeaient, afin d’examiner les œuvres de près, tandis que leurs chéquiers et leurs bijoux, réunis dans des sacs en plastique, se trouvaient sur des chaises longues.*

C’est tout le livre en fait qui est une réflexion sur le monde de l’art (ce qui amène une certaine dilution de l’intrigue) qu’il devient difficile de prendre au sérieux.

À lire si vous ne craignez pas le ridicule, l’humour noir et un contexte plutôt débridé. Avec ce livre de Guinzburg, j’ai fait diversion dans mes lectures. Aucun regret…

Suggestion de lecture : L’INSOMNIE de Tahar Ben Jelloun

BONNE LECTURE

Claude Lambert
SEPTEMBRE 2013