IL PLEUVAIT DES OISEAUX, Jocelyne Saucier

*…où il sera question de grands disparus, de pacte
de mort qui donne son sel à la vie, du puissant
appel de la forêt et de l’amour qui donne aussi
son prix à la vie…*
(Extrait : IL PLEUVAIT DES
OISEAUX, Jocelyne Saucier, à l’origine, XYZ éditeur,
179 pages, 2011. version audio : Audible studios
éditeur, 2018. Durée d’écoute : 4 heures 57 minutes,
narrateurs : Jacques Clermont et Dominique Petin.)

Une photographe du Herald Tribune part réaliser un reportage sur la région du Témiscamingue, dont les forêts ont été ravagées par de gigantesques incendies au début du XXe siècle. Elle y trouve une communauté de marginaux fantasques et solitaires, dont Tom et Charlie, deux vieillards qui ont survécu à l’incendie et vivent en ermites au fond des bois. D’abord méfiants puis déterminés à aider la photographe dans son enquête, les deux hommes voient leur quotidien chamboulé.

Et, soudain, lorsqu’arrive Marie-Desneiges, octogénaire énigmatique tout juste échappée de sa maison de retraite, la vie, puis contre toute attente l’amour, reprend peu à peu ses droits.

Poétique et vert
*Dans son visage tout ridé, il y avait la peur
et la fascination de la peur. D’un mince doigt
gracile, elle a désigné le monstre empaillé de
fureur blonde. Elle n’avait aucune idée de ce
que c’était…  *
(Extrait)

C’est un roman d’une belle profondeur, bien bâti et fortement imprégné de douceur, de chaleur et d’émotion et avec, comme toile de fond les incendies de forêts les plus meurtriers de l’histoire du Canada au début du XXe siècle, incendies qui ont détruit de gigantesques espaces dans le nord de l’Ontario jusqu’à Cochrane et Matheson, touchant durement une partie de l’Abitibi-Témiscamingue.

Une photographe du Herald est chargée de se rendre à Matheson pour recueillir les témoignages d’hommes et de femmes qui sont devenus aujourd’hui des vieillards. Elle veut particulièrement recueillir les propos de trois vieillards, Tom et Charlie mais le troisième, Boychuck n’est plus là,  Il est mort. Pourtant, ce sera le personnage qui induira le plus d’empathie dans le récit de Jocelyne Saucier…

Boychuk, 14 ans au moment des grands feux et qui, agressé par les flammes et la fumée, aveugle, marche et cherche son amoureuse avec l’énergie du désespoir. Il faut voir et entendre comment la photographe bouleversera la vie des vieillards. Et voilà qu’arrive le personnage le plus énigmatique et le plus original de l’histoire.

Marie-Desneiges a 82 ans. Libérée après 66 ans à l’asile et elle se souvient…elle se souvient qu’il pleuvait des oiseaux. En tant qu’auditeur, une brise chaude est venue m’envelopper. C’est le caractère humain du récit qui est surtout venu me chercher.

C’est ainsi que le récit, assis sur un inimaginable drame humain et environnemental devient une chronique des souvenirs de vieillards, des hommes qui ont choisi la forêt pour y vivre et mourir au moment qu’eux-mêmes auront choisi.

Le récit développe les difficultés et les misères de la vieillesse vivant à l’écart de la Société bien sûr, mais aussi l’amour, continuellement mis en attente et qui est pourtant ardent, spécialement dans le coeur de Boychuck que j’ai trouvé particulièrement attachant. J’irai plus loin en disant que l’auteur jette un regard critique sur notre Société et ses vieux et ses vieilles qui donnent parfois l’impression d’être dans une voix de garage.

À cet effet, j’ai beaucoup apprécié la plume de l’auteur, exempte de jugements, de propos moralisateurs et de philosophie bon marché. Il pleuvait des oiseaux est un hommage à la vie et à la liberté. C’est aussi une réflexion sur les choix qu’imposent une fin de vie. ll y a beaucoup d’émotion dans l’histoire.

Quand j’ai entendu qu’il pleuvait des oiseaux, j’ai eu un long frisson tout le long du dos et jusqu’au coeur. L’auteur m’a figé et elle m’a emmené où elle voulait. À l’audition, vous ne tarderez pas à saisir le sens du titre. Et là, l’addiction vous guette.

C’est une belle histoire, émouvante et sensible. J’y note très peu de faiblesse à part peut-être la question du choix de la mort, le choix du moment, le choix de la façon, le poison en particulier. La fin de vie est abordée avec une légèreté un peu irritante.

Finalement, une introduction un peu longue, teintée d’indécision et une finale qui m’a semblé un peu expédiée. Entre les deux, un récit addictif avec un un fil conducteur solide que symbolise le courageux Boychuck. La beauté de l’écriture est à la limite de la poésie.

<Tout est là, ce pétillement de lumière rose dans les yeux d’une petite vieille qui s’amuse avec son âge et cette image d’une pluie d’oiseaux sous un ciel noir…séduite et intriguée par toutes ces vieilles personnes qui avaient la tête peuplée des mêmes images, la photographe… en était venue à les aimer plus qu’elle n’aurait cru. >  Extrait…

L’écoute n’est pas trop longue et j’ai trouvé la narration de Jacques Clermont et Dominique Petin très agréable même si je me suis questionné sur la nécessité de mettre deux voix là-dessus. Enfin, je crois que je vais me rappeler longtemps de ce livre. J’ai vu le film aussi, je ne ferai pas de commentaire sur l’adaptation à part que je préfère de loin le livre audio.

Suggestion de lecture : LES MONDES CACHÉS, bande dessinée de Denis-Pierre Filippi et Silvio Camboni

IL PLEUVAIT DES OISEAUX au cinéma

IL PLEUVAIT DES OISEAUX a été adapté à l’écran en 2019. Scénarisé et réalisé par Louise Archambault, Le film réunit à l’écran Andrée Lachapelle, Gilbert Sicotte Rémy Girard, Ève Landry, Éric Robidoux et Louise Portal. Prod. : Ginette Petit

Jocelyne Saucier est romancière. Ses trois premiers romans, La vie comme une image (finaliste, Prix du Gouverneur général), Les héritiers de la mine (finaliste, prix France-Québec) et Jeanne sur les routes (finaliste, Prix du Gouverneur général et prix Ringuet) ont été chaleureusement accueillis par la critique.

Il pleuvait des oiseaux, son ode à la liberté parue en 2011, lui a valu de nombreux prix et a conquis le cœur d’un très vaste public en une quinzaine de langues, en plus d’avoir fait l’objet d’une adaptation au cinéma par Louise Archambault.

 

Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 1er octobre 2022

L’INSOMNIE, le livre de TAHAR BEN JELLOUN

VERSION AUDIO

*J’ai tué ma mère. Un oreiller sur le visage. J’ai appuyé un peu.
Elle n’a même pas gigoté. Elle a cessé de respirer. C’est tout.
Ensuite…j’ai dormi.*
(Extrait : L’INSOMNIE, Tahar Ben Jelloun,
Gallimard éditeur, 2019, papier 272 pages. Version audio : Gallimard
éditeur, 2019, durée d’écoute : 5 heures 52, narrateur : Bernard Gabay.)

« S’il vous plaît…un petit peu de sommeil…un petit peu de cette douce et agréable absence… Une simple échappée, une brève escapade, un pique-nique avec les étoiles dans le noir… »

Grand insomniaque, un scénariste de Tanger découvre que pour enfin bien dormir il lui faut tuer quelqu’un. Sa mère sera sa première victime. Hélas, avec le temps, l’effet s’estompe… Il doit récidiver.

Le scénariste se transforme en dormeur à gages. Incognito, il commet des crimes qu’il rêve aussi parfaits qu’au cinéma. Plus sa victime est importante, plus il dort. Et c’est l’escalade. Parviendra-t-il à vaincre définitivement l’insomnie? Rien n’est moins sûr. Une erreur de scénario, et tout peut basculer.

TUER POUR DORMIR
*Je ne reconnaissais plus rien et j’avais la
conviction de n’avoir tué personne. Pourtant,
simultanément, une nouvelle liste de
candidats à la mort qu’on a hâtée se
dessinait dans mon esprit.
(Extrait)

C’est un roman court mais dense. Il ne bousculera certainement pas la littérature mais son originalité est quand même dérangeante. L’histoire est très simple : un scénariste marocain, le narrateur qui ne se nomme jamais, souffre d’insomnie et découvre que tuer lui procure le sommeil. Il tue sa mère pour l’essai.

*J’ai tué ma mère. Un oreiller sur le visage. J’ai appuyé un peu. Elle n’a même pas gigoté. Elle a cessé de respirer. C’est tout. Ensuite j’ai dormi, longtemps, passionnément. J’ai dû dormir des heures, car j’ai fait de nombreux rêves très beaux, lumineux, colorés, parfumés. (Extrait) Ça fonctionne, mais c’est éphémère. Il devient donc une espèce unique de tueur en série.

Il a l’excuse moralement satisfaisante de tuer des gens en fin de vie, lourdement handicapés ou mourants. Il se qualifie lui-même de *hâteur de mort*. Mais est-ce que ça lui suffira ? Toujours est-il qu’il a besoin de tuer pour accumuler des PCS, c’est-à-dire des ponts crédits sommeil et plus encore, des PCL, soit des points crédits libido.

Dans un environnement textuel exempt de terreur, d’horreur et même de suspense, l’auteur sème la mort tout simplement pour permettre à son héros de dormir et ce, au nom d’une charité dont il a une définition assez singulière.

Ce roman est davantage un mode d’emploi qu’un roman. J’ai senti que l’auteur s’est fait plaisir en dérogeant un peu de son style habituel. Il a eu un éclair de génie et n’a pas vraiment réussi à en faire une histoire qui se tient. Après-tout, y tenait-il vraiment ? Son livre est teinté d’un humour noir, je dirais même tordu.

Son style me rappelle sensiblement celui de Charles Bukovsky en moins recherché et moins alcoolisé…chaotique, tordu, déjanté. Ça n’est pas désagréable à écouter, ça ne doit pas être désagréable à lire non plus mais c’est redondant et ça devient ennuyant. au moins, le roman est court.

C’est le genre de livre qu’on écoute ou qu’on lit avec un certain intérêt mais qu’on oublie vite. L’histoire est non évolutive et il y a beaucoup de passages crus et vulgaires. La narration de Bernard Gabay est passablement dépourvue d’émotion. Ça m’a ennuyé un peu mais je peux comprendre que Gabay ait ajusté sa voix à un récit aussi froid.

Enfin, c’est une histoire sans scénario ni objectif mais elle a le mérite de pousser à la réflexion sur des problèmes qui déchirent la société : la fin de vie, le suicide assisté, l’euthanasie. J’y ai senti une critique de la société, une timidité à aborder les Droits et Libertés. L’auteur met aussi en perspective l’hypocrisie religieuse.

Voilà…attendez-vous à une histoire gardant l’absurde à l’avant-plan et dans laquelle semer la mort juste pour dormir est traité avec une légèreté désarmante.  Là, je me suis réveillé assassin. Je n’inventais plus des histoires, je me mettais à les vivre et à en profiter. Comme par enchantement, j’étais passé de l’écriture à la vie. (Extrait)

Un petit détail en terminant : la presse littéraire a reçu l’ouvrage de Ben Jelloun avec  timidité. J’ai senti une certaine difficulté à classer cet ouvrage atypique : histoire est un bien grand mot. Fable et conte sont des termes souvent utilisés.

Suggestion de lecture : L’IRREMPLAÇABLE EXPÉRIENCE DE L’EXPLOSION DE LA TÊTE, de Michael Guinzburg

Tahar Ben Jelloun naît le 1er décembre 1947 à Fès, au Maroc. Tout en commençant à écrire des poèmes, il enseigne la philosophie en français. En 1971, il publie son premier recueil de poésie, Hommes sous linceul de silence.

La même année, il s’installe à Paris et fera ensuite parler de lui avec la publication de son roman Harrouda, publié en 1973, qui évoque beaucoup la sensualité des femmes, et qui a choqué au Maroc. Mais le roman à l’origine de sa renommée se nomme L’Enfant de sable, publié en 1985. Sa suite La Nuit Sacrée, paraît en 1987 et reçoit le prix Goncourt.

En 1995, son livre pédagogique Le Racisme expliqué à ma fille rencontre un grand succès. Vendu à 400 000 exemplaires, il est traduit en 33 langues, faisant de Tahar Ben Jelloun l’auteur francophone le plus traduit au monde. Son roman L’Ablation mène une réflexion sur la vie et la maladie. En 2019, Tahar Ben Jelloun publie L’Insomnie.

Bonne lecture
Claude Lambert
Janvier 2021