IL NE FAUT PAS PARLER DANS L’ASCENSEUR

Commentaire sur le livre de
MARTIN MICHAUD

*Lorsque les yeux aspirent la mort,
ils ne reflètent que le vide. Je ne
peux me représenter un tel vacuum.*
(Extrait : IL NE FAUT PAS PARLER
DANS L’ASCENSEUR, Martin Michaud,
Coup d’œil éditeur, 2017, 400 pages.
Version audio : Audible Studios éditeur,
2018, durée d’écoute : 9 heures 57.
Narrateur : Louis-Karl Tremblay.)

Après vingt-quatre heures dans le coma, une jeune femme se lance à la recherche d’un homme qui, contre toute attente, ne semble pas exister. Alors que la police de Montréal se concentre sur une étonnante affaire de meurtres dont les victimes sont retrouvées dans des conditions similaires et déroutantes, un chasseur sans merci a choisi d’appliquer sa propre justice, celle où chacun doit payer chèrement pour ses fautes.
Une recherche de la vérité qui révélera trois vies aux destins inattendus et entremêlés. Suivez Victor Lessard, un enquêteur de la police de Montréal tourmenté et rebelle, dans une affaire aux rebondissements troublants

Une vérité pour trois vies
*J’ai inscrit à la hâte sur le bout de papier
les cinq mots qui me carbonisaient l’esprit :
<naturel> <asile> <moi> <mur> <roi>*
(extrait)

Quelle lecture ! Je n’ai jamais vu le temps passer et pour cause…IL NE FAUT PAS PARLER DANS L’ASCENSEUR est un polar nerveux, rythmé et intrigant dans lequel l’auteur a même ajouté une petite touche paranormale. Je vais y revenir. Autre point intéressant. Ce livre est le premier qui met en scène l’inspecteur Victor Lessard d’autres suivront. Je n’ai pas lu les livres dans l’ordre. C’est pourquoi je retrouve, et avec plaisir ce fougueux personnage.

L’intrigue est complexe mais son développement est doté d’un fil conducteur solide qui rend sa lecture confortable et passionnante : un tueur sans pitié décide d’exécuter trois personnes, essentiellement pour appliquer le vieux principe qui veux que chaque personne doit payer pour ses fautes. Les deux premières personnes sont tuées mais dans le cas de Simone Fortin, les choses ne se passent pas comme prévues pour le tueur.

Simone Fortin est happée par la voiture du tueur. Elle passera 24 heures dans le coma et deviendra inatteignable jusqu’à la finale où là encore les choses ne se passeront pas comme prévues pour le chasseur. Celui-ci abandonnera sa voiture avec un cadavre dans le coffre. Cette voiture sera volée par nul autre que le fils de l’inspecteur Victor Lessard, Martin qui fait partie d’un réseau de vols d’autos.

Pour quelles fautes les victimes doivent-elles payer? Victor et ses collègues feront des découvertes étonnantes au cours de l’enquête dont un secret profondément enfoui dans l’esprit de Simone Fortin qui incidemment, fera une expérience de décorporation pendant son coma et développera un sentiment pour un homme appelé Miles, lui aussi dans le coma.

Une rencontre de deux esprits, pas vraiment intimement liée à l’enquête, mais ça ajoute au mystère et ça fait partie d’un lot de surprises et de curiosités comme l’implication de Martin Lessard dans les évènements. Toute l’histoire reposera sur deux éléments:  le mystère entourant le passé de Simone Fortin qui échappe au modus operandi du tueur. et la force de caractère du personnage principal : Victor Lessard.

Victor Lessard est un caractériel, flic jusqu’au bout des ongles, alcoolique abstinent qui se bat contre d’interminables brûlements d’estomac qui le poussent à boire le Pepto-Bismol au goulot. Pratiquement toujours en chicane avec sa hiérarchie, Lessard est souvent victime de son caractère. Il est spontané, parfois brutal. Les qualités du personnage s’imbriquent dans ses défauts. Il a parfois le comportement d’une âme frustrée, privée de sa compagne de vie décédée.

Lessard est capable d’être un parfait mufle et devenir, le temps de se retourner, un gentil nounours gauche et tendre. Il y a des moments dans le récit où il m’a enragé et beaucoup de moments où il m’a fait rire. Mais en tout temps, ce personnage, pépère en apparence, est un opiniâtre, tenace, perspicace…un sympathique têtu. Comment ne pas le trouver attachant.

C’est une excellente histoire. La plume est directe et efficace et la palette de personnage extrêmement intéressante. Ces personnages sont intelligemment développés avec des profils individuels complets. Une toute petite ombre : le lien avec le titre du livre est flou et peu recherché. Il est exposé à deux reprises dans le texte, ce sera à vous de juger.

L’intrigue a un petit caractère déroutant. Elle est entretenue de façon à dévoiler au grand jour l’identité du tueur dans les toutes dernières pages. Le texte donne l’impression de plusieurs récits qui s’imbriquent mais l’auteur a bien soigné la cohérence de l’ensemble et j’ai trouvé le tout crédible. Ajoutons à cela une très bonne narration de Louis-Karl Tremblay.

Un polar comprenant du rythme, de l’action, des rebondissements et même une petite touche de surnaturel…je le recommande sans hésiter.

Suggestion de lecture : LE MYSTÈRE DES JONQUILLES, d’Edgar Wallace

Né à Québec en 1970, Martin Michaud est avocat, musicien, scénariste et écrivain. Lauréat du prix Arthur-Ellis 2012 et du Prix Saint-Pacôme du roman policier 2011, il est qualifié par la critique de « maître du thriller québécois ».

Pour lire mon commentaire sur LA CHORALE DU DIABLE de Martin Michaud, cliquez ici.

Pour lire mon commentaire sur VIOLENCE À L’ORIGINE de Martin Michaud, cliquez ici

VICTOR LESSARD À LA TÉLÉVISION

Victor Lessard est une série télévisée québécoise créée par Martin Michaud d’après ses romans Je me souviens et Violence à l’origine, et mise en ligne depuis le 14 mars 2017 sur le Club Illico, puis à la télévision à partir du 31 janvier 2018 sur addikTV . Patrice Robitaille incarne Victor Lessard. (photo)

Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 10 décembre 2022

L’INSOMNIE, le livre de TAHAR BEN JELLOUN

VERSION AUDIO

*J’ai tué ma mère. Un oreiller sur le visage. J’ai appuyé un peu.
Elle n’a même pas gigoté. Elle a cessé de respirer. C’est tout.
Ensuite…j’ai dormi.*
(Extrait : L’INSOMNIE, Tahar Ben Jelloun,
Gallimard éditeur, 2019, papier 272 pages. Version audio : Gallimard
éditeur, 2019, durée d’écoute : 5 heures 52, narrateur : Bernard Gabay.)

«S’il vous plaît…un petit peu de sommeil…un petit peu de cette douce et agréable absence… Une simple échappée, une brève escapade, un pique-nique avec les étoiles dans le noir…»

Grand insomniaque, un scénariste de Tanger découvre que pour enfin bien dormir il lui faut tuer quelqu’un. Sa mère sera sa première victime. Hélas, avec le temps, l’effet s’estompe… Il doit récidiver.

Le scénariste se transforme en dormeur à gages. Incognito, il commet des crimes qu’il rêve aussi parfaits qu’au cinéma. Plus sa victime est importante, plus il dort. Et c’est l’escalade. Parviendra-t-il à vaincre définitivement l’insomnie? Rien n’est moins sûr. Une erreur de scénario, et tout peut basculer.

TUER POUR DORMIR
*Je ne reconnaissais plus rien et j’avais la
conviction de n’avoir tué personne. Pourtant,
simultanément, une nouvelle liste de
candidats à la mort qu’on a hâtée se
dessinait dans mon esprit.
(Extrait)

C’est un roman court mais dense. Il ne bousculera certainement pas la littérature mais son originalité est quand même dérangeante. L’histoire est très simple : un scénariste marocain, le narrateur qui ne se nomme jamais, souffre d’insomnie et découvre que tuer lui procure le sommeil. Il tue sa mère pour l’essai.

*J’ai tué ma mère. Un oreiller sur le visage. J’ai appuyé un peu. Elle n’a même pas gigoté. Elle a cessé de respirer. C’est tout. Ensuite j’ai dormi, longtemps, passionnément. J’ai dû dormir des heures, car j’ai fait de nombreux rêves très beaux, lumineux, colorés, parfumés. (Extrait) Ça fonctionne, mais c’est éphémère. Il devient donc une espèce unique de tueur en série.

Il a l’excuse moralement satisfaisante de tuer des gens en fin de vie, lourdement handicapés ou mourants. Il se qualifie lui-même de *hâteur de mort*. Mais est-ce que ça lui suffira ? Toujours est-il qu’il a besoin de tuer pour accumuler des PCS, c’est-à-dire des ponts crédits sommeil et plus encore, des PCL, soit des points crédits libido.

Dans un environnement textuel exempt de terreur, d’horreur et même de suspense, l’auteur sème la mort tout simplement pour permettre à son héros de dormir et ce, au nom d’une charité dont il a une définition assez singulière.

Ce roman est davantage un mode d’emploi qu’un roman. J’ai senti que l’auteur s’est fait plaisir en dérogeant un peu de son style habituel. Il a eu un éclair de génie et n’a pas vraiment réussi à en faire une histoire qui se tient. Après-tout, y tenait-il vraiment ? Son livre est teinté d’un humour noir, je dirais même tordu.

Son style me rappelle sensiblement celui de Charles Bukovsky en moins recherché et moins alcoolisé…chaotique, tordu, déjanté. Ça n’est pas désagréable à écouter, ça ne doit pas être désagréable à lire non plus mais c’est redondant et ça devient ennuyant. au moins, le roman est court.

C’est le genre de livre qu’on écoute ou qu’on lit avec un certain intérêt mais qu’on oublie vite. L’histoire est non évolutive et il y a beaucoup de passages crus et vulgaires. La narration de Bernard Gabay est passablement dépourvue d’émotion. Ça m’a ennuyé un peu mais je peux comprendre que Gabay ait ajusté sa voix à un récit aussi froid.

Enfin, c’est une histoire sans scénario ni objectif mais elle a le mérite de pousser à la réflexion sur des problèmes qui déchirent la société : la fin de vie, le suicide assisté, l’euthanasie. J’y ai senti une critique de la société, une timidité à aborder les Droits et Libertés. L’auteur met aussi en perspective l’hypocrisie religieuse.

Voilà…attendez-vous à une histoire gardant l’absurde à l’avant-plan et dans laquelle semer la mort juste pour dormir est traité avec une légèreté désarmante.  Là, je me suis réveillé assassin. Je n’inventais plus des histoires, je me mettais à les vivre et à en profiter. Comme par enchantement, j’étais passé de l’écriture à la vie. (Extrait)

Un petit détail en terminant : la presse littéraire a reçu l’ouvrage de Ben Jelloun avec  timidité. J’ai senti une certaine difficulté à classer cet ouvrage atypique : histoire est un bien grand mot. Fable et conte sont des termes souvent utilisés.

Suggestion de lecture : L’IRREMPLAÇABLE EXPÉRIENCE DE L’EXPLOSION DE LA TÊTE, de Michael Guinzburg

Tahar Ben Jelloun naît le 1er décembre 1947 à Fès, au Maroc. Tout en commençant à écrire des poèmes, il enseigne la philosophie en français. En 1971, il publie son premier recueil de poésie, Hommes sous linceul de silence.

La même année, il s’installe à Paris et fera ensuite parler de lui avec la publication de son roman Harrouda, publié en 1973, qui évoque beaucoup la sensualité des femmes, et qui a choqué au Maroc. Mais le roman à l’origine de sa renommée se nomme L’Enfant de sable, publié en 1985. Sa suite La Nuit Sacrée, paraît en 1987 et reçoit le prix Goncourt.

En 1995, son livre pédagogique Le Racisme expliqué à ma fille rencontre un grand succès. Vendu à 400 000 exemplaires, il est traduit en 33 langues, faisant de Tahar Ben Jelloun l’auteur francophone le plus traduit au monde. Son roman L’Ablation mène une réflexion sur la vie et la maladie. En 2019, Tahar Ben Jelloun publie L’Insomnie.

Bonne lecture
Claude Lambert
Janvier 2021

FAUX-SEMBLANTS, le livre de JEFF ABBOTT

*« Je regrette mais je dois le faire. J’ai besoin de
le faire» répondit le «Saigneur». Il sortit le poignard
de son fourreau et le glissa sous son siège. Il avait
pris soin de le nettoyer et de l’affûter, après sa
dernière utilisation. *
(Extrait : FAUX-SEMBLANTS, Jeff Abott, édition Le Cherche
Midi, éd. Or. 2004, édition numérique, 370 pages)

Lorsque le fils d’un sénateur, Peter James, devenu star du porno, revient dans sa ville natale du Texas, rien de bon n’est à prévoir. Il est d’ailleurs retrouvé mort dans un yacht du Port Leo. Tout porte à croire que c’est un suicide par balle dans la bouche.  Tout porte à croire ?? En fait, c’est pas aussi simple. Whit Mosley et Claudia Salazar chargés de l’enquête ne sont pas au bout de leur peine et vont dangereusement affronter un tueur pervers et manipulateur. Avec FAUX-SEMBLANTS, l’auteur Jef Abbott nous garantit le retour récurrent de Mosley et Salazar.

LES VISAGES DE L’AMÉRIQUE
*Whit pensait qu’elle s’avilissait en travaillant
dans le porno, que dirait-il s’il voyait ce qui
lui arrive maintenant? Il comprendrait alors
ce qu’est vraiment l’abjection. >
Extrait

Au départ, je croyais avoir affaire à la petite lecture légère d’un format de poche, genre salle d’attente. C’est plus que cela. En fait, j’ai creusé ma tête de lecteur pour comprendre la démarche du juge Whit Mosley et tenter de me mettre à sa place pour décider entre autres de la nature du décès de Pete Hubble. Il a toutes les apparences d’un suicide.

Mais un doute persiste et devient même pernicieux à un moment où l’enquête du juge prend un tournant comportant danger de mort. Pour développer son enquête Abbott a créé des personnages un peu particuliers : Whit Mosley : devenu juge par accident, vieux garçon un peu aventurier, au look tape-à-l’œil, ne se prend pas au sérieux mais il reste consciencieux et se débat avec courage dans l’enquête la plus complexe de son mandat.

Autre personnage intéressant : la victime, Pete Hubble, une star de la porno, tourmenté par la mort de son frère Corey Hubble sur lequel il décide de tourner un film…sérieux. Pour ce film, Pete décroche un financement douteux avant de mourir d’une balle dans la bouche. Il est retrouvé, pistolet en main. Il y a aussi Lucinda, une sénatrice qui travaille à sa réélection et qui a tellement de choses à cacher. Toute la famille est  bizarre, un peu tordue.

Enfin, il y a Claudia Salazar, policière nouvellement divorcée, à cheval sur son indépendance et qui cherche du gallon… Parallèlement à ces évènements, un tueur cruel et machiavélique torture et tue dans un environnement très proche de nos personnages

Comment est mort Pete Hubble ? C’est le fil conducteur de cette histoire complexe. L’auteur nous réserve bien des surprises en plus d’une finale tout à fait improbable. Par la puissance de son écriture et son sens pointu de l’intrigue, Abbott fait plus que développer une enquête, il entraîne carrément le lecteur en plein sur le terrain de Mosley et Salazar. À travers revers et rebondissements, je me suis posé la question : Pete s’est-il suicidé ou pas.

Aurait-il été victime du tueur en série ou peut-être de sa propre famille et si c’était le cas, quel est l’intérêt. C’est une histoire bien montée, ficelée au point de mystifier le lecteur. Un seul point faible : l’histoire comporte peu d’éléments qui permettent de comprendre de façon satisfaisante les motivations du meurtrier en série. Toutefois, à la fin, son identité aura de quoi surprendre, le lecteur bien sûr mais en particulier notre ami le juge de paix.

FAUX-SEMBLANTS est un thriller dont l’intrigue est en équilibre avec le rythme qui est élevé et soutenu, parfois même essoufflant. Les personnages sont intéressants et bien travaillés, en particulier les limiers.

Et puis, comment ne pas apprécier à Whitt Mosley, cette tête de mule attachante au look de vacancier qui doit rendre un jugement dont sa vie pourrait dépendre…Les enchaînements et les rebondissements sont de nature à garder le lecteur dans le coup jusqu’à la fin…la fin qui m’a laissé un peu pantois.

L’intrigue n’est pas de nature à nous mettre copain-copain avec la politique. Il est rare dans la littérature policière, que ce milieu soit présenté à son avantage. Même chose pour le monde du porno, présenté comme étant sordide et glauque, sans compter de possibles ramifications avec la Mafia et le monde de la drogue…

Il ne faudra pas s’étonner si le premier tiers de l’histoire semble plus lent et terne. Ne vous y fiez pas. Tout se met en place et après, il faudra bien s’accrocher au fil conducteur de l’histoire car la complexité de l’enquête pourrait vous faire perdre le fil de l’histoire. En gros, je qualifierais FAUX-SEMBLANTS d’*excellent condensé de divertissement*

Suggestion de lecture : HANNIBAL, de Thomas Harris

Jeff Abbott est né en 1963 à Dallas, au Texas. Diplômé de l’Université de Rice, à Houston, en Histoire et Lettres, il se tourne vers l’écriture de romans en créant un personnage récurrent, «Jordan Poteet», bibliothécaire au Texas, et sa famille quelque peu excentrique. Il obtient «The Agatha Award» et «The Macavity Award» pour son premier titre «Do unto others» publié en 1994.

Avec le suivant, il évolue vers le roman un peu plus sombre, et un nouveau personnage : le Juge Coroner Whit Mosley et son investigatrice Claudia Salazar, avec lesquels il écrit trois titres.  En 2005, il passe enfin au thriller avec «Panic», qui va recevoir le «Thriller Award». C’est avec Panique que les francophones le découvrent en 2006. Depuis «Panic» et quelques 5 autres thrillers, un autre personnage a vu le jour, Sam Capra, jeune agent de la CIA, dans trois romans publiés en 2015.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le vendredi 28 août 2020