*Quand Ambroise Perrin passa le porche menant à l’entrée
du castel Béranger, rue Lafontaine dans le seizième
arrondissement de Paris, il fut convaincu de deux choses :
il haïssait le thé, et il allait mettre fin à ses jours. * (Extrait :
ET DIEU SE LEVA DU PIED GAUCHE, Oren Miller, HSN
éditeur, 2018, 443 pages en format numérique)
Après avoir avoué à sa femme qu’il avait toujours détesté le thé, Ambroise Perrin se défenestre sous les yeux médusés des personnes présentes. Entre temps, Louise Duval se réveille d’une soirée de gala et découvre que sept de ses collègues sont morts au même moment dans leur lit, de causes inexpliquées. Rien ne lie ces deux affaires. Si ce n’est leur mystère. C’est assez pour intéresser Évariste Fauconnier, enquêteur émérite spécialisé dans les affaires que personne ne peut résoudre. Entre crimes en série, esprits diaboliques et complots politiques, le fin limier va devoir dénouer les fils d’une gigantesque toile qui risque bien d’avaler son âme autant que sa raison.
Un récit criant
*À mesure qu’Évariste lui parlait, Armand avait cessé
de bouger. Le calme semblait avoir réussi à pénétrer
sa démence, et ainsi, presque tranquille, il donnait
l’impression d’être en capacité d’avoir une conversation.*
(Extrait)
C’est un roman qui frappe très fort dès le départ avec des évènements extrêmement intrigants qui figent le lecteur dans une toile d’araignée et force son attention jusqu’à la toute fin et heureusement car malgré des personnages un peu réchauffés, l’ensemble est génial et l’écriture est redoutablement efficace.
L’histoire met en scène deux personnages récurrents de l’œuvre d’Oren Miller : Évariste Fauconnier, détective brillant, et il le sait, spécialisé dans les affaires impossibles à résoudre, et Isabeau LeDu, bras droit de Fauconnier. Encore un duo du style Sherlock Holmes/Watson, avec un détective brillant, d’une intelligence supérieure, snobinard et prétentieux et l’autre, également très intelligent mais avec une personnalité moins forte et qui évolue dans l’ombre du premier.
La littérature policière nous a habitué à ce style surfait avec des personnages plus grands que nature. Je n’ai jamais pu m’attacher à Évariste mais c’est du déjà-vu. Je m’y suis habitué. Cela mis de côté, c’est ici que s’installe l’originalité.
Maintenant, imaginez que sept personnes meurent exactement au même moment, sans violence, paisiblement. Sept personnes meurent comme on s’endort. Elles cessent simplement d’exister. Évariste et Isabeau ont du pain sur la planche et ne seront pas au bout de leur peine, comme les lecteurs d’ailleurs.
L’histoire tourne autour de la Fondation Sorel, une organisation de haut niveau, vouée à l’avancement de la médecine et qui réunit la crème des scientifiques à l’échelle mondiale. Et fait étonnant, l’État du Vatican est associé à cette démarche et nous verrons que ce n’est pas sans raison. Nos limiers découvrent que quelques-uns de ces scientifiques décident de reprendre à leur compte des expériences entamées par les Nazis dans les camps de concentration.
Les lecteurs doivent s’attendre à ce que les coulisses de la Fondation Sorel cachent des secrets de nature à faire dresser les cheveux sur la tête. La corde est sensible car des enfants sont visés. Certains passages sont très durs.
L’auteure établit un lien entre les camps nazis de concentrations et les personnes atteintes de troubles psychiatriques. Les lecteurs/lectrices ne sont pas ménagés. Le développement de l’histoire est rapide, redoutable, efficace. La plume est directe, voire acérée. Miller garde le mystère entier et le lecteur sur le qui-vive jusqu’à la grande finale, plutôt surprenante.
J’ai beaucoup aimé la plume d’Oren Miller, au style adapté à toutes les situations et pouvant être aussi élégante que cynique. J’ai aussi aimé l’atmosphère du récit. Aussi lourde qu’énigmatique et ne me donnant aucune possibilité de découvrir moi-même qui est le meurtrier. Une atmosphère chargée qui justifie pleinement le titre :
<Odette se laissa choir sur la première chaise à portée de son corps. Elle plaqua une main devant sa bouche. L’effroi et la sidération se disputaient le règne sur son visage. -Oh mon…dieu -Croyez-moi, dans cette histoire, Dieu s’est levé dès le départ du pied gauche. -Mais…que…> Extrait.
Dans son roman, l’autrice explore l’âme dans ce qu’elle a de plus noire ainsi qu’un rêve vieux comme le monde : la manipulation mentale, et si ce n’était du caractère guilleret un peu stéréotypé des enquêteurs, il serait d’une lourdeur insupportable. ET DIEU SE LEVA DU PIED GAUCHE est un livre-phénomène. Je le recommande.
Suggestion de lecture : SHUTTER ISLAND, de Dennis Lehane
Juriste de formation, Oren Miller (un pseudonyme) s’est très tôt échappée dans des mondes imaginaires qu’elle décide de mettre par écrit en 2009 avec ses premiers romans. Son terrain de jeu favori reste l’adaptation des grands thèmes de fiction et l’exploration des émotions humaines à l’aide d’une plume colorée et bien taillée en pointe. Elle écrit des romances sous le pseudonyme de Lucie Castel (Harper Collins). En parallèle de ses activités littéraires, elle enseigne certaines matières juridiques dans une prestigieuse école à Lyon.
Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 6 août 2023