LA LIBRAIRIE DES OMBRES, de Mikkel Birkegaard

*Brusquement, l’expression du visage de Luca passa de
l’enthousiasme à la stupeur, il recula, vacilla, et son corps
vint percuter la vitrine derrière lui. Il continua sa lecture,
les yeux rivés sur le texte, tandis que des éclats de verre
lui pleuvaient dessus. *

(Extrait : LA LIBRAIRIE DES OMBRES,
Mikkel, Birkegaard, Fleuve Noir éditeur, 2010 pour la traduction
française. Édition de papier, 507 pages.)

Dans la ville de Copenhague, Luca Campelli, propriétaire de la librairie Libri di Luca spécialisée dans les livres anciens, meurt subitement. Son fils Jon hérite du magasin et découvre rapidement un secret fabuleux. Son père était à la tête d’un groupe de « lettore », des personnes dotées du pouvoir exceptionnel d’influencer la lecture des autres et même de pratiquer des manipulations mentales fort dangereuses. Dans ce contexte, la mort du père n’a plus l’air d’être naturelle, de même que le suicide de la mère qui s’est jetée par la fenêtre alors que Jon était encore enfant. Une société secrète existe-t-elle vraiment ? Quelqu’un cherche-t-il à s’emparer de ce don incroyable dans de mauvais desseins ? Jon se lance dans une enquête risquée.

Méfiez-vous de vos livres
*Le corps de Luca atterrit dans un bruit sourd
au milieu d’une étroite travée, où il fut
immédiatement enseveli sous un tas de livres,
de bois et de poussière. *
(Extrait)

Pour bien saisir la portée de cette histoire, imaginons la situation suivante. Vous êtes dans votre chambre et vous lisez un livre. Moi, je suis dans la chambre voisine et je peux capter mentalement ce que vous lisez. Je peux modifier, amplifier voire dramatiser la perception que vous avez de votre lecture, l’image que vous vous créez dans votre esprit avec en plus, la possibilité de modifier l’environnement physique. Souhaitons que vous ne lisiez pas TITANIC ou autres drames du genre ou pire.

Il y a un passage dans le livre ou un lecteur lit FRANKESTEIN de Mary Shelly. Je vous laisse deviner un peu comment devient le décor. Alors aux fins de l’histoire, en tant que lecteur, vous êtes l’émetteur, et moi, je suis le récepteur. Je reçois, je capte ce que vous lisez et j’en fais ce que je veux.

Cette histoire de Birkegaard se déroule à Copenhague et finit en Égypte. Elle a pour origine la *libri di luca* dont le propriétaire, Luca, meurt subitement. Sa librairie abritait une société secrète de *lettore*. Son fils, John, qui deviendra un puissant émetteur devient convaincu que la mort de son père n’est pas naturelle. Il y aurait complot. Il enquête et ça va le mener assez loin.

J’ai été séduit par la photo de la première de couverture, par le synopsis et je me disais que j’allais savourer un livre qui parle de livres. Le sujet est original. Mais j’ai été déçu car son intrigue est noyée dans la technique de lecture qui permet tant de merveilles. En fait, l’auteur a choisi de verser dans le fantastique, le surnaturel. La trame est prévisible et peu vraisemblable. L’ensemble manque de crédibilité. Par exemple, il y a eu mort d’homme, incendie…on n’entend jamais parler de la police ou d’enquête.

L’Idée de départ est bonne mais elle verse presque dans la carricature en ce sens que l’atmosphère de l’histoire prime davantage que la psychologie et même le rôle des personnages qui sont nombreux, suffisamment pour se perdre un peu. J’ai été déçu aussi de la finale que j’ai trouvée bâclée. Aussi, on perd la trace d’un jeune personnage-clé dans l’issue de l’histoire appelé PAW et dont on n’entendra plus parler.

Finalement, les véritables héros de ce livre sont…les livres même si on leur prête un rôle bizarre, disons tiré par les cheveux : *La douleur de voir Katherina soumise à ce genre de supplices lui aurait paru bien plus insupportable que d’en être lui-même victime. Mais lorsqu’il vit ce que contenait la valise, il fut pris de panique. Le petit homme aux lunettes avait plongé lentement les deux mains et extirpé un objet avec la plus grande précaution. C’était un livre. * (Extrait) Loin de moi l’idée de démolir ce livre.

C’est un bon roman mais ce n’est pas ce à quoi je m’attendais. Il ne m’a pas beaucoup atteint. J’ai aimé certaines idées comme le fait par exemple que plus un livre est lu plus il est chargé d’énergie. Intéressant comme concept et il y en a quelques autres mais dans l’ensemble, il manque un petit quelque chose, une étincelle qui aurait pu tout changer.

Peut-être est-ce le facteur humain qui est sous-exploité dans cette histoire…trop de surnaturel peut-être. On peut prêter aux livres certains pouvoirs mais celui de vie ou de mort…là je déchante un peu.

Suggestion de lecture : CRIMES À LA LIBRAIRIE,  collectif québécois

Mikkel Birkegaard est un auteur danois vivant à Copenhague et spécialisé dans la littérature fantastique. Il y a très peu d’informations disponibles sur cet auteur. Il faut dire qu’un seul de ses livres a été traduit au moment d’écrire ces lignes et c’est LA LIBRAIRIE DES OMBRES.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 5 août 2023

QUI MENT ? Le livre de Karen M. McMANUS

VERSION AUDIO

*Merde ! hurlait-il en donnant un coup de poing par terre.
-Tu le portes sur toi ? Simon Simon. Les yeux de Simon se
révulsent tendis que Nate fouille ses poches dont il ne sort
qu’un vieux mouchoir. Des sirènes se mettent à retentir au
loin au moment où monsieur Avery entre en courant… On
ne trouve pas son épipène. *
(Extrait : QUI MENT, Karen M. McManus, Édition originale : Nathan
2018, 465 pages. Version audio : Audible studio, 2018, durée d’écoute :
10 heures 3 minutes, narratrice : Leïla Bellisa.)

Une intello, un sportif, un délinquant, une reine de beauté… un meurtrier. Qui allez-vous croire ?  Dans un lycée américain, cinq adolescents sont collés : Bronwyn (l’élève parfaite), Addy (la fille populaire), Nate (le délinquant), Cooper (la star du baseball) et Simon (le gossip boy du lycée). Mais Simon ne ressortira jamais vivant de cette heure de colle… Pour les enquêteurs, sa mort n’est pas accidentelle. Dès lors qu’un article écrit par Simon contenant des révélations sur chacun d’eux est découvert, Bronwyn, Addy, Nate et Cooper deviennent les principaux suspects du meurtre. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont tous quelque chose à cacher…

Quatre fois au mauvais endroit
au mauvais moment
*Celui-ci affirme que la personne qui a tué Simon
se trouvait dans la salle quand il a eu sa réaction
allergique. Autrement dit, que c’est l’un d’entre
nous. *
(Extrait)

   

Karen McMannus livre une marchandise à laquelle je ne m’attendais pas du tout mais qui m’a ravi dans son ensemble et particulièrement dans la finale, disons les deux dernières heures d’écoute. Voyons voir le décor : dans un lycée, cinq jeunes de 17 ans se voient imposer une heure de colle après les cours parce qu’ils ont été pris avec un portable dans leur sac.

On y retrouve donc ADDY, soucieuse de sa popularité et de ce qu’on pense d’elle, COOPER, le sportif, NATHANIEL, appelé NATE, un petit *bum* sympathique, un peu macho, BRONWIN, la perfection faite fille et SIMON, le gossip boy de L’école, c’est-à-dire un rapporteur de ragots, indiscrétions et méchancetés qu’il publie sur Internet et qui visent directement ses pairs du lycée.

Les *cinq* ne seront plus que quatre à la fin de la retenue. Des cinq, un sortira les pieds devant : Simon, victime d’une foudroyante et fatale attaque allergique. Étrangement, on n’a pas trouvé d’Epipen sur Simon. bien sûr, on a couru à l’infirmerie de l’école pour se rendre compte avec horreur que tous les stylos d’Epipen avaient disparu. Il semble qu’il y avait un petit film d’huile d’arachide dans le gobelet que Simon a utiliser pour boire de l’eau. Automatiquement, Brownvin, Addy, Cooper et Nate sont soupçonnés de meurtre.

Karen McManus a donné à son histoire une direction un peu spéciale. Un développement particulier loin d’être inintéressant. L’enquête policière sur la mort de Simon passe de loin au second plan. L’histoire est développée un peu comme une chronique du quotidien de jeunes de 17 ans : potinage, sorties, fardeau scolaire et bien sûr attraction et expériences sexuelles. Il y a cependant quelque chose qui se démarque : des jeux d’alliance entre les jeunes, des questionnements sur la mort de Simon, de l’investigation.

J’ai eu simplement l’impression que les jeunes raisonnaient à la place de la police. Ça m’a plu. D’ailleurs c’est un aspect de la littérature policière qui plait beaucoup aux jeunes. Autre élément intéressant : personne ne semble ému de la mort de Simon. La raison n’est pas justifiée mais elle est simple à comprendre.

Simon était un garçon venimeux, frustré, profondément méchant, sans doute très malheureux. Il n’hésitait pas à nuire aux réputations ou les détruire. Il avait créé une application pour y publier des posts dans lesquels il lançait des rumeurs accusatrices, des propos empoisonnés, des révélations choquantes qui visaient tous les élèves et qui malheureusement, étaient vraies dans à peu près tous les cas.

Morale de l’histoire, tout le monde a quelque chose à cacher et un peu d’hypocrisie s’imposait : *Personne ne pouvait blairer ce mec et aujourd’hui, ils sont tous là avec leurs petites bougies comme si on parlait d’une espèce de martyr et pas d’un connard qui bavait sur tout le monde. * (Extrait)

C’est tout le récit qui repose sur le profil de Simon une graine de malfaisance dont les méchancetés publiées sur internet laissaient pantois : *Bon ! En théorie, je suis pour la désorganisation des lycées par la violence.

OK ce gars a fait ce qu’il avait à faire mais de manière tellement commune. Tout ça manquait cruellement d’imagination. On a déjà vu ça cent fois…Un jeune tire sur tout le monde au lycée et se tire dessus ensuite.

Restez avec nous après le film pour le débat. Élevez le niveau quoi… un peu de créativité. Prenez une grenade par exemple des sabres de samouraï mais étonnez-moi quand vous descendez une poignée de ces moutons…* (Extrait) Commentaire étonnant et plutôt noir sur un massacre dans un lycée.

Dans ce roman, j’ai été un peu surpris de la discrétion policière mais agréablement surpris de l’évolution du raisonnement des jeunes. C’est eux qui ont la clé et j’ai dû les prendre au sérieux. Je me suis fait bien sûr une idée du coupable, j’étais même certain de son identité. J’étais dans le champ, alors là vous n’avez pas idée.

La finale m’a fait presque décrocher les mâchoires. C’est un bon roman que les jeunes lecteurs vont beaucoup aimer entre autres parce qu’ils vont se reconnaître.

Le récit fait un peu *sitcom*, on y trouve beaucoup de personnages *clichés* et dont l’évolution se fait un peu en dents de scie. Il y a quelques longueurs et l’auteure m’a semblé erré par moment. Heureusement, ça n’enlève rien au caractère intrigant et captivant du récit…une lecture surprenante que j’ai dévorée.

Avant de terminer, quelques mots sur la narratrice Leïla Bellisa qui a été plutôt décriée par la critique pour sa narration de QUI MENT ? Certains l’ont même qualifié d’insupportable. Moi je n’irai pas jusque-là.

À mon avis, madame Bellisa a trouvé le ton juste pour les personnages les plus importants mais quelques personnages sont affublés d’une voix carrément ridicule. Cette inégalité dans la qualité des signatures vocales jette un discrédit sensible à l’œuvre audio. Mais ça ne change rien à l’opinion que j’ai du livre.

Suggestion de lecture : LE SERMENT DES LIMBES, de Jean-Christophe Grangé

Karen M. McManus a une licence de littérature et une maîtrise de journaliste. Lorsqu’elle ne travaille pas à Cambridge, dans le Massachusetts, elle adore voyager avec son fils. «Qui ment ?» est son premier roman. 

Bonne écoute
Claude Lambert
janvier2020

LE PROCÈS DU DOCTEUR FORRESTER, Henry Denker

*C’est fini… Elle est partie. –C’est impossible!
protesta Kate. Continuons, nous la ferons
revenir, il le faut ! Briscoe ôta ses mains
gantées de la plaie ouverte et s’écarta de la
table. – Résignez-vous Kate, c’est terminé.*

(Extrait : LE PROCÈS DU DOCTEUR FORRESTER,
Henry Denker, Presses de la Cité, 1993 pour la t.f. ,
édition de papier, 415 pages)

Une nuit, alors que Kate est le seul médecin de garde dans un grand hôpital de New-York, une jeune fille admise aux urgences meurt brusquement. Pourquoi cette brillante praticienne n’a-t-elle pas diagnostiqué une grossesse extra-utérine responsable du décès? Négligence ? Le père de la victime va tout faire pour provoquer la radiation de Kate, quitte à soudoyer témoins, juges et experts.

De son côté, l’administration de l’hôpital abandonne Kate à son sort. Le seul moyen de démontrer son innocence serait de prouver que la jeune victime lui a dissimulé de précieuses informations, la nuit de son décès. Heureusement, Kate va trouver un allié inattendu en la personne d’un jeune avocat idéaliste.

UNE COUPABLE À TOUT PRIX
*Restez et luttez, sachant qu’il y a un risque
que vous soyez vaincue. L’important est que
vous affirmiez haut et fort votre conviction
D’avoir fait ce qu’il fallait pour la jeune
Claudia Stuyvesant.*
(Extrait : LE PROCÈS DU DOCTEUR FORRESTER)

Ce n’est pas une histoire compliquée et elle est très ajustée à l’actualité : un médecin est accusée d’incurie suite au décès d’une de ses patientes en Urgence dans un grand hôpital de New-York. La question qui poursuit le lecteur est aussi simple : est-ce que le médecin a trompé sa patiente ou serait-ce la patiente qui aurait trompé le médecin.

C’est le père de Kate qui est le fil conducteur de l’histoire : un personnage puissant, très riche, influent sur le plan politique et social, celui à qui on doit tout et pour lequel on est rien. Sa seule présence à l’audience transforme les procureurs en lèche-culs : *Vous avez vu comment Hoskins transforme en faute les meilleurs mouvements du cœur…* (Extrait)

Pour s’opposer à cette espèce d’araignée qu’est Claude Stuyvesant : a on désigne un avocat, jeune, sans expérience. Son opiniâtreté est belle à voir. C’est un tenace et en plus il est audacieux. En fait, c’est le petit côté irritant du livre, c’est trop beau pour être vrai…aussi irritant que cette espèce d’amourette timide qui tente de s’installer entre deux audiences et qui se heurte à quantité d’objections.

C’est la ténacité de l’avocat Scott Van Cleve qui donne au livre ses lettres de noblesses car le temps lui manque, des témoins lui font défaut et quelque chose lui est caché, une information enfouie sous l’épaisseur bétonnée du secret médical…Il trouve le moyen d’avancer, en respectant une logique de droit et le simple bon sens.

C’est là que j’admire l’intelligence et l’imagination de Henry Denker , pour le défi posé à son personnage : contourner les suppôts de Stuveysant en lui opposant quelqu’un qui n’en a pas peur et qui souhaite au contraire injecter au richissime pacha une dose d’humilité :

*Le visage coloré de Stuyvesant…semblait soudain gris et âgé. Point de mire de tous les regards, il se tenait…comme mis à nu, son hostilité vis-à-vis de Kate réduite à ce qu’elle était : un bouclier derrière lequel il dissimulait sa propre culpabilité* (Extrait)

Ce n’est pas à proprement parler un livre génial. Son sujet n’est pas original mais au contraire réchauffé. Il m’a fait pourtant passé un intéressant moment de lecture : le rythme est très élevé. Il y a des revirements parfois surprenants mais toujours vraisemblables à mon avis.

Le sujet n’est pas sans faire réfléchir sur la situation parfois dramatique dans les urgences des hôpitaux américains qui manquent souvent de personnel, d’argent, d’espace, d’équipement et de compréhension. Le sujet vient nous rappeler également que les médecins sont des humains et ne sont pas à l’abri de l’erreur. Aussi, quand on consulte, il est capital de ne rien lui cacher.

C’est un bon livre, mais il n’est pas un de ces ouvrages qu’on garde en mémoire. On finit par l’oublier mais le chantier de lecture comme tel a un petit quelque chose de *page turner*. Il se lit vite et bien et sa finale, quoiqu’un peu rapide est bien travaillée. La psychologie des personnages est peu développée.

C’est une faiblesse du récit. Il aurait été intéressant d’en savoir plus sur les STUYVESANT : Claudia, morte dans des circonstances mystérieuses qu’on finira par éclaircir de peine et de misère car on s’est dépêché pour des raisons tout aussi mystérieuses d’incinérer le corps.

Maman Stuyvesant qui a peur de son mari et vit dans son ombre prendra  tout le monde par surprise…bien trouvé et Papa Claude…j’en ai déjà parlé, c’est le bon Dieu faute de mieux…j’aurais préféré que l’auteur approfondisse davantage ces personnages.

Enfin, il faut se rappeler que Kate va trouver un allié inattendu. Ce roman raconte un combat acharné. C’est loin d’être novateur mais j’ai trouvé sa lecture satisfaisante d’autant qu’elle colle un intouchable sur la touche…

Suggestion de lecture : LE PROCÈS de Franz Kafka

Henry Denker a commencé à écrire pendant ses études à l’Université de New-York. Il a renoncé à sa carrière de juriste pour l’amour de l’écriture. Il a été scénariste, directeur et producteur. Il a également écrit six pièces de théâtre, toutes jouées à Broadway. Il a enfin écrit de nombreux romans comme L’ENFANT QUI VOULAIT MOURIR et ELVIRA. Denker partageait son temps entre la Californie et les Adirondack. Plusieurs de ses romans ont été adaptés à l’écran. Henry Denker est mort presque centenaire en 2012.

Bonne lecture
Claude Lambert

Le dimanche 14 mars 2021

LES MORTS RENAÎTRONT UN JOUR, CHRISTOPH ERNST

*…une trentaine environ ont été pendus, les autres
jetés en prison. En plus de cela, Goebbels a encore
fait arrêter cinq cents juifs en représailles. La moitié
ont été exécutés sur-le-champ, les autres envoyés
en camp de concentration». Apparemment, je suis
devenue pâle.*
(Extrait : LES MORTS RENAÏTRONT UN JOUR, Christoph
Ernst, édition originale : Pendragon 2012, t.f. : Piraanha
2015, édition numérique, 300 pages)

Plus de cinquante ans après avoir fui l’Allemagne, Käthe, d’origine juive, est de retour à Berlin pour récupérer un immeuble ayant appartenu à sa famille avant d’être confisqué par les nazis. Peu après son arrivée, son corps sans vie est retrouvé au pied d’un mémorial de la déportation. Sa petite nièce, Maja, ne crois pas à la thèse du suicide. Elle va devoir plonger dans les méandres d’un passé douloureux. L’intrigue revisite le sort des juifs sous le nazisme allemand et les exactions de la RDA mais dresse surtout le portrait d’hommes et de femmes confrontés à un choix impossible.

SURVIVRE À LA FOLIE
*La porte d’entrée se referme derrière elle dans
un bruit mat. Je suis trop effrayée pour réagir
et crier qu’ils ne doivent en aucun cas me
laisser seule avec ce type. Il grimace un
sourire bouffi. «Ca va mieux ?»
(Extrait : LES MORTS RENAÎTRONT UN JOUR)

À la suite du décès de sa tante Käthe, Maja se rend à Berlin pour régler la succession Pendant les formalités, Maja découvre certains secrets qui attisent sa curiosité comme le fait que la maison de sa tante ait été confisquée par un SS au cours de la 2e guerre mondiale et d’autres secrets bien gardés qui rendent la mort de sa tante très suspecte.

La police retient la thèse du suicide mais Maja sent que tout ça n’est pas net et décide d’enquêter, mais elle n’a aucune idée des dangers qui la guettent au fur et à mesure qu’elle pousse son investigation.

Malgré l’originalité du sujet, j’ai trouvé l’ensemble un peu pénible. C’est un mélange plus ou moins habile de fiction et de réalité. Dans la première moitié du livre, ce qui est quand même assez long, je ne savais pas à quoi m’accrocher tellement le récit prenait toutes sortes de directions…beaucoup de longueurs, pas de fil conducteur, une grande quantité de personnages pour la plupart sans grande profondeur.

Ce qui m’a fait tenir le coup dans la première moitié, c’est l’opiniâtreté avec laquelle Maja conduit ses recherches. Dans la deuxième moitié, le sujet se précise et se resserre. Le fil conducteur devient plus solide et nous dirige vers une finale malheureusement sans saveur.

La présentation du livre parlait du rythme endiablé d’un thriller et d’une intrigue policière haletante…c’est très exagéré. Mais tout n’est pas noir, le livre a certains mérites car il revisite des pans méconnus de l’histoire.

En effet, le récit expose, sous un angle différent, des évènements et des agissements qui ont constitué une énorme tache sur le bulletin de conduite des hommes : le sort des juifs allemands sous le régime nazi et peut-on encore exagérer quand on parle des incroyables bassesses et des sauvageries exécutées par les SS.

À travers les investigations de Maja, l’auteur met en perspective le portrait d’hommes et de femmes confrontés à leur mort ou à quelque choix impossible. Il y a bien quelques passages un peu pénibles, mais dans l’ensemble, Ernst fait preuve d’une belle retenue.

Les faits historiques entourant la guerre en général, le caractère monstrueux du nazisme, le mur de Berlin avec les alliés d’un côté et la sorcière communiste de l’autre…tous ces faits sont rapportés avec le souci du détail et de la précision. Donc,  l’ouvrage est crédible, mettant  en lumière la situation des juifs allemands sur laquelle l’Histoire est plus discrète.

La plume est belle mais malheureusement, elle s’étend à n’en plus finir. De plus, le caractère historique du récit met dans l’ombre son caractère intriguant : la guerre, la situation des juifs, la création d’Israël, la situation des Palestiniens , les excès de la RDA, le mur de Berlin, entre autres. On ne peut donc pas parler de thriller même si le fond de l’histoire est dramatique et c’est le moins que je puisse dire.

Si l’auteur avait mis autant d’ardeur à développer l’intrigue qu’il l’a fait sur le plan historique, on aurait eu un livre un peu plus long mais passionnant à tous les points de vue et le livre aurait été inoubliable. Malheureusement, il accuse un important déséquilibre entre l’histoire et l’intrigue.

Le livre a quand-même un petit côté intéressant comme je l’ai expliqué plus haut mais sans qu’il soit nécessairement question de naïveté, disons que, comme beaucoup de lecteurs je suis comme qui dirait tombé dans le piège du quatrième de couverture.

Suggestion de lecture : JEU DE MORTS, de Jean-Sébastien Pouchard

Il y a très peu d’informations disponibles sur le parcours littéraire de Christophe Ernst. LES MORTS RENAÎTRONT UN JOUR est son seul livre traduit en français pour l’instant. On sait qu’il est né en 1958. Il a étudié l’histoire à New-York puis est devenu gestionnaire culturel dans son pays d’origine, l’Allemagne plus précisément à Berlin. Il a été aussi journaliste et conférencier. Après quelques années à ce rythme, il est retourné vivre dans sa ville natale : Hambourg.

BONNE  LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 2 mai 2020

 

 

LE SCANDALE DES EAUX FOLLES, Marie-Bernadette Dupuy

*Nous avons reçu ce matin le message suivant :
Saint Gédéon, LE PROGRÈS DU SAGUENAY, Chicoutimi L’eau du lac est à 24,1 à l’étage ici ce matin. Cinq pelles sur sept, à la Petite Décharge, ont été fermées. L’inondation bloque le chemin, les bâtisses sont envasées, les dommages qui sont causés par la fermeture des écluses sont incalculables.

Nous en appelons aux autorités pour qu’elles forcent la compagnie à ouvrir les pelles. Pareille chose ne s’est jamais vue depuis quarante-cinq ans, même sans les écluses. L’eau monte toujours. Signé chanoine E. Lavoie, Joseph Girard.
(Extrait : LE SCANDALE DES EAUX FOLLES, Marie-Bernadette Dupuy, les Éditions JCL, 2014, édition de papier, 635 pages.)

1928 : des crues très fortes éprouvent les riverains du Lac St-Jean inondant les terres arables, emportant des ponts et forçant l’évacuation de nombreuses habitations. Cette situation serait attribuable à la construction d’un barrage près d’Alma. Alors que les citoyens assistent, impuissants à la montée des eaux, on retrouve le corps de la jeune Emma Cloutier, morte noyée près de la ferme familiale. Ce drame fait naître les pires rumeurs. Rongée par le doute, l’aînée de la famille Cloutier, Jacinthe est déterminée à obtenir des réponses aussi éprouvantes soient-elles. Jacinthe découvre, qu’elle connaissait bien peu sa sœur…

Mort en eaux troubles
*Nous avons pleuré la jeune Emma, devenue
institutrice dans une autre municipalité,
reprit le prêtre. Nous l’avons crue victime
d’un accident, noyée dans les eaux en crue
du lac. Mais il n’en était rien.*
(Extrait : LE SCANDALE DES EAUX FOLLES)

J’en ai peut-être déjà parlé, si oui, j’y reviens brièvement. Il y a des livres, pas beaucoup, qui me font un effet particulier dans le dos : une sorte de frisson, une vibration qui semble influencer les fonctions lacrymales.

C’est étrange, mais c’est agréable. Il y a longtemps que j’ai réalisé que cette sensation est provoquée par l’émotion que j’éprouve à la lecture d’un livre qui a de l’effet sur moi. C’est rare mais ça m’arrive. Le SCANDALE DES EAUX FOLLES a eu cet effet sur moi.

LE SCANDALE DES EAUX FOLLES est l’œuvre d’une romancière brillante et prolifique, spécialiste des grandes sagas : Marie-Bernadette Dupuy, une auteure française passionnée du Québec et cette passion transpire dans l’ensemble de son œuvre.

Dans LE SCANDALE DES EAUX FOLLES, l’auteure situe son intrigue à la fin des années 1920 lors des grandes inondations du Lac Saint-Jean. L’histoire commence à Saint-Prime : la plus jeune de la famille Cloutier, Emma, est retrouvée noyée dans des eaux peu profondes du Lac près de la rive, non loin de la ferme des Cloutier.

Officiellement, Emma s’est noyée. Mais sa sœur Jacinthe a de sérieux doutes et entreprend une recherche qui devient une véritable quête de la vérité. Elle apprendra beaucoup de choses. Entre autres, qu’Emma était loin d’être une fille vertueuse à l’instar de ses sœurs, Jacinthe et Sidonie.

Au cours de sa recherche, Jacinthe apprend qu’Emma a eu un enfant qu’elle a abandonné immédiatement à une famille quelque part. Convaincue maintenant qu’Emma a été assassinée, Jacinthe s’impose deux objectifs : retrouver l’assassin et retrouver l’enfant.

Avec intelligence et sa plume d’une remarquable fluidité, l’auteure raconte le quotidien d’une famille meurtrie non seulement par la mort d’Emma, mais aussi par de lourds secrets de famille qui sont mis au jour.

J’ai suivi l’enquête de Jacinthe avec beaucoup d’intérêt et malgré les longueurs, j’avais beaucoup de difficulté à fermer le livre tellement l’intrigue est captivante. L’histoire a comme toile de fond, les grandes inondations de 1928, même si elles plantent le décor, elles sont d’une grande exactitude historique. En général, l’ouvrage est très bien documenté et l’ensemble est crédible. Pour moi, il est évident que l’auteure a fait une recherche sérieuse.

Le livre comporte toutefois ce que je considère comme une faiblesse. J’ai trouvé le rythme de l’histoire très lent et le récit tourne parfois en rond. C’est peut-être le piège classique des longs pavés. Ce livre fait quand même 630 pages ou c’est parce que Jacinthe va de piste en fausse piste et que son enquête qui est très longue donne l’impression qu’elle ne finit pas de finir.

Après la découverte du corps d’Emma en particulier, le rythme tombe, il n’y a plus d’action sur une centaine de pages et le récit prend l’allure d’une chronique linéaire. Puis, le rythme finit par augmenter avec des hauts et des bas et finalement le dernier quart est génial et on a droit à un *happy ending* de grande classe.

Cette faiblesse est largement compensée entre autres par le côté attachant des personnages, par l’atmosphère que l’auteure a su imprégner à son récit incluant la profondeur des sentiments et les non-dits, les rebondissements dramatiques, le réalisme de l’ensemble en particulier le portrait d’une famille complexe, une fratrie instable qui réussit à sortir plus forte d’un épisode noir d’une puissante intensité dramatique. Ce dernier côté m’a fait particulièrement vibrer…suffisamment pour me donner le goût de connaître la suite.

J’y reviendrai sans doute. Entre temps, je n’hésite pas à vous recommander la lecture de LE SCANDALE DES EAUX FOLLES.

Suggestion de lecture : LA NOBLE MAISON, de James Clavel

LA SUITE

Marie-Bernadette Dupuy est une écrivaine française née à Angoulême en 1952. Après une série de polars et plusieurs livres portant sur la royauté, le succès est enfin au rendez-vous en 2002 avec L’ORPHELINE DU BOIS DES LOUPS qui lui assurera une notoriété internationale. Suivront une trentaine de titres à succès dont certains seront traduits en plusieurs langues. La série la plus populaire est sans contredit celle de L’ENFANT DES NEIGES dont l’action se déroule au Lac St-Jean tout comme c’est le cas pour LE SCANDALE DES EAUX FOLLES. Pour en savoir plus sur l’auteure, consultez son site officiel

Image du site www.pinterest.com  Il s’agit d’une photo prise probablement sur le
boulevard Saint-Joseph à Roberval le 30 mai 1928.

BONNE LECTURE
JAILU
le dimanche 24 septembre 2017