LA FIN DU MONDE, de CAMILLE FLAMMARION

*Presque aussitôt tous les cadavres seraient
carbonisés, incinérés et, dans l’immense
incendie céleste, seul l’ange incombustible
de l’apocalypse pourrait faire entendre, dans
le son déchirant de la trompette l’antique
chant mortuaire tombant lentement du ciel
comme un glas funèbre…*
(extrait : LA FIN DU MONDE, Camille Flammarion,
édition originale : 1894 chez Flammarion, réédité
numériquement en 2011 chez FVE. 458 pages.)

Au XXVe siècle, l’humanité est confrontée au pire danger de son histoire. Les savants ont annoncé qu’une comète neuf fois plus grande que la terre doit entrer en collision avec celle-ci. La fin de l’humanité semble inévitable. Cette nouvelle dramatique entraîne un long débat sur une des craintes fondamentales de l’être humain à l’origine de tant de prophéties et prédictions : LA FIN DU MONDE. Panique et maladies nerveuses sont au nombre des réactions humaines jusqu’au choc final où l’humanité sera tourmentée par la chaleur incendiaire, et l’empoisonnement de l’atmosphère. L’humanité survivra-t-elle. 

UNE IDÉE DE LA FIN
*Quel supplice attendait les hommes?…
La peur qui fige le sang dans les artères
et qui anéantit les âmes, la peur, spectre
invisible, hantait toutes les pensées,
frissonnante et chancelante…*
(Extrait : LA FIN DU MONDE de
Camille Flammarion.)

L’édition originale de LA FIN DU MONDE remonte à 1894 et a été rééditée plusieurs fois par la suite. L’ouvrage fait partie d’une collection de livres réimprimés à la demande par l’éditeur Hachette. La dernière édition, toute récente est de 2012. Je signale aussi que l’éditeur FVE a publié une version numérisée en 2011. Ce livre, considéré comme un classique est donc toujours accessible.

LA FIN DU MONDE est issu d’une littérature d’un autre âge. Avec un recul de 120 ans, Flammarion expose sa vision du futur. On aurait pu croire au départ qu’il exposait son œuvre à la désuétude au fil des ans, mais je dirais que, même en 2016, ce livre contient quantité d’éléments extrêmement actuels.

C’est un livre en deux parties : dans la première moitié, l’auteur donne la parole à toutes sortes de spécialistes qui viennent exposer leurs visions de la fin du monde. Cette partie est hautement scientifique, bourrée de calculs complexes.

C’est long, c’est compliqué, mais les scénarios exposés sont scientifiquement plausibles et restent même de nos jours sujets à débat. Ça demande une attention soutenue mais j’ai trouvé ça très intéressant.

La deuxième partie est beaucoup plus passionnante car elle développe ce qui attend la planète après le choc cométaire. Cette partie verse donc dans la philosophie, la psychologie, les prédictions déductives et dresse un portrait plutôt idéaliste de l’avenir de l’humanité.

L’ouvrage ne peut être totalement actuel car l’auteur n’a pas tenu compte de deux éléments importants qui caractérisent l’homme d’aujourd’hui : son caractère autodestructeur et la pollution. Ici, je peux comprendre Flammarion.

Le livre a été écrit à une époque où la destruction de masse était peu envisageable, l’arme nucléaire n’étant inventé que beaucoup plus tard. Quant à la pollution, aucune société n’avait vraiment développé de conscience environnementale au 19e siècle..

Tous les autres éléments du volume demeurent actuels. Je suis demeuré sceptique quant au portrait du futur que propose l’auteur…trop beau pour être vrai allant même jusqu’à prédire le désarmement total, une parfaite égalité entre l’homme et la femme et l’atteinte d’une inimaginable sagesse pour l’humanité.

En fin de compte, c’est un livre intéressant mais atypique…peu romancé, pas beaucoup de dialogues, pas de héros, beaucoup de théories scientifiques plausibles mais complexes, quelques-unes sont devenues caduques avec le temps, mais l’ensemble est bien documenté et dépeint surtout avec une remarquable précision la nature humaine.

C’est ce qui rend ce classique passionnant à lire encore de nos jours car il propose une  sérieuse réflexion sur la vie qui est un éternel recommencement. Surprenant, visionnaire, intéressant…

Suggestion de lecture : LES COUREURS DE LA FIN DU MONDE, d’Adrien J. Walker

Camille Flammarion (1842-1925) était un écrivain et scientifique français, passionné d’astronomie. Il a beaucoup contribué à vulgariser cette science en fondant la Société Astronomique de France et en écrivant de nombreux ouvrages. Il a publié plus d’une cinquantaine de livres dont ASTRONOMIE POPULAIRE qui l’a rendu célèbre (1880) et LA PLURALITÉ DES MONDES HABITÉS (1862).

Flammarion est particulièrement passionné par la planète Mars qu’il observe avec obstination. Il est aussi versé dans le spiritisme qu’il considère comme une science. Il a même rédigé des ouvrages sur la communication avec les morts et sur les maisons hantées. ASTRONOMIE POPULAIRE reste son œuvre majeure.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
AVRIL 2016

LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE

H2G2, II

Commentaire sur le livre de
Douglas Adams

*Mesdames et messieurs…l’Univers tel que nous le
connaissons existe maintenant depuis cent soixante-
dix millions de milliards d’années et s’achèvera dans
un peu plus d’une demi-heure. Aussi, sans plus tarder,
bienvenue à tous et à chacun à Milliways, le dernier
restaurant avant la fin du monde!*
(extrait de LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE
H2G2, II, Douglas Adams, Folio sf,  t.f. : éditions denoël 1982
211 pages, éd. Num.)

Nous sommes dans un futur indéterminé.  La terre a été détruite pour permettre la construction d’une voie rapide intergalactique. Un petit groupe, (un astrostoppeur, un androïde instable, un président de galaxie et deux terriens rescapés de la destruction) vadrouille de galaxie en galaxie équipé d’un guide galactique en faisant des sauts temporels, ce qui les rapproche dangereusement de la fin de l’univers : le big crunch. C’est ainsi que notre équipe, le temps d’une dernière bouffe, aboutit chez Milliways, le dernier restaurant avant la fin du monde. Il s’agit du deuxième tome de la pentalogie H2G2. 

Adams ou le futur halluciné
*Dans la crypte, les vingt-quatre joggers se
dirigèrent vers vingt-quatre sarcophages
vides alignés contre le mur, les ouvrirent,
y pénétrèrent et tombèrent dans
vingt-quatre sommeils sans rêve…*

LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE est un récit extrêmement original qui comporte de multiples facettes : on y trouve un peu de psychologie, de la philosophie…l’écriture rappelle parfois l’essai, l’étude de mœurs…on trouve évidemment de la science-fiction et de l’humour…beaucoup d’humour lié à la spontanéité des dialogues…

*Les Jatravartidiens de Viltevolde VI croient pour leur part que tout l’univers fut en réalité violemment éternué de la narine d’un être qu’ils nomment le Grand Archtoumtec vert…*

*…un guide touristique…mieux vendu que la théorie du trou noir, un itinéraire personnel par Teraroplopla Eccentrica (la fameuse prostituée à trois seins d’Eroticon Six) et même plus controversé que le dernier titre à scandale du philosophe Ooland Colluphid : Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur le sexe tout en étant obligé de le trouver…*

*L’immeuble ne va pas tarder à atterrir. Pour sortir, ne prenez pas la porte…Sortez par la fenêtre…*

*Trin Tragula était un rêveur, un penseur, un spéculateur, un philosophe ou-comme se plaisait à le répéter son épouse-un idiot.* (extraits de LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE de Douglas Adams).

Voilà pour l’humour…je ne me suis pas ennuyé à la lecture de ce livre. Pour l’aspect science-fiction, il y a plein de trouvailles que je vous laisserai découvrir. Je dirai toutefois que la question n’est pas de savoir où se situe le dernier restaurant avant la fin du monde mais plutôt  QUAND il se situe. L’auteur développe la théorie selon laquelle si l’univers a un commencement : LE BIG BANG, il aura aussi une fin : LE BIG CRUSH.

Or une bulle temporelle permet à des privilégiés d’assister à la fin de l’Univers en mangeant tranquillement…puis de revenir en arrière par saut temporel pour s’éloigner de la fin et permettre à la vie de continuer tout aussi tranquillement. L’auteur s’amuse ici à amplifier l’absurdité et le comique loufoque des clichés liés aux voyages dans le temps. Ça donne des passages très drôles et parfois même tordus et des trouvailles pour le moins farfelues.

J’ai maintes fois remarqué, dans mes lectures, que la philosophie d’apparence bon marché ou teintée d’humour cache souvent des pensées profondes et même de grandes vérités. À travers l’humour qui confine parfois à la loufoquerie, le récit d’Adams porte en lui une réflexion sur l’humanité, ses mythes religieux, ses cultures et comme il est question de fin du monde, l’histoire met en perspective des questionnements sur le sens de la vie et les buts de l’existence.

C’est un livre intéressant, bien écrit et qui va droit au but, avec un regard objectif sur notre ouverture d’esprit quant au rôle que nous jouons dans cette vie. Une lecture divertissante, agréable et même enrichissante…

Suggestion de lecture : HISTOIRES À LIRE AVANT LA FIN DU MONDE, collectif, recueil de nouvelles.

Douglas Adams (1952-2001) était un écrivain natif du Royaume-Uni. Il s’est fait connaître au départ par sa collaboration avec les Monthy Python. Mais son heure de gloire arrive avec la diffusion de la célèbre série radio H2G2 sur BBC. Quatre ans plus tard en 1979, Adams publie le premier tome du cycle H2G2 le guide du voyageur galactique. Le cycle sera complété en 1992 et comprendra cinq volumes. H2G2 sera par la suite adapté au théâtre, en série télévisée, au cinéma et même en jeu vidéo. LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE est le deuxième tome de la série.

BONNE LECTURE
JAILU
MAI 2015

BEAUX MECS ET SACS D’EMBROUILLES, de Meg Cabot

*Je me demandais si tu avais un peu de temps
aujourd’hui…Est-ce que tu pourrais passer chez
moi pour me donner un coup de main?
TRADUCTION : peux-tu venir chez moi pendant
que mes parents ne sont pas là, histoire qu’on
-s’amuse un peu tous les deux?
(extrait de BEAUX MECS ET SAC D’EMBROUILLES de
Meg Cabot, t.f. Hachette 2008, 185 pages éd. Num. )

 BEAUX MECS ET SAC D‘EMBROUILLES est le récit de Kathie Ellison, une ado jolie et  talentueuse qui vit à Eastport, une petite ville dont les citoyens vouent un culte à leur équipe de football collégiale et où les joueurs sont considérés comme de jeunes dieux. Katie courre deux lièvres en même temps. Trois si on tient compte de l’arrivée dans le décor de l’énigmatique Tommy Sullivan. Pour couvrir sa vie sentimentale compliquée, Kathie ne compte plus les mensonges mais elle sent très vite un piège se refermer sur elle. Qu’arrivera-t-il lorsque la vérité triomphera? La vérité sur ses motivations et sur Sullivan ? un joli sac d’embrouilles en perspective…

Histoire de fille pour filles

*Je n’étais pas la seule menteuse à Eastport,
mais j’étais la plus grosse,
la plus grosse de toute l’histoire de la ville,
assurément.*
(extrait de BEAUX MECS ET SAC D’EMBROUILLES)

C’est une histoire quand même assez banale comme il en arrive à des millions d’ados, mais je l’ai trouvée sympathique et divertissante. Il y a les personnages qui sont très attachants mais toute la dynamique du récit repose sur l’imagination de Kathie et ça m’a accroché.

Kathie est une belle jeune fille qui a de très belles qualités mais ce qui lui complique la vie et crée des situations tantôt cocasses tantôt dramatiques est résumé dans une superbe petite phrase que j’ai notée en cours de lecture et je cite… *OK, je suis une menteuse, doublée d’une mangeuse de garçons (combinaison plutôt mortelle je vous l’accorde), mais je ne suis pas débile.*

Donc, Kathie est la reine des menteuses et cette tendance aux mensonges crée des imbroglios qui justifient amplement le titre du volume et qui rappellent un peu les comédies d’erreur au théâtre et au cinéma.

Donc le défi du lecteur est de démêler les mensonges de Kathie et de voir où ça la mène en attendant un happy end qui ne manquera pas d’originalité.

Ce livre n’est pas la trouvaille du siècle mais il est rafraîchissant, très proche des ados et il soulève des questions qui sont débattues depuis que le monde est monde : qu’est-ce que l’amour? (une concurrente au concours annuel de MISS CLAMS en donne une définition très intéressante dans le récit), est-ce que toute vérité est bonne à dire? Doit-on absolument dire la vérité même si on sait qu’elle fera mal? Peut-on se limiter à des demi-vérités?

Ce livre n’a rien d’un exercice philosophique mais des questions intéressantes sont quand même soulevées…des questions qui sont d’une actualité brûlante dans la vie de n’importe quel adolescent. Alors pour une petite détente, je vous recommande *BEAUX MECS ET SACS D’EMBROUILLES*. Son écriture est simple, vivante, pleine de rebondissements (pas tous prévisibles) et la lecture complète ne prend que quelques heures.

Suggestion de lecture : DARWIN ET L’ÉVOLUTION EXPLIQUÉS À NOS PETITS-ENFANTS, de Pascal Pick

NOTE : malheureusement, le site officiel de Meg Cabot n’est disponible qu’en anglais (www.megcabot.com) mais je vous invite à visiter  www.MEG-CABOT.SKYROCK.com  pour en savoir plus sur l’auteure et son impressionnante bibliographie.

Meggin Patricia Cabot est une auteure américaine de romans pour adolescents et adultes. Elle est née en 1967 à Bloomington indiana où elle a fait des études d’art et exercé différents métiers avant de se consacrer à plein temps à l’écriture  avec, comme premier roman WHERE ROSES GROW WILD publié en 1998 sous le pseudonyme de Patricia Cabot. Elle a écrit plus de quarante romans dont plusieurs sont devenus des best-sellers traduits dans 37 pays et vendus à plus de 5 millions d’exemplaire. LE ROMAN D’UNE PRINCESSE a déjà été adapté à l’écran par les studios Disney.

BONNE LECTURE
JAILU
AVRIL 2015

 

LE TROUPEAU AVEUGLE, de JOHN BRUNNER

*Il faudrait que vous puissiez voir ce qui défile
sous mes yeux chaque jour dans ce cabinet!
Des enfants de bonne famille, déficients à cause
d’un empoisonnement par le plomb! Aveugles
à cause d’une syphilis congénitale, également!
bourrés d’asthme, de cancer des os, de leucémie,
et Dieu sait quoi!*
(extrait de LE TROUPEAU AVEUGLE, John Brunner,
éditions Robert Laffont, 1975, 220 et 199 pages, num.)

LE TROUPEAU AVEUGLE est le portrait romancé d’une humanité du futur étouffée par la pollution, où le soleil est caché en permanence par un smog acide. Des populations entières souffrent d’allergies et d’intolérance à une nourriture de plus en plus corrompue. Pluies acides, pénurie d’eau potable, infections, grossesses à risque, maladies et autres tares assaillent l’humanité. Dans ce chaos écologique, un homme sort de l’ombre pour secouer les êtres humains, les conscientiser et mettre au pas les principaux responsables de ces dramatiques dérèglements de la nature.

Cet homme, c’est Austin Train, philosophe écologiste, contestataire et rebelle dont le nombre de partisans appelés *trainites* augmente considérablement chaque jour au grand déplaisir des États-Unis, artisans  de ce désastre mondial, étant jugés *plus grand exportateur de gaz toxiques* à l’échelle de la planète.

Un parfum de lente agonie
*Veuillez contribuer
à maintenir la jetée propre
jetez vos détritus dans l’eau*
(ex. LE TROUPEAU AVEUGLE)

C’est un livre intéressant de par le thème qui y est développé : la pollution. Le livre a été publié en 1975 et conserve toute son actualité. Toutefois, il y a plusieurs irritants. La lecture de ce livre nécessite une bonne concentration car le fil conducteur de l’histoire est fragile, prenant des directions souvent aléatoires. Les lecteurs/lectrices devront aussi composer avec une grande quantité de personnages. Il pourrait être facile de s’y perdre.

Ce qui m’a le plus frappé dans ce livre est l’incroyable pessimisme dont l’auteur fait preuve : en effet, Brunner décrit une humanité qui s’installe progressivement et inexorablement dans un mal-être généralisé : un monde où les distributeurs d’oxygène sont plus répandus que les distributeurs de boissons gazeuses.

Le soleil est perpétuellement caché par le smog, il pleut de l’acide, des cours d’eau et des mers meurent, nourriture et eau empoisonnées, des populations entières prises de folie ou attaquées par la maladie, les bactéries, allergies généralisées, décroissance rapide de l’espérance de vie…

Ajoutons à cela l’apathie, l’absence de volonté politique et l’impuissance des gouvernements…dans cette histoire, il n’y a pas d’espoir. Il y a bien une petite lueur à la fin du tome 2, mais infime.

Et puis il y a Austin Train, l’homme qui ose dénoncer, dire la vérité, agir… mais il est traqué comme l’ennemi public numéro un. C’est une histoire extrêmement sombre qui, à toute fin pratique, se limite à décrire le chaos. Il n’y a pas vraiment de recherche d’équilibre.

Même si l’ensemble est dramatique, voire terrifiant, il y a tout de même des points forts qui rendent l’œuvre incontournable : le récit est bien documenté. Bien que très alarmiste, la description des effets à long terme de la pollution est crédible. J’ai ressenti l’urgence et de l’émotion.

Le TROUPEAU AVEUGLE est un roman dur, impitoyable et dérangeant. Son message est simple au fond : la terre-mère souffre…message évoqué dans une phrase très révélatrice que j’ai notée en cours de lecture : *Loués soient, si quelqu’un est là pour entendre, ceux qui luttent pour nous préserver des conséquences de notre propre folie constructrice*.

Suggestion de lecture, du même auteur : TOUS À ZANZIBAR

John Kilian Houston Brunner (1934-1995) écrivain britannique de science-fiction a connu vraiment la consécration en 1969 alors qu’il recevait le prix Hugo et le British SF award pour son livre TOUS À ZANZIBAR devenu un grand classique de la science-fiction. Il a aussi connu un grand succès en 1970 avec L’ORBITE DÉCHIQUETÉE, récipiendaire du British SF award. Il  a écrit plus d’une quarantaine d’ouvrages. Une de ses grandes préoccupations était de dépeindre l’humanité au 21e siècle. 

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
DÉCEMBRE 2014

BARTLEBY LE SCRIBE, livre de HERMAN MELVILLE

*Ce que j’avais vu ce matin-là me persuada que
le scribe était victime d’un désordre inné, incurable.
Je pouvais faire l’aumône à son corps, mais son
corps ne le faisait point souffrir; c’était son âme qui
souffrait, et son âme, je ne pouvais l’atteindre.*
(extrait de BARTLEBY LE SCRIBE de Herman Melville,
1853, rééd. Gallimard 1996, 90 pages, éd. Num.)

Ayant besoin d’une aide supplémentaire dans ses activités professionnelles, un homme de loi de Wall street New York publie une annonce et finit par engager un nommé Bartleby comme scribe, c’est-à-dire employé aux écritures. Bartleby, homme solitaire et introverti est, au départ, travailleur et volontaire, mais graduellement, il refuse de travailler et répond simplement à tous les ordres que lui donne son employeur *je préfèrerais pas*. Il devient de plus en plus apathique, passif, indolent Le notaire décide donc de renvoyer Bartleby mais a énormément de difficultés à s’en défaire. Il déploie de grands moyens pour ne plus le voir mais rien à faire, Bartleby semble indécollable.

Je préfèrerais pas…
(expression fétiche de Bartleby,
ex. Bartleby le scribe)

BARTLEBY LE SCRIBE est un opuscule étonnant, un petit livre très bref mais qui en dit tellement long. Melville nous plonge dès le départ dans l’atmosphère surannée d’une étude légale de New York où évoluent des personnages étranges : le notaire et ses trois employés appelés uniquement par leur surnom : Dindon, Lagrinche et Gingembre.

Puis arrive Bartleby, étrange personnage solitaire et introverti, engagé par le notaire pour l’assister dans les écritures.  Mais bientôt, le scribe refuse de travailler et répond invariablement aux ordres qu’on lui donne :  *je préfèrerais pas*, toujours au conditionnel, mais le résultat est le même, il ne fait rien et se replie davantage sur lui chaque jour.

Le notaire tente de s’en défaire mais sans beaucoup de conviction et c’est là que se manifeste toute la beauté du texte car le notaire est allé au bout de ses ressources pour comprendre et aider l’infortuné Bartleby qui s’est pratiquement limité à son expression fétiche dans le texte.

On n’apprend à peu près rien sur le scribe sauf ce qu’il est maintenant : âme abandonnée, esprit impénétrable, corps statique, sans vie active qui semble ne se nourrir que de biscuits au gingembre. Le scribe refuse de travailler. Chez Bartleby, tout n’est que refus…il refuse de s’ouvrir, de parler, de se détendre, de s’amuser et même de quitter le bureau…ça va jusqu’au refus de vivre…et pendant ce temps, le notaire fait preuve d’une patience quasi surnaturelle.

Ce texte d’une incroyable profondeur m’a touché jusqu’à l’âme. C’est un petit livre marqué par le pessimisme et la mélancolie mais qui, avec beaucoup de subtilité, amène le lecteur à réfléchir sur la condition humaine et la détresse de l’âme, détresse qui ne s’exprime pas et qu’on ne peut ressentir que par empathie.

Cet opuscule, qui ne manque pas de grandeur est aussi porteur de réflexion sur les affres de la solitude, l’espoir et aussi sur une vertu qui a toujours fait défaut à l’humanité : la tolérance.

C’est un texte imprégné de détresse mais inoubliable qui évoque une recherche sur le sens de la vie et sur l’absurdité qui souvent, ne manque pas de la caractériser.

À lire absolument…

On retrouve aussi BARTLEBY LE SCRIBE dans le recueil LES CONTES DE LA VÉRANDA réédité en 1995 chez Gallimard. Ces nouvelles ont été écrites alors que la carrière littéraire de l’auteur était très difficile. Melville ne sera vraiment reconnu qu’après sa mort.

Herman Melville (1819-1891) est un romancier et poète américain. Il est considéré comme l’une des figures marquantes de la littérature américaine avec des chefs d’œuvres devenus incontournables dont Moby dick, Pierre ou les ambiguïtés et les célèbres CONTES DE LA VÉRANDA dans lesquels on retrouve BARTLEBY LE SCRIBE.

Influencé par la plume de Fenimore Cooper et Byron entre autres, il commence à écrire en 1845. La véritable consécration est venue bien après sa mort avec entre autres un engouement qui ne s’est jamais démenti pour MOBY-DICK à partir des années 1950 et pour son œuvre en général.

Suggestion de lecture : du même auteur, MOBY DICK

BONNE LECTURE
JAILU
DÉCEMBRE 2014

Adopte-moi, le livre de SINÉAD MORIARTY

*…-James, tu ne vas pas le croire…cette adoption
va nous coûter 20 000 dollars.
-Ben je vais peut-être changer d’avis. Bordel, cette
histoire d’adoption, c’est une putain de course
d’obstacles…*
(extrait de ADOPTE-MOI de Sinéad Moriarty,
Pocket, 2009, 265 pages)

Après deux ans *d’essais intensifs* pour avoir un bébé, Emma et James décident de s’investir dans l’adoption d’un enfant sans trop savoir dans quel marathon ils allaient se lancer. Leur choix se porte sur un petit bébé russe. Aux petits problèmes quotidiens, la passion de James pour le sport, la famille un peu tordue d’Emma et les amis qui viennent parfois compliquer la vie, s’ajoute une incroyable course à obstacles obligeant le couple à affronter une tonne de paperasses administratives, l’apprentissage de la langue et de la culture russe et pire encore : convaincre une assistance sociale qui n’entend pas trop à rire. 

Un bébé à tout prix…

*…Où est passée ma petite optimiste?
-Elle s’est fait tabasser à mort par les
esprits diabolique du service des
adoptions…*
(dialogue entre Emma et James,
extrait de ADOPTE-MOI, Sinéad Moriarty)

C’est un  bon petit roman amusant et instructif. Le sujet est original. Il est en effet assez rare qu’un sujet aussi complexe que l’adoption internationale soit développé sous forme de roman.

ADOPTE-MOI est le récit de Emma Hamilton qui dresse un portrait attendrissant et humoristique des multiples courbettes, galipettes et pirouettes qu’elle doit faire, avec son mari James, instructeur d’une équipe de rugby, pour séduire les assistantes sociales de l’adoption internationale, en particulier Dervla, le dragon de service affecté à l’enquête sur la famille Hamilton, une pincée pas commode et dont le sens de l’humour est à revoir.

Dans ce livre, les assistantes sociales ne bénéficient pas d’une grande popularité. Le couple Hamilton réserve à Dervla quelques pensées et blagues plutôt caustiques…*ainsi, la vieille vache était capable de sourire pensai-je amèrement* (pensée d’Emma lors d’un souper réunissant des candidats adoptants)…

*Quelle est la différence entre une assistante sociale et un pitbull? Au moins avec le pitbull, tu as une chance de récupérer un morceau de ton bébé. –Quand vous serez prêt… j’aimerais commencer cet entretien, à moins que vous ne souhaitiez vous débarrasser de quelques autres plaisanteries d’abord…* (dialogue plutôt tendu entre Dervla et Donal, un garant des Hamilton).

Si le roman raconte de façon réaliste les démarches compliquées et parfois démoralisantes de James et Emma Hamilton il raconte aussi le quotidien du couple et à ce niveau non plus, il n’y a pas de longueur et mon intérêt pour l’histoire n’a jamais failli.

L’auteure a placé au cœur de son histoire des personnages qui viennent ajouter du piment et de la vie. Par exemple, Barbara, appelée Babs, la sœur d’Emma, une jeune adulte pourrie, extravagante et allumeuse, Thomas, un enfant mal élevé et détestable, ou Annie, une ado persuadée que son tuteur légal est sa propriété.

La faiblesse de l’ouvrage réside dans ce qui semble une vision presqu’entièrement féminine de l’adoption. On y trouve des sentiments masculins mais ils donnent l’impression d’être remisés. Bref sur le plan littéraire, c’est ce que j’appellerais un *livre de filles*.

Ça vient un peu assombrir la crédibilité de l’ensemble. Mais on trouve dans l’histoire beaucoup de rebondissements, de situations cocasses, de l’humour, de l’énergie. L’écriture est fluide, touchante et sympathique. Un bon moment de lecture.

Suggestion de lecture : 99 FRANCS de Frederic Beigbeder

Sinéad Moriarty est une écrivaine de nationalité Irlandaise. Elle a travaillé à Londres comme journaliste commerciale et comme chargée des communications au projet des Jeux Olympiques de Londres.  Au moment d’écrire ces lignes, elle exerce le métier de *maman* à Londres.

À ce titre, son expérience de maman l’a motivé à écrire *FAIS MOI UN BÉBÉ* en 2004, traduit en une vingtaine de langues,  livre publié chez Plon. Quelques année plus tard, elle récidive avec *ADOPTE-MOI*. Elle travaille à un troisième volume, D’ICI À LA MATERNITÉ qui viendra compléter la trilogie.

EN COMPLÉMENT :
À PROPOS DE L’ADOPTION INTERNATIONALE…

Je vous invite à prendre connaissance d’un reportage du journaliste Baptiste Ricard-Châtelain publié dans LAPRESSE.CA  le 7 janvier 2012. Le journaliste dresse le portrait le plus récent de l’adoption internationale qu’il qualifie de *chemin de croix*. Plusieurs liens sont proposés.

Allez à http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/societe/201201/06/01-4483655-adoption-internationale-lillusion-du-bebe-parfait.php Pour ce qui est de l’adoption internationale au Québec, l’idéal pour en savoir plus est encore de visiter le site du secrétariat à l’adoption internationale qui propose aussi plusieurs liens pour une recherche complète. Allez à http://adoption.gouv.qc.ca/accueil.phtml

BONNE LECTURE
Claude Lambert
OCTOBRE 2014

ETERNITY EXPRESS, le livre de JEAN-MICHEL TRUONG

*…Patere legem quam ipse tulisti :
la société s’apprête à opposer à ses vieux
la loi qu’ils ont eux-mêmes opposée aux
êtres encore à naître, à savoir qu’ils n’ont
le droit de vivre que s’ils ne gênent pas les
vivants. Aux deux extrémités de la vie
s’appliquera bientôt le primat de  celui
qui est là sur celui qui est encore à venir
et sur celui qui n’est déjà  plus tout à fait là…*
(Extrait de ETERNITY EXPRESS, Jean-Michel Truong,
Éditions Albin Michel, 2003)

Une économie ruinée et une démographie hors de contrôle poussent l’Union Européenne à adopter la LOI DE DÉLOCALISATION DU TROISIÈME ÂGE. Les baby-boomers devenus papy boomers sont l’objet d’un marchandage sordide. Ne pouvant plus les nourrir, l’Europe, avec la bénédiction des familles envoie ses aînés dans un coin reculé de la Chine où ils pourront *couler* leur retraite…à moindre frais. ETERNITY EXPRESS est le récit du docteur Jonathan Bronstein (devenu lui aussi papy de trop) du voyage de ces vieux, entassés dans un train à destination d’une ville construite spécialement pour eux au bout du monde…

VOYAGE VERS LA FIN

Il ne faut pas avoir une nature trop empathique pour lire sans mal ce livre troublant et dérangeant. En effet dans ce livre dont l’écriture est directe et puissante, le troisième âge est décrit comme une marchandise périmée et dérangeante qu’il faut *parquer* quelque part sans que ça coûte trop cher et encore…si on pouvait faire mieux…

Il fallait un fonctionnaire aussi froid que génial pour trouver la solution… pourquoi ne pas les envoyer en Chine… je cite… *À prestations égales, le coût de la vie était six fois moins élevé en Chine. Y expédier les retraités permettait de leur offrir une fin de vie décente, à moindre frais pour la collectivité.

Les intéressés avaient bien tenté de protester, jetant tout leur poids dans la bataille pour éviter ce que les plus virulents n’hésitaient pas à qualifier de déportation. Mais les objecteurs n’étaient pas les payeurs et les payeurs étaient cent soixante millions, bien résolus à ne pas se laisser vampirisé par cette génération à qui ils ne devaient rien.*

Le sujet abordé par Truong dans ce livre est extrêmement préoccupant. Il s’agit bien sûr de la gestion des retraites en opposition avec la Loi du profit et la gestion des *baby-boomers* devenus trop nombreux et trop dispendieux*.

Et encore, l’auteur va plus loin car si la destination imposée aux vieux a tout ce qu’il y a d’idyllique, en apparence en tout cas, la loi de délocalisation du troisième âge imaginée par l’auteur n’est pas sans mettre en perspective  des sous-thèmes qui m’ont fait grimacer comme par exemple la bienveillance hypocrite des familles.

C’est ainsi qu’on trouvera dans ce livre des dialogues agressifs et d’une incroyable froideur d’où découlent des insanités du genre *-Nous avons limité les naissances et accru la durée de la vie : l’exact inverse de ce qu’il fallait faire.*

ETERNITY EXPRESS est donc le récit du voyage de plusieurs centaines d’ainés à destination de la Chine décrite pour eux comme la Terre Promise. Pour une bonne part, l’histoire tourne autour des questionnements qui tourmentent les vieux et qui reviennent tous à une question qui pourrait être celle-ci : qu’est-ce qu’on a fait pour en arriver là?

C’est là, par le biais de son personnage principal et narrateur, Jonathan Bronstein, médecin déchu, que l’auteur dépeint un monde froid, gouverné par l’argent, le pouvoir, les promesses électorales, les dérives et l’amoralité d’une société capitaliste dans laquelle fleurissent autant la recherche du profit que l’incompétence.

Alors…il faut élaguer… pourquoi ne pas se débarrasser des vieux devenus improductifs et par voie de conséquence, une nuisance administrative, sociale et financière.

Ce livre est porteur d’une profonde réflexion sur notre société de consommation. Bien sûr nous n’en sommes pas encore là, mais je n’ai pu faire autrement que de me poser la question, moi qui est déjà sexagénaire, est-ce que la chose est plausible? En tout cas, les réflexions de Truong sont d’une justesse à faire peur.

Bien sûr, ETERNITY EXPRESS demeure un roman, mais un roman qui tire un signal d’alarme. C’est un livre que je classerais comme *thriller philosophique*. Il est noir, dur, mais captivant et intelligent et au-delà de tout ça, il est nécessaire.

*Quand ce train arrivera à destination, vous saurez vraiment ce que vaut votre vie*

Suggestion de lecture : TOUS À ZANZIBAR, de John Brunner

Jean-Michel Truong

Psychologue et philosophe,  Jean-Michel Truong est né en France en avril 1950. À sa sortie de l’Université de Strasbourg, il est cogniticien, c’est-à-dire spécialiste en intelligence artificielle. D’ailleurs, il est fondateur de COGNITECH, première société européenne spécialisée en intelligence artificielle. Parallèlement à ses activités professionnelles, il est romancier et essayiste. 

Pour en savoir plus sur Jean-Michel Truong, consultez son site officiel :
www.jean-michel-truong.com

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
AOÛT 2014