DIX PETITS HOMMES BLANCS, de Jean-Jacques Pelletier

*Il fallait créer une œuvre vivante. Qui s’inscrive durablement dans les mémoires. Une œuvre qui soit éducative. Qui change le regard des gens sur leur propre humanité. Cela impliquait inévitablement, qu’il y ait des morts. *
(Extrait : DIX PETITS HOMMES BLANCS, Jean-Jacques Pelletier, édition originale : Hurtubise 2014, réédition : Alire 2019, édition de papier, poche, 625 pages.)

À Paris, Théberge se croyait en vacances, mais il est bientôt recruté par un ami des services de renseignement français. L’affaire est délicate. Un petit homme blanc a été tué dans le 1er arrondissement. Puis deux dans le deuxième. Et trois dans le troisième… Où cela s’arrêtera-t-il ? Les hommes sont-ils les seuls menacés? Et seulement s’ils sont petits? Seulement s’ils sont blancs? Des rumeurs se propagent : tueur en série, meurtres à caractère raciste, crimes mafieux, terrorisme… Les réseaux sociaux se déchaînent. Inquiétude et paranoïa s’installent dans la population. Une seule personne connaît la vérité sur ces meurtres : Darian Hillmorek, un artiste aux ambitions planétaires.

Le sculpteur de l’humanité
*Le tueur se moque de la police
Combien de meurtres faudra-t-il encore ?
Que fait la police ? Bagdad-sur-Seine
Ces petits hommes blancs qu’on abat…
Manif sécurité pour tous : le droit d’être protégé
(Extrait, manchettes de médias)

C’est un roman très fort développé avec un incroyable souci du détail. J’ai déjà pu apprécier le style de l’auteur dans LES GESTIONNAIRES DE L’APOCALYPSE avec quelques-uns des mêmes personnages qui ont peut-être toutefois peu évolué. Il n’y a pratiquement pas d’analogie avec LES DIX PETITS NÈGRES d’Agatha Christie. On est très loin du huis-clos imaginé par la célèbre écrivaine mais le titre annonce une intrigue originale, complexe et au développement très lent.

Ça commence par un meurtre dans le premier arrondissement de Paris, puis deux meurtres dans le deuxième arrondissement et ainsi de suite…tous des hommes, petits, blancs, pas nains mais presque. L’enquête ne tarde pas à rebondir à la police judiciaire avec un regard  de la direction générale de la Sécurité intérieure ce qui est très en marge de la loi, d’autant que les intervenants sont non-rémunérés..

Disons qu’on regarde ailleurs : *Et comme officiellement, vous ne ferez rien, conclut le directeur, j’aimerais que vous m’informiez régulièrement de ce que vous n’êtes pas en train de faire. (Extrait)  Ici, le criminel, un tordu qui pense créer un nouveau modèle d’humanité en faisant du ménage, se rie complètement des policiers. Il est imprenable. Pire, la Presse a toujours un pas d’avance sur la police judiciaire, également gênée par la considérable influence des réseaux sociaux.

Cette histoire de Jean-Jacques Pelletier est intéressante à plusieurs égards, malgré un développement un peu particulier. D’abord, le tueur, atypique dans sa façon de procéder mais fou à attacher comme les autres. Il est particulièrement brillant pour semer les policiers et surtout manipuler la presse. L’auteur met en évidence la force, la puissance de la presse, assortie toutefois d’une certaine facilité avec laquelle on peut lui faire dire ce qu’on veut. Voilà qui force l’attention et qui fait que ce livre n’est pas prêt de vieillir à cause, en particulier du rôle dévolu aux médias sociaux.

*Blogueurs et adeptes de tweets rivalisaient pour s’établir comme une référence essentielle sur cette histoire. Même les médias internationaux s’en étaient emparée…comment réussissaient-ils (les réseaux sociaux) à manipuler aussi rapidement l’opinion publique ? Et surtout, comment parvenaient-ils à court-circuiter les médias officiels et leurs intérêts corporatifs ? Ce n’était même plus un jeu.* (Extrait)

Ce que j’ai moins apprécié dans la lecture de ce livre est une faiblesse récurrente dans l’œuvre de Pelletier : c’est long…c’est trop long. L’intrigue est diluée dans une foultitude de détails. Tout dépend ici de l’attrait du lecteur et de la lectrice pour cette machination quand même assez singulière du tueur.

Certains lecteurs risquent de perdre l’intérêt à cause de la lourdeur du récit. De plus, si vous avez lu la quadrilogie noire de Pelletier LES GESTIONNAIRES DE L’APOCALYPSE, vous risquez de trouver les principaux personnages de DIX PETITS HOMMES BLANC plutôt ternes. Je pense à Gonzague Théberge et Victor Prose en particulier.

Il y a comme un essoufflement dans le déploiement des personnages. Malgré tout, la nature de l’intrigue consacre l’originalité de l’œuvre. C’est noir mais c’est travaillé et je ne vois plus les médias sociaux de la même façon. Leur influence dans la Société est réalistement relevée dans le récit.

Enfin, l’auteur relève avec justesse, et ce n’est pas pour me déplaire, la bêtise et la violence qui caractérisent notre Société, même s’il est le premier à dire que tout n’est pas perdu. Bref, c’est un bon livre. Je le recommande, mais soyez patients.

Suggestion de lecture,. du même auteur : LES GESTIONNAIRES DE L’APOCALYPSE

Jean-Jacques Pelletier a enseigné la philosophie pendant plusieurs années au Cégep Lévis-Lauzon. Écrivain aux horizons multiples, le thriller est pour lui un moyen d’intégrer de façon créative l’étonnante diversité de ses centres d’intérêt, entre autres la gestion financière, les guerres informatiques, technique de manipulation des individus, progrès scientifiques, troubles de la personnalité, etc.

Depuis L’HOMME TRAFFIQUÉ jusqu’à LA FAIM DE LA TERRE, dernier volet des GESTIONNAIRES DE L’APOCALYPSE, et des VISAGES DE L’HUMANITÉ jusqu’à DEUX BALES, UN SOURIRE, c’est un véritable univers qui se met en place. Dans l’ensemble de ses romans sous le couvert d’intrigues complexes et troublantes, on retrouve un même regard ironique, une même interrogation sur les enjeux fondamentaux qui agitent notre société. (Alire)

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 28 janvier 2023

PARIS BRÛLERA-T-IL ? livre de ÉRIC ROBINNE

*Il lut le message qui était inscrit à l’écran et crut
aussitôt à une plaisanterie. Il le relut…Dune détente
subite, il se rejeta dans son fauteuil qui recula sur ses
roulettes. Maurice n’
en croyait pas ses yeux. Ce n’était
plus de la stupéfaction
qui lanimait mais une crainte
violente
une onde de peur venait de lenvahir !
(Extrait : PARIS BRÛLERA-T-IL ? Éric Robinne, Éditions AO,
2017, édition numérique et papier, 375 pages)

Le 11 septembre 2009…La date n’est pas choisie au hasard par le mystérieux groupe M3W pour adresser par mail un ultimatum au Président de la république, Nicolas Sarkozy. Si les conditions posées ne sont pas respectées, Paris pourrait bien brûler d’ici quelques jours. Ce roman met en scène un personnage devenu récurrent dans l’œuvre d’Éric Robinne, le lieutenant Mathieu Guillaume et son enquête s’annonce corsée…genre *course contre la montre*…

UN BON TOURNE-PAGE
*Sarkozy lut le texte, les sourcils froncés…
Ses interlocuteurs attendaient en retenant
leur souffle qu’il leur en dise plus. Il
redressa la tête et afficha un sourire jaune.
La nouvelle devait être mauvaise.*
(Extrait : PARIS BRÛLERA-T-IL ?)

PARIS BRÛLERA-T-IL est un roman-catastrophe dont on a pas envie d’abandonner la lecture : chapitres très courts, rythme très élevé, intensité dramatique allant crescendo, sujet lié à l’actualité sous le thème du terrorisme et participation de têtes chaudes de la politique française au moment de l’écriture du livre, comme le président de la république, Nicolas Sarkozy dont l’auteur confirme le sale caractère et le côté un peu gauche.

Un autre point intéressant : c’est la première fois que je lis Éric Robinne mais je sais, pour avoir lu sa petite histoire que le lieutenant Mathieu Guillaume est un personnage récurrent de son œuvre. L’ombrageux policier est de retour dans PARIS BRÛLERA-T-IL.

Le point fort du récit est certainement l’intensité du drame vécu par le milieu policier à défaut du public puisqu’on réussit péniblement à garder secrète l’information, à savoir la destruction imminente de Paris :

*Écoutez-moi bien ! Nous sommes peut-être le dernier rempart qui protégera cette ville et sa population. Le temps joue contre nous et nous n’éviterons probablement pas les premiers décès…Cela me parait impossible. Mais nous avons cinq jours pour trouver ce fils de pute et pour empêcher un massacre général. Je ne sais pas ce que nous allons vivre au cours de ces jours maudits…  (Extrait)

L’autre point fort du récit est son lien avec la grande actualité. Son développement vient nous rappeler qu’il n’y a pas grand-chose pour arrêter un individu ou un groupe réellement décidé à semer la terreur, déstabiliser, tuer. À ce sujet, les évènements du 11 septembre 2001 hantent toujours la planète et l’auteur ne manque aucune occasion d’établir un lien avec cette tare de l’histoire.

L’auteur a travaillé davantage les personnages qui organisent la destruction de Paris avec une froideur, une indifférence à la vie humaine et un savoir-faire qui ébranle le lecteur. L’ajustement du récit avec l’actualité a un effet un peu hypnotique et même addictif car si des avion-kamikazes peuvent détruire des gratte-ciel de 80 étages, un génie du mal peut bien subtiliser une petite bombe nucléaire aux russes et l’amorcer où ça leur chante. En résumé, le rythme très élevé de la chaîne d’évènements capte et retient l’attention du lecteur qui ne pense qu’à une chose, tourner la page pour connaître la suite.

Ce qui m’a le plus déçu dans ce livre est sa finale. Je ne peux évidemment pas dire de quoi il s’agit mais je l’ai trouvé expédiée et bâclée. Les opinions émises sur le livre de Robinne n’en font à peu près pas mention. Peut-être le lectorat a-t-il jugé qu’il n’était pas nécessaire d’aller plus loin. L’équilibre était atteint, c’est ce qui compte. Peut-être…peut-être suis-je trop dur.

Pas vraiment d’explications, de résultats d’enquête mais évidemment beaucoup de congratulations, de tapes dans le dos, de nominations, de départ à la retraite et le sommet de l’ordinaire : l’annonce d’un mariage…*policier*… je n’ai pas compris ce choix de l’auteur qui m’a donné l’impression d’avoir été au bout de son inspiration à quelques pages de la fin.

Peut-être dois-je mettre de côté cette déception et garder en mémoire que j’ai passé un bon moment de lecture presque ininterrompue… que j’ai apprécié les rebondissements, les revirements de situation, l’imagination déployée par l’auteur dans le projet des terroristes qui sont, je le rappelle, complètement dénués de sentiments. Le livre vaut la peine d’être lu. C’est au lecteur ou à la lectrice d’imaginer la meilleure finale possible.

Suggestion de lecture : LE SPLEEN DE PARIS, de Charles Baudelaire

Né en 1955 à Rouen, Éric Robinne est marié. Il a trois enfants et autant de petits-enfants. Ingénieur agricole, il accomplit son service national comme coopérant au Gabon. 

Un jour, son fils lui demande s’il serait capable de lui écrire un scénario…ainsi nait le premier roman d’Éric Robinne: LE SILENCE DES LOUPS qui s’est vendu à 100,000 exemplaires. Devenu accro à l’écriture, il a publié plusieurs ouvrages par la suite dont JEUX FATALS en 2016, OPÉRATION DIAMANT NOIR en 2015 et bien sûr PARIS BRÛLERA-T-IL en 2017.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 8 août 2020