LA ROUTE, le livre de Cormac McCarthy

*Il était couché et écoutait le bruit des gouttes dans les bois. De la roche nue par ici, le froid et le silence… Les cendres du monde défunt emportées çà et là dans le vide sur les vents froids et profanes…*
(Extrait : LA ROUTE, Cormac McCarthy, à l’origine, Point éditeur 2009, 251 pages. Version audio : Sixtrid éditeur, 2015. Durée d’écoute, 7 heures 2 minutes. Narrateur : Éric Herson-Macarel)

L’apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres et de cadavres. Parmi les survivants, un père et son fils errent sur une route, poussant un Caddie rempli d’objets hétéroclites. Dans la pluie, la neige et le froid, ils avancent vers les côtes du Sud, la peur au ventre : des hordes de sauvages cannibales terrorisent ce qui reste de l’humanité. Survivront-ils à leur voyage ?

 

Du matériel à peur
*Les cris qu’elle poussait ne signifiaient rien
pour lui. Derrière la fenêtre, rien que le froid
de plus en plus vif, des incendies à l’horizon.
Il tenait bien haut le petit corps rouge, décharné
tellement à vif et nu…et il coupa le cordon avec
un couteau de cuisine et enveloppa son fils
dans une serviette.
(Extrait)

C’est un roman étrange, noir, un drame post-apocalyptique très visuel et heureusement car les dialogues sont plutôt linéaires, coupés au couteau. C’est le caractère descriptif de la plume qui m’a gardé dans le coup. Notez que tout ce qui est décrit dans ce livre a été vu, revu et rerevu au cinéma. C’est du réchauffé et ce sentiment de déjà vu ne m’a pas quitté pendant toute la lecture.

L’histoire se déroule dans un monde dévasté, on ne sait pas par quoi ni dans quelles circonstances. Ce que je sais, c’est-à-dire peu de choses, c’est que dans un décor de fin du monde, deux êtres marchent vers leur destin sur une route qui leur est impartie. On sait qu’elle mène vers le sud mais ça ne nous avance pas tellement. L’histoire est donc celle de ces deux êtres dépersonnalisés : pas de nom, pas d’histoire, pas de passé, un présent infernal et un avenir incertain qui repose sur une route.

Lui, c’est le père, que le narrateur appelle l’homme et l’autre le fils, que le narrateur appelle le petit. Le tout est rendu sans émotions, sans chaleur et pourtant, tout le récit repose sur une relation père-fils. Je n’ai noté aucune profondeur dans les dialogues. J’ai entendu les mêmes termes peut-être une centaine de fois : *J’sais pas* *J’en sais rien* *d’accord…d’accord* *J’ai très froid* *J’ai très faim*, *J’te demande pardon* et j’en passe…

Je crois que toute la valeur du récit repose sur la psychologie des personnages et sur l’intuition des lecteurs/lectrices. Mais la relation entre le père qui cherche à protéger son fils et le fils qui ne veut pas décevoir son père a malheureusement été sous-développée. L’auteur a passé à côté d’une opportunité d’enrichir son récit en accentuant la relation Père-Fils avec plus d’émotion, plus de chaleur, de meilleures interactions et des dialogues mettant en perspective l’espoir nourri par ces personnages.

Voilà je crois qui aurait donné une force, du caractère et de l’originalité à une histoire dans laquelle il n’y a rien de positif, de prometteur et moins encore, de joyeux. Ça reste noir et dramatique jusqu’à la fin qui est d’une infinie tristesse. 

Donc c’est un livre à lire je pense avec *les yeux du cœur* pour saisir au mieux ce que le père et son fils vivent sur leur route.

Suggestion de lecture : WARDAY, de W. Strieber et J. Kunetka

Cormac McCarthy, Charles McCarthy de son vrai nom, est un écrivain et scénariste américain né le 20 juillet 1933 à Providence. Dans la jeune trentaine, il se fait connaître avec son premier roman (LE GARDIEN DU VERGER)1965. Puis, avec le temps et le talent, il consolide sa réputation avec, entre autres, avec LA TRILOGIE DES CONFINS et LA ROUTE.

LA ROUTE au cinéma


Le roman de McCarthy a été adapté au cinéma. Le film, réalisé par John Hillcoat et scénarisé par Joe Penhall sur la musique de Nick Cave est sorti en 2009 au Canada. Les acteurs principaux : photo ci-contre, à gauche Vigo Mortenson, à droite, Kodi Smit-McPhee.

 

BONNE LECTURE
BONNE ÉCOUTE
Claude Lambert
le samedi 29 juillet 2023

 

MALEFICIUM, le livre de Martine Desjardins

*Ses volutes noires s’immisçaient dans mes fosses nasales
 avec une vibration tellurique qui me chatouillait jusqu’au
 tréfonds des oreilles. Mon sens de l’équilibre s’en trouva
 affecté et je ressentis un vertige exquis que, dans mon
égarement, je ne pensais qu’à prolonger. *

(Extrait : MALEFICIUM Martine Desjardins, Audible studios
éditeur, 2018. Durée d’écoute : 4 heures 24 minutes
Édition d’origine, Alto éditions, 2011)



Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent pas ce qu’ils ont fait. Pardonnez à ces sept hommes victimes d’étranges maléfices, venus chercher dans le confessionnal une oreille attentive au récit de leur infortune et implorer le salut de leur âme souillée par la curiosité et la faiblesse de la chair.  Pardonnez aussi à cette femme calomniée, emmurée dans un cruel silence, car elle sait bien ce qu’elle a fait.

Pardonnez enfin à l’homme de Dieu qui a recueilli leurs aveux et brisé le sceau de la confession en les transcrivant dans un ouvrage impie. Lecteur, vous tenez entre vos mains une version remaniée mais non expurgée du mythique Maleficium de l’abbé Savoie (1877-1913), prêtre sacrilège dont on connaît peu de choses, sinon qu’il termina ses jours, cloîtré dans un monastère après avoir été mystérieusement frappé de surdité.

Sachez que la lecture de cet ouvrage délétère pourrait provoquer un certain malaise chez les âmes pures, exciter les sens ou éveiller des désirs inavouables, et qu’en cédant à ses charmes vous risquez d’encourir l’excommunication.

Vous voilà averti. L’auteure du Cercle de Clara et de L’évocation (prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec) nous offre une fresque baroque en huit tableaux, une invitation à voyager aux limites des plaisirs et de la souffrance. Maleficium est une œuvre rare, parfumée de fantastique, d’exotisme et d’érotisme.

À lire ou à écouter car la version audio est très intéressante avec les narrations de Danny Boudreault, Maxime Dugas, Martin Rouette, Patrick Baby, Sébastien Dodge, Annick Vermette, Nicolas Landré et Thiery Dubé.

Baroque et sulfureux
*Le bruit a longtemps couru que l’archevêché de Montréal
abritait dans ses archives confidentielles un livre si
dangereux qu’il avait été emmuré au fond d’une alcôve.
Quiconque aurait la témérité de l’exhumer de ses
oubliettes serait excommunié sur le champ. *
(Extrait)

   

MALEFICIUM est un recueil de nouvelles. Elles peuvent se lire indépendamment mais elles ont un point en commun : aux fins du roman, ces huit nouvelles, qui sont autant de confessions entendues par un prêtre font partie d’un livre écrit par un certain abbé Jérôme Savoie qui vécut au XVIIIe siècle.

On ne sait pas grand-chose de ce prêtre sinon qu’il est considéré comme sacrilège et que son livre a été jugé tellement dangereux par l’Église que celle-ci l’a fait emmurer dans une oubliette et quiconque tenterait de l’en faire sortir serait condamné aux tourments éternels.

Il serait plus juste de dire que MALEFICIUM est une œuvre baroque en huit tableaux dont les acteurs évoluent aux limites de l’exotisme et de l’érotisme et livrent leur penchant avec des sens exacerbés à un prêtre qui ne s’exprime pas.

L’œuvre comprend des thèmes récurrents qui confinent à la bizarrerie, à la singularité et aux anomalies de la nature qui exacerbent le désir et les sens. Par exemple, les malformations humaines et les bizarreries anatomiques comme une personne logeant une larve dans son nombril, une femme à queue.

La huitième confession est particulièrement surprenante, je ne vais pas la dévoiler mais elle est comme un condensé de l’œuvre. La confession qui condense les huit témoignages et c’est la confession d’une femme. La seule femme parmi les huit qui s’accusent. La principale faiblesse de l’œuvre tient dans le fait que les histoires ne sont pas égales. L’intensité varie.

Certaines sont dépourvues d’émotions, d’autres accusent des longueurs. L’ensemble est plutôt froid. Le prêtre n’est pas étranger à cette impression. Il semble *absent dans sa présence*. Ce n’est pas le seul paradoxe de l’œuvre mais quoiqu’il en soit, c’est un livre assez sulfureux et qui ne laisse pas indifférent.

Il se dégage de ce récit un parfum de scandale, d’interdit, d’immoralité. Un trait d’union de tout ce que l’Église exècre…un parfum de sacrilège…*Fuyez mon Père, elle a déjà commencé à transformer votre église en pandémonium de l’enfer. * (Extrait de la septième confession, Oleatum pandaemonium).

J’ai trouvé original le fait de précéder les confessions d’une mise en garde presque solennelle. On ne pouvait trouver mieux pour capter définitivement l’attention des lecteurs/lectrices :

*Cette première édition de l’œuvre présentée ici dans une version passablement remaniée mais non expurgée, suscitera un certain malaise, voire la désapprobation. Après tout, l’abbé Savoie a retranscris des confessions qui lui avaient été faites sous le sceau du sacrement, rompant ainsi les chaînes du serment auxquelles il était tenu et dont ne pouvait le délier ni lois, ni menaces, ni périls de mort. * (En introduction. Extrait de l’avertissement)

C’est un livre étrange dans lequel le plaisir chevauche la souffrance. Il n’y a dans cette œuvre ni vulgarité, ni grossièreté. Tout n’est que fines allusions, double-sens, suggestions et sensualité retenue par une écriture très belle qui confine par moment à la poésie. Il y a quelque chose d’envoûtant dans ce livre. Un parfum d’exotisme qui me rappelle un peu les MILLE ET UNE NUITS du lointain orient avec en plus un soupçon de fantastique.

J’ai été subjugué par la plume de l’auteure qui est extrêmement descriptive, magnifiquement déployée, habilement suggestive. Martine Desjardins n’est pas tombée dans le piège de magnifier le mal. Elle décrit avec précision huit tableaux sacrilèges empreints d’audace, d’étrangeté avec, comme fil conducteur les méandres obscurs de l’esprit humain. Maleficium est un monde troublant à explorer.

J’ai beaucoup aimé.

Suggestion de lecture : Jour de confession, d’Allan Folsom

Martine Desjardins est née à Mont-Royal au Québec. Après des études de russe, d’italien et de littérature comparée, elle a travaillé pour plusieurs magazines, et tient présentement la chronique Livres à L’actualité. Saluée par la critique pour son premier roman, Le cercle de Clara, ainsi que pour L’élu du hasard, elle a remporté le prix Ringuet pour L’évocation, et les prix Jacques-Brossard et Sunburst pour Maleficium.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 27 mars 2022