BIENVENUE EN UTOPIE, de Jean-Jacques Hubinois

*Ces meurtres qui flétrissaient l’image de la ville
et par ricochet Utopie tout entière, révélaient,
si besoin, la vraie nature des hommes. Les canards
locaux s’étaient saisis de l’affaire, titrant à la une
<Un nouveau Jack l’Éventreur en Utopie>. *
(Extrait : BIENVENUE EN UTOPIE, Jean-Jacques
Hubinois, Morrigane éditeur, 2019, numérique, 300p.)

2024 : Sur la plaque de déchets du Pacifique Nord, au large d’Hawaï, un mécène visionnaire a érigé Utopie, territoire futuriste et écologique, grand comme six fois la France, où violence et crime n’ont pas droit de cité. Une nouvelle chance pour l’homme ! Pourtant, une série de meurtres abominables vient troubler cette harmonie. De découverte surprenante en identification effroyable, un ancien commissaire mettra à jour une impensable vérité

La perfection qui dérape
*Il enserrait l’organe de plus en plus fort de ses doigts menus
jusqu’à le sentir palpiter dans le creux de sa main. Puis, tout
explosait pendant qu’un liquide chaud, épais, s’échappait par
saccades entre ses doigts refermés sur l’objet convoité…Quand
la bête de Satan s’était tue et que le petit cœur dans sa main
recroquevillée n’était plus qu’un objet sans vie, il portait ce
fruit vermeil à sa bouche. *
(Extrait)

J’ai été conquis par ce roman original, même si l’auteur a opéré un virage en règle dans le développement de son sujet en cours de récit. Je m’attendais en effet à un récit à saveur environnementale mais j’ai finalement été aiguillé sur les technologies symbiotiques et les manipulations biosynthétiques. Mais peu importe car l’œuvre soulève de nombreuses questions sur l’éthique par exemple, les dérives scientifiques et la compréhension de la nature humaine, ce dernier point faisant trop souvent cruellement défaut.

Tout le récit repose sur le rêve excentrique d’un mécène multimilliardaire, Harry Murloch…rêve qui consiste à créer un monde parfait, sans criminalité aucune, paisible et progressiste, le tout installé sur des dizaines de mètres d’épaisseur de déchets de plastique surtout.

Imaginez : une surface continentale ayant six fois celle de la France et reposant sur trente mètres d’épaisseur de déchets, rendant la surface stable et habitable. Mais le rêve de Murloch allait plus loin : créer un monde stérilisé, sans crime ni exploitation, l’immigration étant fortement filtrée, passée au peigne fin. Un monde parfait. Pas étonnant qu’il ait pour nom UTOPIE.

Mais notre bon Murloch, qui en passant a beaucoup de choses à cacher a fortement surestimé la nature humaine. Il a oublié que le non-respect des règles est atavique chez l’homme. Et comme je m’en doutais, un loup est entré dans la bergerie : un psychiatre avec des jeunes patients autistes. C’est ici que le récit prend des allures de thriller noir car des meurtres d’une cruauté qui va au-delà de l’imagination seront commis. Ça met le service de police dans tous ses états car Utopie n’est pas sensé connaître la violence.

C’est ainsi que le lecteur et la lectrice sont entraînés dans ce qui a toutes les apparences d’un complot ou on trouve de tout sauf des scrupules. C’est là aussi que j’ai été sensibilisé au mariage douteux entre la biologie et la manipulation biotechnologique. Je vous laisse découvrir le lien entre le continent de rêve et le cauchemar qui va s’ensuivre mais c’est fort bien développé et bourré de trouvailles fort bien imaginées.

Il y a des longueurs bien sûr avec de fastidieuses explications sur la viabilité d’Utopie, beaucoup de détails techniques. Mais dans l’ensemble, c’est crédible. Il me reste à vous avertir que l’auteur ne fait pas dans la dentelle. C’est violent et il vous faudra avoir par moment le cœur solide : <Tout était prêt pour un très proche usage. Il pensa avec délectation aux supplices réservés à sa prochaine victime. Il allait se surpasser !> (Extrait) Le meilleur est à venir…ou le pire…c’est selon.  Excellent divertissement.

Suggestion de lecture : LE PAPILLON DES ÉTOILES, de Bernard Werber


l’auteur Jean-Jacques Hubinois

Naissance à Reims le 24 mars 1953.
Très tôt, Jean-Jacques Hubinois a voyagé dans les livres. Et grandi parmi eux, conseillé par un père attentif à son éducation littéraire. Il mène des études de médecine au terme desquelles il s’installe comme ORL à Saint-Denis en 1983. Passionné d’histoire, il veut créer un Arsène Lupin commissaire, démêlant avec éclat et panache les plus effrayantes énigmes policières.

Après un premier ouvrage publié sous le pseudonyme de Jacques Dianajan, Le Crime du Pont-Neuf (Édilivre), l’auteur reprend son personnage principal, le commissaire Bertillon et l’implique dans une nouvelle affaire dans un deuxième roman, Les Cagnards de l’enfer (Les 2 encres). (K-libre)

DU MÊME AUTEUR

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 24 juin 2023

LE LIVRE QUI REND DINGUE, de FRÉDÉRIC MARS

*Elle a souri, rougi un peu, ouvert son exemplaire
comme si elle allait lire des trucs cochons. Je ne
sais pas si ça l’était, mais ça a dû être lumineux,
car elle a souri plus largement encore.*
(Extrait : LE LIVRE QUI REND DINGUE, Frédéric Mars,
Storylab éditions, 2012, numérique)

Le livre très attendu d’un auteur émergent connaît un succès foudroyant qui dépasse la compréhension des milieux littéraires. Dès sa sortie, les librairies sont envahies. Tout le monde s’arrache le précieux volume déjà nominé pour l’obtention de nombreuses citations, récompenses et prix littéraires. C’est le plus grand best-seller de tous les temps. Le livre raz-de-marée. En quelques semaines, il se vend à des centaines de millions d’exemplaires, le monde entier est subjugué. Mais bientôt d’étranges phénomènes frappent les lecteurs…

La théorie du bon lecteur
*Je suis l’auteur d’un texte dangereux. Vous qui
me lisez, vous qui, dans le monde entier, avez
pris plaisir à la lecture de mon livre, je vous en
remercie. Très sincèrement. Mais je vous demande
aujourd’hui, solennellement, de le détruire sans
plus attendre.*
(Extrait : LE LIVRE QUI REND DINGUE)

C’est un livre un peu étrange, au sujet intriguant et très original. C’est aussi un roman très court, tout à fait en accord avec la mission que s’est donné Story Lab de ne publier que des livres qui se lisent en moins de 90 minutes, en format numérique. En quelques mots LE LIVRE QUI REND DINGUE est l’histoire d’un auteur qui gère mal le succès phénoménal de son livre.

Il m’a fallu un peu de temps pour m’accrocher au sujet. Je ne savais pas trop où voulait en venir Mars jusqu’à ce que je comprenne en fait que l’auteur voulait idéaliser le lien qui doit exister entre un auteur et les lecteurs comme si, d’une part chaque lecteur apporte ce qu’il a pour se retrouver dans ce qu’il lit et d’autre part l’auteur trouve la perfection absolue du ton juste pour s’adresser personnellement et directement à chaque lecteur.

*Il me semblait impossible d’adapter mon discours à de parfaits inconnus. Le paradoxe, c’est que mon livre le faisait pour moi, et que cela justement, compliquait tout. Auberge espagnole, il permettait la projection de tous les sentiments, toutes les croyances, tous les savoirs que le lecteur apportait avec lui*(extrait)

Mars se demande en fait si un roman peut créer ses lecteurs. J’aborde la question comme une utopie évidemment, d’ailleurs à la fin du récit, l’auteur déchante un peu et le lecteur peut alors comprendre un peu mieux la démarche de l’auteur. Mais il faut admettre qu’il y a de quoi réfléchir :

*Je ne m’étais encore jamais demandé ce qui pouvait bien se passer si mes lecteurs…comment dire…s’ils n’avaient rien à apporter? Ce que j’avais encore moins anticipé, c’est qu’ils seraient nombreux dans ce cas.* (extrait)

Tout au long de ma lecture, j’ai senti que Frédéric Mars tourne en dérision les différents intervenants dans la production d’un livre, les éditeurs en particulier et aussi, tout ce qui vient après la publication. On y trouve des remarques parfois acides sur, les libraires, les médias et même sur les critiques littéraires qui sont loin d’être encensés.

Mars établit même une distinction entre le bon et le mauvais lecteur : Il y a une thèse à écrire sur la méchanceté du lecteur attentif… (Extrait) Bref…dans ma longue carrière de lecteur, je ne me suis jamais demandé ce que je pouvais apporter à un livre.

Malgré toute son originalité, je ne peux pas dire que ce livre m’a emballé. Peut-être parce que je n’ai pas été accroché dès le départ et aussi parce que j’ai trouvé la finale un peu décevante. Le livre a tout de même des forces : il est bref, se lit bien, il interpelle.

Beaucoup trouveront l’histoire amusante et surtout son sujet est terriblement sorti des sentiers battus. Je pourrais coller au récit une petite étiquette philosophique mais l’auteur ne se prend pas au sérieux et pourrait même vous surprendre par son humour parfois décapant.

Dernière petite curiosité mais non la moindre, le livre dont il est question dans le récit de Frédéric Mars porte un titre imprononçable, il s’agit d’un point d’interrogation à l’envers et mieux encore…on ne saura jamais de quoi parle ce livre…Mars aura vraiment été original jusqu’au bout…

Frédéric Mars est un auteur et scénariste français né à Paris en 1968. Il a aussi été journaliste et photographe. Un de ses plus grands succès littéraires fut sans doute NON STOP publié en 2011. En plus de ses romans, Mars a publié une quarantaine d’essais et livres illustrés. Les différentes facettes de la personnalité et les limites de la conscience comptent parmi ses thèmes préférés, tendance qu’on retrouve dans LE LIVRE QUI REND DINGUE. Il a aussi écrit un roman -jeunesse : LES ÉCRIVEURS  en 2011.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 17 juin 2018