LE VIDE, tomes 1 et 2, livre de PATRICK SÉNÉCAL

1-VIVRE AU MAX
2-FLAMBEAUX

*Les assassins tiraient sur Nadeau et les policiers,
mais Rivard ne mourait pas sur le coup : son
ventre explosait, son visage se faisait déchiqueter
par les balles, il continuait pourtant de hurler à
l’aide…*
(extrait de LE VIDE tome 1, VIVRE AU MAX, de Patrick
Sénécal,  éditions Alire, num. 2008, 313 pages.)

LE VIDE est le récit de l’entrecroisement du destin de trois personnages : Pierre Sauvé, veuf, la quarantaine, policier qui enquête sur un quadruple meurtre. Frédéric Ferland, divorcé, psychologue à Saint-Bruno. Maxime Lavoie, célibataire, très riche, animateur de la série de téléréalité très controversée VIVRE AU MAX.

Ces trois personnages ont un point en commun : ils cherchent un sens à leur vie, une excitation qui la rendrait digne qu’on se batte pour elle… ces trois personnages convergent vers un destin commun à l’issue dramatique. Le but, combler ce qui manque cruellement à leur existence : un vide…peu importe ce qu’il en coûtera…

Du Sénécal pure laine
*Les réunions sont organisées par un certain Charles
qui incite les gens présents à se suicider. Il dit que
plus rien ne vaut la peine, que tout est vain et
que le mieux est de mourir.*
(Extrait de LE VIDE, tome 2, Patrick Sénécal, éditions
ALIRE, 2008, éd. Num.)

Pour utiliser d’entrée de jeu un cliché, Sénécal reste Sénécal. Il a le don de garder ses lecteurs et lectrices en captivité. Un peu comme King, il entretient la curiosité, un irrésistible besoin de continuer à lire pour satisfaire une curiosité qu’il a lui-même suscitée.

Dans LE VIDE, on assiste à l’installation et l’évolution graduelle de la démence dans l’esprit torturé de Maxime Lavoie, pdg milliardaire. Au départ, l’esprit de Lavoie est noble, empathique, ses buts sont de nature philanthrope, mais suite à une cruelle désillusion, son esprit se corrompt, s’avilit. Le bel altruisme du début fait place à la haine, la cruauté, la misanthropie.

Très graduellement, Lavoie met au point un plan très complexe et totalement démoniaque et pour ce faire, il utilisera des outils dont il dispose abondamment : de l’argent, une émission de téléréalité d’une brûlante insipidité qu’il produit et réalise lui-même, ce qui lui permet de rejoindre des milliers d’esprits faibles et dépressifs. Le mélange est explosif et aboutira sur un inimaginable drame humain.

Première chose à souligner (comme l’ont fait tous les critiques), les chapitres du livre sont publiés dans le désordre…33, 5, 34, 35, 18, 7, etc. Bien que n’empêchant pas la compréhension du récit, cette fantaisie impose au lecteur des sauts temporels qui peuvent être irritants. Personnellement, j’ai lu les chapitres dans le désordre, n’ayant aucune envie de passer mon temps à feuilleter.

Le fil conducteur du récit est solide et comporte trois éléments qui m’ont littéralement forcé à garder le livre ouvert : 1) la mystérieuse et dramatique aventure de Lavoie en Gaspésie, mentionnée un peu partout dans le récit et dévoilée vers la fin. C’est là semble-t-il où tout a basculé pour Lavoie.

2) Gabriel : rescapé du drame gaspésien, énigmatique adolescent d’une douzaine d’années, mentalement perturbé, muet, apathique, omniprésent dans le récit, personnage-clé.

3) Et bien sûr, le vide…le vide existentiel, c’est-à-dire l’expression d’une existence sans réalité, sans valeur. (Larousse) Si le vide est un thème plutôt abstrait au départ, l’auteur dévoile à la petite cuillère toute son horrible réalité.

C’est un roman tordu mais bien ficelé au point d’agripper le lecteur. Les personnages sont froids, aucun attachement possible. L’écriture est descriptive, le langage cru et direct autant pour les scènes sanglantes que les scènes de sexe. D’ailleurs dès le début, l’auteur fait la description fort détaillée d’une orgie assez torride merci. Ce n’est pas une diversion. D’ailleurs, il n’y a aucune diversion dans ce roman.

On aime ou on aime pas. Moi j’ai aimé.  Pas de demi-mesure avec Sénécal. Le lecteur est forcément appelé à se demander ce qui se passe dans l’esprit de l’auteur et comment les choses peuvent dégénérer à ce point. C’est dur et intense…au risque de me répéter…du Sénécal pure laine.

Suggestion de lecture : du même auteur, FAIMS

Patrick Sénécal né en 1967, est un écrivain québécois spécialisé dans le roman *noir*. Il est aussi scénariste et réalisateur. Il publie son premier roman en 1994 : 5150 rue des Ormes, adapté au cinéma en 2009. Il est détenteur de plusieurs prix littéraires importants dont le prix Boréal du meilleur roman en 2001 (Aliss) et le prix Masterton en 2006 (Sur le seuil) en plus des distinctions dans les salons du livre. Il a aussi publié deux romans pour la jeunesse. LE VIDE, est son 7e roman, le plus médiatisé de son œuvre. Consultez l’article consacré à son livre CONTRE DIEU

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JUIN 2015

DES CLIQUES ET DES CLOAQUES, Jim Thompson

*Je lui expédie un crochet du droit, puis un
crochet du gauche : coup sur coup. Je la
laisse s’affaler au pied de l’escalier. Son
cou a l’air d’avoir allongé de dix
centimètres, et sa tête ballotte comme
une citrouille sur un cep de vigne.*
(extrait de DES CLIQUES ET DES CLOAQUES,
Jim Thompson,  t.f.  Éditions Gallimard, 1967,
éd. Num. 160 pages)

Voici l’histoire de Frank Dillon, un raté,  du moins en apparence, qui partage sa vie entre sa femme, Joyce, une maritorne impossible et Stapple, son patron à l’esprit cruel et méchant pour qui il vend de la camelote de porte en porte. Un jour, alors qu’il croit réussir à vendre des couverts de table à une vieille femme, celle-ci offre à Dillon de se faire payer en nature en couchant avec sa nièce Mona. Dillon refuse et par bonté, laisse les couverts sur place et sort. Stapple menace de le congédier s’il ne rembourse pas. Entre  temps, la belle Mona offre à Dillon de l’aider à se débarrasser de sa vieille tante et mettre la main sur sa fortune. Dillon, ne réfléchis pas longtemps et élabore un plan machiavélique…

Noir, très noir…

*Je lui expédie six balles dans la tête et
dans la nuque. Il pique du nez et c’est
rideau pour Pete. Avant de partir, je
m’assure qu’il a passé. Sa figure ne
ressemble plus à grand-chose, mais
j’ai l’impression qu’il est mort
heureux. Il sourit.
(extrait de DES CLIQUES ET DES CLOAQUES)

DES CLIQUES ET DES CLOAQUES est un récit extrêmement sombre…*les aventures véridiques d’un homme en proie à la poisse et aux mauvaises femmes* (titre du chapitre 22)…le récit de Frank Dillon, surnommé Dolly, dont la vie est une prise en étau entre *ses femmes*, de véritables poufiasses qu’il appelle *roulures* dans le texte, et son patron Stapple, un exploiteur cruel.

Dolly, un raté, sympathique au départ, devient un parfait salaud, menacé par un plus salaud que lui…les meurtres s’accumulent…

Ne vous attendez pas à des élans de joie de vivre dans ce récit très noir qui explore les bas-fonds de l’esprit humain. La plume est crue et directe : *Si je suis noir, plus noir qu’un trou à charbon…* (extrait)…*Ce soir, tue-la ce soir Dolly…* (extrait) .

Ce roman est développé un peu en dents de scie et pourtant on s’y accroche même si les personnages n’ont rien d’attachant. Comme le récit m’a amené à me demander comment on pouvait tomber aussi bas, je suis devenu comme accroché au texte.

Le petit côté décevant est que Thompson a très peu développé la relation entre Dolly et Mona (la fille exploitée par une vieille femme avec qui elle vivait) et qui devient elle aussi une roulure comme les autres. La finale, tout de même assez solide tient très peu compte de son destin. En revanche, l’auteur exploite à fond son personnage principal : Frank Dillon, un pauvre raté, exploité, qui devient paranoïaque, meurtrier et finalement suicidaire.

Malgré certaines longueurs, pardonnables à mon avis,  question de respirer un peu, le caractère sombre du récit va en s’intensifiant. Thompson nous entraîne dans un univers de folie et d’horreur. Sans être un chef d’œuvre, c’est un très bon roman qui décrit une clique de personnages douteux et dont l’esprit est moralement corrompu, ce qu’on appelle, sur le plan littéraire un cloaque. C’est un bon livre… qui porte bien son titre.

Suggestion de lecture : EN SACRIFICE À MOLOCH, d’Asa Larsson

Jim Thompson (1906-1977) est un écrivain américain. Son premier livre paraît en 1942 : NOW ON EARTH, inspiré du travail que Thompson faisait dans une usine d’aviation au début de la 2e guerre mondiale.  L’empreinte autobiographique de ce livre se retrouvera à des degrés divers dans l’ensemble de son œuvre.

La notoriété de Jim Thompson prend forme en 1956 alors qu’il écrit le script d’un des plus beaux films de Stanley Kubrik : LES SENTIERS DE LA GLOIRE. Ce travail amènera Thompson à s’installer à Hollywood où il continue d’écrire.

Son œuvre comprend plus d’une trentaine de  romans dont plusieurs sont devenus des classiques de la littérature américaine. La notoriété de l’auteur ne s’est installée que très graduellement et n’atteindra son apogée qu’après sa mort grâce, entre autres, à l’adaptation au cinéma de certains de ses romans.

C’est ainsi qu’Alain Corneau réalise SÉRIE NOIRE en 1979, adaptation cinématographique de DES CLIQUES ET DES CLOAQUES. Plusieurs adaptations suivront dont LES ARNAQUEURS en 1990, nominé aux Oscars.

Affiche du film SÉRIE NOIRE réalisé par Alain Corneau en 1979, adaptation du roman de Jim Thompson DES CLIQUES ET DES CLOAQUES avec Patrick Dewaere, Myriam Boyer, Marie Trintignant et Bernard Blier.

BONNE LECTURE
JAILU
MAI 2015

BILBO LE HOBBIT, livre de J.R.R. TOLKIEN

*L’animal devint alors fou; il sauta en l’air;
trépigna et jeta ses pattes de droite et de
gauche en d’horribles bonds, jusqu’au moment
où Bilbo le tua d’un nouveau coup d’épée;
après quoi il tomba et perdit conscience
pendant un long moment.*
(extrait de BILBO LE HOBITT, publication originale
1937, rééd. Le livre de Poche, juin 2007. J.R.R. Tolkien,
édition numérique, 253 pages)

Ce livre raconte l’histoire de Bilbo, un Hobbit de la Comté, paisible qui n’aime ni les aventures ni les imprévus. Mais un jour, la douce quiétude de Bilbo s’envole quand Gandalf vient le chercher. Le magicien entraîne Bilbo dans une aventure fantastique qui le mènera jusqu’à la Montagne Solitaire, gardée par un dragon cruel. Le voyage comporte de dangereuses épreuves.  

Bilbo croisera des personnages très étranges, Gollum en particulier, mais aussi des trolls. Avec Gandalf, Gollum, le Seigneur Elrond et plusieurs autres, Bilbo, sans le savoir, tisse la toile de la plus extraordinaire fresque de l’histoire de la littérature : LE SEIGNEUR DES ANNEAUX

Pour les enfants de Tolkien

*-Qu’ai-je, je me le demande?-
se dit-il, pantelant et trébuchant.
Il fourra la main gauche dans sa
poche. L’anneau lui parut très
froid comme il le glissait
doucement à son index tâtonnant.*
(extrait de BILBO LE HOBBIT)

Ce livre m’a envoûté tout simplement. Non seulement j’ai savouré une écriture limpide et qui confine parfois à la poésie, mais j’ai eu des réponses aux questions que je me suis posées suite à ma lecture du SEIGNEUR DES ANNEAUX (que j’ai lu en premier comme beaucoup l’ont déjà fait). Entre autres, j’ai su les circonstances exactes dans lesquelles l’anneau a été découvert par Bilbo.

Dans ce livre, l’anneau n’est qu’un accessoire. Ce n’est que dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX que le lien pourra être établi entre l’anneau et le Nécromancien dont il est question à 2 ou 3 reprises dans BILBO LE HOBBIT et qui deviendra SAURON dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX. Mais la découverte de cet anneau sera le prétexte à un extraordinaire dialogue, essentiellement composé de devinettes entre Bilbo et Gollum. Ça m’en a dit long sur la psychologie de ce dernier.

BILBO LE HOBBIT est une histoire pour les enfants. Tolkien l’a écrite pour ses propres enfants en y incorporant des chansons et comptines et en développant des thèmes qui passionnent les jeunes lecteurs : héroïsme, courage, quêtes, mystères…

Mais ce livre convient très bien aux adultes d’autant que, sans le savoir probablement, avec BILBO LE HOBBIT et LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, Tolkien allait modéliser des personnages et des créatures qui occupent encore aujourd’hui l’univers littéraire extrêmement riche du *fantasy* : elfes, gobelins, trolls, dragons, orques, nains, magiciens et j’en passe. De plus le style et les thèmes développés par Tolkien ne sont pas sans rappeler le phénomène *DONGEON ET DRAGONS*.

Mais BILBO LE HOBBIT est avant tout le prologue du SEIGNEUR DES ANNEAUX. Le livre est plus court, plus abordable. L’histoire est basée sur une seule quête, celle des nains qui veulent récupérer le trésor de leur peuple dérobé par Smaug. L’histoire est plus facile à suivre les dialogues étant plus courts et plus simples, un peu moins descriptifs que LE SEIGNEUR DES ANNEAUX et moins guerriers. L’écriture est un heureux mélange de force et de délicatesse.

Il ne faut pas perdre de vue que c’est une histoire pour enfants, elle est construite comme telle, mais elle a tout ce qu’il faut pour séduire les adultes et puis après tout, il faut bien la lire pour saisir tous les aspects profonds de l’œuvre majeure qui suit. Mais ce sera loin d’être une corvée car le récit est rythmé et très bien construit. L’ensemble est simple et captivant.

Pour moi, BILBO LE HOBBIT est un petit bijou de la littérature…incontournable.

Suggestion de lecture,  du même auteur : LE SEIGNEUR DES ANNEAUX

John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) natif d’Afrique du Sud était écrivain, poète et philologue. Au départ, il a imaginé BILBO LE HOBBIT pour amuser ses enfants (Christopher, John, Priscilla et Michael) et stimuler leur sens de l’émerveillement.  Le texte ne sera achevé et publié que beaucoup plus tard, en 1937 et préfigurera LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, ouvrage majeur sur lequel Tolkien travaillera à partir de 1938 et qui sera publié en 1954. Son succès ne sera jamais démenti. TOLKIEN était un passionné des langues et de philologie.

Martin Freeman incarne BILBO LE HOBBIT dans le premier film d’une trilogie
adapté et réalisé par Peter Jackson et sorti en 2012. À suivre…

BONNE LECTURE
JAILU
AVRIL 2015

AU FIL DU RASOIR, le livre de KARIN SLAUGHTER

*La pureté, lui dit Tolliver, dis-moi
ce que ça signifie dans les relations
pédophiles…-J’ai eu ta dame au bout
du fil tout à l’heure, elle aussi elle
m’a parlé de pureté…c’est une affaire
de castration, exact?*
(extrait de AU FIL DU RASOIR, Karin Slaughter,
t.f. Éditions Grasset et Fasquelle, 2004, éd.
num. 344 pages)

AU FIL DU RASOIR est le récit d’un enchaînement dramatique : une adolescente nommée Jenny pointe une arme sur un garçon de son âge et menace de le tuer. Un policier abat la jeune fille. Entre temps, Sara, un médecin légiste, découvre dans les toilettes de l’établissement où se déroule le drame, le corps d’un fœtus d’à peine quelques semaines. Pour Sara et son ex-mari, le chef de la police Jeffrey débute une enquête complexe et éprouvante pour tenter de comprendre le comportement de Jenny et savoir de qui est le fœtus. Sara et Jeffrey croyaient avoir une idée de ce qu’est l’horreur. En fait, ils n’en avaient qu’un tout petit aperçu. Comprendront-ils comment on peut descendre aussi bas?

Dérangeant mais réaliste…
(âmes sensibles et fragiles s’abstenir)
*-Putain de pervers beugla-t-il, puis il
froissa le magazine entre ses mains
et le lança contre le mur. Qu’est-ce qui
se passe par ici,  bordel?  Cria-t-il. Elle
vit palpiter une veine de son cou. –Combien
de gosses sont impliqués dans cette histoire?
(extrait de AU FIL DU RASOIR)

AU FIL DU RASOIR est un récit très noir, d’autant qu’il touche des cordes extrêmement sensibles de la conscience collective : pédophilie, viol de mineurs, inceste, agressions, mutilation. L’ambiance y est sordide, opaque. Malgré tout, l’auteur a bâti son histoire en évitant de tomber dans le piège du sensationnalisme à outrance.

Au début du livre et jusqu’au milieu à peu près, j’étais irrité par de nombreux passages qui me semblaient vides, exagérément étirés. Dans la deuxième moitié du livre j’ai compris que ces passages permettaient au lecteur de respirer un peu et de se remettre un peu des horreurs auxquelles il est soumis. C’est un livre qui ébranle, qui prend à la gorge mais je crois qu’il a été écrit avec finesse et intelligence.

La plume puissante voire impitoyable met en perspective l’originalité du sujet développé. Karine Slaughter  a réussi à imprégner à son roman de la sensibilité, de l’humanisme et de l’empathie, ce qui apporte un bel équilibre par rapport au caractère terrifiant du sujet traité : la pédophilie, un thème complexe, d’autant que dans AU FIL DU RASOIR, les agresseurs sont des femmes. Cet angle de la pédophilie est peu connu et très rarement développé dans les romans. C’était sans doute pour l’auteure un gros défi à relever.

Je dois vous prévenir que la finale du livre risque de vous choquer, moi elle m’a carrément enragé.  Je ne peux évidemment pas vous dire en quoi elle consiste mais je préciserai tout de même que la conclusion apportée au récit est tout à fait plausible, réaliste.

Bien que je ne conseille pas ce livre aux lecteurs sensibles ou fragiles, je veux préciser que l’auteure a évité les descriptions juteuses et suggestives. Le livre est très bien écrit et n’est pas sans suggérer une profonde réflexion sur un travers humain particulièrement aberrant qui s’écarte complètement de toute logique et de toute cohérence morale : la pédophilie.

En conclusion, AU FIL DU RASOIR est un polar aussi excellent que terrifiant mettant en scène des personnages dont quelques-uns sont d’une authenticité désarmante. J’ai apprécié  la lecture de ce livre même si elle m’a un peu ébranlé.

Suggestion de livre : LE RASOIR D’OCKHAM de HENRY LOEVENBRUCK

Karin Slaughter, née le 6 janvier 1971 est une écrivaine américaine originaire de Géorgie  qui s’est spécialisée dans le roman policier. Au moment d’écrire ces lignes, elle vit à Atlanta Son premier roman MORT AVEUGLE publié en 2003 devient rapidement un best-seller traduit dans plusieurs pays. Elle y installe une intrigue puissante qu’elle développera par la suite dans AU FIL DU RASOIR, À FROID et INDÉLÉBILE avec ses personnages fétiches : Jeffrey Tolliver, le chef de la police et Sara Linton, médecin légiste. Ces deux héros évoluent dans une région imaginaire : Grant county. 

BONNE LECTURE
JAILU
MARS 2015

L’EXORCISTE, le livre-choc de WILLIAM PETER BLATTY

*N’approchez pas! La truie est à moi…*
(extrait de L’EXORCISTE de William Peter Blatty,
J’ai lu, 1971)
 

La vie d’une jeune adolescente, Reagan McNeil, bascule dans l’horreur le jour où des phénomènes étranges commencent à se manifester en elle et autour d’elle : le comportement et l’apparence de Reagan changent. Elle devient graduellement hideuse, agressive, violente, obscène, des objets disparaissent ou sont déplacés. Sa personnalité se dédouble pendant que des évènements terribles viennent s’ajouter à l’horreur de la situation : un meurtre, une église profanée…

Reagan est soumise à une batterie de tests et aux soins d’une armada de médecins, mais personne ne peut expliquer quoique ce soit. Confrontés à leur impuissance, les médecins proposent en dernier recours un traitement de choc que seul un homme d’église peut offrir….

extrait du film L’EXORCISTE de William Friedkin avec Linda Blair dans le rôle de Regan

Bien  que les thème du diable et de la possession soient récurrents depuis l’aube de la littérature, Blatty a probablement été le premier écrivain à traiter la question avec autant de…modernité…mettant en perspective et en opposition la médecine, la psychiatrie et la prêtrise qui connaît beaucoup de difficultés liées à la fois. Blatty a donné au diable un nouveau visage dans un récit terrifiant constituant une véritable descente aux enfers.

Ce livre montre l’évidente évolution de notre société. Quand il a été publié en 1971, notre société n’était pas tout à fait prête à recevoir ce genre de récit d’horreur glacial, d’autant terrifiant qu’il est basé sur un fait vécu.

Aujourd’hui, le récit paraît plus anodin parce que la société s’est endurcie à l’horreur crachée quotidiennement par la télévision, internet, le cinéma et la presse écrite. Sans trop le savoir, William Peter Blatty a ouvert un bal car le cinéma et la littérature n’ont  pas tardé à s’emparer de cette nouvelle tendance en multipliant les productions, surtout au cinéma.

L’EXORCISTE demeure un phénomène littéraire…comme une curiosité culturelle qu’on n’a pas encore fini d’explorer. Ce n’est toutefois pas un livre qui brille par la puissance de son écriture, sur ce plan, Blatty ne m’a jamais vraiment surpris. Ce qui accroche le lecteur c’est le contexte de l’histoire et l’incroyable densité de son atmosphère…LE NON-DIT qui donne à l’ensemble un réalisme oppressant…voir étouffant.

Même si le livre développe la question de l’éternelle dualité entre le bien et le mal, il fait encore vibrer et démontre encore que la psychiatrie moderne n’a pas réponse à tout. Il a encore cette capacité de glacer le sang et de forcer le lecteur à faire des pauses pour respirer un peu.

Je dirais que ce livre constitue une puissante mise à jour de tout ce qui a pu être imaginé sur la possession démoniaque. À mon avis, il n’y a pas eu d’autres mises à jour dignes du titre, donc le livre conserve toute son actualité.

C’est la deuxième lecture que je fais de ce livre, la première remontant à 1973. Quarante ans plus tard, l’effet est le même : La chair de poule. L’EXORCISTE est un livre à éviter si vous êtes une âme sensible et à lire à petite dose. Malgré des efforts considérables pour y parvenir, ce livre n’a jamais été égalé…

Suggestion d’écoute : LA MER DES DÉSOLATIONS de DIRK MAGGS et JAMES A. MOORE

l’auteur William P Blatty

William Peter Blatty est né à New-York en janvier 1928. Il s’est consacré à la littérature (L’EXORCISTE est son œuvre majeur) et au cinéma où il a œuvré comme scénariste et réalisateur. Il a réalisé en 1990 L’EXORCISTE, LA SUITE (3e épisode de la saga).

Aussi en 1980, il a signé le scénario et la réalisation du film LA NEUVIÈME CONFIGURATION pour lequel il a obtenu deux prix prestigieux. Il s’est bâti une solide réputation dans le cinéma fantastique et d’horreur. L’EXORCISTE est un livre basé sur un fait réel : un cas d’exorcisme sur un garçon de 14 ans en 1949 dans le Maryland.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JUIN 2014

VOIR LE COMPLÉMENT CINÉMA

GIGASTORE, le livre de JAMES LOVEGROVE

 *…la devise des Fantômes :
-Soyez silencieux, vigilants,
obstinés, intransigeants. Et
surtout, n’oubliez jamais que
le client n’a pas toujours raison
*********
La plupart des  gens considèrent que la somme
dont ils disposent est un but à atteindre
plutôt qu’une barrière à ne pas franchir…
(extrait de DAYS, James Lovegrove, J’ai lu,
Bragelonne, 2005)

Commentaire sur DAYS
de James Lovegrove

DAYS est un roman d’anticipation dont l’action se déroule dans un giga-complexe commercial. L’histoire raconte la journée-type des employés qui travaillent dans ce magasin aux dimensions titanesques, les consommateurs qui le fréquentent et même les voleurs qui y opèrent. DAYS est le plus grand magasin du monde, aux dimensions d’une ville. Sept frères y règnent en rois  selon les traditions établies par le fondateur Septimus Day. L’histoire commence alors que Frank Hubble de la brigade de la sécurité stratégique de DAYS (qui a le droit de tuer au besoin) s’apprête à donner sa démission. Une journée folle commence dans le plus grand *gigastore* du monde…

C’est un livre très intéressant et son sujet est original.  L’histoire se déroule dans un gigantesque magasin aux dimensions effrayantes : sept étages hauts de 14 mètres chacun, ses cotés font 2 kilomètres et demi de longueur, le tout couvrant sept millions de mètres carrés. On y trouve 666 rayons de vente dans lesquels on peut acheter n’importe quoi, à peu près tout ce qui existe et c’est peu dire. Je m’en remets ici à la devise de DAYS : *Tout ce qui est mis en rayon sera vendu et tout ce qui est vendable sera mis en rayon*.

Pour avoir un compte chez DAYS, il faut être quelqu’un, appartenir à une certaine classe, voire à une élite. Et même dans l’élite, il y a des niveaux. La carte aluminium par exemple est dans le bas de gamme, la carte Silver monte d’un cran et ainsi de suite. Avec une carte rhodium, vous êtes presque Maître du monde. Ce n’est pas facile d’avoir une carte. Il faut économiser pendant des années comme deux des héros de l’histoire, Linda et Gordon qui se sont privés pendant des années pour vivre finalement une seule journée de cauchemar.

DAYS est une anticipation sociale et une satire sur nos travers de consommateurs et nos habitudes en société. Je ne veux pas tout dévoiler mais je ne m’attendais pas du tout à une forte intensité dramatique, spécialement dans la 2e moitié. En effet, au cœur de l’histoire, il y a un conflit entre deux rayons adjacents : l’informatique et le rayon livre se livrent une guerre à mort : insultes, harcèlement, menaces, agressions, coups bas et même une alerte à la bombe…(imaginez ça chez Wall Mart entre deux rayons dits associés…)

Il y a d’autres trouvailles…par exemple les ventes *flashs* qui ne durent que 5 minutes, transformant la foule en troupeau et où on aboutit à des chaos indescriptibles…plus de blessés que de bonnes affaires finalement.

Avec beaucoup d’habileté, l’auteur raille nos comportements souvent grotesques en société et met en perspective les vices et les travers non seulement des consommateurs mais aussi du *Dieux Commerce*  qui ne craint pas le ridicule on dirait bien. Lovegrove dépeint plus qu’il ne critique. Il a soigneusement évité la diatribe même s’il y est allé fort avec la guerre des rayons. Je crois qu’il a voulu mettre en perspective la psychologie des foules et les excès d’un monde froid et capable d’être cruel et violent.

De par l’intelligence de l’écriture, le réalisme du propos et les ressemblances frappantes avec notre société actuelle, par exemple, la description de comportements excessifs de clients et de commerçants, je dirais que ce livre m’a autant effrayé qu’il m’a amusé.

Je crois que la lecture de ce livre vous fera passer un moment agréable…avant d’aller magasiner…

James Lovegrove est un romancier de science-fiction spéculative fantasy et horreur. Il est né au Royaume-Uni en décembre 1965. Il est aussi spécialiste en littérature anglaise et chroniqueur littéraire pour le Financial Time. Son premier roman THE HOPE a été publié en 1990. DAYS est le premier roman de Lovegrove traduit en français. Son grand succès lui a valu une réédition chez J’AI LU et une mise en nomination pour le prix ARTHUR C CLARKE en 1988.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
juin 2014

LE JOUR DES FOUS, D’EDMUND COOPER

 …Au cours de cette même nuit, ce qui restait
du village d’Ambergreave agonisait – une
agonie violente et grotesque, même pour
un monde transnormal…
(extrait de LE JOUR DES FOUS de Edmund Cooper,
Marabout, coll. Poussière d’Étoiles, 1966)

Les scientifiques constatent une augmentation spectaculaire des suicides en Angleterre. Le phénomène s’étend et devient mondial. Les suicidés se chiffreront bientôt par centaines de millions. Les savants qui ont nommé cette tendance *SUICIDE RADIEUX* arrivent à la conclusion que le soleil émet des radiations nouvelles et inconnues qui poussent au suicide.

Pour des raisons inconnues, seuls étaient épargnés les  fanatiques, obsédés, déficients, les idiots, maniaques homicides  et dépravés. C’est tout ce qui restait pour assurer la survie du genre humain. Mais dans ce chaos, il reste un homme qui semble lucide : Mathew Greville, condamné à survivre dans un monde livré à la démence…

Bien que le sujet du livre soit surexploité, *élimé*, usé à la corde, il y a une certaine originalité dans le traitement. Les radiations Oméga n’épargnent que les cinglés, les inadaptés et les dégénérés.

Ce n’est pas vraiment idéal pour rebâtir un monde. Mais l’auteur a bâti son histoire sur deux exceptions : le héro de l’histoire, Mathew Greville, un macho misogyne et égocentrique et Liz une bête de sexe mais qui a une certaine grâce et qui, avec une infinie patience, apprivoise Greville qui tombe graduellement amoureux.

Ensemble, ils devront survivre dans un infernal chaos, affrontant de cruelles bandes organisées dans un monde sans loi, devenu terne et sans morale. Même s’il y a beaucoup de *déjà vu* dans ce livre, l’histoire est imprégnée d’un caractère très fort qui explique probablement pourquoi LE JOUR DES FOUS compte parmi les meilleurs romans d’Edmund Cooper.

C’est sans doute le roman le plus grinçant de l’œuvre de Cooper. L’action est rapide, agressive. Le traitement est minutieux et fort. J’ajouterai que le portrait que livre l’auteur de la nature humaine quand celle-ci est confrontée à l’horreur et la déchéance est d’un réalisme qui m’a séduit, et ce, je le rappelle, même si le sujet est archi-usé (c’est le petit défaut de sa qualité).

En fait je m’étais dit dans les premières pages…*flute…encore du post-apocalyptique* mais je n’ai jamais regretté d’être allé jusqu’au bout pour les raisons que j’ai déjà mentionnées et aussi à cause de la brillante imagination qu’a déployé l’auteur pour donner à ses héros l’impulsion et la force d’organiser la survie et de rebâtir un monde qui, en bout de ligne, trouvera peut-être son second souffle.

J’ai senti une certaine aisance de l’auteur à supprimer le monde normal pour le livrer à des déséquilibrés et à des cerveaux dans lesquels le génie chevauche la folie…des restes d’humains que l’auteur appelle des *Trans normaux* . Je crois que l’auteur a voulu démontrer qu’entre un fou et un être normal, la différence peut-être négligeable dans un monde post-apocalyptique ou la seule préoccupation est de survivre.

Je cite ici en terminant, un propos de Paul, membre du triumvirat qui dirige les ANARS, le troisième et dernier groupe qui recueille Mathew et Liz. Il dit, avec une agressive honnêteté*Nous sommes à ce point cinglés que pour nous, la folie multipliée par mille représente la normale*. Une telle confession ne serait-elle pas le début d’une certaine sagesse?

C’est le cas je crois et c’est le défi du livre et de ses deux héros…rebâtir avec ce que l’on a et avec ce que l’on est.

Suggestion de lecture : VOL AU-DESSUS d’UN NID DE COUCOU de Ken Kesey

Edmund Cooper (1926-1982) est un écrivain de science-fiction britannique.. Sa carrière de romancier débute vraiment au milieu des années 1950 et il se spécialisera rapidement dans le roman cataclysmique. LE JOUR DES FOUS est son œuvre marquante, sa plus grande réussite. La plupart de ses romans sont plutôt noirs, citons LE DERNIER CONTINENT publié chez Marabout, LA DIXIÈME PLANETE publié chez Denoël  et L’EMPREINTE DE VÉNUS, publié chez Lattès.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
MAI 2014

AU-DELÀ DE LA PEUR, livre de NANCY TAYLOR ROSEMBERG

*…Elle sortit le revolver de sa poche et
l’empoigna fermement en visant la
porte d’entrée.
-Essaye donc de revenir ici espèce de
salaud, dit-elle les dents serrées, je ne
te manquerai pas…*
(extrait de AU-DELÀ DE LA PEUR, de
Nancy Taylor Rosenberg, Flammarion 1997)

Ann Carlisle, agente de probation du comté de Ventura en Californie est blessée par balle. Dès lors, sa vie bascule dans l’horreur. Elle est harcelée, attaquée dans sa propre maison et terrorisée par des menaces qui pèsent sur elle et sur son jeune fils David. Les soupçons portent sur le jeune Sawyer, un dealer dont elle a la responsabilité comme agente de probation. Mais est-ce bien lui? Les preuves sont très difficiles  à établir, et puis il y a…d’autres possibilités, aussi horribles …sinon pires. Le principal défi pour Carlisle : rester en vie.

AVANT-PROPOS :
RÔLE DES AGENTS DE PROBATION :

Les agents de probation ont le mandat légal de favoriser à la fois la protection de la société et la réinsertion sociale des contrevenants. À la demande des juges, ils préparent des rapports présentenciels  sur les personnes reconnues coupables, évaluent pour elles les possibilités de réinsertion sociale et préparent des recommandations sur les possibilités et les risques d’une libération conditionnelle.

Pour ce qui est du lien avec le livre de Rosenberg, il faut surtout noter l’importance des rapports présentenciels et le fait que l’agent de probation garde un rapport constant avec les personnes contrevenantes et qu’ils en assument la responsabilité légale…

 Un métier à risque…

Ce livre ne m’a pas empêché de dormir mais il m’a quand même tenu en haleine, spécialement dans la seconde moitié où Rosenberg pousse le lecteur à jongler avec les multiples possibilités de trouver le coupable. Donc l’histoire n’est pas trop prévisible. La faiblesse du livre réside dans les nombreuses situations tirées par les cheveux qu’on y trouve.

Il y a en effet des passages abracadabrants qui donnent envie d’escamoter quelques pages. Le hasard est un peu surexploité. Je dirais toutefois que cette faiblesse n’est pas une constante dans l’histoire mais elle me laisse supposer qu’il ne resterait plus grand-chose à faire pour adapter l’ensemble au cinéma.

Je crois que la force du livre réside dans l’originalité du sujet. En effet, l’héroïne de l’histoire est une agente de probation, Ann Carlisle qu’on essaie de rendre folle par des moyens obscurs. L’auteure Nancy Taylor Rosenberg en sait long sur la question puisqu’elle a été elle-même agente de probation.

À ce titre elle a eu à traiter de nombreux cas de meurtres et de crimes à caractère sexuel. Malgré de nombreux passages invraisemblables dans l’histoire, elle pousse le lecteur et la lectrice à s’interroger sur le rôle souvent ingrat des auxiliaires de la justice.

On est très loin du chef d’œuvre littéraire, mais ça fait différent. En effet,  je n’étais pas fâché de lire autre chose que les exploits d’un inspecteur de police du style Colombo à l’intuition infaillible et qui a réponse à tout. Bref, AU-DELÀ DE LA PEUR est un suspense assez efficace…un livre divertissant.

Suggestion de lecture : LE CHUCHOTEUR , de Donato Carrisi

Nancy Taylor Rosenberg est née en 1946. Elle a travaillé pendant 14 ans dans la police et les milieux juridiques américains où elle évoluait comme agent correctionnel et de probation. Elle a publié son premier livre en 1993. Plusieurs de ses romans ont été bestseller dont AU-DELÀ DE LA PEUR et traduits dans le monde entier. Elle a écrit entre autres LA PROIE DU FEU et POUR QUE JUSTICE SOIT FAITE.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert

mai 2014

LA RELIGION, roman de TIM WILLOCKS

*…De la tête, Lazaro désigna l’escalier qui menait
au cloître des hospitaliers. –On voit des choses
là-dedans, qui retourneraient l’estomac le plus
solide et briseraient le cœur le plus vaillant…*
(extrait de LA RELIGION, Tim Willocks, 2006,
version française 2012, Sonatine Éditions)

Cette histoire nous fait remonter le temps jusqu’en 1565 alors que Soliman le magnifique, Sultan des Ottomans déclare la guerre Sainte aux Chevaliers de l’Ordre de Malte. C’est l’occupation de Malte, un des conflits les plus sanglants et cruels opposant l’Islam et la Chrétienté. Au cœur de cette toile spectaculaire et oppressante, on retrouve Matthias  Tanhauser,  un colosse héroïque, fidèle à la Religion mais déchiré entre deux désirs extrêmement puissants : la soif de combat et de gloire et l’amour d’une femme piégée à Malte : Carla qui garde  l’espoir de retrouver son fils qui lui a été arraché au début de sa vie par un homme d’église fourbe et cruel.

D’abord, quelques mots sur LA RELIGION :

La Religion dont il est question dans ce roman est essentiellement un ordre religieux dont le vrai nom est ORDRE DE SAINT-JEAN DE JÉRUSALEM aussi appelé LES HOSPITALIERS et plus couramment LA RELIGION. Cet ordre religieux a été créé à Jérusalem vers 1080 et est à l’origine de tous les autres ordres de Saint Jean. Au départ, l’ordre était exclusivement hospitalier, protégeant avant tout les pèlerins malades dans les hôpitaux de l’ordre.

Très vite, après la disparition des Templiers, l’ordre de Saint-Jean, tout en gardant un pied dans sa vocation d’hospitalier est devenu guerrier avec une féroce volonté de combattre les Sarrazins et de parer à la menace musulmane. Avec le temps, l’Ordre, farouchement indépendant, échappera à tout contrôle jusqu’à son éclatement au début du 19e siècle.

UN ROMAN *CHOC* :

C’est un roman très long (plus de 800 pages) qui évoque le grand siège de Malte, un des conflits les plus sanglants de l’histoire des guerres de religion et un des plus cruels de l’histoire militaire. En effet, en mai 1565 Soliman, sultan des Ottomans (des Turcs) à la tête de 38,000 hommes, est décidé à prendre l’île de Malte qui ne dispose que de 9 000 chevaliers hospitaliers et soldats Maltais.

Soliman voit dans cette guerre une étape pour réduire la chrétienté à néant, mais le courage et l’astuce de son opposant, la Valette, grand maître de la Religion, conduiront les Turcs à la déroute. Tim Willocks décrit avec un luxe de détails l’incroyable boucherie qui résultera de cette guerre.

Ce qui m’a frappé dans ce roman, c’est la puissance descriptive que l’auteur a déployée…description détaillée de tueries, d’exécutions, de mutilations, de corps démembrés, de têtes tranchées, de puanteur, description détaillée de cette capacité très *humaine* de tuer et de faire souffrir avec des raffinements de cruauté, sans oublier une description très explicite de plusieurs épisodes à caractère sexuel dont quelques-uns sont loin de verser dans l’eau de rose.

J’ai trouvé l’écriture magnifique, puissante mais parfois éprouvante, la violence étant détaillée avec une telle ferveur qu’elle m’a laissé cette impression agaçante que l’auteur a voulu trop en mettre. Toutefois l’esprit chevaleresque de l’époque est bien mis en perspective. Les amours du Héros Tanhauser viennent un peu alléger l’ensemble même s’il s’agit d’un impossible et complexe triangle amoureux.

Ce livre ne m’a pas fait ami-ami avec la Religion car ce n’est qu’un des très nombreux ouvrages (romanesques ou documentaires) qui évoquent une époque où l’inquisition voyait l’hérésie partout et où il suffisait de dire *C’est la volonté de Dieu* pour justifier la folie des hommes. Willocks ne se gêne pas pour souligner le travers des Cultes et les qualifier de fosses à serpents.

Il m’a semblé évident que l’auteur a pris son temps…le roman accusant des longueurs mais sa principale force est d’arracher le lecteur de son confort et de le placer dans le décor d’un environnement ravagé par la violence et la haine.

Grande Crois de l’Ordre de Saint-Jean-De-Jérusalem

C’est un roman puissant. La plume est audacieuse et est de nature à submerger le lecteur, surtout celui qui ne craint pas les longueurs et la crudité d’une grande quantité de passages. Le livre a peut-être une ou deux centaines de pages de trop mais il tient quand même captif et sa finale est magnifique.

Suggestion de lecture : TERRES DE SANG ET DE LUMIÈRE de Jocelyne Godard

BONNE LECTURE
JAILU
OCTOBRE  2013

(En Complément…)

L’ORANGE MÉCANIQUE, livre d’ANTHONY BURGESS

Il serait inutile de me creuser le rassoudok à faire une interminable analyse du roman que je viens de terminer zoom, Ô mes frères. Car malgré le nadsat (argot inventé par Burgess) qui semble complexifier le récit, il s’agit d’une histoire simple, que j’ai vraiment appréciée.

J’avais été captivé par L’Orange Mécanique porté à l’écran par Stanley Kubrick, et c’est sur le tard que j’ai appris l’existence du roman. En commençant la lecture de ce dernier, je ne pouvais m’empêcher de faire des comparaisons avec le film, mais j’ai rapidement cessé quand l’incroyable univers décrit par Burgess m’a englouti. De toute façon, à quelques détails près, le film en est une fidèle adaptation.

Avant même les scènes de violence, et la psychologie déstabilisante du personnage principal et narrateur, c’est le nadsat qui est le plus frappant

. Ce langage d’inspiration anglo-russe est aussi agrémenté d’autres expressions stylisées des plus savoureuses, telles mes exquis cucuses usées pour des excuses, beuheuheuher pour pleurer. N’importe qui peut inventer des mots pour en désigner d’autres, mais ça prend un maître pour créer un langage à ce point intelligible, et ajoutant carrément une nouvelle dimension au récit.

Le roman parle d’un garçon, un voyou comme disent les Français, un jeune délinquant qui commet des vols, meurtres, viols, qui sème le désordre. Un jour l’état l’attrape et lui dit nous allons vous métamorphoser, grâce à des techniques de conditionnement Pavlovienne, de façon à ce que désormais le mal vous révulse.

Anthony Burgess , 1985

Ce qui est extraordinaire de ce roman, c’est que Burgess nous amène , sans qu’on comprenne de quelle façon au premier abord, à éprouver de la sympathie pour le narrateur et personnage principal, le jeune Alex, adepte de l’ultra-violence, manipulateur et vandale.

En y repensant bien, et aidé par la lecture d’analyses plus poussées, j’ai compris comment. Malgré son sadisme et sa cruauté, le fait qu’Alex passe de bourreau à victime, le fait qu’il s’adresse au lecteur comme à un ami et aux autres dans un parler distingué, et aussi le fait qu’il aime la musique classique contribuent à nous le faire voir sous un angle biaisé.

L’Orange mécanique est le genre de livre qu’on aime ou qu’on aime pas. Si cet article vous a intrigué ou que vous avez aimé le film culte de Kubrick, vous ne serez pas déçu par le roman.

Après la lecture, je vous recommande d’écouter le film, et finalement d’aller visionner le documentaire Il était une fois Orange Mécanique, documentaire très intéressant disponible sur les streamings et les torrents.

 voir ce qu’en pense JAILU>

Suggestion de lecture : PROIES de Mo Hayder

Phenixgoglu
Décembre 2012