DANS LA SECTE, P. Henri, L. Alloing

Commentaire sur la bande dessinée de
PIERRE HENRI et LOUIS ALLOING


(Extrait : DANS LA SECTE, Pierre Henri. Illustrateur : Louis Alloing. La Boîte à bulles éditeur, 2005, 96 pages. Format numérique)

Dans la nuit, une jeune fille court afin d’attraper son train. Elle désire partir au plus vite. Mettre des kilomètres entre elle et cette secte où elle vient de passer plusieurs mois, éprouvants, éreintants. Dans la tranquillité du train qui file vers Paris, Marion se souvient de l’itinéraire qui l’a amenée jusqu’ici : publicitaire aux soirées aussi remplies que les jours, en rupture amoureuse et familiale, elle suit les conseils d’un ami qui lui propose de venir se ressourcer, s’épanouir grâce à des techniques scientifiques parfaitement éprouvées. Marion met, avec espoir, le doigt dans un engrenage – celui de l’Église de Scientologie – dont il lui faudra des années pour s’extirper entièrement.


Rescapée de la scientologie

DANS LA SECTE est un petit roman graphique, une bande dessinée d’une centaine de pages numériques dans laquelle une jeune fille, Marion, raconte son expérience dans la secte de la scientologie. Comment elle a été recrutée, puis embrigadée, comment elle a fini par en réchapper, non sans être tourmentée, harcelée, pour finalement être confrontée à un choix qui va la marquer.

C’est un petit livre-témoignage dénonciateur des abus et des arnaques des sectes. La secte visée dans ce petit livre est l’Église de la Scientologie qui regroupe différentes croyances, pratiques et applications douteuses réunies sous l’appellation dianétique, une trouvaille du très haut gourou Ron Hubbard. Plusieurs qualifient l’église de la Scientologie de secte, d’autres de religion ou d’autres encore de simple entreprise commerciale.

Je pense que c’est tout bon. L’Église de La Scientologie serait donc une religion sectaire à but lucratif, un des mouvements les plus controversés du XXe siècle à cause de la polémique sur ses méthodes de recrutement et d’embrigadement basées sur le lavage de cerveau et l’escroquerie.

Comme toute les victimes, Marion s’est enserrée dans la Scientologie qui rappelle un peu la toile d’araignée et ce en quatre étapes simples qui pourraient s’appliquer à toutes les sectes. 1) Une rencontre par hasard. Marion se confie sans qu’elle le sache à un adepte de la scientologie. Elle est amère, triste et en questionnement. *Comment éviter d’être utilisée, manipulée, meurtrie par les autres ? Comment ne pas se tromper sur la valeur des gens ? (Extrait)

2) Marion entre dans la secte qui s’applique à la valoriser, à l’encadrer et à lui offrir produits et services pour le développement de sa personnalité. *Le but de cette formation est de vous entraîner, en dominant votre ego à résister aux agressions verbales et aux tentatives d’intimidation, …pour vous affirmer dans votre rapport à l’autre ! Vous allez acquérir un tel pouvoir sur l’autre que vous pourrez le faire changer d’avis. * (Extrait)

3) L’embrigadement : Après la signature du fameux contrat qui lie Marion à la secte, apparitions de contraintes, d’interdits, l’obligation de travailler. La personnalité n’est plus développée, elle est écrasée.

4) La sortie. Un déclic poussera Marion vers la sortie non sans subir une arnaque qui va la marquer pour sa vie.

C’est une histoire vraie. Le prénom a été changé. C’est tout. C’est la première fois à ma connaissance que ce sujet est développé en bande dessinée. Ça lui confère une certaine originalité et ça pourrait mieux préparer les jeunes en particulier qui sont plus fragiles à ce genre d’influence. Faire passer ce type de message dans une BD devait relever du défi car les concepteurs doivent éviter surtout la moralisation que les jeunes en général ont en horreur.

C’est un bon petit livre…un livre-avertissement qui ne se contente pas de raconter le vécu d’une victime mais qui explique comment contourner les pièges dans des textes en préface et en postface. On y indique également des ressources d’aide pour les victimes d’embrigadement ainsi que des coordonnées utiles.

C’est un bon petit-livre graphique qui se lit vite. J’ai trouvé un peu agressants les graphismes en noir bleu et blanc, durs pour les yeux, en mode numérique en tout cas et ça m’a obligé à faire plusieurs pauses. Enfin, je m’attendais à quelque chose de plus dramatique.

Mais finalement, je crois que l’auteur a fait un bon choix en évitant le piège du spectacle et du misérabilisme. DANS LA SECTE est une histoire très simple de monsieur et madame Tout le monde qui ne voit pas toujours les nombreux pièges tendus par une société mue par le pouvoir et le lucre. Les sectes sont des pièges et particulièrement virulents encore. Un ouvrage à lire et à regarder.

Suggestion de lecture : LE GLAIVE DE DIEU, de Hervé Gagnon

Scénariste, dessinateur et coloriste, Pierre Henri, de son vrai nom Patrice Guillon (photo de gauche) débute sa carrière dans les années 1990 avec, entre autres «Mon Quotidien», un journal pour ados. Il atteint la notoriété en 2006 avec la secte, un récit témoignage sur la scientologie sous le pseudonyme de Pierre Henri (La boîte à bulles, prix de la BD citoyenne). Sur cette lancée, il co-scénarisera, avec sa fille, le Journal d’une bipolaire. 

Louis Alloing (à droite) a déjà une longue carrière d’illustrateur jeunesse, de publicité et de dessinateur BD derrière lui, notamment pour les publications du groupe Bayard. Sur scénario de Rodolphe, on lui doit notamment les 8 tomes de la série Les Moineaux. Impressionné par le récit que lui fait une amie publicitaire de son parcours dans une secte, il y voit le sujet idéal à la réalisation d’un roman graphique.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 28 janvier 2024

DÉLIVREZ-NOUS DU MAL, de Romain Sardou

 

*Tu vas bientôt assister à la plus étonnante surprise
de l’ère chrétienne depuis… depuis que des soldats
romains sont revenus un matin pour trouver vide le
tombeau du Christ ! *
 
(Extrait, DÉLIVREZ-NOUS DU MAL, prologue, Romain
Sardou, XO éditions, 2008, format numérique, 335
pages)

Quercy, XIIIe siècle.

Dans un village perdu, une troupe d’hommes en noir enlève un enfant. Le prêtre du village décide de se lancer à la poursuite de ses ravisseurs. Les indices qu’il glane à mesure de sa quête lui font craindre d’être mêlé à une terrible affaire de sorcellerie… Mais il n’est pas le seul à s’intéresser à l’enfant. Pendant ce temps, à Rome, Bénédict Gui se voit confier une mission spéciale : retrouver le frère de la belle Zapetta, qui travaille pour la mystérieuse Sacrée Congrégation.
Dans un Moyen Age hanté par les querelles religieuses, où le pouvoir de l’Église est plus fort que jamais, se noue une intrigue dont les fils remontent jusqu’au Vatican

Les petites victimes
des jeux de pouvoir
*Cette vision d’horreur pétrifia Aba et les enfants.
– Si tu fais encore un geste, le curé, j’en épingle
d’autres comme cela sur tous tes murs, mugit
l’assassin en direction du prêtre.
(Extrait)

Au cœur du Moyen-âge en Europe, des enfants disparaissent, enlevés par de mystérieux hommes en noir, des cardinaux sont assassinés ou portés disparus. Le Père Aba recherche activement le jeune Perot et parallèlement, un enquêteur de Rome recherche un jeune homme disparu, Rainerio qui était au service d’un puissant Cardinal de la Sacré Congrégation appelée dérisoirement la machine à faire des Saints. C’est elle qui décide qui sera canonisé en analysant les miracles faits par les candidats.

Il appert d’une part, que les miracles, les saints et les candidatures à la canonisation font l’objet d’un trafic très lucratif et pour protéger l’organisation, on n’hésite pas à tuer, à éliminer les gêneurs ou ceux qui en savent trop. Et d’autre part, les enfants disparus ont un point en commun. Ils ont chacun un don surnaturel. Toutes ces capacités miraculeuses réunies pourraient décupler la puissance des cardinaux. Pas étonnant que le meurtre et la cruauté soient florissants.

Voici un thriller médiéval très addictif ayant comme toile de fond la crasse qui a incrusté l’Église pendant des siècles, sa puissance et sa cruauté. C’est un récit violent. Évidemment, l’auteur ne réinvente pas la roue avec un récit ayant comme thème l’Église sauf qu’ici, il est question d’un trafic très particulier : le trafic des saints et des miracles dans le but de renforcer la dévotion et augmenter considérablement les dons des fidèles.

La motivation de cardinaux corrompus jusqu’à la moelle est renforcée par l’exploitation de quelques enfants ayant des pouvoirs extraordinaires. L’auteur maîtrise fort bien son sujet et propose au passage une analyse de certains miracles et précise même qu’une agence catholique s’est donné comme but d’expliquer chaque miracle des saintes écritures pendant que d’autres organisent des simulacres de miracles.

Cette histoire m’a tenu en haleine. Le rythme est rapide et les personnages sont travaillés. Le jeune Perot, l’enfant sûrement le plus prodigieux du groupe a été pour moi un important générateur d’émotions. L’auteur met aussi talentueusement en perspective une époque très vaste où il n’y a rien de plus fort que l’Église, un big brother aussi puissant que corrompu.

La plume de Sardou est forte mais pas toujours facile à suivre. Il faut porter attention mais ça vaut la peine ne serait-ce que pour savoir où il veut en venir avec la petite touche de fantastique qu’il a imprégné à son roman. Malgré une très sensible impression de déjà vu, équilibrée finalement par la qualité de l’intrigue et la sensibilité du sujet, la manipulation des enfants étant une corde sensible et très délicate, j’ai passé un beau moment de lecture.

Suggestion de lecture : LE NOM DE LA ROSE, d’Umberto Eco

Issu d’une longue lignée d’artistes, Romain Sardou, né en 1974, se passionne très jeune pour l’opéra, le théâtre et la littérature. Après quelques années à Los Angeles, où il écrit des scénarios pour enfants, c’est en France qu’il publie chez XO son premier roman, un thriller médiéval, Pardonnez nos offenses (2002), qui connaît aussitôt un immense succès, ainsi que les suivants L’Éclat de Dieu (2004) et Délivrez-nous du mal (2008).

Exploitant d’autres rivages romanesques, Romain Sardou a également publié trois contes d’inspiration dickensienne, ainsi qu’un thriller contemporain, et un roman philosophique, Quitte Rome ou meurs (2009). Il explore maintenant l’histoire de la naissance de l’Amérique dans le premier volume de sa nouvelle trilogie, America, La treizième colonie (2010).

 

Du même auteur…
le livre précédant DÉLIVREZ-NOUS DU MAL

Romain Sardou est le fils du célèbre chanteur Michel Sardou

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 10 décembre 2023